Afrique

 

  • Guinée : libérez les défenseurs des droits humains et levez les restrictions à la liberté de réunion

    Le recours à la violence et le meurtre de manifestants en vue de disperser les manifestations qui ont actuellement lieu en Guinée ont pour effet de renforcer l’impunité et constituent un revers majeur pour le processus fragile de transition, a déclaré aujourd’hui l’alliance mondiale de la société civile CIVICUS. Des groupes de défense des droits humains ont rapporté qu’au moins cinq personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées lors de la répression violente des manifestants par les forces armées en Guinée les 28 et 29 juillet 2022.

     

  • Il faut renouveler le mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud

    À l’attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Genève (Suisse)

     

  • NAMIBIE : « Les manifestations contre la violence de genre ont été alimentées par l’espoir collectif »

    CIVICUS s’entretien avec Bertha Tobias sur les récentes manifestations contre le féminicide et la violence basée sur le genre (VBG) en Namibie. Bertha est une jeune activiste qui a reçu des prix internationaux pour sa participation à des concours de débat. Elle est diplômée du United World College à Changshu, en Chine, et poursuit actuellement des études supérieures au Claremont McKenna College en Californie. Elle a reçu le prix « Go Make A Difference », qui soutient la mise en œuvre de projets de développement communautaire, et a participé activement aux manifestations pour les droits des femmes en Namibie.

    Bertha Tobias

    Pourriez-vous raconter comment ont commencé les manifestations #ShutItAllDown contre la VG et comment vous y avez participé ?

    J’ai commencé à m’impliquer dans la lutte contre la VBG après l’annonce de la découverte de restes humains dans une ville côtière de Namibie. Les restes étaient soupçonnés être ceux de Shannon Wasserfall, une jeune fille de 20 ans qui avait disparu en avril 2020. Cet incident spécifique a provoqué des réactions massives. La publication du titre de l’article sur le compte Twitter de l’un des principaux médias nationaux a galvanisé de nombreux jeunes à l’action, les a poussés à s’organiser et à descendre dans la rue pour manifester. Elle a donné un caractère d’urgence à la conversation sur la VBG et le féminicide en Namibie.

    Le cas de Shannon n’est pas un cas isolé, car des jeunes femmes disparaissent tout le temps en Namibie. Mais lorsque cette affaire a été révélée, elle a relancé la conversation nationale sur la question. Quelqu’un sur Twitter a déclaré à juste titre que quelque chose devait se passer, que quelque chose devait changer, et j’ai répondu à leur commentaire et je me suis impliquée très tôt, car c’est une question qui me tient profondément à cœur, car je suis fermement convaincue que la vie des femmes a une valeur intrinsèque et elle vaut tout autant que celle des hommes.

    Avec d’autres jeunes, nous avons envoyé des courriels, obtenu le soutien nécessaire et nous nous sommes organisés en moins de 24 heures, principalement et surtout par le biais des réseaux sociaux. Nous avons fait un tract qui a été largement diffusé et de nombreuses personnes sont venues manifester. Nous, les jeunes, nous avons pris en main l’initiative et c’est ainsi que tout a commencé : c’était un exemple du pouvoir d’internet et du pouvoir des jeunes.

    Si je me souviens bien, le premier jour de manifestations, un journal a rapporté qu’un peu plus de 800 personnes s’étaient rassemblées, et lors de toutes les manifestations ultérieures, il y avait des centaines de personnes. Des jeunes femmes et des jeunes hommes y ont participé : les manifestations étaient principalement dirigées par des femmes, mais des jeunes hommes étaient présents en nombre considérable. Ce qu’il est important de noter à propos de la démographie des manifestations, c’est que les participants étaient pour la plupart des jeunes. Ce sont des jeunes qui ont participé à des réunions avec des fonctionnaires, rédigé des pétitions et parlé aux médias. Et ce sont les jeunes femmes qui étaient à l’avant-garde, tandis que les jeunes hommes leur ont apporté leur soutien.

    On pense que si les jeunes femmes en Namibie ne peuvent pas aller acheter un carton de lait sans craindre pour leurs vies, alors il y a quelque chose qui ne va pas du tout chez nous en tant que pays. La philosophie de #ShutItAllDown est assez radicale : elle consiste à tout arrêter jusqu’à ce que l’on comprenne ce qui ne fonctionne pas pour les femmes namibiennes en termes de sécurité. Tant qu’on n’aura pas de réponses à cette question, on ne pense pas que ce soit juste, sain ou dans l’intérêt de quiconque de continuer à faire comme si de rien n’était. On ne veut pas que l’activité économique continue comme si de rien n’était alors que les jeunes femmes ne se sentent pas en sécurité.

    En quoi pensez-vous que #ShutItAllDown est différent des manifestations précédentes pour les droits des femmes en Namibie ?

    D’autres manifestations en faveur des droits des femmes ont eu lieu dans le passé. En fait, au début de 2020, on a eu une manifestation pro-choix qui portait spécifiquement sur les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive et qui plaidait pour la légalisation de l’avortement et la reconnaissance de l’intégrité et de l’autonomie corporelle des femmes. Selon la loi sur l’avortement et la stérilisation de 1975, l’avortement est illégal en Namibie, sauf en cas d’inceste, de viol ou lorsque la vie de la mère ou de l’enfant est en danger.

    Il y a des mouvements féministes en Namibie qui sont actifs et qui travaillent de façon régulière ; cependant, un fait de la réalité que nous avons dû reconnaître est que de nombreux mouvements féministes sont dirigés par des jeunes qui ont également d’autres obligations, comme des emplois à temps plein. Les organisations de la société civile sont également confrontées à des défis, notamment en termes de ressources et de soutien institutionnel.

    La manifestation précédente, qui a eu lieu au début 2020, a été significative dans le sens où elle a ouvert la voie et posé des bases importantes pour que #ShutItAllDown puisse gagner la confiance collective nécessaire pour pouvoir avancer. Des organisatrices féministes étaient présentes et actives pour amplifier la voix de #ShutItAllDown. Elles ont été très actives dans la diffusion de l’information et ont joué un rôle crucial dans la mobilisation des gens pour venir aux manifestations et les rendre vivantes. Les organisatrices féministes de Namibie font un excellent travail en coulisses, mais leur travail est limité car elles manquent de ressources. Par conséquent, nombre de nos demandes s’adressent au gouvernement et à d'autres institutions qui disposent des ressources nécessaires pour mettre en place les changements que nous recherchons.

    La différence entre #ShutItAllDown et les manifestations précédentes c’est que les jeunes en Namibie participent maintenant de plus en plus aux affaires publiques et s’expriment pour que le gouvernement et d’autres institutions rendent compte de leurs actions et remplissent leurs mandats et obligations envers les citoyens.

    En outre, le mouvement a pu se développer plus ou moins organiquement car les médias sociaux sont de plus en plus utilisés comme un outil pour avoir des conversations et pousser à la responsabilisation. La Namibie a une population assez jeune avec d’énormes capacités numériques. La flexibilité et la capacité d’auto-organisation des jeunes ont fini par nous pousser tous à faire quelque chose.

    Quelles étaient les exigences de #ShutItAllDown, et quelle réponse avez-vous obtenue ?

    La principale demande que nous adressions au gouvernement namibien était la déclaration de l’état d'urgence en ce qui concerne le féminicide et la violence sexuelle et de genre (VSG), simplement parce que nous pensions que le problème auquel nous étions confrontés justifiait ce genre d’action. Nous voulions faire passer le message que le féminicide est une crise de dimension nationale et qu’au-delà de la pandémie de la COVID-19, les femmes toujours, chaque jour, craignent pour leur vie. Nous avons également exigé une consultation immédiate avec des experts en matière de violence sexuelle et que le ministère de la justice mette en place un registre des délinquants sexuels et des tribunaux pour les crimes sexuels.

    Plusieurs demandes portaient sur le renforcement des méthodes existantes pour mettre fin à la VSG. De nouvelles demandes ont également été adressées à divers ministères et d’autres parties prenantes, telles que la mise en place de patrouilles de voisinage 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, de services virtuels et à distance de lutte contre la violence sexuelle, et de programmes scolaires et universitaires visant à sensibiliser les jeunes à ce problème.

    Notre pétition reconnaît que la VSG existe à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du foyer. Mais nous comprenons qu’il est plus difficile de mettre fin à la violence au sein du foyer en raison des années ou des décennies de travail de base nécessaires pour inverser la normalisation de la VSG. Il se peut que nous ne soyons pas en vie pour voir les fruits de cet effort en raison du temps qu’il faut pour transformer une société et sa culture, pour interroger et briser collectivement les principes traditionnels dans lesquels les normes abusives sont ancrées.

    Malheureusement, on n’a pas obtenu la déclaration de l’état d’urgence qu’on demandait. Mais d’autres demandes, telles que le renforcement de la sécurité par des patrouilles, la modification du programme d’enseignement et la création de groupes de travail ou de comités pour intensifier les efforts visant à endiguer la VSG, ont reçu un accueil favorable. Une autre demande importante qui a reçu une réponse positive a été la formation des officiers de police pour qu’ils soient plus sympathiques et empathiques dans le traitement des cas et la réception des plaintes de VSG. On sait que l’accueil que les victimes d’abus reçoivent dans les commissariats de police et le manque d’attention et d’urgence avec lequel leurs cas sont traités sont parmi les principales raisons pour lesquelles de nombreuses femmes ne dénoncent pas la VBG.

    Le mouvement #ShutItAllDown a-t-il mis en lumière d’autres questions pertinentes ?

    Oui, les activistes LGBTQI+ et les membres de ce collectif ont joué un rôle de premier plan dans la mobilisation des gens pour protester et ont amplifié les voix du mouvement #ShutItAllDown. Pour moi, il a été important de voir des femmes queer et d’autres personnes LGBTQI+ qui luttent pour naviguer dans une société violemment homophobe et transphobe protester et souligner l’importance de l’intersectionnalité et de la défense collective. Out-Right Namibia, l’une des principales organisations de défense des droits humains LGBTQI+ de Namibie, a mis à profit sa position pour pousser #ShutItAllDown et créer un réseau solide et bien connecté pour défendre nos droits collectifs en tant que femmes noires et/ou queer.

    Les manifestations de #ShutItAllDown ont également mis en lumière l’illégalité de l’avortement en Namibie et plus généralement la précarité de notre droit à la santé reproductive. C’est dans ce contexte que l’on a intensifié nos conversations sur la question des droits des femmes en matière de santé reproductive. Celles-ci sont quelques-unes des questions essentielles que #ShutItAllDown a mises en lumière, soulignant tout le chemin qu'il reste à parcourir pour que les droits de toutes les femmes soient reconnus et respectés.

    Y a-t-il de l’espace pour l’activisme intergénérationnel au sein du mouvement #ShutItAllDown ?

    L’activisme intergénérationnel s’est révélé comme un terrain intéressant, notamment en raison de la nature ardente et passionnée de la jeunesse. L’impact de l’activisme incarné par les manifestations de #ShutItAllDown était en grande partie basé sur la création de perturbations et d’un malaise général pour inciter les gens, même les plus indifférents, à agir. Je crois que la perturbation engage des conversations importantes. Nous espérons que nos actions amèneront ceux qui ne sont pas familiers avec ce que nous faisons à se demander pourquoi nous nous soucions de la sécurité des femmes au point d’aller nous asseoir au milieu de la rue ou de bloquer et faire fermer un centre commercial, et à essayer de comprendre ce qui se passe et ce que nous faisons. Ces questions lanceraient une conversation et alimenteraient d’importants débats sur un mal national urgent qui coûte la vie à de nombreuses femmes.

    Mais beaucoup d’adultes ont tendance à remettre en question les tactiques perturbatrices utilisées par les jeunes. Une autre limite qu’on a rencontrée, c’est que les tactiques de perturbation impliquent une prise de risque personnelle. Les jeunes ont beaucoup moins d’enjeux en termes d’employabilité et de perte de respectabilité. De nombreuses personnes plus âgées sont d’accord avec les causes qui nous mobilisent, mais elles ne prennent généralement pas le risque de prendre notre parti, ou du moins elles ne le font pas explicitement. Il y a des facteurs politiques et pratiques qui limitent même la mesure dans laquelle elles peuvent exprimer publiquement leur soutien.

    Comment voyez-vous l’avenir de #ShutItAllDown ?

    L’avantage des mouvements organiques et spontanés, ainsi que des mouvements qui n’ont pas de leader, c’est que n’importe qui peut se réveiller un jour et décider de lancer #ShutItAllDown dans sa propre localité, parce que le mouvement n’a pas de leader unique ou de visage visible. Depuis octobre 2020, on n’a pas eu de nouvelles manifestations, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas d’autres dans l’avenir. La VS est un problème permanent et malheureusement, à tout moment et en tout lieu, un cas nouveau peut se présenter qui relance les manifestations.

    L’espace civique en Namibie est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
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  • NIGERIA : « Le tollé mondial suscité par la mort de George Floyd renouvelle l’appel à la responsabilité de la police »

    CIVICUS s’entretient avec Nelson Olanipekun, avocat spécialisé dans les droits humains et fondateur et chef d’équipe de Citizens’ Gavelle (« le maillet des citoyens »), une organisation nigériane de technologie civique qui s’efforce d’accélérer l’administration de la justice en favorisant l’accès à la justice, la participation des citoyens et l’utilisation des technologies numériques. Citizens’ Gavel a été fondé en 2017, en réaction au manque de transparence et de responsabilité dans le secteur de la justice.

     

  • OUGANDA : « Personne ne peut gagner les élections sans le vote des jeunes »

    CIVICUS s'entretient avec Mohammed Ndifuna, directeur exécutif de Justice Access Point-Uganda (JAP). Établi en 2018, le JAP cherche à faire avancer, encourager et renforcer la lutte pour la justice dans le contexte du processus de justice transitionnelle bloqué en Ouganda, des difficultés du pays à mettre en œuvre les recommandations de ses premier et deuxième examens périodiques universels au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, et face à la réaction de certains États africains contre la Cour pénale internationale.

    Mohammed est un défenseur des droits humains et un travailleur de la paix expérimenté et passionné, avec plus de 15 ans d'activisme des droits humains et de prévention des atrocités aux niveaux local, national et international. En 2014, il a reçu le Prix des droits de l’Homme de l'Union européenne pour l'Ouganda ; Il a siégé au comité directeur de la Coalition for the Criminal Court (2007-2018) et au conseil consultatif du Human Rights House Network à Oslo (2007-2012). Il siège actuellement au comité de gestion du Comité national ougandais pour la prévention du génocide et des atrocités de masse.

    Mohammed Ndifuna

    Quel est l'état de l'espace civique en Ouganda à l'approche des élections tant attendues en 2021 ?

    L'espace civique en Ouganda peut être caractérisé comme un espace harcelé, étouffé et pillé. La société civile semble être sur une sorte de pente glissante alors que les choses tournent de mal en pis. Par exemple, les organisations de la société civile (OSC) ont subi une vague d'attaques effrontées contre leur espace physique qui ont pris la forme d'effractions dans leurs bureaux en plein jour. Pendant ce temps, les attaques contre les OSC en général, et en particulier celles qui défendent les droits humains et encouragent la responsabilité, se sont poursuivies. Ces dernières années, un certain nombre de mesures législatives et administratives ont été adoptées à l'encontre des OSC et d'autres secteurs, comme la loi sur la gestion de l'ordre public (2012) et la loi sur les ONG (2016).

    Face aux élections générales et présidentielles, qui se tiendront le 14 janvier 2021, le ministre de l'Intérieur a établi que toutes les OSC doivent passer par un processus obligatoire de validation et de vérification pour pouvoir fonctionner. De nombreuses OSC n'ont pas été en mesure d'achever le processus. De ce fait, au 19 octobre 2020, seulement 2 257 OSC avaient terminé avec succès le processus de vérification et de validation, et celles-ci ne comprenaient que quelques OSC qui plaident en faveur des questions de gouvernance.

    Les OSC ougandaises sont fortement dépendantes des donateurs et étaient déjà aux prises avec des ressources financières réduites, ce qui a fortement affecté la portée de leur travail. Cette situation a été exacerbée par l'épidémie de COVID-19 et les mesures de verrouillage prises en réponse, qui ont sapé les efforts de mobilisation des ressources des OSC. Ainsi, la combinaison de ces trois forces - harcèlement, restrictions et accès limité au financement - a affaibli les OSC, obligeant la plupart à concentrer leurs efforts sur leur propre survie.

    Il semblerait que les enjeux des élections de 2021 soient bien plus importants que les années précédentes. Qu'est ce qui a changé ?

    La situation a commencé à changer en juillet 2019, lorsque Robert Kyagulanyi, mieux connu sous son nom de scène, Bobi Wine, a annoncé qu'il se présenterait à la présidence en tant que candidat à la plate-forme de l'opposition nationale pour l'unité. Bobi Wine est un chanteur, acteur, activiste et politicien. En tant que leader du mouvement du Pouvoir Populaire, Notre Pouvoir, il a été élu législateur en 2017.

    L'attention que Bobi reçoit des jeunes est énorme et il faut tenir compte du fait que plus de 75% de la population ougandaise a moins de 30 ans. Cela fait des jeunes un groupe qu'il est essentiel d'attirer. Aucun candidat ne peut remporter les élections ougandaises s'il ne recueille pas la majorité des voix des jeunes. Lors de la prochaine course présidentielle, Bobi Wine semble être le candidat le plus capable d'attirer ces votes. Bien qu'il n'ait pas beaucoup d'expérience en tant que politicien, Bobi est une personnalité très charismatique et a réussi à attirer non seulement des jeunes mais aussi de nombreux politiciens des partis traditionnels dans son mouvement de masse.

    Longtemps connu comme le « président du ghetto », Bobi Wine a utilisé son appel en tant que star de la musique populaire pour produire des chansons politiques et mobiliser les gens. Ses racines dans le ghetto l'ont également rendu plus attractif dans les zones urbaines. On pense que cela a motivé de nombreux jeunes à s'inscrire pour voter, il est donc possible que l'apathie des jeunes électeurs diminue par rapport aux élections précédentes.

    Face à la lutte acharnée actuelle pour les votes des jeunes, il n'est pas étonnant que l'appareil de sécurité se soit violemment attaqué aux jeunes, dans une tentative évidente de contenir la pression qu'ils exercent. De nombreux activistes politiques liés au Pouvoir Populaire ont été harcelés et, dans certains cas, tués. Plusieurs dirigeants politiques du Pouvoir Populaire ont été détenus intermittemment et poursuivis devant les tribunaux, ou auraient été enlevés et torturés dans des lieux clandestins. Dans une tentative évidente d'attirer les jeunes du ghetto, le président Yoweri Museveni a nommé trois personnes du ghetto comme conseillers présidentiels. Cela ouvre la possibilité que les gangs du ghetto et la violence jouent un rôle dans les prochaines élections présidentielles. 

     

    Lors des élections précédentes, la liberté d'expression et l'utilisation d'Internet ont été restreintes. Peut-on s’attendre à voir des tendances similaires cette fois ?

    Nous les voyons déjà. La préoccupation concernant la restriction de la liberté d'expression et d'information est valable non seulement rétrospectivement, mais aussi en raison de plusieurs événements récents. Par exemple, le 7 septembre 2020, la Commission ougandaise des communications (CCU) a publié un avis public indiquant que toute personne souhaitant publier des informations sur Internet doit demander et obtenir une licence de la CCU avant le 5 octobre 2020. Cela affectera principalement les internautes, tels que les blogueurs, qui sont payés pour le contenu qu'ils publient. De toute évidence, cela tente de supprimer les activités politiques des jeunes sur Internet. Et c'est aussi particulièrement inquiétant car, étant donné que les réunions et assemblées publiques sont limitées en raison des mesures de prévention de la COVID-19, les médias numériques seront la seule méthode autorisée de campagne pour les élections de 2021.

    La surveillance électronique a également augmenté, et la possibilité d'un arrêt des plateformes de médias sociaux à la veille des élections n'est pas écartée.

    Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté la société civile et sa capacité à répondre aux restrictions d'espace civique ?

    La pandémie de COVID-19 et les mesures prises en réponse ont exacerbé l'état déjà précaire des OSC. Par exemple, la capacité de la société civile d'organiser des rassemblements publics et des manifestations pacifiques en faveur des droits et libertés fondamentaux, ou de protester contre leur violation, a été limitée par la manière dont les procédures opérationnelles standard (POS) ont été appliquées pour faire face à la COVID-19. Cela a entraîné des violations et des attaques contre l'espace civique. Par exemple, le 17 octobre 2020, les forces de police ougandaises et les unités de défense locales ont effectué une effraction conjointe lors d'une réunion de prière de Thanksgiving qui se tenait dans le district de Mityana et ont gazé gratuitement la congrégation, qui comprenait des enfants, des femmes, des hommes, des personnes âgées et des chefs religieux ; la raison alléguée était que les personnes rassemblées avaient désobéi aux POS pour la COVID-19.

    Dès que la mise en œuvre des POS pour la COVID-19 entre en contact avec la pression électorale, il est possible que la répression des libertés de réunion pacifique et d'association s'aggrave. Malheureusement, les OSC sont déjà fortement restreintes.

    Comment la société civile internationale peut-elle aider la société civile ougandaise ?

    La situation de la société civile ougandaise est telle qu’elle nécessite l’appui et la réponse urgents de la communauté internationale. Vous devez prêter attention à ce qui se passe en Ouganda et vous exprimer d'une manière qui amplifie les voix d'une société civile locale de plus en plus étouffée. Plus spécifiquement, les OSC ougandaises devraient être soutenues afin qu'elles puissent mieux répondre aux violations flagrantes des libertés, atténuer les risques impliqués dans leur travail et améliorer leur résilience dans le contexte actuel.

    L'espace civique en Ouganda est classé comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez Justice Access Point via leursite Web ou leur pageFacebook, et suivez@JusticessP sur Twitter.

     

  • RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

    CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

    Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

    LUCHA Lutte Pour Le Changement

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

    La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

    La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

    La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

    De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

    Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

    La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

    Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

    Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

    Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

    Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

    La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

    Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

    LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

    Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

    Que devrait faire la communauté internationale ?

    La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

    La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

    La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.

     

     

  • TUNISIE : « La nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations »

    Amine GhaliCIVICUS échange sur le référendum constitutionnel du 25 juillet en Tunisie avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM).

    KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui, à travers la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation, promeut la participation de la société civile dans la démocratie et la justice transitionnelle tant en Tunisie comme plus largement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    Pourquoi le président Kais Saied organise-t-il un référendum constitutionnel le 25 juillet ?

    Le changement ou la révision constitutionnelle relèvent du projet privé du président, qu’il n’a annoncé ni lors de sa candidature à la présidence en 2019 ni pendant ses deux premières années au pouvoir. Cela a commencé lorsque le président Saied a révoqué le premier ministre et dissout le Parlement en juillet 2021.

    À cette époque, il n’avait même pas annoncé la révision constitutionnelle. Ce n’est qu’en mi-décembre que, sous pression internationale et locale, le président a dû énoncer un plan d’action. En son sein se trouvait une nouvelle Constitution.

    Contrairement à la Constitution de 2014, qui reposait sur un consensus large, le processus menant à un référendum constitutionnel n’a pas obtenu le soutien du public. Lors d’une consultation en ligne organisée en début 2022 pour recueillir les avis sur la révision de la Constitution, seul environ le 30 % des interrogés la soutenait. Pourtant, le président a poursuivi le processus de révision constitutionnelle, avec une campagne de référendum encourageant les Tunisiens à voter « oui » pour « corriger le cours de la révolution ».

    Dans quelle mesure la société civile a-t-elle participé au processus menant au référendum ?

    La société civile a vécu des moments sans précédent ces derniers mois. En ce qui concerne sa position sur la question, elle s’est généralement montrée silencieuse ou favorable.

    En juillet 2021, au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

    Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer. 

    La société civile n’est pas constituée d’un seul groupe ou d’une seule position - il existe bien sûr une certaine diversité. Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer. Maintenant beaucoup tentent d’empêcher le processus de référendum.

    Comment la société civile s’est-elle organisée contre le référendum ?

    Bien que la réponse de la société civile ait été tardive, elle a récemment utilisé une série de moyens pour s’opposer au référendum. Des coalitions ont été créées, la société civile a publié des prises de position, des conférences ont été organisées.

    Certains groupes appellent au boycott du référendum tandis que d’autres tentent de porter une affaire devant les tribunaux, mais celle-ci se mène contre les atteintes à la justice menées par le président : en juin, il a révoqué 57 juges, les accusant de corruption et de protection des « terroristes ». En mode de proteste les juges tunisiens se sont mis en grève et n’ont repris le travail que très récemment.

    La Ligue tunisienne des droits de l’homme, une importante OSC, a fait appel au président à retirer sa proposition et à entamer un dialogue plus large avec la société tunisienne.

    Dans quelle mesure le référendum pourrait-il être libre et équitable ?

    Lors de la transition démocratique en 2011, notre pays s’est efforcé de créer des institutions indépendantes telles que la commission électorale et l’organisme de lutte contre la corruption, entre autres. La Constitution proposée dissout presque tous ces organes indépendants.

    Le seul conservé est la commission électorale, dont le président Saied a pris le contrôle en mai en renvoyant ses membres et en en nommant de nouveaux. En février, il a dissout le Conseil supérieur de la magistrature, dont il a licencié les juges en juin. 

    Dans ce contexte, l’indépendance de cette « commission indépendante » chargée d’organiser le référendum, ainsi que l’intégrité de l’ensemble de l’élection, doivent être remises en question.

    Quelles sont vos attentes quant à ses résultats, et quel impact auront-ils sur la qualité de la démocratie ?

    Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme - du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.

    Malgré sa popularité, je pense que son prochain référendum aura un taux de participation très faible, d’où la légitimité du résultat sera remise en question.

    Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.

    Si le référendum est approuvé, il sera suivi d’élections parlementaires en décembre, conformément à son plan d’action ; le parlement a été dissout en avril. Entre-temps, il y aura probablement plusieurs « réformes » et de nouvelles lois. Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendant.

    La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.

    La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.

    De notre côté, la société civile a condamné ces violations, mais ce n’a pas été suffisant. Nous avons donc essayé de créer un réseau avec divers défenseurs de la démocratie en Tunisie et à l’étranger. Dans la prochaine phase, la société civile continuera sa pression et se mobilisera contre toute déviation de la démocratie, étant donné que la nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations.

    Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?

    Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique. La communauté des pays démocratiques ne fait pas beaucoup d’efforts pour garder la Tunisie entre eux.

    Beaucoup d’entre nous sommes très déçus par leurs réactions face à la dissolution du Parlement et tout ce qui a suivi, dont le résultat a été un projet de Constitution qui va vraisemblablement annuler la démocratie tunisienne. Mais il n’y a pas eu de réponse solide de la part des amis démocratiques de la Tunisie.

    Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.

    L’espace civique en Tunisie est considéré comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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  • ZAMBIE : « Les pratiques électorales observées jusqu’à présent ne permettent pas de tirer de bonnes leçons pour la région »

    McDonald ChipenziCIVICUS s’entretient avec McDonald Chipenzi, directeur exécutif de l’initiative Governance, Elections, Advocacy, Research Services (GEARS) et président du Conseil des ONG en Zambie, sur l’état de l’espace civique avant l’élection générale cruciale qui se tiendra le 12 août 2021.

    Quel est l’état de l’espace civique et des libertés des médias avant les élections ?

    L’espace civique et médiatique en Zambie reste fragile et s’est rétréci en raison de restrictions légales. Cette situation a été aggravée par l’apparition de la pandémie de COVID-19 et par les nouvelles règles et directives qui ont renforcé les restrictions à la liberté de mouvement des citoyens, et aux libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression. Cela a conduit à une participation inefficace des citoyens aux affaires nationales.

    Les règles et directives concernant la COVID-19 ont aggravé l’état déjà délicat et restreint de l’espace civique, médiatique et politique en Zambie. Ces restrictions sont le résultat de l’application sélective de lois archaïques telles que la loi sur l’ordre public de 1955 et de lois récemment promulguées telles que la loi sur la cybersécurité et les cybercrimes de 2021, qui vise à intercepter, surveiller et interférer avec les conversations, la correspondance et les communications des citoyens, même sans ordonnance ou mandat du tribunal. Cette nouvelle loi, considérée comme visant à réduire l’espace civique virtuel, a fait naître la peur chez les citoyens, les dissuadant de s’engager efficacement en ligne. En conséquence, beaucoup ont choisi de garder le silence ou de se retirer des plateformes en ligne telles que WhatsApp et Facebook.

    L’espace médiatique reste également intimidé, harcelé et brimé en raison de lois restrictives et des actions des élites au pouvoir. La fermeture de Prime TV, une chaîne de télévision privée, en mars 2021, a jeté un froid dans la communauté des médias. La plupart d’entre eux craignent désormais d’accueillir des voix critiques et des leaders de l’opposition. Ils craignent de perdre la publicité gouvernementale et d’autres opportunités commerciales. Les personnes associées au pouvoir en place prennent également leurs distances avec les médias qui offrent une tribune aux voix critiques.

    Quelles sont les principales préoccupations de la société civile à l’approche des élections ?

    La principale préoccupation de la société civile est la sécurité de toutes les parties prenantes, car la police ne s’engage pas à assurer la sécurité de tous. La police s’est montrée réticente à faire face aux violences perpétrées par les élites du parti au pouvoir et y a même contribué. La crainte est que le jour de l’élection, si certains partis ont le sentiment de perdre dans certains bureaux de vote, ils s’engagent dans des activités perturbatrices afin de pousser à un nouveau vote, ce qui pourrait leur donner l’avantage.

    Une autre préoccupation est la possibilité d’une fermeture de l’accès à internet, des services mobiles et des médias sociaux, en particulier après le vote, pour tenter de masquer les résultats.

    Une troisième préoccupation concerne la pandémie de COVID-19, dont on a estimé qu’elle pouvait être propagée par les partis politiques s’ils organisaient des rassemblements. Selon le ministère de la Santé et la Commission électorale de Zambie (CEZ), les rassemblements sont considérés comme des événements potentiels de propagation du COVID-19, et ils ont donc recommandé une interdiction. Cette situation a surtout touché l’opposition, tandis que les responsables du parti au pouvoir étaient occupés à faire campagne au nom du lancement et de l’inspection de projets de développement.

    Il convient de noter que la CEZ a constitué un groupe de travail sur la COVID-19 afin de développer des lignes directrices, un groupe dominé par des institutions gouvernementales. Sur les 14 institutions représentées, neuf appartiennent au gouvernement, avec seulement trois espaces pour les médias et deux pour les organisations de la société civile dans les domaines du genre et de l’eau et l’assainissement.

    Pour prévenir la violence et la maîtriser si elle se produit, la société civile s’engage auprès de la police, l’encourageant à être plus professionnelle et plus éthique, et auprès des partis politiques pour qu’ils fournissent un encadrement à leurs cadres. Elle demande également au président de la République de libérer les policiers retenus en captivité afin qu’ils puissent s’attaquer aux criminels, indépendamment de leur appartenance à un parti.

    En ce qui concerne la possibilité d’une fermeture des médias et de l’accès à internet, les organisations de la société civile ont envoyé des pétitions au président de la République pour qu’il s’abstienne de fermer internet ou les médias sociaux pendant et après les élections.

    Aux fins de cette élection, l’initiative GEARS a mis au point ce qu’elle appelle la « stratégie Ing’ombe Ilede » pour permettre la collecte des résultats de l’élection en cas de coupure d’Internet. Un lieu commun a été désigné pour que les coordinateurs de circonscription et de province impliqués dans l’élection puissent partager leurs documents sans avoir besoin de se rencontrer. Cette stratégie est empruntée aux anciennes tactiques commerciales d’un lieu appelé Ing’ombe Ilede dans la vallée de Gwembe, dans la province du Sud de la Zambie. Nous pensons que cette stratégie aidera à faire face à une éventuelle coupure de l’accès à Internet, que le gouvernement a déjà signalée.

    Comment la polarisation s’accentue-t-elle à l’approche des élections, et quels sont les impacts probables des élections sur les divisions sociales et politiques ?

    L’élection a polarisé le pays, car les politiciens du parti au pouvoir utilisent désormais le régionalisme et le tribalisme pour gagner des voix dans leurs bastions présumés. Il en résultera de profondes divisions après les élections, surtout si le parti au pouvoir remporte les élections, car il marginalisera ceux qui, selon lui, ne l’ont pas soutenu pendant les élections. Déjà, les groupes ou régions perçus comme des bastions du plus grand parti d’opposition ont été marginalisés et discriminés en termes de développement et d’opportunités économiques, y compris en ce qui concerne les postes politiques au sein du gouvernement.

    Les opportunités d’emploi et de commerce sont également l’apanage de ceux qui sont perçus comme soutenant le parti au pouvoir. Les marchés et les gares routières sont tous entre les mains des partisans du parti au pouvoir et non des conseils. Cette situation a rétréci l’espace civique pour de nombreux citoyens qui survivent grâce au commerce sur les marchés et dans les stations de bus, car elle les a amenés à adopter ce qu’ils ont appelé la « stratégie de la pastèque », qui symbolise un fruit de pastèque vert à l’extérieur (la couleur du parti au pouvoir) et rouge à l’intérieur (la couleur de l’opposition), afin de survivre sur ces marchés, arrêts de bus, stations et stations de taxis. Cette situation risque de s’aggraver si le parti au pouvoir conserve le pouvoir.

    Quel est l’état de l’économie et comment cela influencera-t-il les choix des électeurs ?

    L’état de l’économie zambienne n’est pas réjouissant mais plutôt inquiétant pour beaucoup de gens ordinaires. La monnaie locale, le kwacha, a continué à se déprécier par rapport aux principales devises convertibles. Le coût de la vie a quadruplé et le prix des produits de base essentiels explose. Les pauvres parviennent à peine à survivre tandis que les élites politiques au pouvoir dorment sur leurs deux oreilles en raison de la corruption excessive et de l’abus des ressources de l’État en l’absence de contrôles et de reddition de comptes. Les pauvres mangent pour vivre plutôt que de vivre pour manger. Cela aura des effets dans les zones périurbaines des grandes villes comme Lusaka et les villes de la Copperbelt.

    La population rurale, en revanche, pourrait ne pas être aussi affectée par l’état de l’économie, car la majorité de sa population a fait de bonnes récoltes au cours des dernières saisons des pluies et a bénéficié d’un programme de transferts sociaux en espèces destiné aux personnes âgées et vulnérables, qui a été transformé en outil de campagne. En outre, les électeurs ruraux ont tendance à être conservateurs et à voter pour les partis politiques traditionnels préférés de leurs aînés.

    La Zambie est connue comme un bastion de la démocratie dans la région. Quel impact cette élection aura-t-elle sur la démocratie en Zambie et dans la région ?

    Cette élection est la clé du déploiement d’une tendance unique dans la région sur la façon dont les élections peuvent être et seront gérées. Si elle est très mal gérée et qu’elle débouche sur le chaos, elle risque d’influencer la région de manière négative, car les dirigeants de la plupart des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont tendance à s’inspirer les uns des autres. S’agissant de l’une des rares élections organisées dans la région pendant la pandémie de COVID-19, après l’élection historique du Malawi, la Zambie a l’occasion de montrer à la région qu’elle reste le bastion de la démocratie au sein de la SADC.

    Cependant, les pratiques observées jusqu’à présent ne permettent pas de tirer de bonnes leçons pour la région. Par exemple, l’annulation des rassemblements et d’autres activités de campagne, principalement dirigés contre l’opposition, alors que le parti au pouvoir et les fonctionnaires continuent de mener leur campagne, est une très mauvaise leçon pour la démocratie, la concurrence loyale et les élections crédibles. L’application sélective du code de conduite électoral par le responsable des élections est également un très mauvais exemple pour la région. Par conséquent, la région devra choisir les bonnes leçons parmi les mauvaises. Cependant, la plupart des institutions électorales et des dirigeants politiques sont plus enclins à choisir les mauvaises leçons et à laisser les bonnes de côté, puisque les mauvaises pratiques électorales profitent aux titulaires.

    Que peuvent faire les groupes de la société civile régionale et mondiale pour soutenir la société civile zambienne pendant cette période d’élections et après ?

    La société civile régionale et mondiale a un rôle très important à jouer pour faire en sorte que la paix règne en Zambie et qu’il n’y ait pas d’intimidation et de harcèlement ciblés du mouvement de la société civile après les élections. Il est nécessaire de garder un œil attentif sur les événements post-électoraux, notamment en ce qui concerne les manœuvres visant à réduire l’espace civique. À quelques jours des élections, le 9 août, le secrétaire permanent du ministère de l’Information et de la Radiodiffusion, Amos Malupenga, a publié un communiqué avertissant les citoyens que le gouvernement pourrait couper l’accès à Internet avant les élections, ce qui constituerait une menace directe pour jouir des libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression en ligne des citoyens pendant et après les élections.

    L’armée et d’autres forces de défense, en plus de la police, ont été déployées dans les rues du pays sous prétexte de réprimer toute violence politique et électorale éventuelle, ce qui peut potentiellement donner lieu à des abus et miner l’espace civique physique. Par conséquent, l’espace civique et politique physique et en ligne sera constamment menacé par l’establishment pendant et après les élections, comme il l’a été auparavant.

    La société civile et les médias critiques sont des cibles potentielles d’intimidation et de harcèlement post-électoraux, d’où la nécessité pour la société civile mondiale et régionale de soutenir la société civile en Zambie par des stratégies visant à contrer les représailles qui pourraient leur être imposées par la machine étatique après les élections. Si le gouvernement actuel l’emporte, sa catégorisation, sa marginalisation et sa discrimination des organisations de la société civile en fonction de leur affiliation réelle ou perçue à un parti s’aggraveront après les élections.

    Le processus d’abrogation du projet de loi sur les ONG étant toujours en suspens, la période post-électorale pourrait connaître une nouvelle approche de son achèvement.

    Il faudra mettre en place des stratégies de solidarité et des fonds juridiques pour aider ceux qui risquent d’être incriminés et poursuivis en justice par l’utilisation des lois archaïques. Il est nécessaire de continuer à contester l’existence de la loi sur la cybersécurité et les cybercrimes, de la loi sur l’ordre public et de la loi sur les ONG. À cette fin, la société civile régionale et mondiale doit soutenir, défendre, promouvoir et protéger l’espace civique et médiatique en Zambie avant, pendant et après les élections.

    L’espace civique en Zambie est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.

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