L’action citoyenne au 21ème siècle : co-créer pour améliorer les relations en matière d’accès aux ressources

Par Dumiso Gatsha

La première fois que j’ai lu l’histoire de Christina, Dahlia, Naro, Nawa et Samuel, j’ai été enthousiasmé. Issus d’un groupe de plus de 2000 activistes qui se consacrent à rendre le monde meilleur, cette sélection variée, enthousiaste et résolue participe à la co-création d’une campagne visant à repenser la mobilisation de ressources pour la société civile.

Le groupe Grassroots Changemakers est le reflet de la position de nombreux pairs que j’ai rencontrés sur les réseaux sociaux, en marge des mécanismes de plaidoyer ou au sein de diverses formes d’action civique. L’énergie que l’on perçoit lorsque l’on rencontre des gens qui se sacrifient et naviguent dans un monde qui nous refuse constamment une participation, des opportunités ou une dignité égale est incomparable. Dans cet espace collaboratif, nul besoin d’expliquer plus qu’il n’en faut ou de clarifier ce que l’on sait déjà. Cet espace reconnaît et affirme votre vécu, sans se poser de questions sur votre appartenance ou si vous pouvez être vulnérable.

Ce sentiment a été confirmé après les réunions que nous avons eues pour faire le point sur les avancées du groupe Changemakers dans le projet. Discuter de la santé mentale, du bien-être et du soin m’a fait réaliser que servir une communauté, et peut-être le moi de notre propre enfance, peut prendre forme de différentes manières. Aussi, lorsque c’est au service des autres, le surmenage, l’épuisement et la dé-priorisation de soi peuvent être banalisés. Selon mes premières observations, le fait de se décentrer de soi dans l’activisme de base relève des conditions dans lesquelles on est né; conditions normalement difficiles, en raison d’un désavantage lié à l’histoire, et n’ayant jamais pu participer de manière significative à l’éducation, à l’économie, à la société et à d’autres sphères de développement. Je vois maintenant comment cela provient du travail de soin et des coûts de renonciation que les activistes doivent endurer sans ressources ni reconnaissance.

Les relations comme facteurs déterminants de la mobilisation de ressources

Le type de relations que les activistes de base entretiennent avec les bailleurs de fonds est essentiel à la reconnaissance et à l’allocation de ressources en faveur de l’activisme. La façon dont la confiance, l’attention et l’intention se manifestent ou non est la clé pour comprendre les nuances dans les relations. L’hypothèse de la campagne reflète cela : si les relations entre les activistes de base et les donateurs sont permises sans prescription ni limite, il est possible d’obtenir le plus haut degré possible de changement aux niveaux individuel et collectif. L’hypothèse permet de comprendre l’importance de l’existence d’un espace pour la co-création d’une campagne visant à améliorer les pratiques de financement et les relations. Des initiatives similaires ont déjà été couronnées de succès dans le cadre de CIVICUS : offrir un espace de dialogue, mettre en relation les activistes avec d’autres espaces, et recommander des modèles de co-création pour l’obtention de ressources.

La campagne préconise et explore l’amélioration de la qualité des relations comme condition préalable pour réinventer un environnement de ressources équitable pour les activistes de base. La démarche reconnaît jusqu’à présent le rôle que joue la dynamique du pouvoir dans les relations entre les activistes et les bailleurs de fonds. Nous avons appris comment le pouvoir se manifeste dans le langage, l’accès et les processus d’octroi de subventions que les activistes doivent assimiler et maîtriser. Plus on s’éloigne de la compréhension des concepts et du cadre de la terminologie normative des ONG internationales, moins il y a d’opportunités, de confiance et d’exposition à des pratiques équitables de financement.

 

Réfléchir sur une allocation équitable des ressources destinées aux activistes de base

Le pouvoir s’accompagne souvent du privilège d’avoir des options. Par exemple, les bailleurs de fonds peuvent disposer d’une gamme d’outils pour assurer la participation. Que cela soit équitable dépend de l’inclusion ou non des personnes les plus laissées pour compte. Certains activistes ont longuement expliqué à quel point la langue est un obstacle à la participation aux opportunités d’obtention des ressources ou pendant les premières étapes de co-création de notre campagne. Cela indique comment une chose aussi simple que la langue peut priver quelqu’un d’une participation équitable. Il en va de même pour l’accès à Internet, l’éligibilité au financement et d’autres déterminants structurels tels que l’inégalité face à la vaccination et l’héritage colonial. Tous ces facteurs ont un impact sur la manière dont une personne peut appréhender les concepts et aligner les besoins auxquels ils souhaitent répondre sur les opportunités de financement.

Il est essentiel de créer des espaces de conversation, de connexion et de remise en question des différents aspects du paysage de la société civile et des chaînes de valeur du développement. Le fait de se concentrer sur les activistes de base permet non seulement d’élaborer des programmes, des messages ou des ressources tenant compte des traumatismes ; mais aborde également les obstacles invisibles ainsi que les faiblesses du pouvoir en matière d’habilitation. Cette campagne fournit une plate-forme pour tester ce à quoi ressemblent l’autonomie et la capacité d’action dans le contexte de la co-création et de l’activisme au 21ème siècle. Elle fournit intentionnellement ou non des enseignements essentiels – et qui touchent à divers aspects de l’habilitation et de l’attribution de ressources aux activistes.

Un point important à retenir des premières étapes de la campagne

Jusqu’à présent, au cours de notre parcours, les premières étapes co-créatives de la campagne ont révélé comment les activistes sont façonnés pour servir du fait de la résilience ou des situations qu’ils vivent. Ils doivent constamment comprendre ou s’adapter aux actions des autres, à la fois ceux qui dépendent d’eux et/ou même ceux qui les oppriment. Il en va de même dans les relations entre les activistes et les bailleurs de fonds ; dans le cadre desquelles ils font le travail préparatoire, gèrent les attentes et naviguent entre les éléments déclencheurs de préjudices au sein du système social, de la société civile et du système de développement. Les activistes ne se donnent jamais la priorité parce qu’ils doivent faire le travail difficile de se montrer prudents tout en défiant dans la mesure du possible les structures du pouvoir. Plus important encore, cela peut être tout aussi évident dans les espaces sûrs ; ce qui rajoute une couche de complexité à l’accès aux institutions et au plaidoyer. Cette campagne réaffirme la nécessité de mieux comprendre les activistes de base qui sont au centre de l’écosystème du changement. Leur expertise, leurs connaissances et leurs expériences inestimables permettront de tirer des leçons et de comprendre le véritable sens du renforcement de l’action citoyenne au 21ème siècle [durant la pandémie de COVID-19 et au-delà].

Dumiso Gatsha est membre de CIVICUS, parmi les premiers membres du Groupe Consultatif sur la Diversité et l’Inclusion pour le Réseautage et l’Action, ex membre participant au Goalkeeper Youth Action Accelerator et activiste féministe queer panafricaine travaillant dans le domaine des droits humains et du développement durable.

Dans ce blog, Dumi partage ses premières réflexions sur la campagne Révolution solidaire pour l’activisme créée avec une équipe d’activistes inspirés. Dumi collabore avec CIVICUS dans le rôle d’une « amitié critique », soutenant les différentes équipes et autres acteurs clés dans la réflexion, la captation et le partage des apprentissages à mesure que nous avançons. Étant donné la nature hautement expérimentale de cette initiative, il est essentiel d’avoir cette amitié critique pour promouvoir des réflexions significatives et documenter les apprentissages. Le fait de compter une personne activiste de la base dans ce rôle nous aide à garantir que le cadre d’apprentissage et la collecte de données sont basés et alignés sur ce qui a du sens pour les activistes de la base. Tant l’histoire de Dumi que les différentes expériences de cette campagne et ses observations s’avèrent déjà être des ressources précieuses. Ce blog est le premier d’une série de réflexions que Dumi et l’équipe partageront à l’avenir – restez à l’écoute !