démocratie

 

  • #BEIJING25 : « Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte »

    À l'occasion du 25e anniversaire duProgramme d'Action de Beijing, CIVICUS s'entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d'Action de Beijing poursuit les objectifs d'éliminer la violence contre les femmes, de garantir l'accès au planning familial et à la santé reproductive, d'éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n'a encore atteint l'égalité des genres.

    CIVICUS s'entretient avec Pakou Hang, directrice des programmes pour Vote Run Lead (Vote Candidate Dirige), une organisation dédiée à la formation de femmes afin qu’elles puissent se présenter aux élections et les remporter, augmentant ainsi la représentation des femmes à tous les niveaux de gouvernement. Créée en 2014, elle a déjà touché plus de 36 000 femmes aux États-Unis, dont près de 60% sont des femmes noires et 20% proviennent de zones rurales. De nombreuses formées à Vote Run Lead siègent désormais dans des conseils municipaux, des conseils de comté, des chambres d'État, des cours suprêmes et au Congrès des États-Unis.

    Pakou Hang

    Un quart de siècle plus tard, dans quelle mesure la promesse contenue dans le Programme d’Action de Beijing s’est traduite par des changements concrets ?

    Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1995, mais il reste encore beaucoup à faire et nous sommes encore loin de l’égalité. En termes de représentation politique, il y a eu des progrès, mais cela a aussi été lent : globalement, au début de 2019, 24,3% des membres des parlements nationaux étaient des femmes, contre 11,3% seulement en 1995. Seuls trois pays dans le monde ont atteint ou dépassé la parité dans leurs chambres basses ou législatures monocamérales, mais beaucoup d'autres ont atteint ou dépassé le seuil de 30%. Jusqu'à l'année dernière, il y avait également 11 femmes chefs d'État et 12 chefs de gouvernement ; et les femmes occupaient près de 21% des postes ministériels, souvent dans les domaines les plus associés aux problématiques des femmes, tels que l'action sociale et les portefeuilles liés à la famille, à l'enfance, à la jeunesse, et aux personnes âgées et handicapées. Les résultats sont donc mitigés - beaucoup de progrès ont été accomplis, mais les progrès ont été lents et sont loin d'être suffisants.

    Il y a également eu de grandes variations entre les régions et les pays, d'environ 16% de femmes parlementaires dans la région du Pacifique à plus de 40% dans les pays nordiques. La moyenne pour les Amériques est de 30%, mais les États-Unis sont en dessous de la moyenne. Le Congrès reste dominé de manière disproportionnée par les hommes. Bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population, elles n'occupent que 24% des sièges. Le Congrès est également moins diversifié sur le plan racial que la population dans son ensemble, 78% de ses membres s'identifiant comme blancs, une proportion nettement supérieure au 60% de la population américaine composée de personnes blanches.

    Selon le Centre pour les Femmes et la Politique Américaine (Center for American Women and Politics), la situation n'est pas très différente au niveau des états : 29,2% des sièges législatifs des états et 18% des postes des gouvernants sont occupés par des femmes. Il y a moins de données sur les pouvoirs exécutifs locaux et l'essentiel des informations disponibles se réfère aux plus grandes villes, dont 60% des maires sont des hommes blancs, alors que les hommes blancs ne représentent que 20% de la population de ces villes. Bien que davantage de femmes aient accédé à la fonction publique locale en 2018, les conseils municipaux et les commissions de comté ont continué à n'inclure qu'une seule femme ou pas de femmes.

    D’autre part, malgré le nombre relativement restreint de femmes parlementaires, et en particulier de femmes noires, le Congrès actuel est le plus diversifié de l'histoire. Ainsi, le bassin de candidats pour des mandats législatifs en 2020 était également le plus diversifié de l’histoire. Bien entendu, ces candidats ont reçu de violentes attaques de la part des médias et de l'opposition politique. Mais je pense que nous devons changer notre perspective pour comprendre l'ampleur du changement qui s'est produit. J’ai certainement été déçue de voir que nous nous retrouvions avec deux hommes blancs d’un certain âge à la tête des deux principaux sièges présidentiels - mais désormais, nous comptons également une femme noire d’origine indienne comme vice-présidente élue, ce qui constitue sans aucun doute un progrès.

    Je me souviens que lorsque le triomphe de Joe Biden et Kamala Harris à l'élection présidentielle de 2020 a été annoncé, j'ai appelé ma nièce de neuf ans pour lui annoncer la nouvelle. Elle était extatique. Cela m'a rappelé qu'elle appartient à une nouvelle génération d'Américains née sous la présidence de Barack Hussein Obama. Quand elle grandira elle saura que Donald Trump a été président, mais elle saura également que Trump a été vaincu par une femme noire d'origine indienne. Pendant que nous parlions, ma nièce m'a dit : "Nous avons presque réussi, ma tante." Et j'ai pris conscience qu'elle avait raison : oui, nous y sommes presque.

    Pourquoi est-il important d'atteindre la parité homme-femme dans la représentation politique ? S'agit-il uniquement des droits des femmes et de l'égalité des chances, ou aura-t-elle également des effets positifs sur les institutions démocratiques et les politiques publiques ?

    L'une des principales raisons pour lesquelles nous avons besoin d'un plus grand nombre de femmes aux postes gouvernementaux est qu'elles ne gouvernent pas comme les hommes. Les femmes au gouvernement sont plus collaboratives, plus civiles, plus communicatives. Elles sont plus susceptibles de travailler avec des membres d'autres partis pour résoudre des problèmes. Elles obtiennent plus d'argent pour leurs localités, elles votent plus de lois et leurs projets sont davantage axés sur les populations les plus vulnérables telles que les enfants, les personnes âgées et les malades. Les femmes élargissent l'agenda politique, au-delà des questions qui concernent traditionnellement les femmes. Et cela produit de meilleures politiques pour tous, c'est-à-dire non seulement pour les femmes et les filles, mais aussi pour les hommes et les garçons. Enfin, dans la mesure où elles apportent un nouvel ensemble de perspectives et d'expériences de vie au processus d'élaboration des politiques, leur présence garantit que les perspectives des femmes ne soient pas négligées et que des questions telles que la violence sexiste ou les soins aux enfants ne soient pas ignorées. En bref, les femmes occupant des postes gouvernementaux ont tendance à être plus efficaces que les hommes. Et étant donnée la situation actuelle de stagnation politique et d'hyper-partisanerie, nous devons changer la façon de faire. Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte.

    De plus, la nécessité de femmes au pouvoir et en politique est devenue d’autant plus essentielle dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Lors du dernier cycle électoral, les bailleurs de fonds voulaient plus que jamais contribuer aux campagnes électorales des femmes candidates, étant donné que la pandémie les a sensibilisés non seulement aux nombreuses inégalités qui affectent notre société et le système de santé, mais aussi au travail remarquable que les femmes, et en particulier les femmes noires, entreprennent dans leurs communautés pour répondre aux besoins urgents, combler les lacunes des politiques inadéquates du gouvernement et résoudre les problèmes des communautés exclues qui ont été affectées de manière disproportionnée par la COVID-19 et la crise économique. Au cours de cette crise, les femmes ont joué un rôle essentiel en soutenant la connexion des communautés, en collectant et en distribuant de la nourriture et d'autres produits de base aux familles en difficulté, en trouvant des moyens de soutenir l'activité économique locale et en fournissant des services communautaires ad hoc, entre autres.

    Les recherches sur la manière dont divers pays ont répondu à la pandémie suggèrent que les pays avec des femmes au pouvoir ont tendance à avoir moins de cas et moins de décès dus à la COVID-19. Il semble que les femmes au pouvoir ont adopté un style de leadership transformateur qui peut être plus approprié pour la gestion des crises. Ce type de leadership se concentre sur les relations humaines profondes, l'investissement dans l'équipe de travail et l'échange de connaissances, l'action exemplaire et la motivation des autres. Cela représente des qualités très utiles dans notre contexte actuel.

    Pourquoi pensez-vous que la représentation politique des femmes aux États-Unis est encore si faible ?

    Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles nous n'avons pas de parité entre les sexes dans la représentation politique. Tout d'abord, il y a encore trop de raisons structurelles pour lesquelles les femmes ne se présentent pas et ne sont pas élues. Les femmes effectuent encore une quantité disproportionnée de travaux ménagers et l'éducation des enfants, et la couverture médiatique reste sexiste, se concentrant sur les apparences et les personnalités des femmes plutôt que sur leurs positions politiques. En outre, les personnes qui occupent les structures des partis et qui ont des connaissances politiques, des réseaux et de l’argent sont encore des hommes, et ce sont souvent eux qui déterminent qui est politiquement viable. Par exemple, un jeune homme qui a étudié le développement communautaire à Harvard est considéré comme plus viable qu'une femme d'âge moyen qui travaille dans l'organisation communautaire depuis 20 ans.

    Paradoxalement, les femmes candidates remportent les élections dans les mêmes proportions que leurs homologues masculins et, selon les sondages, les électeurs sont enthousiastes face à la possibilité d'élire des femmes. Mais la deuxième raison pour laquelle les femmes ne sont pas élues est tout simplement qu'elles ne se portent pas candidates autant que les hommes, et évidemment, dès lors que vous ne concourez pas, vous ne pourrez pas gagner.

    Pourquoi les femmes ne présentent-elles pas leurs candidatures à des fonctions publiques ? La raison peut-être la plus répandue est que les femmes doutent d'elles-mêmes. Elles ne sont pas considérées comme qualifiées. Elles ne voient pas d'autres femmes qui leur ressemblent ou qui pensent comme elles dans ces positions de pouvoir, et c'est donc un cercle vicieux. Et non seulement les femmes doutent d'elles-mêmes, mais les observateurs extérieurs aussi. De ce fait, si une position de pouvoir particulière n'a jamais été occupée par une femme, la question qui se pose encore de façon répétée dans les médias, sur un ton de doute, est : une femme pourrait-elle être élue ? C'est une question que l'on entend beaucoup dans le cadre des primaires présidentielles démocrates de 2020.

    Il y a aussi le fait que certaines qualités considérées comme positives chez les hommes, comme l'assurance ou l'ambition, prennent une connotation négative lorsqu'elles sont appliquées aux femmes. Alors qu'il y a sans aucun doute eu des hommes en colère et vengeurs qui ont été élus président, les femmes qui sont perçues comme « en colère » ou « vengeresses » sont considérées comme désagréables et donc disqualifiées. Les femmes candidates sont soumises à des attentes beaucoup plus élevées, parfois de leur propre fait, mais plus souvent par les autres, et par conséquent nous manquons de parité entre les sexes dans notre représentation politique.

    Quand avez-vous réalisé que, contrairement aux hommes, les femmes avaient besoin d'une formation pour se présenter à des fonctions publiques ?

    Bien que j'aie étudié les sciences politiques à l'université, je sentais que la politique américaine était sale et corrompue et je ne me suis jamais impliquée dans la politique électorale. Mais en 2001 ma cousine aînée, Mee Moua, a décidé de se porter candidate pour un siège au Sénat pour le district de East Saint Paul lors d'une élection spéciale. Le district oriental de Saint-Paul devenait rapidement un district où les minorités étaient majoritaires, mais tous ses élus, de l'état au comté et au niveau de la ville, étaient des hommes blancs conservateurs. Ma cousine était diplômée d'une université prestigieuse, avait exercé la profession d'avocate, avait été présidente de la Chambre de Commerce Hmong, et avait décidé de se présenter après avoir fait du bénévolat pendant des années dans de nombreuses campagnes politiques. Cependant, comme c'est souvent le cas pour les femmes candidates, on lui a dit qu'elle devait attendre son tour. Et bien, elle a décidé de ne pas le faire, et comme aucun acteur politique pertinent ne l'a aidée, elle a rassemblé nos 71 cousins germains pour devenir son armée de volontaires et m'a recrutée comme directrice de campagne, car j'étais la seule à avoir étudié les sciences politiques. Contre toute attente, sans expérience politique et au milieu de l'hiver du Minnesota, nous avons frappé aux portes, passé des appels téléphoniques, mobilisé les électeurs à l'aide des radios communautaires, amené les gens aux urnes, et gagné. Nous avons marqué l'histoire en élisant le premier législateur d'état Hmong de l'histoire américaine et de l'histoire des Hmong.

    Rétrospectivement, je me rends compte que j'ai mené la campagne uniquement par instinct, alimentée par l'expérience de mon enfance d'aider mes parents non anglophones à se déplacer dans le monde extérieur. Et même si nous avons gagné, on aurait pu affronter un adversaire mieux organisé et perdu. Ce n'est que des années plus tard, après avoir suivi une formation politique au Camp Wellstone, que j'ai constaté que les femmes candidates avions besoin de quelque chose conçu spécialement pour nous, quelque chose qui nous interpellerait directement et nous préparerait aux vrais défis auxquels nous serions confrontées en tant que femmes candidates.

    Quel type de formation propose Vote Run Lead et comment contribue-t-elle à briser les barrières qui empêchent les femmes d'accéder au pouvoir ?

    Vote Run Lead est le programme de leadership des femmes le plus vaste et le plus diversifié aux États-Unis. Nous avons formé plus de 38 000 femmes pour se présenter à des fonctions publiques, y compris des femmes rurales, des femmes transgenre, des jeunes femmes et des femmes noires, autochtones et de couleur. Plus de 55% de nos diplômées qui ont participé à l'élection générale de 2020 ont gagné, et 71% de nos diplômées qui sont des femmes de couleur ont également été élues.

    Les femmes que nous formons décident généralement de se présenter aux fonctions publiques parce qu'elles identifient quelque chose de négatif dans leurs communautés et veulent y remédier. Mais elles ne voient pas beaucoup de personnes comme elles dans des positions de pouvoir. Vote Run Lead propose plusieurs modules de formation qui apprennent aux femmes tout ce qu'elles doivent savoir sur la campagne électorale, qu'il s'agisse de prononcer un discours, de constituer une équipe de campagne ou de rédiger un message, de collecter des fonds ou de motiver les gens à voter. Mais ce qui distingue notre programme de formation, c'est que nous formons les femmes pour qu’elles postulent telles qu'elles sont. Les femmes ont souvent besoin de soutien pour se considérer comme étant des candidates qualifiées, capables et dignes. Nous leur montrons qu'elles n'ont pas besoin de rechercher une autre promotion ou d'obtenir un autre titre puisque, en fait, leur histoire personnelle est leur plus grand atout. Notre programme de formation, Run As You Are, rappelle aux femmes qu'elles suffisent et qu'elles sont le genre de leaders que nous devons élire pour bâtir la démocratie juste que nous méritons.

    Quel est le profil « typique » de la femme que vous aidez à postuler ? Soutenez-vous une femme qui souhaite concourir quelle que soit son orientation politique ?

    Il n'y a pas de formée typique de Vote Run Lead. Nous sommes une organisation non partisane, nous formons donc des femmes des milieux les plus divers, de toutes les professions, de tous les partis politiques et quel que soit leur niveau de développement politique. Nos valeurs sont profondément liées à la promotion de femmes intersectionnelles et antiracistes engagées à construire une démocratie plus juste et équitable.

    Compte tenu du phénomène généralisé de suppression des électeurs aux États-Unis, le programme vise-t-il également à motiver la participation électorale ?

    Traditionnellement, Vote Run Lead n'utilise pas son propre programme pour motiver la participation électorale (GOTV, pour son acronyme en anglais) étant donné que la plupart de nos diplômées dirigent une élection ou travaillent sur une campagne. Mais en 2020, lorsque les niveaux déjà élevés de suppression des électeurs ont été alimentés par des campagnes de désinformation et des préoccupations en matière de sécurité sanitaire, Vote Run Lead a lancé un solide programme GOTV qui a mobilisé les femmes formées chez nous. Ce programme GOTV comprenait huit modules de formation spécifiques pour motiver la participation électorale, allant de la manière de répondre à l'apathie et au cynisme autour de l'élection, aux plateformes numériques et aux outils de communication à utiliser pour promouvoir la participation. Nous avons également contacté plus de 200 bénévoles, eu 3 000 conversations, effectué 30 000 appels téléphoniques et envoyé plus de 33 000 messages texte pour que nos diplômés et leurs réseaux votent.

    Avant l'été, nous avons également lancé une série intitulée « Votre armoire de cuisine », avec laquelle nous formons les femmes à la collecte de fonds, au contact direct avec les électeurs et même au lancement d'un plan numérique tout en maintenant une distanciation sociale. Ces guides et webinaires sont disponibles sur notre site Web et sur notre chaîne YouTube et offrent des conseils en temps réel et des informations factuelles.

    L'espace civique aux États-Unis est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Entrez en contact avec Vote Run Lead via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez @VoteRunLead sur Twitter.

     

  • ANGOLA : « Le parti au pouvoir perçoit les élections locales comme une menace »

    Lisez l'interview originale en portugais ici

    Pascoal Baptistiny 1CIVICUS parle de la situation en Angola avec Pascoal Baptistiny, directeur exécutif de MBAKITA - Kubango Agricultural Benevolent Mission, Inclusion of Technologies and Environment, une organisation de la société civile basée dans la province de Cuando Cubango dans le sud de l’Angola. Fondée en 2002, MBAKITA défend les droits des peuples indigènes et des communautés traditionnelles, dénonce la discrimination dont ils sont victimes et l’expropriation de leurs terres, et promeut une société plus juste, démocratique, participative, tolérante, solidaire, saine et humaine.

    Quel est l’état de l’espace civique en Angola, et quelles sont les principales contraintes auxquelles sont confrontés les activistes angolais ?

    La répression de l’espace civique en Angola est l’un des plus grands défis auxquels la société civile angolaise est confrontée aujourd’hui. Les activistes sont victimes d’arrestations arbitraires et illégales, de tortures et de mauvais traitements, d’enlèvements, d’assassinats, de harcèlement et de disparitions de la part des forces gouvernementales, de la police et des services de renseignement de l’État. Cette répression a rendu de nombreux Angolais attentifs à ce qu’ils disent en public. Les rares organisations qui défendent les droits humains en Angola le font souvent au péril de leur vie personnelle et familiale.

    Pourriez-vous nous parler des restrictions auxquelles vos collègues et vous se sont confrontés en 2020 ?

    En 2020, mes collègues du MBAKITA et moi-même avons dû faire face à des obstacles visant à prévenir, minimiser, perturber et inverser l’impact des activités légitimes de l’organisation qui se concentre sur la critique, la dénonciation et l’opposition aux violations des droits et aux positions, politiques et actions gouvernementales inefficaces.

    Les diverses formes de restriction que nous connaissons comprennent les restrictions et annulations arbitraires de manifestations et de réunions, la surveillance, les menaces, l’intimidation, les représailles et les punitions, les agressions physiques, les campagnes de diffamation qui présentent les membres du MBAKITA comme des « ennemis de l’État » et des mercenaires au service d’intérêts étrangers ; harcèlement judiciaire ; amendes exorbitantes pour l’achat de moyens de transport ; cambriolage de nos bureaux et vol de matériel informatique ; perquisition et saisie de biens ; destruction de véhicules ; privation d’emploi et de revenu ; et interdiction de voyager.

    En outre, 15 activistes ont été arbitrairement détenus et maltraités pendant la campagne de prévention de la COVID-19. Le 1er mai, ma résidence a été envahie et les gardes ont été gazés au lacrymogène. Le 16 novembre, deux activistes ont été violées. Trois de nos activistes et un manifestant ont été tués au cours de l’année.

    Quel genre de travail fait MBAKITA et pourquoi pensez-vous que l’organisation a été tellement attaquée ?

    MBAKITA est une organisation qui défend et promeut les droits humains. Nous travaillons à la promotion, à la protection et à la diffusion des droits humains et des libertés universellement reconnus, en particulier les droits à la liberté de réunion, d’association, de manifestation pacifique, d’expression et de presse, le droit à l’autodétermination des peuples indigènes, les droits à la terre, à une alimentation adéquate, à l’eau potable et à l’environnement, et la lutte contre la torture et les mauvais traitements.

    Nous contestons les violations des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux des personnes autochtones, ethniques, linguistiques, LGBTQI+, handicapées et migrantes.

    Mon organisation utilise des moyens pacifiques et non violents dans ses activités. Cependant, nous avons été confrontés à des risques incalculables en raison de notre travail en faveur des droits humains dans les provinces du sud de l’Angola. 

    La MBAKITA est systématiquement attaquée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en 2018, elle a dénoncé la mort de quatre enfants lors de l’opération Transparence, une action contre le trafic de diamants et de migrants sans papiers menée par la police et les forces armées angolaises dans la municipalité de Mavinga, province de Cuando Cubango. Ensuite, parce qu’en 2019, elle a dénoncé le détournement par les gouvernements provinciaux des fonds destinés à soutenir les victimes de la sécheresse dans les provinces du sud de l’Angola. Troisièmement, parce qu’en avril 2019, deux activistes de l’organisation ont dénoncé l’appropriation illégale de terres par des entrepreneurs politiques - généraux, députés et gouverneurs - sur des territoires appartenant aux minorités indigènes San et Kuepe et utilisés pour la chasse, la pêche et la cueillette de fruits sauvages, qui constituent l’alimentation de ces populations. Quatrièmement, parce qu’en février 2020, MBAKITA a dénoncé le détournement de fonds destinés à l’achat de matériel de biosécurité pour la prévention de la COVID-19 et le détournement de nourriture destinée au programme d’aide aux paniers alimentaires de base pour les groupes vulnérables. Cinquièmement, parce que nous avons participé et mené une campagne de sensibilisation sur la COVID-19, qui comprenait la distribution de matériel de biosécurité acheté avec les fonds de MISEREOR-Allemagne. Et enfin, parce que nous avons participé à toutes les manifestations organisées par la société civile angolaise, dont la dernière en date, le 9 janvier 2021, qui portait sur la lutte contre la corruption et la demande d’élections locales sous le slogan « Des élections locales maintenant, 45 ans au pouvoir, c’est trop », et revendiquait le respect des promesses électorales de 500 000 emplois, la réduction du coût de la vie pour les familles et l’inclusion socio-économique des minorités indigènes, entre autres.

    Pourquoi les élections prévues pour 2020 ont-elles été annulées ?

    D’une part, à cause de la pandémie de la COVID-19. Mais à part cette pandémie mortelle, le gouvernement n’a jamais été intéressé par la tenue d’élections locales en 2020. Le parti au pouvoir, le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA), voit les élections locales comme une menace pour le pouvoir central et craint de perdre son emprise sur le pouvoir. Il craint d’introduire un élément de contrôle des électeurs sur les autorités locales, c’est-à-dire la participation des citoyens et le contrôle de la gestion des fonds publics. Le gouvernement pense que le peuple s’éveillera à l’idée de l’État démocratique et de l’État de droit, c’est-à-dire que beaucoup de gens prendront conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Cela irait à l’encontre de l’intention du MPLA, qui est de se perpétuer au pouvoir.

    La promesse de démocratie locale en Angola a été un échec. Après trois ans de gouvernement, le président João Lourenço n’a même pas tenu 10 % de ses promesses électorales, laissant 90 % des Angolais dans un état de scepticisme total.

    En Angola, le parti qui est au pouvoir depuis plus de 45 ans ne tolère pas les personnes libres. Aujourd’hui, les défenseurs des droits humains perdent leur emploi, le pain pour leurs enfants, leur carrière et même leur vie s’ils osent être libres, désirer la démocratie et exercer la liberté.

    Quelles sont les perspectives de changement de la situation dans un avenir proche ?

    Pour que la situation change, la société civile a beaucoup de travail à faire. Les actions les plus importantes et les plus urgentes sont l’acquisition d’une formation en sécurité individuelle, institutionnelle et numérique, l’apprentissage de la langue anglaise, l’obtention du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits humains et des peuples, l’observation et la participation à des manifestations et autres événements publics, la défense et le lobbying pour la légalisation des organisations de défense des droits humains, effectuer des visites de prisons, y compris des entretiens avec des prisonniers et recueillir des preuves de torture, de mauvais traitements et de conditions de détention, observer les procès d’activistes dans les tribunaux inférieurs, collecter des fonds pour assurer la durabilité des activités des défenseurs des droits humains, et surveiller les élections locales de 2021 et les élections générales de 2022.

    De quel type de soutien les activistes angolais ont-ils besoin de la part de la société civile internationale pour poursuivre leur travail ?

    Les besoins sont énormes et variés. Les activistes ont un besoin urgent de protection et de sécurité, notamment d’une formation à l’analyse des risques, à la planification de la sécurité et à la formation aux mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains, ainsi que de compétences en matière d’enquêtes, de litiges, de documentation, de pétition et de signalement des violations des droits humains. Plus précisément, à MBAKITA, nous aimerions recevoir une assistance technique pour évaluer les dispositifs de sécurité qui pourraient être mis en place pour accroître la protection physique du bureau de l’organisation et de ma résidence, ainsi qu’un soutien financier pour l’achat de ces dispositifs, par exemple pour l’achat d’un système de sécurité ou d’une caméra de surveillance vidéo.

    Les activistes agressés, et en particulier les 15 activistes du MBAKITA qui ont été directement victimes de la répression et de la torture aux mains des forces gouvernementales, ont également besoin d’une assistance psychologique post-traumatique. L’aide financière nous aiderait à payer les honoraires des avocats qui ont travaillé à la libération de six activistes emprisonnés entre août et novembre 2020. Elle nous aiderait également à remplacer les équipements de travail volés, sans lesquels notre capacité de travail a été réduite : deux véhicules, des ordinateurs, des cartes mémoire, un appareil photo numérique et une caméra vidéo.

    Pour les activistes menacés de détention arbitraire, d’enlèvement ou d’assassinat, qui n’ont d’autre choix que de quitter rapidement le pays ou leur région d’origine, nous avons besoin d’une aide au transport et au logement. Nos activistes bénéficieraient également d’échanges d’expériences, de connaissances et de bonnes pratiques, pour renforcer leurs connaissances en matière de sécurité numérique, et pour se former aux techniques journalistiques et audiovisuelles et à la langue anglaise.

    Enfin, le fonctionnement des organisations et leur pérennité gagneraient à obtenir un soutien pour l’installation de services internet et la création de sites web sécurisés, et l’acquisition de logiciels de gestion financière et de ressources pour le recrutement de personnel stable, capable de subvenir aux besoins de sa famille et de se consacrer pleinement à la défense des droits humains.

    L’espace civique en Angola est classé comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez MBAKITA via leur pageFacebook. 

     

  • BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’

    Kopep DabugatCIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).

    WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.

    Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?

    Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.

    Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.

    La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.

    Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.

    Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.

    Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?

    À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.

    Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.

    L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.

    Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?

    Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.

    De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.

    Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?

    Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.

    Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.

    Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?

    Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.

    Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.

    La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.


     L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.

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  • BURUNDI: «Élire de nouveaux dirigeants n’est pas synonyme de démocratie»

    CIVICUS parle des récentes élections au Burundi avec un activiste de la société civile qui, pour des raisons de sécurité, a préféré rester anonyme.

    Le 20 mai 2020, dans le cadre de la pandémie COVID-19, des élections présidentielles, parlementaires et municipales ont eu lieu au Burundi. En mars, deux mois avant les élections, la Commission d'Enquête des Nations Unies sur le Burundi a lancé un appel à la communauté internationale, y compris le Conseil de Sécurité des Nations Unies et les institutions régionales, pour qu'elle unisse ses forces pour encourager le gouvernement du Burundi à rouvrir les espaces démocratiques, civils et politiques. Le jour des élections, le président de la Commission d'Enquête a déclaré que les conditions n'étaient pas réunies pour organiser des élections libres et crédibles. Commel'a rapporté le CIVICUS Monitor, de nombreux politiciens de l'opposition ont reçu des menaces de mort et ont subi des agressions physiques, et les partis d'opposition se sont heurtés à des obstacles administratifs, car plusieurs demandes d’inscription des candidatures ont été rejetées. Le chef d'un parti d'opposition a été assassiné et d'autres candidats ont été arrêtés sur la base de fausses accusations. Le journalisme indépendant s'est heurté à des obstacles systématiques, tels que l'arrestation de journalistes et le blocage des plateformes de réseaux sociaux.

    Burundi Elections

    Photo by Spencer Platt/Getty Images

    La réponse du gouvernement du Burundi à la pandémie de COVID-19 a-t-il amplifié les restrictions croissantes sur l'espace civique?

    L'espace civique au Burundi est fermé depuis avril 2015, à la suite de troubles politiques déclenchés par la décision de l'ancien président burundais récemment décédé, Pierre Nkurunziza, d’obtenir un troisième mandat malgré les controverses. Cela a déclenché une violence généralisée qui a fait au moins 1 200 morts et contraint 400 000 personnes à fuir le pays. Étonnamment, en mars 2020, alors que la pandémie de COVID-19 se propageait dans presque tous les pays africains, les autorités burundaises ont ouvert un espace pour que des campagnes aient lieu pour les élections présidentielles, parlementaires et municipales de mai. Mais on peut conclure que l'espace civique continue d'être fermé en ce qui concerne les possibilités d'expression de toute critique ouverte de la façon dont le pays est géré politiquement, ce qui inclut la critique de la façon dont le gouvernement a géré la pandémie au cours de la période électorale.

    Quelle a été la position de la société civile concernant la décision de tenir des élections pendant la pandémie?

    La décision des autorités burundaises de permettre le déroulement des campagnes électorales à une époque où de nombreux autres pays africains prenaient des mesures de confinement pour arrêter la propagation du COVID-19 a été interprétée comme un déni de la réalité de la pandémie visant à sauver les intérêts politiques du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces pour la Défense de la Démocratie), au détriment de la santé de la population.

    Malgré les craintes d'une propagation massive du COVID-19, l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement s'est précipité pour organiser les élections a été l'opportunité de mener un processus électoral en l'absence d'un nombre important d'observateurs indépendants et internationaux qui pourraient signaler tout acte répréhensible. La Commission Électorale Nationale Indépendante étant principalement composée de membres du parti au pouvoir, cette décision a mis le gouvernement en mesure de manipuler les résultats des élections autant qu'il le voulait.

     

    Le résultat des élections a-t-il été accepté par la majorité des gens?

    Le 20 mai 2020, Évariste Ndayishimiye, le candidat du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, a été élu président avec 71% des voix. Le CNDD-FDD a également remporté 72 des 100 sièges à l'Assemblée Nationale.

    Dès l'annonce de ces résultats par la commission électorale, des partis d'opposition comme le Congrès National pour la Liberté, placé comme lointain second, ont déclaré aux médias étrangers que les chiffres officiels n'étaient pas crédibles et qu’ils étaient le résultat de fraude massive. La vérité est que les élections se sont déroulées dans un contexte de répression permanente de l'opposition politique, des médias indépendants et de la société civile. Il n'y avait pas d'observateurs internationaux car le gouvernement les avait avertis qu'en raison de la pandémie, ceux qui venaient devraient rester en quarantaine pendant 14 jours à compter de leur arrivée.

    Il y a eu quelques critiques discrètes, notamment de la part de l'Église catholique, à propos des incidents qui ont marqué le processus électoral. D'autres ont chuchoté (car il n'est pas facile de faire une critique ouverte au Burundi) que les résultats des élections avaient été truqués. Mais ce fut tout. Des membres puissants de la communauté internationale, comme le gouvernement de la Belgique et des États-Unis, se sont précipités pour saluer le président élu, et la Communauté de l'Afrique de l'Est a félicité le Burundi pour avoir organisé des élections «pacifiques et réussies».

    À mon avis, le résultat des élections a finalement été accepté car beaucoup craignaient l'effusion de sang qui pourrait se produire si le rejet ouvert des résultats des élections par l'opposition était suivi de manifestations de rue.

    Quelles sont les chances que les résultats des élections conduisent à une amélioration de la démocratie et de l'espace civique?

    Il y a ceux qui disent croire qu’élire de nouveaux dirigeants est synonyme de démocratie. Le résultat des élections de mai 2020 a aidé le Burundi à changer le visage des hauts dirigeants et à montrer que le dictateur qui nous gouvernait depuis 15 ans ne dirige plus le pays. Cependant, les violations des droits humains qui ont eu lieu pendant la campagne électorale, la nomination de responsables sous sanctions économiques américaines ou européennes pour avoir commis des violations des droits humains et la rhétorique politique utilisée pour dépeindre certains pays et leurs dirigeants comme des colonialistes montrent que la démocratie au Burundi a encore un long chemin à parcourir.

    Cependant, certaines mesures de lutte contre la corruption et autres abus que le président Ndayishimiye a prises depuis son entrée en fonction laissent penser que l'impunité dont jouissaient certaines autorités locales sous le gouvernement Nkurunziza pourrait prendre fin.

    Beaucoup pensaient que le plan pour l'ancien président Nkurunziza était de continuer à détenir le pouvoir en coulisse. Les perspectives ont-elles changé à la suite de son décès?

    L'ancien président Nkurunziza est décédé subitement en juin, avant que son successeur ne prenne ses fonctions. Comme il y avait déjà un président élu, la Cour Constitutionnelle a décidé qu'il devait prêter serment deux mois à l'avance.

    Beaucoup pensaient que la mort de Nkurunziza permettrait au président Ndayishimiye de gouverner en toute indépendance, et il a semblé le confirmer dans son discours inaugural, où il a promis d'engager un large dialogue sur toutes les questions. Il est trop tôt pour s'assurer que le fait que Nkurunziza ait été exclu de l'équation permettra au nouveau gouvernement d'ouvrir l'espace civique et que le nouveau président saisira cette opportunité. Cependant, il est encourageant de voir que le nouveau président a déjà rencontré les dirigeants d'autres partis politiques, les anciens présidents du Burundi, les évêques catholiques et anglicans, et a promis de promouvoir le dialogue. Nous sommes impatients de voir si ses paroles se traduiront en action.

    Au même temps, cependant, le Ministre de l’intérieur a récemment publié une résolution visant à suspendre jusqu’à nouvel ordre l’enregistrement des nouvelles organisations de la société civile et des églises et la reconnaissance des nouvelles autorités des organisations existantes. Cette décision est incompatible avec le changement qu’on désire. Si elle est maintenue, elle empêchera la société civile de se développer et de devenir un interlocuteur légitime et publiquement reconnu.

    Que devrait faire la communauté internationale pour contribuer à améliorer l'espace civique au Burundi?

    Il est difficile de fixer des priorités, car il y a beaucoup de choses à mettre en place si le Burundi veut devenir une terre de liberté. Cependant, il serait vital d'impliquer le gouvernement du Burundi dans un dialogue multidimensionnel. La coopération internationale doit être relancée afin d’aider le gouvernement burundais à mettre fin à la pauvreté endémique. La communauté internationale doit plaider pour le rapatriement de tous les réfugiés, y compris ceux qui ont des ordres d'arrêt du gouvernement burundais, et assurer leur protection. Et elle doit également offrir sa médiation pour résoudre le conflit entre le Burundi et ses pays voisins, notamment le Rwanda, afin de faciliter la circulation des personnes et des biens et la restauration des relations diplomatiques.

    Si les priorités suggérées sont poursuivies, les autorités burundaises pourraient se rendre compte que le Burundi n’est pas isolé et que la communauté internationale n’agit pas pour saboter ses intérêts, mais plutôt pour renforcer les aspects positifs de la mondialisation dans tous les domaines.

    L'espace civique au Burundi est classé comme «fermé» par leCIVICUS Monitor.

     

  • ÉTHIOPIE : « Les élections de juin 2021 sont une question de vie ou de mort pour la démocratie »

    CIVICUS s’entretient avec Mesud Gebeyehu sur le conflit politique dans la région du Tigré en Ethiopie et les controversées élections nationales éthiopiennes qui auront lieu en juin 2021, dans un contexte de pandémie et d’état d’urgence prolongé. Mesud est directeur exécutif du Consortium of Ethiopian Human Rights Organizations (CEHRO) et vice-président du comité exécutif du groupe d’affinité des associations nationales de CIVICUS. Mesud est également membre du comité exécutif du Conseil éthiopien des OSC, un organe statutaire établi pour coordonner l’autorégulation des organisations de la société civile (OSC) en Éthiopie.

     

  • GUINÉE : « L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays »

    CIVICUS échange sur l’absence de progrès dans la transition vers la démocratie en Guinée après le coup d’État militaire de 2021 avec Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).

    Le FNDC est une coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens fondée en avril 2019 pour protester contre le projet de révision constitutionnelle de l’ancien Président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat. La coalition a continué à lutter pour le retour à un gouvernement constitutionnel après le coup d’État militaire de septembre 2021. Le 8 août 2022, le gouvernement de transition a en l’accusant d’organiser des manifestations publiques armées, de recourir à la violence et d’inciter à la haine.

    Abdoulaye Oumou Sow

    Pourquoi tant de retard dans la convocation des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel ?

    Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.

    Quelles sont les conditions fixées par les militaires et comment l’opposition démocratique a-t-elle réagi ?

    En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.

    Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.

    Quelle a été la réaction du public ?

    Aujourd’hui la plupart des acteurs socio-politiques se sentent exclus du processus de transition et il y a eu des manifestations pour le rétablissement de la démocratie.

    Mais la junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.

    Le 28 juillet 2022, à l’appel du FNDC les citoyen.nes prodémocratie ce sont mobilisés pour protester contre la confiscation du pouvoir par la junte. Mais malheureusement cette mobilisation a été empêchée et réprimée dans le sang. Au moins cinq personnes ont été tuées par balles, des dizaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées. D’autres ont été déportées au camp militaire Alpha Yaya Diallo, où elles ont été torturées par des militaires.

    Parmi les arrêtés aujourd’hui détenus à la maison d’arrêt de Conakry se trouvent le Coordinateur National du FNDC, Oumar Sylla Foniké Manguè, le responsable des opérations du FNDC, Ibrahima Diallo, et le secrétaire Général de l’Union des Forces Républicaines, Saikou Yaya Barry. Ils sont accusés d’attroupement illégal, destruction d’édifices publics et trouble à l’ordre public.

    Comment la communauté internationale, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en particulier, pourrait-elle apporter au mouvement démocratique le soutien dont il a besoin ?

    Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire pour la communauté internationale d’accompagner le peuple de Guinée qui est sous le prisme d’une nouvelle dictature militaire.

    L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.

    L’espace civique en Guinée est considéré comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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  • HAÏTI : « Il est possible de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien »

    Ellie Happel

    CIVICUS s’entretient avec Ellie Happel, professeur de la Global Justice Clinic et directrice du Haiti Project à la New York University School of Law. Ellie a vécu et travaillé en Haïti pendant plusieurs années, et son travail se concentre sur la solidarité avec les mouvements sociaux en Haïti et la justice raciale et environnementale

    Quels ont été les principaux développements politiques depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 ?

    En tant qu’Américaine, je voudrais commencer par souligner le rôle que le gouvernement américain a joué dans la création de la situation actuelle. L’histoire des interventions étrangères improductives et oppressives est longue.

    Pour comprendre le contexte de la présidence de Moïse, il faut toutefois remonter au moins à 2010. Après le tremblement de terre qui a dévasté Haïti en janvier 2010, les États-Unis et d’autres acteurs extérieurs ont appelé à la tenue d’élections. Les gens n’avaient pas leur carte de vote ; plus de deux millions de personnes avaient perdu leur maison. Mais les élections ont eu lieu. Le gouvernement américain est intervenu au second tour des élections présidentielles haïtiennes, en appelant le candidat et fondateur du parti PHTK, Michel Martelly, à se présenter au second tour. Martelly a été élu par la suite.

    Pendant la présidence de Martelly, nous avons assisté à un déclin des conditions politiques, économiques et sociales. La corruption était bien documentée et endémique. Martelly n’a pas organisé d’élections et a fini par gouverner par décret. Il a choisi lui-même Moïse pour successeur. Le gouvernement américain a fortement soutenu les administrations de Martelly et de Moïse malgré l’augmentation de la violence, la destruction des institutions gouvernementales haïtiennes, la corruption et l’impunité qui ont eu lieu sous leur règne.

    La mort de Moïse n’est pas le plus gros problème auquel Haïti est confronté. Pendant son mandat, Moïse a effectivement détruit les institutions haïtiennes. Le peuple haïtien s’est soulevé contre le régime du PHTK en signe de protestation, et il a été accueilli par la violence et la répression. Il existe des preuves de l’implication du gouvernement dans des massacres de masse de personnes dans des régions connues pour leur opposition au PHTK.

    Deux semaines avant l’assassinat de Moïse, un militant de premier plan et une journaliste très connue ont été assassinés en Haïti. Diego Charles et Antoinette Duclair demandaient des comptes. Ils étaient actifs dans le mouvement visant à construire un Haïti meilleur. Ils ont été tués en toute impunité.

    Il est clair que la crise actuelle n’a pas pour origine l’assassinat de Moïse. Elle est le résultat de l’échec des politiques étrangères et de la façon dont le gouvernement haïtien a réprimé et stoppé les manifestations de l’opposition qui demandait des comptes pour la corruption et la violence, et qui exigeait le changement.

    Ce qui me donne actuellement de l’espoir, c’est le travail de la Commission pour une solution haïtienne à la crise, qui a été créée avant l’assassinat de Moïse. La Commission est un large groupe de partis politiques et d’organisations de la société civile (OSC) qui se sont réunis pour travailler collectivement à la reconstruction du gouvernement. C’est l’occasion de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien.

    Quel est votre point de vue sur le report des élections et du référendum constitutionnel, et quelles sont les chances que des votes démocratiques aient lieu ?

    Dans le climat actuel, les élections ne sont pas la prochaine étape pour résoudre la crise politique d’Haïti. Les élections ne devraient pas avoir lieu tant que les conditions d’un vote équitable, libre et légitime ne sont pas réunies. Les élections de ces 11 dernières années démontrent qu’elles ne sont pas un moyen automatique de parvenir à une démocratie représentative.

    Aujourd’hui, la tenue d’élections se heurte à de nombreux obstacles. Le premier est celui de la gouvernance : les élections doivent être supervisées par un organe de gouvernance légitime et respecté par le peuple haïtien. Il serait impossible pour le gouvernement de facto d’organiser des élections. Le deuxième problème est la violence des gangs. On estime que plus de la moitié de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs. Lorsque le conseil électoral provisoire a préparé les élections il y a quelques mois, son personnel n’a pas pu accéder à un certain nombre de centres de vote en raison du contrôle exercé par les gangs. Troisièmement, les électeurs haïtiens éligibles devraient avoir des cartes d’identité d’électeur.

    Le gouvernement américain et d’autres acteurs doivent affirmer le droit du peuple haïtien à l’autodétermination. Les États-Unis ne devraient ni insister ni soutenir des élections sans preuve de mesures concrètes pour garantir qu’elles soient libres, équitables, inclusives et perçues comme légitimes. Les OSC haïtiennes et la Commission indiqueront quand les conditions sont réunies pour des élections libres, équitables et légitimes.

    Y a-t-il une crise migratoire causée par la situation en Haïti ? Comment peut-on relever les défis auxquels sont confrontés les migrants haïtiens ?

    Ce que nous appelons la « crise migratoire » est un exemple frappant de la manière dont la politique étrangère et la politique d’immigration des États-Unis à l’égard d’Haïti ont longtemps été affectées par le racisme anti-Noir.

    De nombreux Haïtiens qui ont quitté le pays après le tremblement de terre de 2010 se sont d’abord installés en Amérique du Sud. Beaucoup sont repartis par la suite. Les économies du Brésil et du Chili se sont détériorées, et les migrants haïtiens se sont heurtés au racisme et au manque d’opportunités économiques. Des familles et des individus ont voyagé vers le nord, à pied, en bateau et en bus, en direction de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

    Depuis de nombreuses années, le gouvernement américain ne permet pas aux migrants haïtiens et aux autres migrants d’entrer aux États-Unis. Il expulse des personnes sans entretien de demande d’asile - un entretien de « crainte fondée », qui est requis par le droit international - vers Haïti.

    Le gouvernement américain doit cesser d’utiliser le titre 42, une disposition de santé publique, comme prétexte pour expulser des migrants. Le gouvernement américain doit au contraire offrir une aide humanitaire et soutenir le regroupement familial et la relocalisation des Haïtiens aux États-Unis.

    Il est impossible de justifier une expulsion vers Haïti à l’heure actuelle, pour les mêmes raisons que le gouvernement américain a déconseillé aux citoyens américains de s’y rendre. On estime à près de 1 000 le nombre de cas documentés d’enlèvement en 2021. Des amis expliquent que tout le monde est en danger. Les enlèvements ne sont plus ciblés, mais des écoliers, des marchands de rue et des piétons sont pris en otage pour exiger de l’argent. Le gouvernement américain a non seulement déclaré qu’Haïti n’était pas un pays sûr pour les voyages, mais en mai 2021, le ministère américain de la sécurité intérieure a désigné Haïti comme bénéficiaire du statut de protection temporaire, permettant aux ressortissants haïtiens admissibles résidant aux États-Unis de demander à y rester parce qu’Haïti ne peut pas rapatrier ses ressortissants en toute sécurité.

    Les États-Unis doivent mettre fin aux déportations vers Haïti. Les États-Unis et d’autres pays d’Amérique doivent commencer à reconnaître, traiter et réparer la discrimination anti-Noir qui caractérise leurs politiques d’immigration.

    Que devrait faire la communauté internationale, et en particulier les États-Unis, pour améliorer la situation ?

    Premièrement, la communauté internationale devrait suivre l’exemple des OSC haïtiennes et s’engager de manière sérieuse et solidaire avec la Commission pour une solution haïtienne à la crise. Daniel Foote, l’envoyé spécial des États-Unis pour Haïti, a démissionné en signe de protestation huit semaines après son entrée en fonction ; il a déclaré que ses collègues du département d’État n’étaient pas intéressés par le soutien de solutions dirigées par les Haïtiens. Les États-Unis devraient jouer le rôle d’encourager la recherche d’un consensus et de faciliter les conversations pour faire avancer les choses sans interférer.

    Deuxièmement, toutes les déportations vers Haïti doivent cesser. Elles ne sont pas seulement des violations du droit international. Elles sont aussi hautement immorales et injustes.

    Les étrangers, y compris moi-même, ne sont pas les mieux placés pour prescrire des solutions en Haïti : nous devons plutôt soutenir celles créées par le peuple haïtien et les organisations haïtiennes. Il est temps pour le peuple haïtien de décider de la voie à suivre, et nous devons le soutenir activement, et le suivre.

    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Suivez@elliehappelsur Twitter.

     

  • HAÏTI : « La communauté internationale ne s’est jamais attaquée aux causes profondes de la crise »

    NixonBoumbaCIVICUS s’entretient avec Nixon Boumba, militant des droits humains et membre du Kolektif Jistis Min nan Ayiti (Collectif pour la justice minière en Haïti), sur la situation politique en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Formé en 2012, le Collectif pour la justice minière en Haïti est un mouvement d’organisations, d’individus et de partenaires de la société civile haïtienne qui font pression pour la transparence et la justice sociale et environnementale face à l’intérêt international croissant pour le secteur minier haïtien. Il sensibilise les communautés touchées aux conséquences de l’exploitation minière dans cinq domaines : l’environnement, l’eau, le travail, l’agriculture et la terre.

     

  • HAÏTI : « La société civile doit s’impliquer car les acteurs politiques ne peuvent pas trouver de solution à nos problèmes »

    Monique ClescaCIVICUSéchange avec Monique Clesca, journaliste, défenseuse de la démocratie et membre de la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise (CRSC), à propos de la crise actuelle en Haïti et des appels à l’intervention étrangère.

    La CRSC, également connue sous le nom de Groupe Montana, est un groupe d’organisations et de leaders civiques, religieux et politiques qui se sont réunis au début de l’année 2021. Le groupe a promu l’Accord de Montana à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Cet accord mettait en place un gouvernement provisoire de deux ans pour succéder à Ariel Henry, le Premier ministre par intérim. De plus, il prévoyait l’organisation d’élections dès que possible, ainsi qu’une feuille de route pour réduire l’insécurité, faire face à la crise humanitaire et répondre aux demandes de justice sociale. Le Bureau de suivi de l’Accord de Montana continue d’assurer le suivi de cette feuille de route.

    Quelles sont les causes de la crise actuelle en Haïti ?

    Les gens semblent associer la crise à l’assassinat du président Moïse, mais elle a commencé bien avant en raison de plusieurs problèmes sous-jacents. Il s'agit certes d'une crise politique, mais plus profondément on fait face à une crise sociale. Depuis de nombreuses décennies, la majorité de la population haïtienne subit les effets de profondes inégalités. Les écarts sont énormes en termes de santé et d’éducation, d’où la nécessité de justice sociale. Le problème va bien au-delà des questions politiques, constitutionnelles et humanitaires les plus visibles.

    Au cours de la dernière décennie, différents gouvernements ont tenté de saper les institutions de l’État afin de faire prévaloir un système corrompu : il n’y a pas eu d’élections transparentes ni d’alternance, avec trois gouvernements successifs du même parti politique. L’ancien président Michel Martelly a reporté à deux reprises les élections présidentielles, gouvernant par décret pendant plus d’un an. En 2016, des allégations de fraude ont été soulevées contre Moïse, son successeur, qui a dissous le Parlement pendant son mandat sans jamais organiser des élections. Il a aussi révoqué plusieurs juges de la Cour suprême et a politisé la police.

    Il a également proposé un référendum constitutionnel, qui a été reporté à plusieurs reprises et qui est clairement inconstitutionnel. La Constitution de 1987 énonce les modalités du droit d'amendement, donc en tentant de la réécrire, Moïse a choisi la voie anticonstitutionnelle.

    Lorsque Moïse a été tué, Haïti faisait déjà face à la faiblesse des institutions, à la corruption massive, et à l’absence d’élections et de renouvellement de la classe politique qu’il avait accentué.À la suite de son assassinat la situation s’est encore aggravée, car à l'absence du Président s'ajoutait le manque d’opérationnalité de l'organe judiciaire et législatif. Nous avons connu, et continuons de connaître, une véritable crise constitutionnelle.

    Ariel Henry, l’actuel Premier ministre par intérim, n’a clairement aucun mandat. Moïse l’a nommé Premier ministre successeur deux jours avant son décès, sans même laisser une lettre de nomination signée.

    Qu’a proposé le Groupe Montana pour sortir de cette crise ?

    En début 2021 le Groupe Montana s’est fondé sur l'idée que la société civile devait s’impliquer car les acteurs politiques ne pouvaient pas trouver de solution aux problèmes d’Haïti. Un forum de la société civile a donc formé une commission qui a travaillé pendant six mois pour créer un dialogue et tenter de dégager un consensus en s’adressant à tous les acteurs politiques, ainsi qu’aux organisations de la société civile. Grâce à toutes ces contributions, nous avons abouti à un projet d’accord qui a été finalisé et signé par près d’un millier d’organisations et de citoyens : l’Accord de Montana.

    Nous avons élaboré un plan composé de deux parties : d'une part un plan de gouvernance et d'autre part une feuille de route pour la justice sociale et l’aide humanitaire, qui a été signée dans le cadre de l’accord. Pour obtenir un consensus avec une participation plus large, nous avons proposé la création d’un organe de contrôle qui jouerait le rôle du pouvoir législatif et d’un pouvoir judiciaire intérimaire pendant la transition. Une fois qu’Haïti aura organisé des élections transparentes, il y aura un organe législatif dûment élu et le gouvernement pourra passer par le processus constitutionnel pour nommer le plus haute juridiction, la Cour suprême. Tel est le modèle de gouvernance que nous avons envisagé pour la transition, dans une tentative de rapprochement à l’esprit de la Constitution haïtienne.

    Au début de l’année, nous avions rencontré plusieurs fois Henry afin d’entamer des négociations avec lui et ses alliés. À un moment donné, il nous a dit qu’il n’avait pas l’autorité pour négocier. Il a donc fermé la porte aux négociations.

    Quels sont les défis à relever pour organiser des élections dans le contexte actuel ?

    Le principal défi est l’insécurité généralisée. Les gangs terrorisent la population. Les enlèvements ainsi que les assassinats sont monnaie courante. Les gens ne peuvent pas sortir de chez eux : ils ne peuvent pas aller à la banque, dans les magasins, ni même à l’hôpital. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école : la rentrée était prévue pour septembre, puis a été reportée jusqu’à octobre, et maintenant le gouvernement n'annonce même pas quand elle aura lieu. En outre, il y a une situation humanitaire désastreuse en Haïti, qui s’est d'autant plus aggravée avec le blocage du Terminal Varreux, le principal terminal pétrolier de Port-au-Prince. Cet événement a eu un impact sur l’alimentation en électricité et la distribution d’eau, et donc sur l’accès de la population aux biens et services de base. Au milieu d’une épidémie de choléra, les établissements de santé ont été contraints de réduire leurs services ou bien de fermer leurs portes complètement.

    Il y a aussi une polarisation politique et une méfiance généralisée. Les gens se méfient non seulement des politiciens, mais aussi les uns des autres.

    En raison de la pression politique et de l’activité des gangs, les mobilisations citoyennes ont été inconstantes. Or depuis fin août, des manifestations massives ont été organisées pour demander la démission d’Ariel Henry. Les gens ont également manifesté contre la hausse des prix du carburant, les pénuries et la corruption. Ils ont aussi clairement rejeté toute intervention militaire étrangère.

    Quelle est votre position concernant l’appel du Premier ministre à une intervention étrangère ?

    Henry n’a aucune légitimité pour demander une intervention militaire. La communauté internationale peut aider, mais ne peut pas prendre la décision d’intervenir ou pas. Nous devons d’abord avoir une transition politique de deux ans avec un gouvernement crédible. Nous avons des idées, mais à ce stade nous avons besoin de voir cette transition.


    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise via sa pageFacebook, et suivez@moniclesca sur Twitter.

     

  • HONG KONG : « La loi sur la sécurité nationale viole la liberté d’expression et intensifie l’autocensure »

    CIVICUS s’entretient avec Patrick Poon, chercheur indépendant sur les droits humains, de la situation des droits humains à Hong Kong à la suite de l’adoption d’une nouvelle loi sur la sécurité nationale (LSN) en juin 2020. Patrick est un chercheur en doctorat à l’Université de Lyon en France,a précédemment travaillé comme chercheur sur la Chine à Amnesty International, et a occupé différents postes au sein du China Human Rights Lawyers Concern Group, du Independent Chinese PEN Center et du China Labor Bulletin.

    L’espace civique à Hong Kong est de plus en plus assiégé depuis le début d’une vague demanifestations de masse pour les libertés démocratiques en juin 2019, déclenchée par l’introduction d’un projet de loi sur l’extradition. LeCIVICUS Monitor a documenté l’usage excessif et mortel de la force contre les manifestants par les forces de sécurité, l’arrestation et la poursuite d’activistes pro-démocratie, ainsi que des attaques contre les médias indépendants.

     

  • KIRGHIZISTAN : « Le choix des citoyens lors du référendum sera décisif pour l'avenir »

    Ulugbek AzimovCIVICUS et l’International Partnership for Human Rights (Partenariat international pour les droits de l'homme) s’entretiennent avec Ulugbek Azimov, expert juridique à la Legal Prosperity Foundation, au sujet des manifestations qui ont eu lieu au Kirghizistan en octobre 2020 et des évolutions politiques qui s’en sont suivies. La Legal Prosperity Foundation (anciennement Youth Human Rights Group) est une organisation indépendante de la société civile qui œuvre à la promotion des droits humains et des principes démocratiques au Kirghizstan depuis 1995. L’organisation mène des programmes éducatifs, assure le suivi des droits humains, interagit avec les mécanismes internationaux des droits humains et promeut le respect des droits humains dans le cadre de réformes juridiques.

    Le Kirghizistan est souvent considéré comme la seule démocratie d’Asie centrale. Dans quelle mesure cette description est-elle proche de la vérité ?

    Il est vrai qu’au début des années 1990, c’est-à-dire dans les premières années de l’indépendance, la démocratie a émergé et a commencé à se développer au Kirghizistan. Par rapport aux autres pays de la région, le Kirghizistan se caractérisait par un niveau plus élevé de participation des citoyens, une société civile plus développée et des conditions plus favorables au fonctionnement et à la participation des partis politiques au processus politique. Pour cette raison, le Kirghizstan a été qualifié d’« île de la démocratie » en Asie centrale.

    Toutefois, au cours des 30 années qui ont suivi l’indépendance, le Kirghizistan a été confronté à de graves difficultés. Les tentatives des anciens présidents pour préserver et renforcer leur emprise sur le pouvoir, en faisant pression sur l’opposition, en persécutant les médias et les journalistes indépendants, en restreignant la liberté d’expression, en utilisant les ressources publiques en leur faveur, en soudoyant les électeurs et en falsifiant les résultats des élections, ont entraîné des bouleversements politiques majeurs à plusieurs reprises. Au cours des 15 dernières années, le gouvernement a été renversé à trois reprises lors des révolutions dites des tulipes, d’avril et d’octobre, respectivement en 2005, 2010 et 2020, deux anciens présidents ayant été contraints de fuir le pays et le troisième de démissionner avant le terme de son mandat.

    Chaque bouleversement a hélas été accompagné d'évolutions mettant à mal les acquis démocratiques antérieurs. Il n’est donc pas surprenant que Freedom House ait toujours classé le Kirghizistan comme étant seulement « partiellement libre » dans son enquête annuelle sur la liberté dans le monde. En outre, dans l’enquête la plus récente, publiée cette année, la note du Kirghizistan s’est détériorée pour devenir « non libre » en raison des retombées des élections législatives d’octobre 2020, qui ont été entachées de graves violations. Ainsi, le Kirghizistan se trouve désormais dans la même catégorie que celle dans laquelle se trouvent les autres pays d’Asie centrale depuis de nombreuses années. 

    Des restrictions liées à la pandémie ont-elles été imposées à l’approche des élections de 2020 ?

    En réponse à l’augmentation rapide des cas de COVID-19 au printemps 2020, les autorités kirghizes ont adopté des mesures d’urgence et instauré un confinement dans la capitale, Bichkek, et dans plusieurs autres régions du pays, ce qui a entraîné des restrictions du droit à la liberté de mouvement et d’autres droits connexes. Tous les événements publics, y compris les rassemblements, ont été interdits.

    Les mesures prises dans le contexte de la pandémie ont également suscité des inquiétudes quant aux restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Les autorités ont sérieusement resserré la vis contre les voix critiques, en réponse aux nombreuses critiques formulées à l’encontre des personnes au pouvoir, notamment le président de l’époque Sooronbai Jeenbekov, pour leur incapacité à lutter efficacement contre la pandémie. Les forces de l’ordre ont traqué les blogueurs et les commentateurs des médias sociaux gênants, leur ont rendu visite à leur domicile et ont engagé des discussions « préventives » avec eux. Dans certains cas, des utilisateurs de médias sociaux ont été placés en détention pour avoir soi-disant diffusé de fausses informations sur la pandémie, et ont été contraints de présenter des excuses publiques sous la menace de poursuites.

    La loi sur la « manipulation de l’information », adoptée par le Parlement en juin 2020, est particulièrement préoccupante. Bien que les initiateurs de la loi aient prétendu qu'elle avait pour seul but de résoudre le problème des faux comptes en ligne, il était clair dès le départ qu’il s’agissait d’une tentative de la part des autorités d’introduire la censure sur Internet et de fermer les sites indésirables à la veille des élections. Après une avalanche de critiques de la part de la communauté des médias et des défenseurs des droits humains, le président de l’époque, M. Jeenbekov, a refusé de signer la loi et l’a renvoyée au Parlement pour révision en août 2020. Depuis lors, la loi est restée au niveau du Parlement. 

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations post-électorales d’octobre 2020 ? Qui a protesté, et pourquoi ?

    La principale raison des manifestations d’octobre 2020, qui ont à nouveau conduit à un changement de pouvoir, était le mécontentement de la population à l’égard des résultats officiels des élections législatives du 4 octobre. 

    Sur les 16 partis en lice pour un siège au Parlement, seuls cinq ont franchi le seuil des sept pour cent requis pour entrer au Parlement. Bien que le président de l’époque, M. Jeenbekov, ait déclaré publiquement qu’il ne soutenait aucun parti, celui qui a obtenu le plus de voix - Birimdik (Unité) – lui était lié puisque son propre frère et d’autres membres de l’élite dirigeante se présentaient sous sa bannière. Le parti arrivé en deuxième position, Mekenim Kyrgyzstan (Mère patrie du Kirghizistan), était également considéré comme pro-gouvernemental et associé à la famille de l’ancien haut fonctionnaire des services douaniers Raiymbek Matraimov, qui a été impliqué dans une enquête très médiatisée sur la corruption, publiée en novembre 2019. Le gouvernement de Jeenbekov a ignoré les conclusions de cette enquête et n’a pas engagé d’action pénale contre Matraimov, malgré les appels publics en ce sens.

    Il était prévisible que Birimdik et Mekenim Kyrgyzstan obtiennent de nombreux votes, compte tenu de l’utilisation de ressources publiques et des cas signalés d'achat de votes en faveur de leurs candidats. Ces deux partis, qui participaient pour la première fois à des élections législatives, ont obtenu près de la moitié des voix et donc la majorité absolue des sièges au Parlement. Les méthodes utilisées par les deux partis vainqueurs pour s’assurer le contrôle du Parlement ont suscité l’indignation des autres partis politiques ayant participé aux élections, de leurs électeurs et même des personnes apolitiques.

    Les élections se sont déroulées dans un contexte de mécontentement croissant face aux difficultés sociales et économiques causées par la pandémie, ainsi que de sentiments antigouvernementaux grandissants au sein de la population.

    Les élections « entachées », caractérisées par un nombre sans précédent de violations, ont servi de catalyseur aux événements qui ont suivi. Les manifestations ont commencé immédiatement après l’annonce des résultats préliminaires, le soir du jour de l’élection, le 4 octobre, et se sont poursuivies tout au long de la journée suivante. Les jeunes y ont joué un rôle décisif : la plupart de ceux qui sont descendus dans la rue pour protester et se sont rassemblés sur la place centrale de la capitale étaient des personnes jeunes. Malheureusement, la plupart de ceux qui ont été blessés, ainsi que le manifestant qui est décédé pendant les événements d’octobre, étaient également des jeunes.

    Quelle a été la réaction du gouvernement face aux manifestations ?

    Les autorités avaient la possibilité de prendre le contrôle de la situation et de la résoudre pacifiquement, mais elles ne l’ont pas saisie. Ce n’est que dans la soirée du 5 octobre que le président de l’époque, M. Jeenbekov, a annoncé qu’il rencontrerait les dirigeants des différents partis en lice pour les élections. Il a fixé une réunion pour le matin du 6 octobre, mais il était trop tard, car dans la nuit du 5 octobre, les manifestations pacifiques ont dégénéré en affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre à Bichkek, qui se sont terminés par la prise de la Maison Blanche (siège de la présidence et du Parlement) et d’autres bâtiments publics par les manifestants. Au cours de ces affrontements, les forces de l’ordre ont utilisé des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. À la suite de ces affrontements, un jeune homme de 19 ans a été tué et plus de 1 000 personnes ont dû recevoir des soins médicaux, dont des manifestants et des membres des forces de l’ordre, et plus de 600 policiers ont été blessés. Au cours des troubles, des voitures de police, des ambulances, des caméras de surveillance et d’autres biens ont également été endommagés, pour une valeur estimée à plus de 17 millions de soms (environ 200 000 USD).

    Les élections présidentielles anticipées organisées en janvier 2021 ont-elles permis de résoudre les problèmes soulevés par les manifestations ?

    La principale revendication des manifestants était d’annuler les résultats des élections législatives d’octobre 2020 et d’organiser de nouvelles élections équitables. Cette demande a été partiellement satisfaite le 6 octobre 2020, lorsque la Commission électorale centrale (CEC) a déclaré les résultats des élections invalides. Cependant, jusqu’à présent, aucune date n’a été fixée pour les nouvelles élections législatives. La CEC les avait initialement prévues pour le 20 décembre 2020, mais le Parlement a réagi en adoptant rapidement une loi qui suspendait les élections durant le temps de révision de la Constitution, et prolongeait le mandat des membres du Parlement sortant jusqu’au 1er juin 2021.

    La Commission de Venise - un organe consultatif du Conseil de l’Europe, composé d’experts indépendants en droit constitutionnel - a évalué cette loi et conclu que, pendant la période de transition actuelle, le Parlement devrait exercer des fonctions limitées et s’abstenir d’approuver des mesures extraordinaires, telles que des réformes constitutionnelles. Toutefois, le Parlement sortant a poursuivi ses travaux de manière habituelle et a approuvé la tenue d’un référendum constitutionnel en avril 2021. Le président nouvellement élu, Sadyr Japarov, a proposé d’organiser de nouvelles élections parlementaires à l’automne 2021, ce qui signifierait que les membres du Parlement sortant resteraient en poste même après le 1er juin 2021.

    Conformément à d’autres revendications des manifestants, la législation électorale du pays a été modifiée en octobre 2020 afin de réduire le seuil électoral de sept à trois pour cent, permettant aux partis d'être représentés au Parlement et de réduire le fonds électoral de 5 à 1 million de soms (environ 12 000 USD). Ces modifications ont été apportées pour faciliter la participation d’un plus grand nombre de partis, y compris les plus récents, et pour promouvoir le pluralisme et la concurrence.

    Les manifestants ont également exprimé leur mécontentement face à l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre la corruption. Ils ont exigé que les autorités traduisent en justice les fonctionnaires corrompus, en particulier Matraimov, et restituent à l’État les biens volés. S’exprimant devant les manifestants avant de devenir président, M. Japarov a promis que M. Matraimov serait arrêté et puni.

    Il faut reconnaître que Japarov a tenu parole. Après son arrivée au pouvoir en octobre 2020, Matraimov a été arrêté dans le cadre d’une enquête sur des mécanismes de corruption au sein du service des douanes, a plaidé coupable et a accepté de réparer les dommages en remboursant plus de 2 milliards de soms (environ 24 millions de USD). Un tribunal local l’a ensuite condamné, mais lui a appliqué une peine réduite, sous la forme d’une amende de 260 000 soms (environ 3 000 USD) et a levé les mesures de gel de ses biens, car il avait coopéré à l’enquête. Cette sentence extrêmement clémente a provoqué l’indignation générale. Le 18 février 2021, Matraimov a de nouveau été arrêté pour de nouvelles accusations de blanchiment d’argent, mais quelques jours plus tard, il a été transféré du centre de détention provisoire où il était détenu vers une clinique privée pour y être soigné pour des problèmes de santé. Après cela, beaucoup ont qualifié de « populistes » les mesures anticorruption prises par les autorités actuelles.

    En janvier 2021, les citoyens kirghizes ont également voté lors d’un référendum constitutionnel. Quels ont été ses résultats, et quelles conséquences auront-ils sur la qualité de la démocratie ?

    Selon les résultats du référendum, qui s’est déroulé le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, 84 % des électeurs ont soutenu le changement d'un système de gouvernement parlementaire à un système présidentiel.

    Sur la base d’une expérience comparative, de nombreux avocats et activistes de la société civile ne considèrent pas ce changement comme négatif en soi, à condition qu’un système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs efficace soit mis en place. Cependant, ils sont sérieusement préoccupés par le fait que les autorités tentent de mener cette transition à un rythme anormalement rapide, en utilisant des approches et des méthodes discutables qui ne correspondent pas aux principes généralement acceptés et aux règles et procédures juridiques établies.

    Le premier projet de Constitution prévoyant un système de gouvernance présidentiel, présenté en novembre 2020, a été surnommé « khanstitution » en référence aux dirigeants autocratiques historiques d’Asie centrale. Ses détracteurs ont accusé M. Japarov, qui a plaidé en faveur de ce changement depuis son entrée en fonction en octobre 2020, de vouloir usurper le pouvoir.

    Le projet de Constitution accordait au président des pouvoirs pratiquement illimités, tout en réduisant au minimum le statut et les pouvoirs du Parlement, ce qui compromettait l’équilibre des pouvoirs et créait un risque d’abus de pouvoir présidentiel. Il prévoyait également une procédure d’impeachment compliquée, impossible à mettre en œuvre dans la pratique. En outre, alors qu’il ne mentionne pas une seule fois le principe de l’État de droit, le texte fait référence à plusieurs reprises à des valeurs et principes moraux. De nombreuses dispositions de la Constitution actuelle qui garantissent les droits humains et les libertés ont été exclues.

    En raison de critiques sévères, les autorités ont été contraintes d’abandonner leur projet initial de soumettre le projet de Constitution à un référendum le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, et ont accepté d’organiser une discussion plus large. À cette fin, une conférence dite constitutionnelle a été convoquée et ses membres ont travaillé pendant deux mois et demi, malgré les accusations d’illégitimité de leurs activités. Au début du mois de février 2021, la conférence constitutionnelle a soumis ses suggestions au Parlement.

    Il faut reconnaître qu’à la suite de la discussion et des propositions soumises par la conférence constitutionnelle, certaines parties du projet de Constitution ont été améliorées. Par exemple, la référence au principe de l’État de droit a été rétablie et des modifications importantes ont été apportées aux sections relatives aux droits humains et aux libertés, notamment en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression, le rôle des médias indépendants et le droit d’accès à l’information. Mais le projet est resté pratiquement inchangé en ce qui concerne les dispositions qui prévoient des pouvoirs illimités pour le président.

    En mars 2021, le Parlement a adopté une loi sur l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution révisé, fixant la date au 11 avril 2021. Cela a suscité une nouvelle vague d’indignation parmi les politiciens, les juristes et les activistes de la société civile, qui ont souligné que cela allait à l’encontre de la procédure établie pour les changements constitutionnels et ont de nouveau averti que la concentration du pouvoir entre les mains du président pourrait aboutir à un régime autoritaire. Leurs préoccupations ont été reprises dans un avis conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, émis en mars 2021 à la demande du médiateur du Kirghizistan.

    Le projet de Constitution comporte deux autres dispositions problématiques. L’une d’elles permet d’imposer des restrictions à tout événement qui contredit les « valeurs morales et éthiques » ou « la conscience publique du peuple de la République kirghize ». Ces concepts ne sont pas définis ou réglementés, ils peuvent donc être interprétés différemment selon les cas, ce qui crée un risque d’interprétation trop large et subjective et d’application arbitraire. Cela pourrait à son tour entraîner des restrictions excessives des droits et libertés humains, notamment des droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

    L’autre disposition impose aux partis politiques, aux syndicats et aux autres associations publiques de garantir la transparence de leurs activités financières et économiques. Dans le contexte des récentes tentatives de renforcement du contrôle des organisations de la société civile (OSC), on craint que cette disposition ne soit utilisée pour faire pression sur celles-ci. Le jour même où le Parlement a voté en faveur de l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution, certains législateurs ont accusé les OSC de porter atteinte aux « valeurs traditionnelles » et de constituer une menace pour l’État. 

    Les activistes de la société civile continuent de demander la dissolution du Parlement actuel, qui a perdu sa légitimité à leurs yeux, et exhortent le président à convoquer rapidement de nouvelles élections. Les activistes organisent un rassemblement permanent à cette fin et, si leurs demandes ne sont pas satisfaites, ils prévoient de se tourner vers les tribunaux en invoquant l'usurpation du pouvoir.

    Le président a toutefois rejeté toutes les préoccupations exprimées au sujet de la réforme constitutionnelle. Il a assuré que le Kirghizistan resterait un pays démocratique, que la liberté d’expression et la sécurité personnelle des journalistes seraient respectées et qu’il n’y aurait plus de persécution politique.

    Les citoyens du Kirghizistan doivent faire leur choix. Le référendum à venir sur l’actuel projet de Constitution pourrait devenir un autre tournant dans l’histoire du Kirghizistan, et le choix des citoyens sera décisif pour l’évolution future vers la stabilité et la prospérité.

    L’espace civique au Kirghizistan est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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  • MYANMAR : « Les militaires ont fait passer les travailleurs de la santé du statut de héros à celui de criminel du jour au lendemain »

    Nay Lin Tun MayCIVICUS s’entretient avec Nay Lin Tun, un médecin qui se porte régulièrement volontaire auprès des équipes de secours dans les zones d’urgence de la ville de Yangon au Myanmar. Depuis que l’armée a pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, elle a lancé unerépression brutale contre le Mouvement de désobéissance civile (MDC), un mouvement de protestation qui s’est étendu à tout le pays et au sein duquel lesprofessionnels de la santé ont joué un rôle clé.

    Depuis le coup d’État, Nay Lin Tun est en première ligne pour soigner les manifestants blessés par les forces de sécurité. Il a précédemment travaillé dans l’État de Rakhine, où il fournissait des soins de santé communautaires mobiles à la population Rohingya et à d’autres personnes déplacées à l’intérieur du pays dans les zones touchées par le conflit. Il a également participé à la campagneGoalkeepers Youth Action Accelerator, qui vise à accélérer les progrès vers les objectifs de développement durable des Nations unies.

     

  • MYANMAR : « Les partis d'opposition se plaignent que le corps électoral censure leur discours »

    Cape DiamondCIVICUS s'entretient avec le journaliste lauréat Cape Diamond (Pyae Sone Win) au sujet des prochaines élections au Myanmar. Cape est un journaliste multimédia basé au Myanmar qui s’intéresse au domaine des droits humains, des crises et des conflits. Il travaille actuellement de manière indépendante pour l'Associated Press (AP). Il a assuré une couverture critique de la crise des réfugiés rohingyas et a travaillé avec de nombreux médias internationaux, dont Al Jazeera, ABC News et CBS. Il a également contribué au documentaire lauréat du BAFTA,Myanmar’s Killing Fields, et au filmThe Rohingya Exodus, médaillé d'or au Festival du film de New York.

    Prévues pour le 8 novembre 2020, ces élections seront les premières depuis 2015, date à laquelle elles ont abouti à une victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et ne seront que les deuxièmes élections compétitives depuis 1990, date à laquelle la victoire écrasante de la LND a été annulée par l’armée.

    Quel est l'état des libertés civiles et de la société civile à l'approche des élections ?

    La situation de la liberté d'expression est très préoccupante. Au fil des années, des journalistes et des militants des droits de l'homme au Myanmar ont fait l'objet d'accusations pénales en raison de leur travail. Des lois restrictives, telles que la loi sur les télécommunications, la loi sur les associations illicites, la loi sur les secrets officiels et les dispositions du code pénal relatives à la diffamation, continuent d'être utilisées pour poursuivre les militants et les journalistes. La loi sur les défilés et rassemblements pacifiques a également été utilisée contre les manifestants.

    De nombreux partis politiques se sont plaints du fait que la Commission électorale de l'Union (CEU), l'organe électoral, a censuré des messages devant être diffusés à la télévision nationale avant les élections. Par exemple, Ko Ko Gyi, président du parti populaire, a déclaré que les changements apportés par la CEU dans son discours de campagne l'empêchaient d'exprimer pleinement la position politique de son parti sur les élections. Deux partis, le Parti démocratique pour une nouvelle société et la Force démocratique nationale, ont annulé leurs émissions électorales pour protester contre la censure.

    En même temps, les adversaires disent que le corps électoral est biaisé en faveur du parti au pouvoir, la LND, dirigé par Aung San Suu Kyi. C'est une question à laquelle nous devons être attentifs et dont nous devons parler afin de garantir des élections crédibles.

    Le corps électoral s’est-il rapproché de la société civile ?

    J'ai entendu dire que l'actuel CEU n'a pas cherché activement à établir un lien avec la société civile. Le CEU a d'abord interdit à l'Alliance du peuple pour des élections crédibles (APEC), l'un des plus grands groupes de surveillance des élections du pays, de surveiller les élections. La CEU a accusé l'APEC de ne pas être enregistrée en vertu de la loi régissant les organisations de la société civile et de recevoir des fonds de sources internationales. Bien que la CEU l'ait finalement autorisée à fonctionner, l'organisation éprouve des difficultés à le faire en raison des restrictions récemment imposées à cause de la COVID-19.

    Quelles sont les principales questions autour desquelles la campagne s'articulera ?

    La pandémie de la COVID-19 et la guerre civile en cours dans le pays sont nos principaux problèmes pour le moment. Il est très clair que le parti au pouvoir et le gouvernement ne prêtent pas suffisamment attention à la situation des minorités dans les régions qui souffrent de la guerre civile.

    Il est inquiétant que le pays traverse une pandémie, dont je pense qu'il n'a pas la capacité suffisante pour y faire face. Au 29 septembre 2020, nous avons eu un total de 11 000 cas signalés et 284 décès dus à la COVID-19. L'augmentation des infections au cours des dernières semaines est inquiétante, puisque nous n'avions eu qu'environ 400 cas confirmés en août. Je crains que la situation ne permette aux gens d'aller voter aux élections en toute sécurité.

    Plus de 20 partis politiques ont envoyé des demandes au corps électoral pour reporter les élections en raison de la pandémie, mais celles-ci ont été rejetées. Le parti au pouvoir n'est pas prêt à reporter les élections.

    Est-il possible de développer une campagne « normale » dans ce contexte ?

    Je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir des rassemblements de campagne normaux comme ceux des dernières élections, celles de 2015, car nous sommes en pleine pandémie. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la propagation de la maladie, notamment l'interdiction de se réunir. Les partis politiques ne peuvent pas faire campagne dans des zones qui sont en situation de semi-confinement.

    Les grandes villes, telles que Yangon et sa région métropolitaine, ainsi que certaines municipalités de Mandalay, sont en semi-confinement, dans le cadre d'un programme que le gouvernement a appelé « Restez à la maison ». Au même temps, l'ensemble de l'État de Rakhine, qui connaît une guerre civile, est également en semi-confinement. J'ai bien peur que les habitants de la zone de guerre civile ne puissent pas aller voter.

    Pour s'adresser à leur public, les candidats utilisent à la fois les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, certains partis de l'opposition ont été censurés par la CSU. Certains membres de l'opposition ont dénoncé le traitement inéquitable de la CEU et du gouvernement, tandis que le parti au pouvoir utilise son pouvoir pour accroître sa popularité. Cela va clairement nuire aux chances électorales de l'opposition.

    Quels sont les défis spécifiques auxquels sont confrontés les candidats dans l'État de Rakhine ?

    Étant donné que tout l'État de Rakhine est soumis à des restrictions en raison de la COVID-19, les candidats ne peuvent pas faire campagne personnellement. C'est pourquoi ils font généralement campagne sur les réseaux sociaux. En même temps, dans de nombreuses municipalités de l'État de Rakhine, une coupure du service Internet a été imposée de façon prolongée en raison des combats continus entre l'armée arakanienne et les forces militaires. Je crains que les gens là-bas ne puissent pas obtenir suffisamment d'informations sur les élections.

    Le gouvernement du Myanmar utilise également la loi discriminatoire de 1982 sur la citoyenneté et la loi électorale pour priver les Rohingyas de leurs droits et les empêcher de se présenter aux élections. Les autorités électorales ont empêché le leader du Parti de la démocratie et des droits humains (PDDH) dirigé par les Rohingyas, Kyaw Min, de se présenter aux élections. Kyaw Min a été disqualifié avec deux autres candidats du PDDH parce que ses parents n'auraient pas été citoyens, comme l'exige la loi électorale. C'est l'un des nombreux outils utilisés pour opprimer le peuple Rohingya.

    En octobre, la CEU a lancé une application pour smartphone qui a été critiquée pour l'utilisation d'un label dérogatoire en référence aux musulmans rohingyas. L'application mVoter2020, qui vise à sensibiliser les électeurs, désigne au moins deux candidats de l'ethnie rohingya comme des « Bengalis », ce qui laisse entendre qu'ils sont des immigrants du Bangladesh, même si la plupart des Rohingyas vivent au Myanmar depuis des générations. Ce label est rejeté par de nombreux Rohingyas. De plus, aucun des plus d'un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh, ni des centaines de milliers de personnes dispersées dans d'autres pays, ne pourra voter.

    L'espace civique au Myanmar est décrit comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
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  • PÉROU : « Le débat constitutionnel a pris une nouvelle importance depuis les manifestations »

    Rafael BarrioCIVICUS parle des récentes manifestations au Pérou avec Rafael Barrio de Mendoza, chercheur sur les processus de transformation territoriale du Grupo Propuesta Ciudadana, un consortium de dix organisations de la société civile présentes dans 16 régions du Pérou. Propuesta Ciudadana cherche à contribuer à la formulation de propositions politiques pour un État inclusif et la gestion adéquate des ressources publiques. L´organisation promeut une vision de la gouvernance territoriale qui commence par l'identification et le respect des diversités et se concentre sur le développement démocratique.

    Quel a été le déclencheur des protestations qui ont éclaté au Pérou en novembre 2020 ?

    La cause immédiate a été la décision d'une majorité parlementaire de destituer le président Martín Vizcarra, en utilisant un mécanisme rarement utilisé dans le passé et dont le contenu et le processus disposent d'une large marge d'appréciation. La publication des accusations contre Vizcarra s'est déroulée selon une séquence qui s’est révélée planifiée, et la sensation de son instrumentalisation par la soi-disant « coalition d'expulsion » a prédominé. Si la qualité des preuves des crimes qui auraient été commis contre Vizcarra pendant son mandat de gouverneur de la région de Moquegua il y a cinq ans suscite une certaine controverse, l'opinion publique s'accorde à dire que ces allégations auraient pu être poursuivies de manière crédible à la fin de son mandat présidentiel, d'autant plus que des élections générales étaient déjà prévues pour avril 2021.

    Mais d'un point de vue plus structurel, la crise politique a été l'expression de la maturation d'une crise de la représentation politique, avec peu de liens organiques entre l'offre politique et les sensibilités citoyennes et un système de représentation politique précaire et cartellisé, dans lequel maintes intérêts illégaux, informels et oligopolistiques ont résisté aux générations successives de réformes - éducatives, judiciaires, fiscales et politiques, entre autres - qui cherchent à les réguler. Les révélations d'affaires de corruption impliquant une grande partie de l'establishment politique, comme l'affaire Lava Jato/Odebrecht et l'affaire des Cols blancs, qui ont mis au jour un vaste réseau de corruption dans le système judiciaire, ont servi à installer le consensus d'une détérioration générale de la gestion du public. Au même temps, l'efficacité relative des mesures fiscales à l'encontre des dirigeants politiques impliqués a nourri la perspective d'un nettoyage de la classe politique et la possibilité de cultiver une transition vers un meilleur système de représentation. Dans une certaine mesure, le lien populiste établi par Vizcarra avec cette sensibilité - scellé avec la dissolution constitutionnelle du précédent Congrès, dans lequel le parti de l'ancien président Alberto Fujimori était majoritaire - a été le facteur qui a soutenu son gouvernement, manquant de soutien parlementaire, commercial, médiatique ou syndical. La vacance de Vizcarra a été vécue comme la restitution de la constellation d'intérêts qui jusqu'alors avait régressé avec le travail fiscal et les réformes éducatives, politiques et judiciaires.

    Comment décririez-vous le conflit institutionnel qui a conduit à la destitution et au remplacement du président ?

    Le conflit institutionnel est né de la précarité d'un système politique caractérisé par un nouveau Congrès avec de multiples bancs mais aucun officiel et un président populaire mais sans soutien institutionnel, dont la légitimité a été soutenue dans la gestion polyvalente du débat public par une combinaison de gestes politiques, le recrutement de techniciens compétents à des postes clés et un exercice calculé d'antagonisme avec le Congrès sur des questions clés telles que les réformes éducatives, politiques et judiciaires.

    La coalition majoritaire au Congrès a largement repris l'agenda des intérêts de la précédente majorité « Fujiapriste » - ainsi désignée par l'alliance tacite entre le parti Aprista et le courant politique fondé par l'ancien président Fujimori - à laquelle elle a ajouté de nouvelles revendications populistes qui mettent en péril la gestion budgétaire et macroéconomique autour de laquelle il y avait un consensus technocratique. Dans ce cadre, les acteurs qui ont survécu à la dissolution du précédent Congrès ont réussi à se réinstaller dans le nouveau et à mener, avec certains médias, une campagne qui visait à détériorer la popularité de Biscaye en lançant des accusations de corruption dans des affaires peu claires. Telles sont les dynamiques qui ont nourri le conflit institutionnel.

    Pour sa part, la société civile a eu une réponse unifiée à la vacance de poste et au nouveau régime qui a été mis en place. Leur réponse allait de l'expression d'inquiétudes et de l'exigence de responsabilité à la condamnation ouverte de la mise en place de la nouvelle administration. Les manifestations et la répression massives auxquelles ils ont été confrontés ont alimenté cette transition dans une grande partie de la société civile. De nombreuses organisations de la société civile ont joué un rôle actif dans l'encadrement du conflit, la production d'un récit destiné à un public international et la pression exercée sur les acteurs publics avec lesquels elles interagissent.

    Qui s'est mobilisé, et qu'ont-ils réclamé ?

    Au début, les manifestants contestaient la vacance du poste de président Vizcarra et la prise de fonction du président du Congrès, Manuel Merino, comme nouveau président. Un sondage ultérieur réalisé par Ipsos a montré qu'un peu plus des trois quarts de la population était d'accord avec la manifestation contre la destitution du président Vizcarra, et qu'au moins deux millions de personnes se sont mobilisées d'une manière ou d'une autre ou ont pris une part active aux manifestations.

    Les manifestations ont été principalement menées par des jeunes de 16 à 30 ans, qui ont constitué l'épine dorsale de l'organisation et ont généré les répertoires et les tactiques de manifestation. Le sentiment général de lassitude a été mobilisé par la génération dite « du bicentenaire », née après la fin du fujimorisme, originaire du numérique et, pour la plupart, mécontente de la politique conventionnelle. C'est aussi une génération mésocratique - tant dans les segments traditionnels de la classe moyenne que dans les secteurs populaires – qui participe à des communautés virtuelles médiatisées par des plateformes numériques. Cela explique en partie la rapidité avec laquelle apparaissent des architectures organisationnelles suffisamment efficaces pour produire des répertoires, coordonner des actions, documenter des manifestations et générer des mouvements d'opinion publique. La médiation des réseaux sociaux et l'utilisation des applications de microtransferts monétaires ont favorisé une organisation décentralisée de la contestation, avec de multiples manifestations dans différents lieux, des appels convergents différents, une diversité de répertoires et des canaux pour le transfert rapide de ressources.

    La mobilisation menée par les jeunes a été alimentée par une classe moyenne prête à assumer le coût de la manifestation. Autour de ce noyau, d'autres secteurs de la population, plus ou moins habitués aux stratégies de manifestation conventionnelles, ou simplement éloignés de toute expression publique, se sont articulés sociologiquement et territorialement.

    Les manifestations ont commencé le 9 novembre, se sont succédées de jour en jour et ont atteint leur apogée le 14 novembre, date de la deuxième marche nationale. La mobilisation massive de ce qu'on appelle le 14N a été alimentée par l'expression soudaine d'un sentiment de ras-le-bol qui a traversé la société et a été particulièrement intense chez les jeunes. D'où son caractère exceptionnel dû à son ampleur, sa portée et son organisation, ainsi qu'à la mise en place rapide d'une identité citoyenne non partisane, qui ne s'explique que partiellement par le soutien apporté à Vizcarra, puisqu'elle l'a dépassé.

    Le 14N a culminé avec la mort de deux jeunes manifestants sous une grenaille de plomb. Merino avait pris le pouvoir le 10 novembre et avait formé un gouvernement radicalement conservateur. Le vrai visage de son cabinet a été rapidement révélé dans l'autorisation de la répression sévère de la manifestation, surtout à Lima, la capitale. Après les premiers jours de violence policière, le président du Conseil des ministres a félicité les brigades de police impliquées et leur a garanti une protection. La mort du 14N a déclenché une cascade de désaffection chez les quelques partisans politiques qui ont soutenu le régime en réponse à la pression écrasante des citoyens, et à midi le 15 novembre, Merino avait démissionné.

    L'espace généré par la mobilisation a été peuplé d'un certain nombre de revendications hétérogènes, allant du rétablissement de Biscarrosse à la demande d'un changement constitutionnel qui cimenterait la sortie du néolibéralisme, en passant par des propositions plus clairement citoyennes axées sur la défense de la démocratie, la continuité des réformes, l'injustice de la répression et l'insensibilité de la classe politique à l'urgence sanitaire de la pandémie. Ces revendications demeurent ferventes, et il reste à voir comment elles finiront par prendre forme dans le scénario électoral de 2021.

    En quoi ces manifestations diffèrent-elles des autres qui ont eu lieu dans le passé ? Y a-t-il eu des changements liés au contexte de la pandémie ?

    Les mécanismes de coordination fournis par les réseaux sociaux avaient déjà été testés lors de précédentes mobilisations urbaines, mais ces manifestations avaient été menées par des acteurs conventionnels, tels que des mouvements sociaux, des partis politiques et des syndicats. À cette occasion, de nouveaux groupes d'activistes ont été formés, tels que les brigades de gaz lacrymogènes et de secours médical, à l'instar des techniques de mobilisation testées dans d'autres contextes, comme les manifestations de Hong Kong et les manifestations du Black Lives Matter aux États-Unis. Cela témoigne de l'émergence d'espaces d'apprentissage de la manifestation au niveau mondial.

    C'est en partie l'urgence sanitaire qui a conditionné la composition des manifestations, majoritairement composées de jeunes, tout en favorisant, chez les plus réticents à sortir à la rue, la diffusion de nouveaux répertoires, tels que les « cacerolazos » (casserolades), « bocinazos » (klaxons) et l'activisme numérique. En même temps, la nature massive des protestations peut s'expliquer par le fait que les indicateurs de santé de l'époque suggéraient l'arrêt de la première vague de COVID-19, et par le fait que les manifestations de Black Lives Matter n'avaient été liées à aucun cluster épidémique constatable, ce qui a encouragé un sentiment de sécurité pour les marches.

    Pourquoi les manifestants ont-ils fini par exiger une réforme constitutionnelle ? Quel type de réforme constitutionnelle demandent-ils ?

    Les propositions de modifications constitutionnelles faisaient partie des revendications de la mobilisation, mais elles n'ont pas fini par en être les principaux protagonistes. En tout état de cause, ils ont pris un nouvel élan dans le débat public. La généalogie de ces demandes peut être pensée de deux manières. Le changement constitutionnel par le biais d'une assemblée constituante est l'une des principales revendications de la gauche depuis la fin du fujimorisme. Immédiatement après la chute du régime de Fujimori (1990-2001), un Congrès a été convoqué avec un mandat constitutif incapable de produire un nouveau texte constitutionnel, et depuis lors, cette aspiration a fini par habiter le champ du progressisme, perdant du terrain parmi les autres acteurs centristes et de droite. La gauche revendique souvent la mythique Constitution de 1979 comme une alternative, propose un nouveau texte inspiré des processus bolivien et équatorien, et pointe le caractère illégitime de la Constitution actuelle, née après un coup d'État. La croissance économique soutenue des décennies post-Fujimori et les réformes spécifiques de certains mécanismes constitutionnels ont donné une légitimité à la Constitution, mais nombre des institutions et des principes qu'elle consacre ont été épuisés par les changements sociologiques et économiques qu'ils ont contribué à provoquer.

    Le deuxième aspect provient d'une demande plus organique suite à la prise de conscience des limites du modèle de marché, évidente surtout dans la persistance de l'absence de protection sociale, du travail précaire et informel et des abus des oligopoles dans la prestation de services, ainsi que dans la crise du système de représentation politique. Vizcarra a inauguré une étape réformiste dans les domaines judiciaire et politique, ainsi que dans les cadres juridiques régissant les secteurs extractifs et le système de retraite. Elle a également donné une continuité à la réforme de l'éducation. L'esprit réformiste - considéré par les secteurs modérés comme la voie d'une transition « responsable » - a été attaqué par la lutte politique alimentée par les secteurs concernés, créant un espace pour que les aspirations à la réforme commencent à être prêchées dans le langage du changement constitutionnel.

    Cependant, ce débat a pris une nouvelle importance depuis les protestations du 14 novembre, et les termes de la conversation, le contenu des changements les plus significatifs et, surtout, l'offre d'acteurs politiques mûrs capables de les interpréter et de les mettre en œuvre, ne sont toujours pas clairs. Le danger réside dans le fait que, dans un contexte de forte indétermination, le processus finit par être défini par des acteurs dont les motivations ne participent pas à l'esprit du changement.

    L'espace civique au Pérou est décrit comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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  • RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

    CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

    Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

    LUCHA Lutte Pour Le Changement

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

    La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

    La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

    La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

    De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

    Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

    La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

    Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

    Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

    Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

    Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

    La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

    Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

    LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

    Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

    Que devrait faire la communauté internationale ?

    La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

    La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

    La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.

     

     

  • THAILANDE : « Les jeunes remettent en question le fait que le gouvernement sape leurs droits et compromette leur avenir »

    CIVICUS s’entretient avec la directrice exécutive d’Amnesty International Thaïlande, Piyanut Kotsan, sur le mouvement démocratique et la répression des manifestations en Thaïlande. Fondée à Bangkok en 1993, Amnesty International Thaïlande compte plus de 1 000 membres dans tout le pays. Son travail se concentre sur la promotion de la liberté d’expression en ligne et hors ligne, la liberté de réunion pacifique, l’éducation aux droits humains, le droit à l’avortement, les droits des migrants et des réfugiés, et la dénonciation de la torture, des disparitions forcées et de la peine de mort.

     

  • TUNISIE : « La nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations »

    Amine GhaliCIVICUS échange sur le référendum constitutionnel du 25 juillet en Tunisie avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM).

    KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui, à travers la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation, promeut la participation de la société civile dans la démocratie et la justice transitionnelle tant en Tunisie comme plus largement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

    Pourquoi le président Kais Saied organise-t-il un référendum constitutionnel le 25 juillet ?

    Le changement ou la révision constitutionnelle relèvent du projet privé du président, qu’il n’a annoncé ni lors de sa candidature à la présidence en 2019 ni pendant ses deux premières années au pouvoir. Cela a commencé lorsque le président Saied a révoqué le premier ministre et dissout le Parlement en juillet 2021.

    À cette époque, il n’avait même pas annoncé la révision constitutionnelle. Ce n’est qu’en mi-décembre que, sous pression internationale et locale, le président a dû énoncer un plan d’action. En son sein se trouvait une nouvelle Constitution.

    Contrairement à la Constitution de 2014, qui reposait sur un consensus large, le processus menant à un référendum constitutionnel n’a pas obtenu le soutien du public. Lors d’une consultation en ligne organisée en début 2022 pour recueillir les avis sur la révision de la Constitution, seul environ le 30 % des interrogés la soutenait. Pourtant, le président a poursuivi le processus de révision constitutionnelle, avec une campagne de référendum encourageant les Tunisiens à voter « oui » pour « corriger le cours de la révolution ».

    Dans quelle mesure la société civile a-t-elle participé au processus menant au référendum ?

    La société civile a vécu des moments sans précédent ces derniers mois. En ce qui concerne sa position sur la question, elle s’est généralement montrée silencieuse ou favorable.

    En juillet 2021, au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

    Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer. 

    La société civile n’est pas constituée d’un seul groupe ou d’une seule position - il existe bien sûr une certaine diversité. Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer. Maintenant beaucoup tentent d’empêcher le processus de référendum.

    Comment la société civile s’est-elle organisée contre le référendum ?

    Bien que la réponse de la société civile ait été tardive, elle a récemment utilisé une série de moyens pour s’opposer au référendum. Des coalitions ont été créées, la société civile a publié des prises de position, des conférences ont été organisées.

    Certains groupes appellent au boycott du référendum tandis que d’autres tentent de porter une affaire devant les tribunaux, mais celle-ci se mène contre les atteintes à la justice menées par le président : en juin, il a révoqué 57 juges, les accusant de corruption et de protection des « terroristes ». En mode de proteste les juges tunisiens se sont mis en grève et n’ont repris le travail que très récemment.

    La Ligue tunisienne des droits de l’homme, une importante OSC, a fait appel au président à retirer sa proposition et à entamer un dialogue plus large avec la société tunisienne.

    Dans quelle mesure le référendum pourrait-il être libre et équitable ?

    Lors de la transition démocratique en 2011, notre pays s’est efforcé de créer des institutions indépendantes telles que la commission électorale et l’organisme de lutte contre la corruption, entre autres. La Constitution proposée dissout presque tous ces organes indépendants.

    Le seul conservé est la commission électorale, dont le président Saied a pris le contrôle en mai en renvoyant ses membres et en en nommant de nouveaux. En février, il a dissout le Conseil supérieur de la magistrature, dont il a licencié les juges en juin. 

    Dans ce contexte, l’indépendance de cette « commission indépendante » chargée d’organiser le référendum, ainsi que l’intégrité de l’ensemble de l’élection, doivent être remises en question.

    Quelles sont vos attentes quant à ses résultats, et quel impact auront-ils sur la qualité de la démocratie ?

    Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme - du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.

    Malgré sa popularité, je pense que son prochain référendum aura un taux de participation très faible, d’où la légitimité du résultat sera remise en question.

    Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.

    Si le référendum est approuvé, il sera suivi d’élections parlementaires en décembre, conformément à son plan d’action ; le parlement a été dissout en avril. Entre-temps, il y aura probablement plusieurs « réformes » et de nouvelles lois. Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendant.

    La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.

    La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.

    De notre côté, la société civile a condamné ces violations, mais ce n’a pas été suffisant. Nous avons donc essayé de créer un réseau avec divers défenseurs de la démocratie en Tunisie et à l’étranger. Dans la prochaine phase, la société civile continuera sa pression et se mobilisera contre toute déviation de la démocratie, étant donné que la nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations.

    Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?

    Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique. La communauté des pays démocratiques ne fait pas beaucoup d’efforts pour garder la Tunisie entre eux.

    Beaucoup d’entre nous sommes très déçus par leurs réactions face à la dissolution du Parlement et tout ce qui a suivi, dont le résultat a été un projet de Constitution qui va vraisemblablement annuler la démocratie tunisienne. Mais il n’y a pas eu de réponse solide de la part des amis démocratiques de la Tunisie.

    Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.

    L’espace civique en Tunisie est considéré comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec KADEM via sonsite web ou sa pageFacebook. 

     

  • TUNISIE : « La société civile n’est pas encore directement menacée, mais nous pensons que notre tour arrivera »

    Amine GhaliCIVICUS s’entretient des perspectives de démocratie en Tunisie après le coup de force du président de juillet 2021 avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM). KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui vise à promouvoir la contribution de la société civile à la démocratie et à la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région, par la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation.

    Quelle a été la position de la société civile tunisienne face au coup de force du président Kais Saied ?

    En juillet dernier, le président Saied a limogé le premier ministre et suspendu le parlement, tout en promettant un processus de révision constitutionnelle. Depuis lors, il s’est octroyé des pouvoirs étendus et a supprimé les contrôles sur ce pouvoir.

    Les réactions ont été variées, car la société civile tunisienne a toujours été très diverse. Une partie a soutenu les actions de Saied, ou du moins les a vues d’un bon œil, tandis qu’une autre s’y est complètement opposée. D’autres personnes ont été plus sélectives au sujet de ce à quoi elles s’opposent : peut-être n’étaient-elles pas satisfaites de l’arrangement politique précédent ou même de l’actuel, mais pensaient néanmoins que les actions de Saied ouvriraient de plus grandes opportunités de changement et de réforme.

    Une diversité similaire a été visible dans la société en général, mais nous n’avons pas connu de polarisation malsaine parce que les gens ne se sont pas divisés entre des positions aux deux extrémités du spectre.

    Et bien que je ne dispose pas de véritables chiffres ou statistiques, j’ai récemment remarqué une opposition croissante de la société civile face aux événements de juillet. Au début, il y avait une sorte d’euphorie, mais maintenant, la société civile est plus critique sur ce qui s’est passé, peut-être parce que les gens ont commencé à remarquer que Saied n’a pas encore tenu ses promesses.

    Qu’est-ce qui a fait évoluer les positions de la société civile ?

    L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance, ce qui ne s’est pas encore produit. En outre, il a pris des mesures et des décisions qu’il n’a pas annoncées le 25 juillet. Ses actions - principalement contre le parti Ennahda et d’autres partis politiques importants - étaient initialement conformes à la Constitution, mais il a ensuite commencé à agir contre la Constitution et à inverser les étapes de notre transition démocratique.

    Selon le discours officiel, repris par certains acteurs politiques, notre Constitution actuelle est si mauvaise que nous en nécessitons une nouvelle. Mais à mon avis - et à celui de la société civile - elle n’est pas si mauvaise. Plus important encore, le processus d’élaboration de la Constitution à la suite des soulèvements de 2010 a fait l’objet d’un large consensus, et la nouvelle Constitution a été approuvée par beaucoup plus que la majorité requise des deux tiers de l’Assemblée nationale constituante - elle a reçu les voix de 200 députés sur 217. Mais maintenant, nous semblons passer d’un processus participatif à un processus restrictif.

    En termes de gestion électorale, il est difficile de savoir si les prochaines élections et le référendum seront organisés par un organisme indépendant. De plus, Saied a remis en question un autre acquis démocratique majeur, l’indépendance du pouvoir judiciaire.

    Comment la société civile a-t-elle réagi à la feuille de route que le Président Saied a dévoilée en décembre 2021 ?

    Je pense que c’est la pression exercée par la société civile, les partis politiques et la communauté internationale qui a poussé le président à définir une feuille de route à la mi-décembre. Pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi la suspension du Parlement, il s’y était opposé.

    Une partie au moins de la société civile continuera à plaider pour que des mesures plus nombreuses et plus efficaces soient incluses dans la feuille de route, notamment une élection présidentielle, que nous pourrions être amenés à organiser puisque la feuille de route prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, qui entraînera une nouvelle répartition des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement. Nous ferons également pression pour une approche plus participative, car l’organisation d’un référendum sur la Constitution n’est pas suffisante, dans la mesure où elle ne permettra aux gens que de répondre à une question par oui ou non.

    Ce sont des points qui seront probablement soulevés dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Nous avons des OSC fortes travaillant sur les élections, qui se réunissent déjà pour discuter de la manière de maintenir la commission électorale comme acteur principal, et de celle d’aborder le passage du vote pour des listes au vote pour des individus, comme annoncé par les partisans du président.

    Je m’attends à ce que nous assistions bientôt à la formation de nouvelles coalitions pour agir sur le nouvel agenda politique. En fait, certaines de ces coalitions se sont déjà formées, incluant des éléments de la société civile et politique, comme Citoyens contre le coup d’État. D’autres coalitions de la société civile travaillent à l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains. À mon avis, cette nouvelle dynamique va se développer au cours des prochains mois.

    Y a-t-il des possibilités d’engagement de la société civile autour du prochain référendum constitutionnel ?

    Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de ce nouveau système de gouvernance est le manque de consultation, non seulement avec la société civile mais aussi avec les partis politiques. Jusqu’à présent, l’espace réservé au processus de consultation n’a pas été assez large. L’une de ses caractéristiques est la consultation en ligne, qui n’est pas le type de consultation auquel nous nous sommes habitués ces dix dernières années.

    Même si beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme elles étaient censées le faire, il y avait au moins une forme de consultation, une forme de donnant-donnant, entre les politiques et la société civile, les experts et la communauté internationale. Cet écosystème que nous avions autrefois n’existe plus. Les OSC feront pression pour obtenir de meilleures formes de coopération entre les décideurs et la société civile.

    Quelle pression subit l’espace civique en Tunisie ?

    L’espace civique se réduit. Bien que la société civile ne soit pas encore directement menacée, nous pensons que notre tour va arriver. Nous avons remarqué que les décideurs tunisiens détestent les corps intermédiaires. Ils ont donc fermé le parlement, attaqué le système judiciaire et boycotté les médias. Nous sommes probablement les prochains sur leur liste, nous devons donc être très vigilants. Des rumeurs circulent selon lesquelles les politiciens introduiront des changements juridiques qui affecteront les OSC, ce que nous n’accepterons pas. Nous devons défendre l’espace civique tant que nous avons encore un peu d’espace pour interagir avec les décideurs en l’absence du parlement, le corps intermédiaire traditionnel.

    Les récentes arrestations d’opposants politiques s’inscrivent-elles dans une tendance inquiétante ?

    Nous n’avons pas connu d’arrestations massives d’opposants politiques - en fait, il y en a eu très peu. Pour autant que nous le sachions, ces arrestations n’étaient pas fondées sur des raisons politiques, mais plutôt sur des activités illégales commises par des politiciens pendant leur mandat. Nous avons condamné les procédures et les circonstances des arrestations, qui n’étaient pas appropriées, mais personne n’est au-dessus de la loi, alors s’il existe des preuves suffisantes contre ces personnes, arrêtons-les et traduisons-les en justice selon les procédures judiciaires et non sur la base de décisions de l’exécutif.

    Quelles sont les perspectives de consolidation démocratique en Tunisie, et comment la communauté internationale peut-elle y contribuer ?

    Je pense que si nous la livrons à elle-même, le sort de la démocratie en Tunisie sera plutôt sombre. La société civile, la société politique, la communauté internationale et les amis de la Tunisie devront donc intensifier leurs efforts de plaidoyer, non pas pour restaurer la démocratie mais pour la maintenir. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs pour maintenir la pression afin de s’assurer que la Tunisie est sur la voie de la démocratie. Si nous ne nous engageons pas et nous contentons de regarder le spectacle, cela ne nous mènera probablement pas vers plus de démocratie et une meilleure démocratie, mais bien dans la direction opposée.

    Tant que les acteurs internationaux reconnaissent qu’il y a une menace pour la démocratie et s’engagent, cela nous aidera. La communauté internationale ne doit pas nous traiter comme elle l’a fait avec l’Égypte en 2013 - c’est-à-dire qu’elle ne doit pas privilégier la sécurité et la stabilité au détriment de la démocratie. Nous avons besoin que la communauté internationale maintienne la pression sur les décideurs en Tunisie pour s’assurer que l’achèvement de la transition démocratique est notre objectif commun. De cette façon, la Tunisie deviendra un exemple majeur de transition démocratique réussie dans la région arabe.

    L’espace civique en Tunisie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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