transition démocratique

  • GUINÉE : « L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays »

    CIVICUS échange sur l’absence de progrès dans la transition vers la démocratie en Guinée après le coup d’État militaire de 2021 avec Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).

    Le FNDC est une coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens fondée en avril 2019 pour protester contre le projet de révision constitutionnelle de l’ancien Président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat. La coalition a continué à lutter pour le retour à un gouvernement constitutionnel après le coup d’État militaire de septembre 2021. Le 8 août 2022, le gouvernement de transition a en l’accusant d’organiser des manifestations publiques armées, de recourir à la violence et d’inciter à la haine.

    Abdoulaye Oumou Sow

    Pourquoi tant de retard dans la convocation des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel ?

    Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.

    Quelles sont les conditions fixées par les militaires et comment l’opposition démocratique a-t-elle réagi ?

    En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.

    Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.

    Quelle a été la réaction du public ?

    Aujourd’hui la plupart des acteurs socio-politiques se sentent exclus du processus de transition et il y a eu des manifestations pour le rétablissement de la démocratie.

    Mais la junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.

    Le 28 juillet 2022, à l’appel du FNDC les citoyen.nes prodémocratie ce sont mobilisés pour protester contre la confiscation du pouvoir par la junte. Mais malheureusement cette mobilisation a été empêchée et réprimée dans le sang. Au moins cinq personnes ont été tuées par balles, des dizaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées. D’autres ont été déportées au camp militaire Alpha Yaya Diallo, où elles ont été torturées par des militaires.

    Parmi les arrêtés aujourd’hui détenus à la maison d’arrêt de Conakry se trouvent le Coordinateur National du FNDC, Oumar Sylla Foniké Manguè, le responsable des opérations du FNDC, Ibrahima Diallo, et le secrétaire Général de l’Union des Forces Républicaines, Saikou Yaya Barry. Ils sont accusés d’attroupement illégal, destruction d’édifices publics et trouble à l’ordre public.

    Comment la communauté internationale, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en particulier, pourrait-elle apporter au mouvement démocratique le soutien dont il a besoin ?

    Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire pour la communauté internationale d’accompagner le peuple de Guinée qui est sous le prisme d’une nouvelle dictature militaire.

    L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.

    L’espace civique en Guinée est considéré comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec le FNDC via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@FNDC_Gn sur Twitter.

     

  • MALI : « La répression réelle ou perçue a créé un climat d’autocensure parmi les citoyens »

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    CIVICUS échange avec Nafissatou Maiga, coordonnatrice de l’Association des Jeunes pour le Développement de Sangarebougou/Femmes et Initiatives pour le Développement (AJDS/FID-MALI) sur l’état de l’espace civique au Mali depuis le coup d’état militaire de 2021.

    AJDS/FID-MALI représente la convergence de deux organisations de la société civile (OSC) maliennes engagées dans la défense des droits humains et de la liberté d’expression, avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes.

    Dans quelle mesure les libertés civiques ont-elles été respectées depuis le coup d’État militaire de 2021 ?

    Après le coup d’État de 2021, en théorie, les libertés d’association, d’expression et de réunion pacifique n’ont pas été formellement interdites par les autorités. Dans la pratique, cependant, on constate une atmosphère de crainte et de répression qui dissuade de nombreux citoyens de s’exprimer librement.

    Bien que les associations ne soient pas officiellement interdites, la peur de représailles et de répression a conduit de nombreuses personnes à hésiter à rejoindre ou à s’engager activement dans des OSC ou des groupes politiques. Les membres de ces associations peuvent craindre d’être surveillés ou ciblés par les autorités.

    Bien que la liberté d’expression soit garantie par la loi, la réalité sur le terrain est souvent très différente. Les citoyens ont souvent peur de s’exprimer ouvertement, en particulier sur les réseaux sociaux, de peur de représailles. L’application souvent abusive de la loi sur la cybercriminalité, qui criminalise certains types de discours en ligne, a contribué à renforcer cette culture de la peur.

    Bien que les manifestations et les rassemblements pacifiques ne soient pas explicitement interdits, les autorités ont souvent recours à l’état d’urgence ou d’autres prétextes pour restreindre ou dissuader certains rassemblements.

    Dans l’ensemble, bien que les libertés civiques ne soient pas officiellement restreintes, la peur des représailles et la répression réelle ou perçue ont créé un climat d’autocensure parmi les citoyens, compromettant ainsi l’exercice de ces droits fondamentaux.

     

    Quelle est la situation des médias et des journalistes ?

    La situation des médias et des journalistes s’est fortement détériorée, en particulier pour ceux qui expriment des opinions divergentes de celles des autorités. Bien qu’il n’ait pas de chiffres précis, plusieurs journalistes et chroniqueurs ont été emprisonnés pour avoir exprimé des opinions considérées comme des infractions contre l’État. Un exemple frappant est celui du célèbre chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily, qui a été placé en détention préventive et reste incarcéré à ce jour. Cette répression contre les voix dissidentes crée un climat de peur et d’insécurité pour les journalistes indépendants et compromet sérieusement la liberté de la presse au Mali.

    Parmi les développements récents, il convient de mentionner la suspension par la Haute Autorité de la Communication de nombreux médias, en particulier des médias internationaux tels que RFI et France 24. En outre, des médias nationaux tels que Djoliba TV ont également été temporairement suspendus. En conséquence, l’accès à l’information et la diversité des opinions ont été restreintes.

    Au moment où les médias et les journalistes et ont le plus besoin de s’organiser et de travailler ensemble pour se protéger, il leur est de plus en plus difficile de le faire. Les restrictions imposées par les autorités rendent difficile la coordination. Les pressions exercées sur les voix dissidentes et les menaces de répression limitent leur capacité à se réunir et à agir collectivement pour défendre leurs droits.

    La suppression de fonds provenant de pays comme la France, destinés à soutenir la société civile, affaiblit également la capacité des médias et des journalistes à bénéficier d’un soutien financier et technique extérieur. Cela limite leur capacité à mener des actions de plaidoyer et de sensibilisation, ainsi qu’à renforcer leurs capacités pour faire face à la répression.

    L’absence de soutien international adéquat, tant financier que diplomatique, contribue à isoler davantage les médias et les journalistes maliens dans leur lutte pour la liberté de la presse et la protection des droits humains. Le manque de solidarité internationale peut également renforcer le sentiment d’impunité des autorités et aggraver la situation des médias et des journalistes.

    Que faut-il faire pour que les libertés civiques et démocratiques soient rétablies ?

    Face aux défis décrits, il est crucial que la communauté internationale intensifie ses efforts pour soutenir les médias indépendants et les journalistes maliens en difficulté, en leur fournissant du soutien financier, technique et diplomatique pour renforcer leur résilience et leur capacité à défendre la liberté de la presse et les droits humains.

    Les organisations internationales doivent également accroître leur soutien financier et technique aux OSC qui défendent la liberté d’expression et les droits humains au Mali. Ce soutien renforcera leur capacité à documenter les violations des droits humains, à fournir assistance juridique aux victimes et à plaider en faveur de réformes démocratiques.

    Pensez-vous que la transition démocratique promise aura lieu en 2024 ?

    Concernant la transition promise, les récents événements, notamment l’absence de mention de l’organisation des élections dans le projet de loi de finances et les discussions sur la sortie du Mali de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation politique et économique régionale, suscitent des préoccupations quant à la volonté des autorités maliennes de respecter leurs engagements démocratiques. C’est pour cela que je suis pessimiste quant à la tenue d’élections démocratiques en 2024.

    Dans ce contexte, il est essentiel que la communauté internationale reste vigilante et continue d’exercer des pressions diplomatiques pour que les autorités maliennes respectent leur engagement à restaurer la démocratie et les droits humains.


    L’espace civique en Mali est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez l’AJDS/FID-MALI sur son siteFacebook et suivez@Ajdsang sur Twitter.

  • TUNISIE : « La nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations »

    Amine GhaliCIVICUS échange sur le référendum constitutionnel du 25 juillet en Tunisie avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM).

    KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui, à travers la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation, promeut la participation de la société civile dans la démocratie et la justice transitionnelle tant en Tunisie comme plus largement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    Pourquoi le président Kais Saied organise-t-il un référendum constitutionnel le 25 juillet ?

    Le changement ou la révision constitutionnelle relèvent du projet privé du président, qu’il n’a annoncé ni lors de sa candidature à la présidence en 2019 ni pendant ses deux premières années au pouvoir. Cela a commencé lorsque le président Saied a révoqué le premier ministre et dissout le Parlement en juillet 2021.

    À cette époque, il n’avait même pas annoncé la révision constitutionnelle. Ce n’est qu’en mi-décembre que, sous pression internationale et locale, le président a dû énoncer un plan d’action. En son sein se trouvait une nouvelle Constitution.

    Contrairement à la Constitution de 2014, qui reposait sur un consensus large, le processus menant à un référendum constitutionnel n’a pas obtenu le soutien du public. Lors d’une consultation en ligne organisée en début 2022 pour recueillir les avis sur la révision de la Constitution, seul environ le 30 % des interrogés la soutenait. Pourtant, le président a poursuivi le processus de révision constitutionnelle, avec une campagne de référendum encourageant les Tunisiens à voter « oui » pour « corriger le cours de la révolution ».

    Dans quelle mesure la société civile a-t-elle participé au processus menant au référendum ?

    La société civile a vécu des moments sans précédent ces derniers mois. En ce qui concerne sa position sur la question, elle s’est généralement montrée silencieuse ou favorable.

    En juillet 2021, au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

    Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer. 

    La société civile n’est pas constituée d’un seul groupe ou d’une seule position - il existe bien sûr une certaine diversité. Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer. Maintenant beaucoup tentent d’empêcher le processus de référendum.

    Comment la société civile s’est-elle organisée contre le référendum ?

    Bien que la réponse de la société civile ait été tardive, elle a récemment utilisé une série de moyens pour s’opposer au référendum. Des coalitions ont été créées, la société civile a publié des prises de position, des conférences ont été organisées.

    Certains groupes appellent au boycott du référendum tandis que d’autres tentent de porter une affaire devant les tribunaux, mais celle-ci se mène contre les atteintes à la justice menées par le président : en juin, il a révoqué 57 juges, les accusant de corruption et de protection des « terroristes ». En mode de proteste les juges tunisiens se sont mis en grève et n’ont repris le travail que très récemment.

    La Ligue tunisienne des droits de l’homme, une importante OSC, a fait appel au président à retirer sa proposition et à entamer un dialogue plus large avec la société tunisienne.

    Dans quelle mesure le référendum pourrait-il être libre et équitable ?

    Lors de la transition démocratique en 2011, notre pays s’est efforcé de créer des institutions indépendantes telles que la commission électorale et l’organisme de lutte contre la corruption, entre autres. La Constitution proposée dissout presque tous ces organes indépendants.

    Le seul conservé est la commission électorale, dont le président Saied a pris le contrôle en mai en renvoyant ses membres et en en nommant de nouveaux. En février, il a dissout le Conseil supérieur de la magistrature, dont il a licencié les juges en juin. 

    Dans ce contexte, l’indépendance de cette « commission indépendante » chargée d’organiser le référendum, ainsi que l’intégrité de l’ensemble de l’élection, doivent être remises en question.

    Quelles sont vos attentes quant à ses résultats, et quel impact auront-ils sur la qualité de la démocratie ?

    Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme - du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.

    Malgré sa popularité, je pense que son prochain référendum aura un taux de participation très faible, d’où la légitimité du résultat sera remise en question.

    Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.

    Si le référendum est approuvé, il sera suivi d’élections parlementaires en décembre, conformément à son plan d’action ; le parlement a été dissout en avril. Entre-temps, il y aura probablement plusieurs « réformes » et de nouvelles lois. Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendant.

    La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.

    La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.

    De notre côté, la société civile a condamné ces violations, mais ce n’a pas été suffisant. Nous avons donc essayé de créer un réseau avec divers défenseurs de la démocratie en Tunisie et à l’étranger. Dans la prochaine phase, la société civile continuera sa pression et se mobilisera contre toute déviation de la démocratie, étant donné que la nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations.

    Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?

    Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique. La communauté des pays démocratiques ne fait pas beaucoup d’efforts pour garder la Tunisie entre eux.

    Beaucoup d’entre nous sommes très déçus par leurs réactions face à la dissolution du Parlement et tout ce qui a suivi, dont le résultat a été un projet de Constitution qui va vraisemblablement annuler la démocratie tunisienne. Mais il n’y a pas eu de réponse solide de la part des amis démocratiques de la Tunisie.

    Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.

    L’espace civique en Tunisie est considéré comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec KADEM via sonsite web ou sa pageFacebook. 

  • TUNISIE : « La société civile n’est pas encore directement menacée, mais nous pensons que notre tour arrivera »

    Amine GhaliCIVICUS s’entretient des perspectives de démocratie en Tunisie après le coup de force du président de juillet 2021 avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM). KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui vise à promouvoir la contribution de la société civile à la démocratie et à la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région, par la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation.

    Quelle a été la position de la société civile tunisienne face au coup de force du président Kais Saied ?

    En juillet dernier, le président Saied a limogé le premier ministre et suspendu le parlement, tout en promettant un processus de révision constitutionnelle. Depuis lors, il s’est octroyé des pouvoirs étendus et a supprimé les contrôles sur ce pouvoir.

    Les réactions ont été variées, car la société civile tunisienne a toujours été très diverse. Une partie a soutenu les actions de Saied, ou du moins les a vues d’un bon œil, tandis qu’une autre s’y est complètement opposée. D’autres personnes ont été plus sélectives au sujet de ce à quoi elles s’opposent : peut-être n’étaient-elles pas satisfaites de l’arrangement politique précédent ou même de l’actuel, mais pensaient néanmoins que les actions de Saied ouvriraient de plus grandes opportunités de changement et de réforme.

    Une diversité similaire a été visible dans la société en général, mais nous n’avons pas connu de polarisation malsaine parce que les gens ne se sont pas divisés entre des positions aux deux extrémités du spectre.

    Et bien que je ne dispose pas de véritables chiffres ou statistiques, j’ai récemment remarqué une opposition croissante de la société civile face aux événements de juillet. Au début, il y avait une sorte d’euphorie, mais maintenant, la société civile est plus critique sur ce qui s’est passé, peut-être parce que les gens ont commencé à remarquer que Saied n’a pas encore tenu ses promesses.

    Qu’est-ce qui a fait évoluer les positions de la société civile ?

    L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance, ce qui ne s’est pas encore produit. En outre, il a pris des mesures et des décisions qu’il n’a pas annoncées le 25 juillet. Ses actions - principalement contre le parti Ennahda et d’autres partis politiques importants - étaient initialement conformes à la Constitution, mais il a ensuite commencé à agir contre la Constitution et à inverser les étapes de notre transition démocratique.

    Selon le discours officiel, repris par certains acteurs politiques, notre Constitution actuelle est si mauvaise que nous en nécessitons une nouvelle. Mais à mon avis - et à celui de la société civile - elle n’est pas si mauvaise. Plus important encore, le processus d’élaboration de la Constitution à la suite des soulèvements de 2010 a fait l’objet d’un large consensus, et la nouvelle Constitution a été approuvée par beaucoup plus que la majorité requise des deux tiers de l’Assemblée nationale constituante - elle a reçu les voix de 200 députés sur 217. Mais maintenant, nous semblons passer d’un processus participatif à un processus restrictif.

    En termes de gestion électorale, il est difficile de savoir si les prochaines élections et le référendum seront organisés par un organisme indépendant. De plus, Saied a remis en question un autre acquis démocratique majeur, l’indépendance du pouvoir judiciaire.

    Comment la société civile a-t-elle réagi à la feuille de route que le Président Saied a dévoilée en décembre 2021 ?

    Je pense que c’est la pression exercée par la société civile, les partis politiques et la communauté internationale qui a poussé le président à définir une feuille de route à la mi-décembre. Pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi la suspension du Parlement, il s’y était opposé.

    Une partie au moins de la société civile continuera à plaider pour que des mesures plus nombreuses et plus efficaces soient incluses dans la feuille de route, notamment une élection présidentielle, que nous pourrions être amenés à organiser puisque la feuille de route prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, qui entraînera une nouvelle répartition des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement. Nous ferons également pression pour une approche plus participative, car l’organisation d’un référendum sur la Constitution n’est pas suffisante, dans la mesure où elle ne permettra aux gens que de répondre à une question par oui ou non.

    Ce sont des points qui seront probablement soulevés dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Nous avons des OSC fortes travaillant sur les élections, qui se réunissent déjà pour discuter de la manière de maintenir la commission électorale comme acteur principal, et de celle d’aborder le passage du vote pour des listes au vote pour des individus, comme annoncé par les partisans du président.

    Je m’attends à ce que nous assistions bientôt à la formation de nouvelles coalitions pour agir sur le nouvel agenda politique. En fait, certaines de ces coalitions se sont déjà formées, incluant des éléments de la société civile et politique, comme Citoyens contre le coup d’État. D’autres coalitions de la société civile travaillent à l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains. À mon avis, cette nouvelle dynamique va se développer au cours des prochains mois.

    Y a-t-il des possibilités d’engagement de la société civile autour du prochain référendum constitutionnel ?

    Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de ce nouveau système de gouvernance est le manque de consultation, non seulement avec la société civile mais aussi avec les partis politiques. Jusqu’à présent, l’espace réservé au processus de consultation n’a pas été assez large. L’une de ses caractéristiques est la consultation en ligne, qui n’est pas le type de consultation auquel nous nous sommes habitués ces dix dernières années.

    Même si beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme elles étaient censées le faire, il y avait au moins une forme de consultation, une forme de donnant-donnant, entre les politiques et la société civile, les experts et la communauté internationale. Cet écosystème que nous avions autrefois n’existe plus. Les OSC feront pression pour obtenir de meilleures formes de coopération entre les décideurs et la société civile.

    Quelle pression subit l’espace civique en Tunisie ?

    L’espace civique se réduit. Bien que la société civile ne soit pas encore directement menacée, nous pensons que notre tour va arriver. Nous avons remarqué que les décideurs tunisiens détestent les corps intermédiaires. Ils ont donc fermé le parlement, attaqué le système judiciaire et boycotté les médias. Nous sommes probablement les prochains sur leur liste, nous devons donc être très vigilants. Des rumeurs circulent selon lesquelles les politiciens introduiront des changements juridiques qui affecteront les OSC, ce que nous n’accepterons pas. Nous devons défendre l’espace civique tant que nous avons encore un peu d’espace pour interagir avec les décideurs en l’absence du parlement, le corps intermédiaire traditionnel.

    Les récentes arrestations d’opposants politiques s’inscrivent-elles dans une tendance inquiétante ?

    Nous n’avons pas connu d’arrestations massives d’opposants politiques - en fait, il y en a eu très peu. Pour autant que nous le sachions, ces arrestations n’étaient pas fondées sur des raisons politiques, mais plutôt sur des activités illégales commises par des politiciens pendant leur mandat. Nous avons condamné les procédures et les circonstances des arrestations, qui n’étaient pas appropriées, mais personne n’est au-dessus de la loi, alors s’il existe des preuves suffisantes contre ces personnes, arrêtons-les et traduisons-les en justice selon les procédures judiciaires et non sur la base de décisions de l’exécutif.

    Quelles sont les perspectives de consolidation démocratique en Tunisie, et comment la communauté internationale peut-elle y contribuer ?

    Je pense que si nous la livrons à elle-même, le sort de la démocratie en Tunisie sera plutôt sombre. La société civile, la société politique, la communauté internationale et les amis de la Tunisie devront donc intensifier leurs efforts de plaidoyer, non pas pour restaurer la démocratie mais pour la maintenir. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs pour maintenir la pression afin de s’assurer que la Tunisie est sur la voie de la démocratie. Si nous ne nous engageons pas et nous contentons de regarder le spectacle, cela ne nous mènera probablement pas vers plus de démocratie et une meilleure démocratie, mais bien dans la direction opposée.

    Tant que les acteurs internationaux reconnaissent qu’il y a une menace pour la démocratie et s’engagent, cela nous aidera. La communauté internationale ne doit pas nous traiter comme elle l’a fait avec l’Égypte en 2013 - c’est-à-dire qu’elle ne doit pas privilégier la sécurité et la stabilité au détriment de la démocratie. Nous avons besoin que la communauté internationale maintienne la pression sur les décideurs en Tunisie pour s’assurer que l’achèvement de la transition démocratique est notre objectif commun. De cette façon, la Tunisie deviendra un exemple majeur de transition démocratique réussie dans la région arabe.

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