droits LGBTQI+

  • ARGENTINE : « Le changement culturel a permis le changement juridique et le changement juridique a approfondi le changement culturel »

    Dix ans après l’approbation en Argentine de la loi sur le mariage pour tous, qui a marqué un jalon pour l’Amérique latine, CIVICUS s’entretient avec la dirigeante LGBTQI+ María Rachid sur les stratégies utilisées et les tactiques qui ont le mieux fonctionné pour faire avancer l’agenda de l’égalité, et qui peuvent encore être utiles aujourd’hui. María dirige actuellement l’Institut contre la Discrimination du Défenseur des peuples de la ville de Buenos Aires et fait partie de la Commission Directive de la Fédération Argentine de Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Trans (Fédération Argentine LGBT). En 1996, elle a fondé l’organisation féministe lesbienne La Fulana et en 2006, elle a cofondé la Fédération argentine LGBT, qui rassemble des organisations de diversité sexuelle et a joué un rôle central dans l’approbation de la loi sur le mariage pour tous.

    maria rachid

    Quelle était la situation de la diversité sexuelle en Argentine lorsque la campagne pour le mariage pour tous a commencé ?

    Nous venions d'une situation où la relation des organisations de diversité sexuelle avec l'État était de confrontation. C'était de l'État que provenaient la plupart des discriminations, violences et harcèlement envers la communauté LGBT+, et en particulier envers les personnes trans, à travers les forces de sécurité et les institutions en général. La discrimination était permanente et l’incapacité d’accéder aux droits était constante. C'est pour cela que dans les années 80 et 90, nous faisions des escraches, c’est-à-dire, des manifestations de répudiation par honte publique, devant les commissariats de police, afin de dénoncer la police et les outils qu'elle employait, tels que les codes d'infraction et la loi sur le casier judiciaire, et nous avons rencontré d'autres organisations de défense des droits humains qui se battaient pour la même cause. Les outils de discrimination de l'État étaient utilisés contre divers groupes ; nous étions l'un d'entre eux, mais il y en avait d'autres qui étaient également harcelés et persécutés avec les mêmes outils qui alimentaient la petite caisse de la police.

    Après l'énorme crise économique, sociale et politique de 2001, il y a eu un affaiblissement des institutions et un renforcement de la mobilisation sociale. Très opportunément, à ce stade, la Communauté Homosexuelle Argentine (CHA), l'une des plus anciennes organisations de diversité sexuelle dans le pays, a présenté un projet d'union civile à l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires, la capitale. La loi qui a fini par être approuvée était très courte, de moins d'une page, et établissait fondamentalement que dans la ville de Buenos Aires, les couples de personnes du même sexe devraient être traités d'une manière « similaire » aux mariages hétérosexuels. Bien sûr, le projet original ne disait pas « similaire », mais l'expression a été introduite pour garantir son approbation. Aujourd’hui, cela serait perçu comme humiliant, mais dans ce contexte, c’était une énorme réussite. Parallèlement à cette loi, d'autres projets ont également été approuvés, reflétant également des revendications de la citoyenneté mobilisée, tel que l'expropriation d'une entreprise récupérée par ses travailleurs et l'établissement de normes pour permettre le travail des cartonniers.

    Après l'approbation de la loi sur l'union civile à Buenos Aires, nous avons commencé à réfléchir à la prochaine étape. Certaines organisations ont proposé d'étendre l'union civile à d'autres districts, comme cela s'est produit plus tard dans la province de Río Negro et dans la ville de Córdoba, et d'essayer de l'étendre au niveau national. Mais d'autres organisations ont commencé à réfléchir à l'idée du mariage, même si à cette époque-là cela semblait fou, car seuls deux pays dans le monde le reconnaissaient - la Belgique et les Pays-Bas – et il s’agissait deux pays culturellement très différents de l’Argentine, sans une Église catholique politiquement influente, qui constitue l’obstacle principal à la reconnaissance de nos droits.

    Comment l’impossible est-il devenu réalisable ?

    Dans ce contexte de violence institutionnelle, où il n'y avait eu qu'une petite avancée grâce à laquelle nos couples seraient traités de manière « similaire » aux couples hétérosexuels dans certains parties du pays, certaines choses ont commencé à changer, tant au niveau national qu’international, qui ont placé l'aspiration à l'égalité sur le terrain du possible.

    L'une de ces choses était qu'en 2003, le gouvernement récemment inauguré de Néstor Kirchner a abrogé les soi-disant « lois sur l'impunité », qui empêchaient la poursuite ou l'exécution de peines contre les auteurs de crimes contre l'humanité commis pendant la dernière dictature. C'était un changement du paradigme des droits humains en Argentine, et au début nous nous sommes demandé si cette fois cela nous inclurait. Depuis le retour à la démocratie on avait parlé des droits humains dans notre pays, mais ils ne nous avaient jamais inclus. Les personnes trans continuaient d'être persécutées, détenues et torturées dans les commissariats de police. Mais avec l'abrogation des lois sur l'impunité, nous pensions que les choses pouvaient changer.

    Peu de temps après, en 2004, nous avons été convoqués à élaborer un plan national contre la discrimination. C'était la première fois que l'État convoquait les organisations de la diversité à développer un plan de politique publique qui allait comporter un chapitre spécifique sur la diversité. Nous y sommes allés avec méfiance, pensant que nos propositions allaient rester dans le tiroir d'un fonctionnaire. Nous avons fait notre diagnostic et nos propositions, nous avons participé à beaucoup de rencontres dans différentes provinces et nous avons pensé que tout n'aboutirait à rien. Mais avant longtemps, on nous a appelés et demandés si nous pouvions revoir le plan avant sa publication, car on voulait s'assurer que nous étions d'accord avec le contenu. Nous avons commencé à le regarder en pensant qu'ils auraient sûrement effacer tout ce que nous avions écrit, mais tout était là, rien ne manquait. Il y avait l'égalité des droits, il y avait la reconnaissance de l'identité de genre des personnes trans, il y avait tout sauf le mariage pour tous, car en 2004, même les organisations de la diversité ne parlaient pas du mariage pour tous en Argentine. Nous ne l'avons jamais mentionné dans les réunions et pour cette raison, même s'il incluait l'objectif « d'assimiler les droits des couples de même sexe à ceux des familles hétérosexuelles », il ne mentionnait pas expressément le mariage pour tous. Le Plan National contre la Discrimination est sorti par décret présidentiel : ainsi, nos revendications historiques ont été traduites en un plan de politique publique et c'est le président lui-même qui a dit à ses fonctionnaires ce qu'ils avaient à faire en matière de diversité sexuelle, ce qui était exactement ce que nous avions réclamé.

    Au milieu de ce changement de paradigme des droits humains qui pour la première fois semblait inclure la diversité sexuelle, il y a eu un énorme changement au niveau international : en 2005 le mariage pour tous a été approuvé en Espagne, un pays culturellement similaire au nôtre et avec une forte présence de l'Église catholique. En effet, l'Église avait rallié un million et demi de personnes dans les rues contre l'égalité du mariage en Espagne, et la loi avait été adoptée tout de même. Dans un contexte aussi favorable tant au niveau national qu'international, un groupe d'organisations de la diversité sexuelle s'est réuni pour lutter pour le mariage pour tous en Argentine.

    Quel était le rôle de la Fédération Argentine LGBT dans la promotion du mariage pour tous ?

    La Fédération Argentine LGBT a été créée précisément à cette époque, à partir de la convergence d'un certain nombre d'organisations avec une grande expérience non seulement dans la ville de Buenos Aires mais aussi dans plusieurs provinces, pour plaider en faveur d'un agenda qui avait initialement cinq points. Premièrement, le mariage pour tous avec la possibilité d’adoption d’enfants ; nous avons spécifiquement demandé la reconnaissance du droit d’adoption car nous avons vu que dans certains pays, il a fallu renoncer à l’adoption pour obtenir l’approbation du mariage pour tous. Deuxièmement, une loi sur la reconnaissance de l’identité de genre. Troisièmement, une loi anti-discrimination au niveau national. Quatrièmement, l’inclusion de la diversité dans un programme d’éducation sexuelle. Et cinquièmement, l’abrogation des articles des codes d’infraction qui, dans 16 provinces, criminalisaient toujours « l’homosexualité » et le « travestissement », en ces termes.

    La Fédération a réuni presque toutes les organisations importantes travaillant autour de la diversité sexuelle ; seules deux anciennes organisations ont été laissées de côté, la CHA et la SIGLA (Société d’Intégration des Gays et Lesbiennes), très en désaccord l’une avec l’autre et dirigées presque entièrement par des hommes, avec très peu de participation des femmes. Cependant, la SIGLA a soutenu la Fédération sur tout le chemin vers le mariage pour tous, tandis que la CHA était en désaccord avec cette proposition car elle pensait qu'en Amérique latine, étant donné la forte présence de l'Église catholique, ce ne serait pas possible, et donc elle a continué à parier sur l'union civile.

    Quelles ont été les principales stratégies et tactiques utilisées ?

    La première chose que nous avons faite a été de convoquer des activistes de différentes professions et de différentes disciplines. Nous avons constitué une équipe d'avocats et une équipe de communicateurs, nous avons convoqué une table de journalistes et nous avons constitué des équipes qui pourraient apporter différentes contributions à la campagne.

    Nous pensions que nous devions emprunter toutes les voies possibles en même temps. Nous avons d'abord examiné les différentes voies par lesquelles ces lois avaient été adoptées ailleurs. Par exemple, au moment où nous avons déposé le premier appel judiciaire, le mariage pour tous avait déjà été prononcé en Afrique du Sud par la Cour suprême. Nous avons également étudié les débats qui avaient eu lieu dans différents pays du monde, non seulement sur le mariage pour tous, mais aussi sur d'autres questions telles que le vote des femmes, le mariage civil, le divorce et les droits sexuels et reproductifs. Les arguments utilisés pour nier les droits étaient toujours identiques, et ils s’appuyaient sur le fondamentalisme religieux.

    La conclusion de notre analyse était qu’il fallait emprunter simultanément les voies du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Dans le même temps, nous devions nous adresser aux médias et porter la question à l'attention du public. Cela nous est apparu clairement après une rencontre avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui nous a dit que nous avions l’accord du pouvoir exécutif, mais que nous devions créer les conditions pour ne pas perdre le vote au Congrès. Depuis lors, nous avons travaillé pendant des années pour atteindre l’opinion publique et créer ainsi les conditions pour faire pencher la balance en notre faveur au Congrès.

    En 2007, nous avons présenté le premier appel à la protection pour le mariage pour tous ; nous en présenterions plus d’une centaine. À la suite d’une injonction, en 2009, un couple homosexuel a réussi à se marier avec une autorisation judiciaire à Ushuaia, et en 2010 huit autres couples ont pu se marier, dont un couple de lesbiennes, dans la ville et dans la province de Buenos Aires. À ce moment-là, nous avions changé de stratégie : au début, nous avions plaidé dans la juridiction civile de la famille, où la présence de l’Opus Dei et de son catholicisme pur et dur était très forte. De nombreux juges civils de famille étaient des militants de l’Église catholique et en particulier de l’Opus Dei, il était donc très difficile d’obtenir une décision favorable dans cette juridiction. Le changement s’est produit lorsque nous nous sommes rendu compte que, comme nous introduisions une action judiciaire contre le Registre civil, dépendant du gouvernement de la ville de Buenos Aires, nous pouvions recourir au tribunal contentieux administratif et fiscal dès lors que l’Etat était partie au conflit. Comme il s’agit d’une juridiction qui traite principalement de questions liées à la fiscalité, et qu’en Argentine l’Église catholique est exonérée d’impôts, nous n’allions pas y trouver des juges militants de l’Église catholique ou de l’Opus Dei, car c’est une juridiction qui n’a pas d’intérêt politique pour eux. Dès ce changement de stratégie, toutes les décisions dans la ville et la province de Buenos Aires ont été prises en notre faveur.

    Bien qu'au départ nous ayons pensé aux amparos (procédure de protection des droits fondamentaux) de manière assez littérale, comme un moyen d'obtenir un soutien judiciaire pour nos revendications, ceux-ci ont fini par être avant tout une excellente stratégie de communication, car chacun de ces litiges est devenu une histoire que nous racontions au public sur les raisons pour lesquelles le mariage pour tous était juste, nécessaire et opportun. A cette fin, nous avons beaucoup encadré les couples qui déposaient leurs pétitions d’amparos, en particulier les premiers, dont nous savions qu’ils bénéficieraient d’une grande exposition médiatique. Cela a donc fini par être une stratégie de communication plus qu’une stratégie judiciaire.

    Comment avez-vous conquis l'opinion publique ?

    Nous avons beaucoup travaillé avec les médias. Nous organisions des petits-déjeuners avec des journalistes, dans un premier temps seulement avec quelques-uns qui étaient nos alliés, mais par la suite, ces réunions se sont élargies. Nous avons tellement travaillé dans ce domaine que, les derniers mois du débat, on ne trouvait plus de tribunes contre le mariage pour tous, pas même dans le journal traditionnel La Nación, qui ne s’y est opposé qu’à travers ses éditoriaux, puisque les articles signés par ses journalistes lui étaient favorables. En d’autres termes, même dans les médias hostiles, les journalistes ont fini par être nos alliés. Nous avons préparé une brochure pour les communicants expliquant en quoi consistait le projet de loi, pourquoi il était important, quels étaient nos arguments. Nous avons également préparé des spots publicitaires, mais comme nous n’avions pas les moyens de le diffuser, nous avons demandé aux journalistes et aux responsables des médias de les transmettre comme un composant de leur programme, ce qu'ils ont fait en grand nombre. Ces spots étaient amusants et attiraient beaucoup l'attention.

    Pour gagner du soutien, nous devions montrer à la société le soutien que nous recevions déjà dans certains secteurs, et de la part de personnes bien connues. Nous avons donc commencé par publier une liste de supporters, qui au début était très courte, mais qui a fini par devenir une énorme newsletter contenant les noms de toutes les fédérations syndicales, de nombreuses organisations, des référents politiques de presque tous les partis, de personnalités du monde de l’art, des médias, de la religion.

    À l’approche du débat parlementaire, nous avons commencé à organiser des événements, généralement au Sénat, pour montrer le soutien que nous recevions dans différents secteurs. Ces évènements ont reçu une large couverture par les médias. L’événement « La culture dit oui au mariage pour tous » a réuni des musiciens et des artistes ; l’événement « La science dit oui au mariage pour tous » a réuni des académiques et des scientifiques, et nous avons recueilli 600 signatures d’universités, de chercheurs et d’associations professionnelles de psychologie et de pédiatrie, entre autres. Contrairement aux précédents, nous avons organisé l’événement « La religion dit oui au mariage pour tous » dans une église évangélique au quartier de Flores, auquel ont participé des prêtres catholiques, des rabbins et des rabbines,  des pasteurs évangéliques et d’autres églises protestantes. Au-delà de ce que nous pensions individuellement des religions et de la séparation de l’Église et de l’État, nous voulions montrer aux gens qu’ils n’avaient pas besoin de choisir entre leur religion et le mariage pour tous, car ils pouvaient être en faveur du mariage pour tous quelle que soit leur orientation religieuse. À cause de leur participation à l'événement, le lendemain, quelques prêtres catholiques ont été expulsés de l'église.

    Comment ces manifestations de soutien ont-elles aidé à modifier des positions de législateurs ?

    Dès le départ, nous avons utilisé la stratégie du lobbying en affichant ce soutien, ainsi que ceux qui émergeaient des sondages d'opinion. La première enquête que nous avons eue a été réalisée par le journal Página/12 et montrait que dans la ville de Buenos Aires, le taux d'approbation dépassait le 60 %. Peu de temps après, le gouvernement a commandé une enquête très importante, qui était même basée sur des groupes de discussion dans les provinces, ce qui nous a permis non seulement de savoir si les gens étaient pour ou contre, mais aussi quels arguments étaient les plus efficaces. Dans les groupes de discussion, nous avons présenté différents arguments en faveur du mariage pour tous et nous avons observé les réactions des gens ; nous avons ainsi identifié les arguments qui fonctionnaient le mieux.

    Bien sûr, nous avons toujours montré la partie de l'enquête qui nous convenait le mieux, parce que les réponses dépendaient beaucoup de la manière dont la question était posée. Par exemple, lorsque nous avons demandé aux gens s'ils croyaient que les personnes homosexuelles et hétérosexuelles avaient les mêmes droits, environ 90 % ont répondu oui ; mais si nous leur demandions s'ils acceptaient qu’elles puissent se marier, le pourcentage tombait à 60% ; et si nous leur posions la question sur les droits d'adoption, l'approbation tombait à 40 %. Mais si nous les informions qu'en réalité les personnes homosexuelles en Argentine étaient déjà légalement autorisées à adopter de manière individuelle, et nous leur demandions ensuite s'ils accepteraient de retirer ce droit, la majorité disait non. Si seulement 40 % était en principe favorable à l’autorisation de l’adoption par des couples de personnes du même sexe, plus de 50 % refusaient de l’interdire si elle était déjà autorisée. Une partie de la discussion a donc consisté à informer les gens et à expliquer que les enfants adoptés par des personnes homosexuelles ne bénéficieraient que de la moitié de leurs droits, car, leurs parents ne pouvant se marier, l’un d’eux ne pourrait pas, par exemple, leur laisser une pension. Quand nous leur avons demandé s’ils pensaient que ces personnes devraient pouvoir se marier pour que leurs enfants bénéficient de tous leurs droits, plus du 80 % ont répondu par l’affirmative.

    Grâce à notre travail d'argumentation, le soutien n'a cessé de croître tout au long de la campagne, à tel point que nous avons commencé à recevoir des marques de soutien inattendues, comme celle du centre étudiant d'une université catholique qui nous a appelés pour nous rejoindre. Au final, je dirais que toutes les personnalités du monde de l'art, de la culture, des syndicats et du journalisme nous ont soutenus. Ceux qui continuaient à s'opposer représentaient certaines religions, mais parmi nos partisans, il y avait également de nombreuses personnalités religieuses. Avec les chiffres de l'opinion publique et les listes de partisans en main, nous avons fait le tour des commissions parlementaires et des chambres législatives, et nous avons opéré politiquement pendant les débats jusqu'au moment même où la loi a été approuvée.

    Je pense que la stratégie consistant à parcourir toutes les voies possibles, à avoir une grande capacité de dialogue et d'articulation, et à rechercher tous les alliés possibles, a été très réussie. Même à une époque de forte polarisation politique, nous avons parlé avec tous les partis, avec les jeunes et les groupes féministes des partis, avec certains alliés LGBT+ des partis, et plus tard, au fur et à mesure qu'ils sont apparus, avec les divisions de diversité des partis. C'était très difficile, mais dans la lutte pour le mariage pour tous, nous avons réussi à prendre la « photo impossible », dans laquelle des politiciens du gouvernement et de l'opposition se sont alignés derrière la même cause.

    Pour changer la loi, il fallait d'abord générer un changement des attitudes sociales. Pensez-vous que l'adoption de la loi a entraîné d'autres changements sociaux et culturels plus profonds ?

    L'approbation de la loi a généré un certain climat dans la société, je dirais même de fierté d'être le dixième pays au monde à avoir consacré le mariage pour tous. Le secteur politique qui avait voté contre la loi se sentait exclu et ne voulait pas que cela se reproduise, ce qui s'est reflété dans l'approbation, en 2012, de la loi sur l'identité de genre, bien plus révolutionnaire que celle du mariage pour tous, pratiquement à l'unanimité. Il s'agit d'une loi à la pointe dans le monde entier, et même les plus grands opposants au mariage pour tous l'ont défendue et ont voté pour elle au Sénat.

    Ces lois ont eu de grands impacts institutionnels et l'action institutionnelle a approfondi le changement culturel. Après son approbation, tous les ministères, de nombreuses municipalités et de nombreuses provinces ont mis en place des espaces de diversité sexuelle. En conséquence, il s'est avéré qu'il y avait de nombreuses agences publiques à différents niveaux générant des politiques publiques sur la diversité, qui ont eu un impact dans de nombreux domaines, y compris les écoles. Cela a généré un changement culturel important, car il a modifié la perception de nos familles. Bien sûr, il existe des poches de résistance et des actes de discrimination continuent à se produire, mais maintenant ces actes de discrimination sont signalés et répudiés par la société et la condamnation sociale est amplifiée par le journalisme et les médias. La discrimination, qui dans le passé était légitimée par l'État, manque désormais de légitimité. L'État non seulement ne la légitime plus mais génère également des politiques publiques en faveur de la diversité. La loi n'a jamais été notre objectif ultime et ce n'est pas non plus une solution miracle pour mettre fin à la discrimination, mais c'est un outil sans lequel il est impossible de mettre fin à la discrimination.

    L'espace civique en Argentine est classé « étroit » par leCIVICUS MonitorContactez María via sonsiteweb ou sa pageFacebook, et suivez@Defensorialgbt sur Twitter. Contactez la Federation Argentine LGBT via son siteweb ou sa pageFacebook, et suivez @FALGBT sur Twitter. 

  • CANADA : « Les peuples autochtones les plus marginalisés subissent de sévères violations de leurs droits humains »

    Melanie OmenihoCIVICUS parle des droits des peuples autochtones au Canada avec Melanie Omeniho, présidente de Les Femmes Michif Otipemisiwak/Femmes de la Nation Métisse (LFMO).

    Fondée en 1999 et constituée en société en 2010, LFMO est une organisation de la société civile qui défend les droits des peuples autochtones au Canada. Cela inclut notamment le droit à l’égalité de traitement, à la santé et au bien-être des femmes, et les droits des personnes de diverses identités de genre et des minorités sexuelles de la Nation Métisse.

    Quelle est la situation actuelle des peuples autochtones au Canada ?

    D’après notre expérience au LFMO, les personnes autochtones les plus marginalisées subissent d’importantes violations de leurs droits humains. Beaucoup d’entre elles tentent de surmonter des traumatismes et n’ont ni le temps, ni les ressources nécessaires pour faire face au racisme systémique responsable de la violation persistante de leurs droits.

    Par exemple, nous avons entendu de nombreuses expériences concernant les difficultés d’accès au système canadien de services d’assistance aux victimes. Dans certaines régions si une personne a déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, même des décennies auparavant, et que cela reste dans son casier judiciaire, elle peut ne pas être admissible à des services aux victimes. Cette politique a de graves répercussions sur les personnes autochtones qui sont victimes de crimes, y inclus d’agressions sexuelles, et représente une violation de leurs droits.

    Au LFMO, nous sommes très conscients de l’expérience du racisme anti-autochtone. Certains d’entre nous sommes attaqués sur la base de notre apparence ou de nos propos dans notre vie quotidienne. Ce qui nous concerne particulièrement est le manque de volonté de catégoriser comme des crimes de haine les attaques physiques contre les femmes autochtones.

    Nous encourageons un changement de politiques et de pratiques dans toutes les facettes du système de justice pénale, afin d’identifier les crimes de haine contre les personnes autochtones au lieu de les classer comme des agressions ordinaires. Pour créer un changement et tenir les agresseurs dûment responsables, nous devons faire en sorte que le racisme anti-autochtone soit reconnu comme un crime de haine.

    Comment la LMFO travaille-t-elle pour faire avancer les droits des peuples autochtones au Canada ?

    La LMFO est l’organisation nationale qui représente les femmes Métisses dans toute la mère patrie de la Nation Métisse. Les Métis sont l’un des trois peuples autochtones reconnus du Canada, avec les Premières Nations et les Inuits. Selon le recensement de 2016, près de 600 000 Canadiens s’identifient comme Métis.

    La LMFO défend l’égalité des femmes Métisses, des personnes bispirituelles et des personnes Métisses de diverses identités de genre dans toute la mère patrie de la Nation Métisse – notre mère patrie Métisse. Le terme « bispirituel » a été repris dans les années 1990 pour désigner les personnes autochtones LGBTQI+. Il correspond à un concept ancien dans les communautés autochtones qui désigne une personne qui incarne à la fois un esprit masculin et féminin.

    Le LFMO joue un rôle important dans l’amélioration de l’espace social, culturel, économique, environnemental et de leadership (rôles de dirigeance) occupé par les femmes Métisses et les minorités de genre. Notre mission primordiale est d’assurer l’égalité de traitement, la santé et le bien-être de tous les Métis, en mettant l’accent sur les femmes, les jeunes et les personnes bispirituelles et de genre diverse.

    Dans le cadre de notre plan stratégique, nous avons 10 objectifs : défendre les priorités et les besoins des femmes de la Nation Métisse, du Canada et du monde entier ; prendre soin de la terre et des eaux ; préserver le savoir traditionnel des femmes Métisses ; promouvoir la justice sociale et l’égalité ; créer des occasions pour les femmes Métisses de développer leurs compétences en leadership ; aider les Métis à mener une vie plus saine et soutenir des communautés saines et dynamiques ; veiller à ce que les perspectives et les priorités des femmes Métisses soient prises en compte dans les initiatives de développement économique, et qu’un soutien soit apporté à leur esprit d’entreprise ; favoriser des espaces d’apprentissage culturellement adéquats, dès la jeunesse et tout au long de la vie, afin d’améliorer les résultats éducationnels pour les enfants, les femmes et tous les apprenants Métis ; élaborer une stratégie de recherche d’informations spécifique aux Métis afin de produire des données désagrégées ; et bâtir une organisation forte, prospère, inclusive, responsable et transparente.

    Nous faisons partie d’un mouvement global de groupes de peuples autochtones du monde entier qui luttent et plaident collectivement pour être vus, entendus et reconnus. Plus nous prenons la parole, partageons nos histoires et luttons pour préserver nos traditions et nos cultures, plus nous aurons de chances d’obtenir la reconnaissance de nos droits et la création de politiques qui nous soutiennent et nous protègent.

    Comment le gouvernement devrait-il contribuer à l’avancement des droits des peuples autochtones du Canada ?

    Nous espérons qu’en transposant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans son droit interne, le gouvernement mettra en œuvre des politiques visant à concrétiser les droits des peuples autochtones, et que les femmes autochtones participeront à ces conversations. C’est en vue de cet objectif que LFMO préconise une approche fondée sur le genre avec une optique intersectionnelle dans l’élaboration des politiques et la co-création de la législation.

    L’espace civique au Canada est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec Les Femmes Michif Otipemisiwak via leursite web ou ses pagesFacebook etInstagram, et suivez@LesMichif sur Twitter. 

  • COSTA RICA : « Une fois le changement juridique obtenu, la politique publique doit se concentrer sur l’exclusion structurelle »

    Le 26 mai 2020, le Costa Rica est devenu le premier pays d’Amérique centrale à reconnaître le mariage entre personnes de même sexe. CIVICUS s’entretient avec Herman Duarte, avocat exerçant au Costa Rica et au Salvador et directeur de Simple Legal Consulting, ainsi qu’agent de liaison pour l’Amérique latine du International Bar Association’s Human Rights Committee et fondateur et président de la Fondation Igualitxs. La Fondation Igualitxs est un groupe de réflexion de premier plan en Amérique centrale, axé sur la promotion du droit au mariage civil pour tous dans la région. Elle poursuit cet objectif en menant des actions en justice stratégiques aux niveaux national et interaméricain, en promouvant ses idées dans les milieux universitaires et en travaillant avec des partenaires internationaux de haut niveau.

    Herman Duarte

    Quels rôles la société civile et le gouvernement ont-ils joués dans le processus ayant mené à la légalisation du mariage homosexuel au Costa Rica ?

    Le Costa Rica est une démocratie constitutionnelle structurée comme un État unitaire doté de trois pouvoirs en principe indépendants - législatif, exécutif et judiciaire. En théorie du moins, les principes de l’État de droit et de l’égalité de traitement juridique de tous ses habitants sont respectés. Mais le Costa Rica est aussi un État confessionnel : sa Constitution reconnaît expressément le catholicisme comme religion officielle. Au cours des dernières décennies, le nombre de congrégations évangéliques a augmenté pour atteindre environ 3 800. En 2017, plus de 80 % de la population se déclarait de confession catholique ou évangélique ; de toute évidence, le Costa Rica est un pays culturellement conservateur.

    Dans le cadre d’une lutte menée depuis des décennies par le mouvement pour les droits LGBTQI+, le gouvernement costaricien a donné le coup d’envoi du processus en mai 2016 par sa demande d’un avis consultatif à la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH) concernant les droits patrimoniaux des couples de même sexe. Cette consultation a offert la possibilité à toutes les parties intéressées de présenter leurs arguments, ce qu’ont fait plus de 90 acteurs de nature variée, dont des États, des organisations internationales, des organisations de la société civile (OSC), des universités et des particuliers. Des audiences ont eu lieu les 16 et 17 mai 2017 et nous y avons participé.

    L’élan suscité par cet événement s’est traduit par l’organisation du premier congrès sur le droit égal au mariage, qui s’est tenu à San José en novembre 2017 et a rassemblé plus de 54 intervenants de toute la région. En janvier 2018, la Cour interaméricaine a publié sa décision, selon laquelle les États parties doivent réglementer le statut des familles non hétérosexuelles, ce qui ouvre la voie au mariage civil (non religieux) aux couples de même sexe. Un groupe de 60 organisations LGBTQI+ de la région a célébré cette décision comme la plus importante dans l’histoire des droits LGBTQI+ à ce jour.

    À l'époque, une grande discussion s'est engagée pour savoir si l'avis de la Cour interaméricaine était contraignant pour le Costa Rica. La Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice du Costa Rica a réglé ce débat en août 2018, lorsqu’elle a soutenu que les articles du Code de la famille qui limitaient le mariage civil (non religieux) aux couples hétérosexuels étaient inconstitutionnels. La décision a accordé 18 mois à l’Assemblée législative pour modifier la législation, faute de quoi les restrictions seraient automatiquement levées et, à compter du 26 mai 2020, tout couple pourrait se marier sans entrave au Costa Rica. Et c'est ce qui s'est passé, puisqu'il n'y avait pas de consensus pour créer une nouvelle législation. 

    Au cours de la période précédant l’entrée en vigueur de l’arrêt de la Cour, d’importantes campagnes de la société civile ont été déployées pour susciter l’acceptation sociale du changement juridique.

    Avez-vous été confrontés à des réactions hostiles de la part des groupes anti-droits ?

    La réaction des milieux conservateurs a été brutale. Il est nécessaire de comprendre que la communauté LGBTQI+ a articulé ses luttes autour de la demande de reconnaissance de la dignité humaine de ses membres et de leur valeur égale en tant qu’être humain. Les groupes religieux se sont quant à eux mobilisés en tant que groupes identitaires - des groupes dont l'identité est définie de manière étroite, non universaliste, en opposition à un ennemi. Ces groupes ont canalisé les ressentiments provoqués par les changements juridiques visant à faire progresser l’égalité, et ont donné de l’espoir à ceux qui s’étaient sentis évincés par ces changements, ce qui a conduit à l’émergence de partis politiques religieux.

    Dans un tel contexte, l’élection présidentielle de 2018 est devenue une sorte de référendum sur les droits des personnes LGBTQI+, et plus précisément sur l’égalité du droit au mariage. Un pasteur évangélique, Fabricio Alvarado, alors seul membre du Congrès issu d’un parti évangélique, s’est présenté à la présidence, en jouant sur les sentiments d’indignation et de crainte des citoyens conservateurs face à l’arrêt de la Cour suprême. Le candidat s’est fait remarquer par ses déclarations incendiaires, affirmant notamment que l’homosexualité était « causée par le diable ». Il s’est hissé à la première place dans les sondages préélectoraux : en un mois seulement, il est passé de 3 % à 17 % des préférences de vote, et a remporté le premier tour des élections présidentielles. Il a également remporté 14 des 54 sièges législatifs, ce qui a représenté une augmentation de 1 300 % de la présence législative de son parti politique.

    Le second tour de l’élection présidentielle a porté sur les droits des personnes LGBTQI+. Le deuxième finaliste, Carlos Alvarado, était le candidat du parti au pouvoir et avait une position en faveur des droits des personnes LGBTQI+. Cette position a finalement prévalu, mais l’élection nous a obligés à nous confronter à la puissance considérable des églises évangéliques. La victoire de Carlos Alvarado s’explique par plusieurs facteurs, l’un d’entre eux étant la grande mobilisation de la société civile. Parmi les campagnes de la société civile qui ont eu un impact, citons celle du groupe Coalición por Costa Rica, qui a cherché à susciter un débat informé et inclusif, en diffusant les propositions des candidats afin que les citoyens puissent y réfléchir avant de voter ; et celle d’Igualitxs, « Por todas las familias », lancée une semaine avant les élections pour diffuser un message inclusif et appeler à l’égalité de traitement de la population LGBTQI+.

    La profonde division générée autour de l’élection a laissé des séquelles. Les politiciens qui utilisent la religion pour polariser la société continuent d'abonder. Ils protestent parce qu'ils pensent que le gouvernement a pris le parti de s'attaquer aux problèmes de la population LGBTQI+. La tension s’est intensifiée avec l’entrée en vigueur de l’égalité du droit au mariage et les propositions de lois visant à censurer les discours de haine et discriminatoires.

    Pensez-vous que les changements juridiques se sont accompagnés d’une évolution des mentalités ? Que fait la société civile pour promouvoir l’acceptation des personnes LGBTQI+ ?

    Le changement juridique est une chose, le changement culturel en est une autre. L’évolution juridique a représenté un progrès pour les droits humains et un moyen de concrétiser l’application universelle du droit. Elle est le résultat d’un combat de plusieurs décennies mené par la communauté LGBTQI+. Mais l’homophobie, la discrimination et la violence à l’encontre des personnes LGBTQI+ demeurent. Une fois le changement juridique réalisé, la politique publique doit continuer à se concentrer sur l’exclusion structurelle. Car le changement juridique en soi ne produit pas nécessairement un sentiment d’appartenance à une communauté. Comme l’explique le théoricien politique Bikku Parekh, alors que la citoyenneté est une question de statut et de droits, l’appartenance est atteinte lorsque l’on est accepté et que l’on se sent bienvenu. Et il y a encore beaucoup à faire pour que cela se produise. Les attitudes des gens ne changent pas automatiquement à la suite de la mise en œuvre d’une loi. La loi fixe un paramètre objectif de ce qui est autorisé, mais il reste beaucoup à faire pour modifier les paramètres de ce qui est considéré comme normal ou moralement acceptable.

    Par conséquent, afin de préparer le terrain pour le changement juridique, dans les 18 mois entre la publication de l’arrêt de la Cour suprême et l’entrée en vigueur de la décision, plus de 35 OSC locales ont développé la campagne « Sí acepto », appelant à la reconnaissance de l’égale dignité de tous les êtres humains. Cette campagne a également été relayée par les médias, des entreprises du secteur de la publicité, des associations telles que le Business Development Association, les Nations unies et des ambassades comme celles du Canada et des Pays-Bas.

    La campagne présentait des témoignages de personnes, de couples et de familles LGBTQI+, ainsi que de membres de leur famille, de leurs voisins et de leurs amis, dans le but de promouvoir l’acceptation, et de changer les perceptions de ce que signifie être une personne LBGTQI+ dans la société costaricienne. Elle a été activée à l’échelle nationale, et ses vidéos ont été diffusées non seulement sur les médias sociaux, mais aussi à la télévision nationale pendant des mois. C’est la meilleure campagne jamais conçue sur le sujet, et nous le devons à Mme Nisa Sanz, présidente de l’OSC Familias Homoparentales, et à Gia Miranda, porte-parole officielle de la campagne.

    Les vidéos suscitent des émotions et génèrent de l’empathie. Elles ont amené des milliers de personnes qui n’étaient pas engagées politiquement à renoncer à leur droit sacré à la vie privée et à montrer leur visage, à cesser d’être une abstraction pour devenir une réalité. Elles ont donné un visage humain à l’idée abstraite des « gays » telle que présentée par les journaux. En expliquant aux personnes qu'elles ne seraient pas rejetées, la campagne a participé à les libérer de leurs craintes, car la plupart des personnes LGBTQI+ subissent un certain type de rejet dans leur vie quotidienne, quel que soit leur statut social. En conséquence, une population active a pris part à la campagne, faisant savoir qu'avec ou sans pandémie, elle ne reculerait en rien par rapport aux acquis. Cela a été décisif pour faire comprendre aux législateurs qui tentaient de saboter le mariage civil pour les personnes de même sexe, qu’ils n’y parviendraient pas.

    Ce fut l'une des plus importantes campagnes de défense des droits civils de l'histoire, et elle restera dans les mémoires comme une lueur qui a brillé au milieu des ténèbres de la pandémie. La veille du jour où le mariage civil est devenu légal pour tous les adultes au Costa Rica, l’évêque de l’Église catholique d’Alajuela a délivré un message dans lequel il déclarait : « Nous sommes heureux qu’il existe différents types de relations humaines, différentes formes de famille, et je crois que là où il y a une démonstration d’affection et d’amour familial, d’une certaine manière, Dieu se manifeste, et nous devons favoriser cela ». Bien qu’ils ne reflètent pas nécessairement la position de l’ensemble de l’institution, les propos de ce représentant religieux sont le fruit de l’excellent travail réalisé par les activistes visant à provoquer le changement culturel nécessaire à l’acceptation des personnes LGBTQI+.

    Il est remarquable de voir comment le Costa Rica est passé de la criminalisation de l’homosexualité dans les années 70, la fermeture des bars gays jugés « pervers », la persécution des gays par des descentes de police sous le prétexte de santé publique dans les années 1980, à la demande d’un avis consultatif à la Cour interaméricaine en 2016 et, après une élection présidentielle centrée sur la question, à la nomination d’un commissaire aux affaires LGBTQI+ en 2018 et à la consécration du mariage pour les personnes de même sexe deux ans plus tard.

    Nous venons de laisser derrière nous une autre loi injuste. Et de nombreuses personnes ont fini par comprendre que le fait que l'union et les projets de vie de deux adultes de même sexe bénéficient d'une protection juridique ne les affecte en rien - tout au plus, cela valide l’institution du mariage dont ils font également partie - et qu’il n’y a rien de mal à être gay, et qu’en tout état de cause, personne ne « devient gay » à la suite de cette normalisation.

    Quelle est l’importance régionale des progrès réalisés au Costa Rica ?

    L’Amérique centrale est l’une des régions les plus hostiles d’Amérique latine pour les personnes LGBTQI+. Les meurtres de personnes homosexuelles et transgenres sont fréquents au Salvador, au Guatemala et au Honduras. Le Costa Rica, en tant que premier pays d’Amérique centrale à approuver le mariage pour les personnes de même sexe, devrait être un modèle pour toute la région. L’avis consultatif de la Cour IDH est valable pour la vingtaine de pays des Amériques qui reconnaissent sa compétence. Le Panama pourrait bientôt suivre le chemin du Costa Rica : un avertissement d’inconstitutionnalité basé sur la décision de la Cour IDH a été déposé, et la Fondation Iguales Panamá coordonne la participation de la société civile nationale et internationale dans le processus qui se déroule à la Cour suprême du Panama.

    La Fondation Igualitxs travaille dans le même sens depuis longtemps dans mon pays d’origine, le Salvador. La société civile salvadorienne a fait d’immenses progrès. Compte tenu des tendances régressives de l’Assemblée législative sur la question du mariage civil entre les personnes de même sexe, pendant une décennie et demie, nos efforts se sont concentrés sur le dépôt de plaintes pour contester l’inconstitutionnalité du Code de la famille. J’ai déposé une de ces actions en justice, intitulée Equality Lawsuit, le 11 novembre 2016. Peu après, plusieurs OSC, dont l´Association Entre Amigos, Comcavis et Hombres Trans El Salvador, ainsi que de nombreux activistes indépendants, ont intenté une action en justice similaire.

    Tout comme au Costa Rica, les secteurs conservateurs ont vivement réagi. À l’Assemblée législative, ils se sont empressés d’entamer le processus de ratification d’une réforme constitutionnelle excluante, bloquée depuis des années, qui donnerait un statut constitutionnel à la définition restrictive du mariage que nous avons remise en question dans le Code de la famille, interdisant effectivement le mariage homosexuel. En réponse, nous avons déposé une mesure conservatoire contre le processus de réforme constitutionnelle et obtenu de la Cour suprême qu’elle le suspende. C’est à la suite de ce procès qu’est né le mouvement Igualitos, qui est devenu par la suite la Fondation Igualitxs.

    Les deux demandes d’inconstitutionnalité de 2016 ont finalement été admises en août 2019, et en janvier 2020, un magistrat de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême a annoncé que la Cour se prononcerait bientôt, et a admis qu’il s’agissait de l’une de ses grandes décisions en suspens, attendues depuis longtemps. Nous sommes donc peut-être sur le point d'atteindre notre objectif. 

    De quel soutien la société civile qui défend les droits des personnes LGBTQI+ a-t-elle besoin de la part de la société civile internationale ?

    Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la situation devient de plus en plus difficile. Les États ont engagé leurs ressources dans la lutte contre la pandémie ; les OSC sont confrontées à des difficultés budgétaires et la crise affecte tout le monde. En outre, de nombreuses personnes se tournent vers la foi pour faire face à la crise et certains groupes religieux profitent de la crise pour mener des campagnes contre les personnes LGBTQI+. Cependant, il est encore possible de prendre des mesures et des actions concrètes, comme, par exemple, au Salvador, l’adoption d’un projet de loi que des dizaines d’organisations réclament pour reconnaître les défenseurs des droits humains.

    En ce qui concerne plus particulièrement notre organisation, qui n’est pas financée et fonctionne entièrement sur la base du volontariat, nous essayons de prendre les choses au jour le jour, de reprendre le contrôle que nous avons perdu à cause de la pandémie. Je pense qu’il est temps de se demander non seulement ce que nous voulons et pouvons obtenir de la vie, mais aussi ce que nous pouvons donner en retour. De cette façon, nous entrons dans une zone de pouvoir, où nous conservons notre pouvoir d’action malgré nos limites. Nous quittons ainsi notre zone de confort et entrons dans une zone de croissance. À partir de l’acceptation de la réalité qui nous touche, nous devons faire une profonde introspection pour nous réinventer. C’est le moment de croire à nouveau que nous avons tous le potentiel de faire de grandes choses et de laisser une trace, si nous agissons non pas pour obtenir des louanges et gagner en popularité, mais pour la satisfaction de faire ce qui est correct et juste, en ayant un impact positif dans le monde.

    L’espace civique au Costa Rica est classé comme « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez la Fundación Igualitxs via sonsite web et son profilFacebook. 

  • HONGRIE : « Les personnes transgenres se voient retirer leurs droits »

    Krisztina Kolos OrbanUne nouvelle loi, adoptée en Hongrie en pleine pandémie de COVID-19, empêche les personnes transgenres de changer le genre sur leurs documents. CIVICUS s’entretient avec Krisztina Kolos Orbán, au poste de vice-présidence de l’association Transvanilla Transgender, une organisation hongroise qui défend les droits des personnes transgenres. Fondée en tant qu’initiative populaire en 2011, Transvanilla est la seule organisation enregistrée en Hongrie qui se concentre exclusivement sur les droits des personnes transgenres et les questions de non-conformité de genre. Elle milite pour la promotion de la reconnaissance du genre et des soins de santé trans-spécifiques au niveau national. Elle surveille également la discrimination et la violence fondées sur l’expression et l’identité de genre, et facilite l’organisation d’espaces et d’événements communautaires pour accroître la visibilité des questions et des personnes transgenres en Hongrie.

    Quelle a été la situation des droits LGBTQI+ en Hongrie ces dernières années ?

    En 2012, ILGA Europe a classé la Hongrie au 9ème rang sur 49 pays européens en termes de droits LGBTQI+, mais en 2019, nous avons reculé à la 19ème place et en 2020, nous avons de nouveau chuté à la 27ème place. L’année dernière, c’est la Hongrie qui a connu la plus forte baisse de son classement, et ce pour plusieurs raisons. En 2012, les choses semblaient plutôt positives sur le papier, mais depuis, de nouvelles mesures ont été introduites car le contexte des droits humains a changé. La Hongrie n’a pas fait de progrès ni suivi les recommandations internationales. L’autre facteur est l’énorme recul que nous avons connu ces dernières années. Auparavant, ce gouvernement n’avait pas supprimé les droits des personnes, même s’il avait certainement essayé, et nous savions qu’il ne soutenait pas les droits des personnes LGBTQI+. Mais maintenant nos droits nous sont retirés.

    En ce qui concerne les droits des transgenres, notre législation contre la discrimination et les crimes haineux, qui semble être assez bonne, mentionne spécifiquement l’identité de genre. Mais cela n’existe que sur le papier, car jusqu’à présent, aucun crime haineux motivé par l’identité de genre n’a été traduit en justice. De même, il y a eu très peu d’affaires axées sur la lutte contre la discrimination, car la loi n’est pas appliquée. Il n’existe pas de plan d’action national pour lutter contre la discrimination fondée sur l’identité de genre.

    Par conséquent, les droits des personnes transgenres n’ont jamais été légalement garantis. En termes de reconnaissance légale du genre et de soins médicaux spécifiques pour les personnes transgenres, il n’existe pas de lois ou de directives nationales. Toutefois, les pratiques se sont améliorées. Depuis 2003, les personnes transgenres peuvent modifier leur certificat de naissance, changer leur identité de genre et leur nom sur la base d’un diagnostic de santé mentale, sans autre intervention médicale. À l’époque, c’était incroyable. Le gouvernement avait promis de légiférer à ce sujet, mais ne l’a pas fait. Jusqu’à présent, aucun gouvernement ne s’est même penché sur la question. En conséquence, il n’existe aucune législation pour soutenir ces procédures administratives, qui n’ont même pas été annoncées sur le site web du gouvernement. Pendant un certain temps, tout allait bien, car la pratique était fiable et les procédures étaient plutôt favorables aux personnes transgenres. Les personnes qui ont fourni les documents requis ont pu changer leur certificat de naissance et le processus a été relativement facile et rapide. Mais le fait que cette pratique ne soit pas protégée par la loi n’est pas un détail mineur. Aujourd’hui, cette pratique a été rendue illégale. C’était un grand pas en arrière.

    En 2020, le Parlement a adopté, par 133 voix contre 57, une nouvelle réglementation qui ne reconnaît que le sexe attribué à la naissance et empêche les personnes transgenres de changer légalement de sexe et d’obtenir de nouveaux documents. Les dispositions sont contenues dans l’article 33 d’un projet de loi omnibus qui a été introduit le 31 mars et adopté le 19 mai. L’article 33 est en contradiction non seulement avec les normes internationales et européennes en matière de droits humains, mais aussi avec les précédents arrêts de la Cour constitutionnelle hongroise, qui a clairement indiqué que le changement de nom et d’identité de genre  est un droit fondamental des personnes transgenres. En 2016, puis en 2018, le commissaire aux droits fondamentaux a publié des rapports indiquant que les autorités devraient adopter une législation adéquate pour consacrer ce droit fondamental.

    Ce changement juridique s’inscrit dans le cadre de l’offensive contre le genre menée par le parti chrétien-démocrate, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Ce parti a déjà interdit les études de genre et affirmé que le genre n’existe pas, puisqu’il n’y a même pas de mots distincts pour le sexe et le genre dans la langue hongroise. Cependant, l’année dernière, elle a eu recours à l’utilisation du mot « genre » en anglais pour attaquer le genre en tant que concept. Cela fait donc partie d’une offensive plus large contre la soi-disant « idéologie du genre ». La protection de ce que la nouvelle loi appelle le « sexe à la naissance » fait partie de cette offensive. Au cours des six dernières années, nous avons travaillé à l’élaboration d’une législation sur ces questions et, au départ, nous pensions que les autorités souhaitaient également s’en occuper, mais après un certain temps, il nous est apparu clairement que nos initiatives étaient bloquées.

    Il est difficile de travailler avec les autorités. Elles ne nous donnent pas beaucoup d’informations. Nous n’avons pas accès aux fonctionnaires ayant un pouvoir de décision, nous ne pouvons donc parler qu’à des fonctionnaires de rang inférieur, qui ont manifestement peur de nous donner des informations. Il n’y a pas de débat public et la société civile n’est pas impliquée. Nous n’avons pas été consultés sur les changements apportés concernant le Registry Act. Cette proposition émanait du gouvernement, et plus particulièrement des membres chrétiens de la coalition gouvernementale, et était soutenue par des organisations de la société civile (OSC) qui défendent les soi-disant « valeurs familiales ». Le moment choisi a également soulevé de nombreuses questions : pourquoi était-il si important d’aborder cette question en pleine pandémie ? Pourquoi maintenant, et pourquoi de cette manière ?

    Quelles sont les principales restrictions aux libertés d’organisation, d’expression et de protestation que connaît la communauté LGBTQI+ hongroise ?

    En Hongrie, il existe une loi sur les ONG qui oblige les OSC dont les revenus dépassent un certain montant à s’enregistrer si elles reçoivent des fonds étrangers. Le seuil est relativement bas, si bien que de nombreuses OSC, dont nous-mêmes, doivent s’enregistrer. Il existe une liste des OSC financées par des fonds étrangers qui est publiée et que tout le monde peut consulter. Ce n’est pas un secret que nous recherchons des fonds étrangers parce que nous ne pouvons pas accéder à des fonds en Hongrie. Le gouvernement qualifie les OSC, et notamment celles qui le critiquent, d’« ennemis » du peuple hongrois. Évidemment, cela a également affecté les organisations LGBTQI+.

    Il ne s’agit pas seulement de rhétorique. Dans la pratique, le gouvernement ne consulte pas les OSC qui sont indépendantes ou qu’il n’aime pas, notamment notre organisation. Les instructions visant à marginaliser ces organisations viennent du sommet du gouvernement, et si certains fonctionnaires de niveau inférieur peuvent essayer de nouer le dialogue avec nous, ils n’y sont pas autorisés. Comment les OSC peuvent-elles mener des actions de sensibilisation ou traiter avec les autorités si les fonctionnaires n’ont aucun contact avec elles ?

    En outre, la plupart des médias sont contrôlés par le gouvernement, et le reste tend à avoir une perspective néolibérale, ce qui en rend généralement difficile l’accès aux organisations ayant un programme différent, comme Transvanilla.

    Notre liberté de mener nos activités légitimes est également remise en question. L’année dernière, par exemple, plusieurs attaques ont été perpétrées contre des événements organisés pendant le mois de la Fierté. Un événement de speed dating pour les personnes pansexuelles qui avait été organisé par Transvanilla a été perturbé par des militants d’extrême droite. Nous n’avons pas pu poursuivre l’événement et la police ne nous a pas protégés. Les militants d’extrême droite ont filmé les participants pendant plus d’une heure et nous n’avons pas été autorisés à fermer les portes. Ils agissaient manifestement dans l’illégalité, mais la police n’a pris aucune mesure à leur encontre. Dans d’autres cas, des militants d’extrême droite ont détruit ou endommagé des lieux de réunion. Il s’agissait de situations nouvelles : par le passé, lorsque de telles choses se produisaient, nos événements bénéficiaient d’une protection policière.

    Année après année, des tentatives ont également été faites pour interdire les événements de la Fierté, mais les tribunaux ont statué qu’ils ne pouvaient pas être interdits. C’est un combat permanent. Les autorités ont clôturé les itinéraires du défilé des Fiertés sous le prétexte de protéger les marcheurs, mais il s’agissait en fait d’une tentative flagrante de restreindre leurs déplacements.

    Comment la communauté LGBTQI+ a-t-elle réagi à l’adoption de la nouvelle loi ?

    Cela a été un événement traumatisant parce que c’était clairement une attaque contre nous. Cet amendement ne concerne que les personnes transsexuelles et intersexes qui souhaitent changer leur identité de genre et les personnes trans qui, bien que ne souhaitant pas changer leurs identités de genre, aimeraient tout de même changer leur nom, ce qui n’est plus possible en Hongrie. Mais toutes les personnes LGBTQI+ se sentent désormais comme des citoyens de seconde zone, des parias qui ne sont pas respectés par le gouvernement.

    Personnellement, en tant que personne non-binaire, la loi a eu un grand effet sur moi, car mon identité était loin d’être reconnue dans mes documents, et maintenant j’en suis encore plus loin. Beaucoup de mes amis qui étaient sur le point de changer leur identité légale de genre sont dans  l’incertitude. Au moins une centaine de dossiers initiés avaient déjà été suspendus au cours des deux dernières années et demie parce que les demandes n’étaient pas évaluées. Ces gens ont perdu tout espoir. Ils sont frustrés et dévastés.

    Il y a aussi la peur parce que nous ne savons pas ce qui va suivre, ce qui nous attend. Bien que la loi puisse être contestée, cela pourrait prendre de nombreuses années. Et même si nous nous débarrassons de cette loi, la situation risque de ne pas s’améliorer. Certaines personnes ont des sentiments suicidaires, beaucoup veulent quitter le pays. Une grande partie de la communauté souffre en silence et ne peut faire entendre sa voix. Si quelques activistes ont émergé de cette situation et gagnent en visibilité, la grande majorité souffre dans la solitude de leur foyer. Les gens étaient déjà isolés auparavant, et cela ne va pas s’améliorer. À partir de maintenant, de plus en plus de personnes vont cacher leur identité.

    Depuis 2016, des problèmes sont apparus dans les procédures administratives, si bien qu’un nombre croissant de personnes ayant commencé leur transition peuvent avoir une apparence différente du sexe enregistré sur leurs documents. Et si une personne est ouvertement et visiblement transgenre, il lui est difficile de trouver un emploi ; la discrimination fait partie du quotidien. Et maintenant, c’est de pire en pire. Nous avons constaté une augmentation des niveaux de discrimination, non seulement dans l’emploi mais aussi dans la vie quotidienne. En Hongrie, les gens doivent présenter leurs documents d’identité très souvent, vous êtes donc obligé de vous montrer tout le temps. Les gens ne vous croient pas et vous questionnent. Par exemple, récemment, une personne transgenre essayait d’acheter une maison et l’avocat qui rédigeait le contrat a émis des doutes sur sa carte d’identité parce qu’elle ne correspondait pas à sa description de genre.

    Compte tenu des restrictions à la liberté de réunion pacifique imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19, quel plaidoyer et quel type de campagnes avez-vous pu développer pour empêcher l’adoption de l’article 33 ?

    Chez Transvanilla, nous sommes très stratégiques : nous n’entreprenons que des activités qui peuvent avoir un impact. Par conséquent, nous ne nous concentrons pas sur le contexte hongrois. Au Parlement, l’opposition est impuissante car le Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orbán, dispose de deux tiers des sièges et peut donc l’emporter à chaque vote. Nous savions également que nous ne pourrions pas mobiliser suffisamment de personnes : il n’était pas possible de sortir en masse dans les rues à cause de la pandémie, ce n’était donc même pas une option. Si cela ne s’était pas produit pendant la pandémie, certaines organisations auraient peut-être essayé d’organiser des protestations. Jusqu’à ce que l’amendement soit proposé, Transvanilla n’a pas soulevé publiquement la question de la reconnaissance légale du genre car nous faisions un plaidoyer silencieux. Le 1er avril, lorsque nous avons entendu parler de cette initiative, nous avons demandé à la communauté internationale d’élever la voix publiquement et d’engager un dialogue multilatéral avec notre gouvernement sur cette question.

    Nous avons attiré l’attention internationale, et de nombreuses voix internationales se sont élevées contre la proposition. En avril 2020, nous avons également fait appel au commissaire hongrois aux droits fondamentaux et lui avons demandé de faire tout son possible pour empêcher l’amendement. Bien sûr, nous avons interagi avec les médias internationaux et nationaux. Nous avons lancé une pétition et avons réussi à recueillir plus de 30 000 signatures. Aujourd’hui, nous adressons une nouvelle pétition à l’Union européenne (UE) et nous espérons qu’elle aura un effet.

    En bref, nous avons fait appel au médiateur, qui aurait pu intervenir, mais ne l’a pas fait, et nous avons exercé une pression internationale sur le gouvernement, ce qui fonctionne parfois, mais cette fois-ci, cela n’a pas fonctionné. La loi a été adoptée, et le jour de son entrée en vigueur, nous avons déposé deux plaintes auprès de la Cour constitutionnelle. Le tribunal pourrait les rejeter pour n’importe quelle raison, mais nous espérons qu’il ne le fera pas. Dans le même temps, nous faisons pression sur le commissaire aux droits fondamentaux, car il a le pouvoir de demander à la Cour constitutionnelle d’examiner la loi, et s’il le fait, la Cour doit le faire. La pression est très importante et de nombreux acteurs internationaux apportent leur aide, notamment Amnesty International Hongrie, qui a lancé une campagne. Nous avons 23 affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), toutes concernant la reconnaissance du genre, dont les demandeurs sont représentés par notre avocat. Le gouvernement et les autres parties intéressées avaient jusqu’à juin 2020 pour résoudre ces affaires, et s’ils ne le faisaient pas, la Cour devait prendre une décision. En raison de la pandémie de COVID-19, l’échéance pour le gouvernement a été repoussée à septembre 2020, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour nous. Mais compte tenu des antécédents de la Cour européenne des droits de l’homme, nous sommes convaincus qu’elle respectera les droits des personnes transgenres. Nous continuerons à porter des affaires devant ce tribunal et à représenter les personnes qui ont été spécifiquement affectées par cette loi. Nous voulons faire pression sur le tribunal pour qu’il prenne une décision le plus rapidement possible.

    Nous continuons également à nous engager auprès des mécanismes des droits humains de l’UE, du Conseil de l’Europe et de l’ONU. Nous avons réussi à ce que de nombreuses OSC signent une déclaration afin de faire pression sur la Commission européenne (CE), qui est restée jusqu’à présent silencieuse sur la question. Nous voulons nous assurer que ce qui s’est passé en Hongrie ne se reproduise pas dans d’autres pays. Nous avons donc créé une alliance de la société civile pour faire passer le message selon lequel, si d’autres gouvernements tentent de faire la même chose, ils se heurteront à une forte résistance. Et, bien sûr, nous essayons toujours de communiquer avec les ministères, bien que nous leur ayons envoyé des lettres et que nous n’ayons pas reçu de réponse.

     

    Comment un gouvernement de plus en plus autoritaire comme celui de la Hongrie peut-il être tenu pour responsable ?

    Nous avons essayé de nous engager directement avec le gouvernement pour lui demander des comptes, mais cela n’a pas fonctionné jusqu’à présent. Nous représentons un groupe minoritaire et nous ne pouvons pas lutter seuls contre ce gouvernement. Mais les institutions internationales influencent parfois les actions du gouvernement. Nous espérons qu’une décision de justice de la CEDH ou de la Cour constitutionnelle aura un effet.

    Malheureusement, ce que nous avons vu depuis 2010, c’est qu’en raison de la façon dont elle est conçue, l’UE ne peut pas prendre de mesures définitives contre un pays, surtout si ce pays n’est pas seul. Et c’est ce qui se passe dans ce cas, car la Pologne et la Hongrie se soutiennent toujours mutuellement. Les citoyens ont le sentiment que l’UE n’a pas la volonté politique d’agir. Nous continuons sans cesse de répéter que l’UE devrait couper les fonds, car la Hongrie vit grâce à l’argent de l’UE et si l’UE coupe le flux de fonds, le gouvernement commencera à se comporter différemment. Mais l’UE refuse de le faire.

    L’UE devrait agir non seulement sur cette législation spécifique, mais aussi sur des questions plus larges liées à l’État de droit et aux droits fondamentaux en Hongrie. Elle devrait faire quelque chose à propos de ses propres États membres, ou alors ne pas faire de commentaires sur les pays tiers. Le fait que la CE ne mentionne pas explicitement la Hongrie est scandaleux. Lorsque la loi d’autorisation a été adoptée à la fin du mois de mars, donnant au Premier ministre Orbán des pouvoirs supplémentaires pour lutter contre la pandémie, la présidente de la CE, Ursula von der Leyen, a fait une déclaration qui faisait clairement référence à la Hongrie, mais sans mentionner le pays nommément, dans la mesure où la Hongrie a également signé la déclaration. La commissaire européenne à l’égalité a récemment été invitée à condamner la Hongrie pour l’amendement visant les personnes transgenres, et elle a refusé de le faire ; elle a préféré parler des droits des transgenres en général. C’est inacceptable.

    L’UE ne doit pas se contenter de parler, elle doit aussi agir vis-à-vis de la Hongrie et de la Pologne. Si la CE continue à refuser de s’attaquer à la situation sur le terrain, nous ne savons vraiment pas vers qui nous tourner. Jusqu’à présent, le gouvernement a suivi les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, mais cette année, il a cessé d’obéir aux décisions des tribunaux hongrois, ce qui est très inquiétant. En 2018, une décision de la Cour constitutionnelle dans le cas d’un réfugié transgenre a obligé le Parlement à adopter une législation sur la reconnaissance légale du genre pour les citoyens non hongrois, ce qu’il n’a pas encore fait.

    De quel soutien les OSC hongroises ont-elles besoin de la part de la société civile internationale ?

    Il est important d’essayer d’unifier les différents mouvements et de servir de pont entre eux, et je pense que les OSC internationales peuvent jouer un rôle à cet égard. En tant qu’organisation transgenre, nous nous occupons des personnes transgenres, mais il y a une immense diversité : il y a des personnes transgenres migrantes, des personnes transgenres roms, des personnes transgenres handicapées, et nous devons tous nous unir. De plus, même si ce sont actuellement les personnes transgenres qui sont visées en Hongrie, nous ne savons pas quel sera le prochain groupe vulnérable sur la liste, et je pense que les OSC internationales devraient se préoccuper de tout le monde. Elles devraient également contribuer à sensibiliser les institutions internationales ; en Hongrie, par exemple, la pression internationale est importante car Orbán se soucie parfois encore de la manière dont le pays est perçu à l’étranger. L’implication de la communauté internationale est donc utile. La société civile internationale peut également contribuer à fournir de bons exemples, car plus la situation des personnes transgenres sera améliorée dans d’autres pays, plus grande sera la honte du gouvernement hongrois. Mais si d’autres pays de l’UE commencent à suivre la Hongrie, alors le gouvernement s’en tirera à bon compte. Des organisations comme CIVICUS peuvent aider à unir la société civile.

    L’espace civique en Hongrie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor. La Hongrie figure également sur notre liste de surveillance de l’espace civique.

    Contactez l’association Transvanilla Transgender Association via sonsite web ou son profilFacebook,et suivez@Transvanilla sur Twitter et@transvanilla.official sur Instagram.

  • JAMAÏQUE : « Après 20 ans de plaidoyer, les droits des LGBTQI+ sont désormais abordés publiquement »

    Karen LloydCIVICUS s’entretient avec Karen Lloyd, directrice associée de J-FLAG, sur la situation des personnes LGBTQI+ en Jamaïque et sur la signification d’un récent rapport de la Commission interaméricaine des droits de l´homme (CIDH) qui tient le gouvernement jamaïcain responsable des violations des droits. J-FLAG est une organisation de défense des droits humains et de justice sociale qui défend les droits, la vie et le bien-être des personnes LGBTQI+ en Jamaïque.

    Quelle est la situation des personnes LGBTQI+ en Jamaïque ?

    La discrimination fondée sur le genre et la sexualité reste préoccupante et affecte les personnes de nombreuses façons, entravant leurs droits au travail, à l’éducation et à la santé, et même les droits à la vie et à l’égalité devant la loi. La loi ne protège pas les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, et les relations intimes entre personnes de même sexe sont criminalisées.

    En avril 2011, le gouvernement jamaïcain a adopté la Charte des droits et libertés fondamentaux, mais les appels à y inclure des garanties de non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre sont restés lettre morte. L’enquête nationale de 2012 sur les attitudes et les perceptions à l’égard des relations entre personnes de même sexe, commandée par J-FLAG, a révélé qu’une personne sur cinq en Jamaïque respectait les personnes LGBTQI+ et soutenait l’inclusion de l’orientation sexuelle comme motif de non-discrimination. En outre, environ un tiers de la population pensait que le gouvernement ne faisait pas assez pour protéger les personnes LGBTQI+ de la violence et de la discrimination.

    Les membres de la communauté LGBTQI+ jamaïcaine sont systématiquement privés de leurs droits fondamentaux et sont victimes de discrimination, d’exclusion, d’agressions violentes, d’abus policiers, de difficulté d’accès à l’emploi et d’un manque évident de protection juridique, entre autres problèmes répandus. De nombreuses personnes LGBTQI+ vivent dans la peur en raison de politiques, de lois et d’attitudes discriminatoires et d’un manque de volonté politique de protéger leurs droits fondamentaux. Depuis 2009, J-FLAG a reçu plus de 600 signalements d’abus et de violences, et l’enquête nationale de 2015 a révélé que seulement 12 % du public exprimait sa tolérance envers les personnes LGBTQI+.

    Un rapport de 2016 a révélé que sur 316 Jamaïcains LGBTQI+, 32 % ont déclaré avoir été menacés de violence physique au cours des cinq années précédentes et 12 % ont déclaré avoir été agressés ; 23,7 % ont déclaré avoir été menacés de violence sexuelle et 19 % avoir été agressés sexuellement. Cependant, 41 % n’ont pas signalé ces incidents, parce qu’ils pensaient que la police ne ferait rien, et 30 % estimaient que l’affaire était trop mineure pour être traitée. Un sur quatre craignait une réaction homophobe de la part de la police et un sur cinq se sentait trop honteux et préférait ne rien dire à personne.

    Cette réalité est aggravée par l’homophobie et la transphobie, ainsi que par des lois criminalisant l’intimité entre personnes de même sexe, une législation anti-discrimination faible et largement inaccessible, une faible protection contre la violence sexuelle et domestique, et l’absence de reconnaissance légale des relations entre personnes de même sexe.

    En février 2021, la CIDH a publié un rapport sur les droits des LGBTQI+ en Jamaïque. Quelle est sa pertinence ?

    Plusieurs articles de la loi sur les infractions contre la personne (OAPA), qui remonte à 1864, interdisent les activités sexuelles entre hommes. L’article 76 criminalise la sodomie, l’article 77 criminalise toute tentative de sodomie et l’article 79 criminalise les actes de grossière indécence, qui peuvent inclure le fait de s’embrasser, de se tenir la main et d’autres actes d’intimité entre hommes. Les hommes reconnus coupables de sodomie risquent jusqu’à 10 ans de travaux forcés. Cette loi et d’autres lois relatives aux infractions sexuelles antérieures à la Charte des droits et libertés fondamentaux sont protégées contre les contestations juridiques fondées sur les droits.

    Dans les affaires examinées par la CIDH, les requérants - M. Gareth Henry, qui est homosexuel, et Mme Simone Edwards, qui est lesbienne - ont allégué qu’en continuant à criminaliser l’activité sexuelle privée entre hommes adultes consentants et en protégeant ces lois de toute contestation, la Jamaïque a manqué à ses obligations au titre de la Convention américaine relative aux droits humains. Ils ont fait valoir que cela contribuait à perpétuer la culture jamaïcaine d’homophobie violente, et encourageait l’État et la population en général à persécuter non seulement les homosexuels, mais aussi la communauté LGBTQI+ dans son ensemble. Tous deux ont affirmé avoir été victimes d’attaques homophobes. 

    Le rapport de la CIDH a conclu que le gouvernement jamaïcain était responsable de ces violations de leurs droits. Aux dernières nouvelles, le département du procureur général avait pris acte de la décision et préparait une réponse. Pour la société civile, le rapport a renforcé les appels continus en faveur d’une modification de l’OAPA et s'est inscrit dans le cadre de l'engagement existant auprès des décideurs politiques pour qu'elle soit modifiée. Cependant, les efforts de plaidoyer auprès des législateurs sont restés laborieux, car ceux-ci ne veulent pas être associés publiquement à un appel à l’abrogation de l’OAPA, en raison de la réaction potentielle de la part des groupes extrémistes religieux et de certains segments du public.

    Comment J-FLAG travaille-t-elle pour essayer d’améliorer la situation ?

    J-FLAG est la principale organisation jamaïcaine de défense des droits humains et de la justice sociale qui défend les droits, les moyens de subsistance et le bien-être des personnes LGBTQI+ en Jamaïque. Notre travail vise à construire une société qui respecte et protège les droits de toutes les personnes. Nos dirigeants et notre personnel s’engagent à promouvoir le changement social, à donner des moyens d’action à la communauté LGBTQI+ et à encourager la tolérance et l’acceptation des personnes LGBTQI+. Nous promouvons les valeurs d’inclusion, de diversité, d’égalité, d’équité et d’amour. Ces valeurs sont au cœur de tout ce que nous faisons, car nous cherchons à devenir des agents efficaces du changement social.

    Pour atteindre nos objectifs, nous travaillons dans quatre domaines principaux. Tout d’abord, nous cherchons à améliorer l’offre de services de santé non discriminatoires, à impliquer les principales parties prenantes dans la lutte contre la discrimination liée à l’emploi et à fournir aux jeunes LGBTQI+ une organisation axée sur les questions qui affectent directement leurs perspectives de vie.

    Deuxièmement, nous cherchons à accroître la participation aux processus d’élaboration et de révision des politiques, en donnant des moyens d’action aux jeunes LGBTQI+ et aux responsables de la jeunesse, et en renforçant la collaboration entre les jeunes LGBTQI+ impliqués dans les organisations de jeunesse traditionnelles.

    Troisièmement, nous avons créé des ensembles de services pour les Jamaïcains LGBTQI+ afin d’améliorer leur accès à l’information et aux conseils, de réduire le nombre de sans-abri, d’augmenter l’accès à des services sociaux non discriminatoires, de permettre l’accès à des loisirs et une mise en réseau sûrs.

    Quatrièmement, nous défendons les droits humains des personnes LGBTQI+ en légitimant les besoins de la communauté, en sensibilisant le public et les parlementaires aux droits humains, à la stigmatisation et à la discrimination, en renforçant la capacité des dirigeants LGBTQI+, des organisations de la société civile (OSC) et des autres parties prenantes et responsables à être mieux équipés pour répondre aux besoins des personnes LGBTQI+, et en augmentant la visibilité des expériences et des problèmes qui les affectent. 

    Quelles ont été vos principales réalisations et leçons apprises jusqu’à présent ?

    Parmi nos réalisations de ces dix dernières années, citons la formation de plus de 700 professionnels de la santé, en collaboration avec le ministère de la Santé et des Affaires sociales, sur la manière de traiter les patients LGBTQI+ ; des campagnes médiatiques réussies, telles que We Are Jamaicans, #IChooseLove et #OutLoudJA, qui visaient à sensibiliser le public au statut et aux droits des personnes LGBTQI+ ; nos célébrations publiques de la Fierté ; quatre enquêtes nationales sur les attitudes et les perceptions du public à l’égard des personnes et des questions LGBTQI+ ; la fourniture d’un soutien au renforcement des capacités des OSC et des jeunes leaders ; et la production de nombreuses recherches et publications sur les questions LGBTQI+.

    Depuis notre événement inaugural de la Fierté en 2015, chaque année, la Jamaïque organise des célébrations pendant la période d’ « Emancipendence », qui comprend des célébrations commémorant à la fois la fin de l’esclavage et l’indépendance de la domination coloniale britannique. La première chose à noter est que la Fierté jamaïcaine a été conceptualisée et mise en œuvre d’une manière culturellement appropriée ; par exemple, elle ne comprend pas de défilé et prend plutôt la forme d’un ensemble diversifié d’événements et d’activités pertinents pour les Jamaïcains, notamment une journée sportive, un service religieux, une foire commerciale, un concert, des événements festifs et une journée de service. Lors de notre Fierté inaugurale en 2015, l’orateur principal de la cérémonie d’ouverture était la mairesse de Kingston, la Dr Angela Brown-Burke, ce qui était un signe que la communauté avait des alliés au niveau politique et parlementaire.

    Un autre succès a été la participation d’artistes de renom tels que Tanya Stephens, D’Angel, Jada Kingdom, Tifa, Ishawna, Yanique Curvy Diva et Stacious aux événements de la Fierté. Cela a attiré l’attention nationale sur nos célébrations et a constitué un changement positif par rapport aux espaces culturels qui avaient été fortement contestés.

    Pour la première fois cette année, J-FLAG n’a pas pris la tête de l’organisation de tous les événements de la Fierté, mais a fourni un soutien financier et logistique aux membres de la communauté pour qu’ils puissent organiser leurs propres événements. Baptisée #PrideShare, l’initiative proposait des événements dirigés par la communauté, notamment des manifestations artistiques et un battle de synchronisation labiale (lip sync), dont le succès a montré que nos efforts allaient dans le bon sens.

    Après 20 ans de plaidoyer, les droits des personnes LGBTQI+ font désormais l’objet d’un débat public. On constate une augmentation de la tolérance publique et une volonté croissante des représentants parlementaires, des dirigeants politiques et des décideurs de s’engager auprès de la communauté LGBTQI+ locale, ce qui a permis de progresser dans la collaboration avec les organisations de défense des droits et les défenseurs des personnes LGBTQI+, afin d’améliorer la vie de ces dernières. En particulier, J-FLAG a établi et maintenu un partenariat important avec le ministère de la santé, qui a permis de former et de sensibiliser plus de 500 agents de santé pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination dans le secteur de la santé.

    En dépit de ces avancées, le mouvement a été affecté par la lenteur des réformes législatives et politiques, la disponibilité limitée d’espaces pour la mobilisation et la participation communautaires, le soutien financier limité pour lutter contre le problème des sans-abri et le déplacement, et l’engagement limité des personnes LGBTQI+ vivant dans les zones rurales. J-FLAG, en particulier, a souligné la nécessité d’un soutien accru pour renforcer les systèmes communautaires comme moyen d’intensifier les efforts de plaidoyer et d’assurer une plus grande portée et un plus grand impact.

    Comment la société civile internationale peut-elle soutenir au mieux la lutte des personnes LGBQTI+ en Jamaïque, et dans les Caraïbes en général ?

    La société civile internationale peut soutenir le mouvement local et régional de plusieurs manières. Par exemple, en nous donnant un siège à la table des conversations mondiales et en comprenant que nous sommes les experts de ce qui se passe dans nos sociétés. Dans la mesure du possible, elle devrait également soutenir nos efforts de financement auprès des donateurs internationaux. Elle peut également nous aider en partageant les bonnes pratiques et les recherches pertinentes et en sensibilisant le grand public aux problèmes auxquels nous sommes confrontés en Jamaïque et dans les Caraïbes.

    L’espace civique en Jamaïque est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
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  • NATIONS UNIES : « Le pouvoir des groupes anti-droits s’accroît ; des temps difficiles nous attendent »

    CIVICUS échange avec Tamara Adrián, fondatrice et directrice de DIVERLEX-Diversité et égalité par le droit, au sujet de la fructueuse campagne de la société civile pour le renouvellement du mandat de la personne experte indépendante des Nations Unies (ONU) sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

    Tamara Adrián est avocate et professeure d’université, et la première femme transgenre à être élue dans un parlement national en Amérique latine.

    DIVERLEX est une organisation de la société civile vénézuélienne qui se consacre à la recherche, à la formation, au plaidoyer et aux litiges stratégiques sur la diversité sexuelle. En raison de la crise humanitaire complexe qui touche le Venezuela, la quasi-totalité de ses dirigeants se trouvent actuellement hors du pays, où ils continuent de travailler pour l’amélioration des conditions de vie des personnes LGBTQI+ en exil.

    Tamara Adrian

    Pourquoi le mandat de l’expert indépendant des Nations unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est-il si important ?

    Il s’agit d’un mandat extrêmement important. L’arme préférée de toute intolérance est l’invisibilisation de certains groupes et la violation de leurs droits. C’est une constante en ce qui concerne les femmes, les peuples autochtones, les minorités raciales et les minorités religieuses. Tant que les intolérants peuvent dire que le problème n’existe pas, les relations de pouvoir restent penchées en leur faveur et rien ne change. Dans le système universel des droits humains, ce que les intolérants veulent garder invisible ne peut être rendu visible que grâce au travail des experts et des rapporteurs indépendants.

    Le premier expert indépendant, Vitit Muntarbhorn, a été en fonction pendant moins de deux ans et a produit un rapport sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, qu’il a partagé avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a commencé à mettre en évidence les injustices, les inégalités et les violences dont sont victimes les personnes LGBTQI+ dans tout le monde.

    Les trois rapports de l’actuel expert indépendant, Victor Madrigal-Borloz, pointent du doigt de nombreux pays qui manquent à leur devoir de protéger tous leurs citoyens. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme elle-même a souligné l’obligation positive des États de garantir l’égalité des droits pour tous et toutes.

    Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire et que les rapports - de l’expert indépendant, du Haut-Commissaire et des organismes régionaux tels que l’Organisation des États Américains - sont importants pour ce processus.

    Si importants sont-ils, en effet, que ces travaux ont suscité une forte réaction de la part de groupes fondamentalistes. Ceux-ci se sont réorganisés sous le format d’« organisations non gouvernementales » et ont cherché à obtenir un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies pour pouvoir intervenir dans ces processus.

    Comment ces groupes opèrent-ils au sein de l’ONU ?

    Les acteurs anti-droits ont changé de stratégie. Plutôt que de se montrer comme des organisations religieuses, ils ont cherché à se présenter comme des défenseurs de la liberté religieuse et, surtout, de la liberté d’expression. Ils ont promu des stratégies d’unité religieuse, réunissant des fondamentalistes catholiques et des représentants du Saint-Siège avec des fondamentalistes néo-évangéliques et les groupes musulmans les plus rétrogrades.

    Ils ont également affiné leurs arguments. Premièrement, ils affirment que le concept d’orientation sexuelle et d’identité de genre est un concept occidental et non universel, et qu’il ne peut donc pas être protégé par l’ONU. Deuxièmement, ils disent qu’il n’existe aucun traité ni instrument international qui protège contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Troisièmement, ils soutiennent que les pays ayant des valeurs traditionnelles devraient avoir la liberté de préserver leurs lois discriminatoires et criminaliser les relations homosexuelles ou les diverses identités de genre.

    Ces trois arguments ont été implicitement présents dans l’argumentation des pays qui se sont opposés au renouvellement du mandat de l’expert indépendant ou ont proposé des modifications, de même qu’un quatrième, qui soutient qu’aucun pays ne peut protéger des criminels. Selon cette vision, la détermination de ce qui constitue un acte criminel est soumise au droit pénal de chaque pays et non susceptible d’être vérifiée par le système international des droits humains.

    Historiquement, la réponse à ces questions a été fournie par la reconnaissance du fait que chacun a droit à ses propres croyances, et que personne ne peut imposer sa croyance ou priver les autres de leurs droits sur la base de leur foi. Les fondamentalistes cherchent à renverser cette situation afin que les croyants puissent discriminer et refuser des droits aux autres.

    Le pouvoir des acteurs anti-droits a-t-il augmenté ces dernières années ?

    Le pouvoir des acteurs anti-droits est en hausse, ce qui est peut-être lié à la régression qui a lieu aux États-Unis. En effet, lors du vote pour le renouvellement du mandat, nous avons vu deux groupes de pays qui ont résisté : d’une part, les pays qui n’ont jamais avancé dans la reconnaissance des droits et dans lesquels il y a beaucoup de résistance au changement, et d’autre part, les pays qui reculent, comme les États-Unis.

    Aux États-Unis, depuis au moins une décennie, les liens entre le suprémacisme blanc, les groupes néo-pentecôtistes et les secteurs les plus radicaux du parti républicain se sont resserrés. Les groupes anti-droits ont pris de l’espace dans les tribunaux, allant des plus bas à la Cour suprême, ainsi que dans les gouvernorats et les législatures des États, ce qui a donné lieu à de plus en plus de décisions, de lois et de politiques contre les personnes transgenre, l’éducation sexuelle et renforçant la liberté religieuse. Ils n’ont pas caché leur intention de revenir sur le droit à l’avortement, de combattre le concept de genre et de rejeter les droits à l’éducation sexuelle et reproductive et à la contraception, et même les droits des femmes, le mariage pour tous et les protections contre la discrimination raciale.

    Les États-Unis ont également joué un rôle clé dans le financement international du mouvement anti-droits et dans le développement de nouvelles églises néo-pentecôtistes dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine. Ils ont également influencé la formation d’un phénomène auquel on n’a pas accordé suffisamment d’attention : les courant du féminisme fixés sur la biologie, qui nient le concept de genre avec les mêmes arguments que les églises les plus conservatrices.

    Cette communauté d’argumentation est très suspecte, d’autant plus lorsqu’on observe les flux de financement en provenance des États-Unis qui alimentent ces groupes au Brésil, en Amérique centrale, en Espagne, au Royaume-Uni ou en République dominicaine. Ces groupes ne ciblent plus les personnes LGBTQI+ en général, mais spécifiquement les personnes transgenre. En affirmant le caractère biologique et naturel des différences, ils cherchent à détruire toute la structure de protection fondée sur le genre.

    Honnêtement, il me semble qu’il s’agit d’un plan très réfléchi. Ils ont imité la stratégie que nous avions initialement adoptée pour rendre notre lutte visible, mais ils ont l’avantage d’être au pouvoir. Le nombre de pays qui ont signé une résolution « pro-vie » à l’ONU et se sont déclarés « pays pro-vie » montre que leur objectif n’est plus seulement de s’opposer aux droits des personnes LGBTQI+ mais à tous les droits fondés sur le concept de genre.

    Comment la campagne pour le renouvellement du mandat de l’expert indépendant a-t-elle été organisée ?

    Les organisations qui ont exercé de la pression pour le renouvellement du mandat sont celles qui travaillent ensemble depuis la campagne pour la nomination du premier expert indépendant. Chaque fois, le processus commence longtemps avant la nomination. Cette fois-ci, nous avons commencé il y a environ trois ans : l’année suivant le renouvellement du mandat, nous travaillions déjà à la création d’un groupe central qui travaillerait vers ce nouveau renouvellement.

    Pour les organisations latino-américaines, une limitation récurrente est le manque de connaissance de la langue anglaise, qui restreint la capacité des militants à internationaliser leurs luttes. Pour surmonter ce problème, notre groupe central est composé à la fois de militants hispanophones et de militants anglophones. Cela a été crucial car la coalition était principalement composée de groupes latino-américains.

    Le processus s’est avéré très difficile, et si bien le vote a fini par être favorable, les résultats des sessions au fil des mois ne suscitaient pas une grande confiance. Nous avons constaté une résistance croissante de la part des pays plus fondamentalistes, de plus en plus attachés à l’idée de supprimer des droits.

    Quelles sont les prochaines étapes après le renouvellement du mandat ?

    Je pense que nous ne devrions pas nous détendre. Des temps difficiles nous attendent. De nombreux droits qui semblaient être conquis risquent d’être annulés aux États-Unis, notamment ceux liés à l’égalité raciale. Il ne s’agit même plus de reculer vers une vision du XXe siècle, mais plutôt vers une vision du XVIe ou du XVIIe siècle.

    Cela aura un fort impact au niveau mondial, notamment dans les pays dont les institutions sont moins développées. Les pays dotés d’institutions plus fortes pourront certainement mieux résister aux tentatives de renversement des droits sexuels et reproductifs.

    Pour les prochaines étapes, je pense que les capacités d’organisation seront primordiales. Souvent et dans divers endroits les gens me disent : « ne vous inquiétez pas, cela n’arrivera jamais ici », mais j’insiste sur le fait que nous ne pouvons pas nous détendre. Nous devons nous concentrer sur la construction de coalitions et l’organisation d’alliances plus fortes pour mettre fin à l’avancée des groupes néoconservateurs et reconquérir les espaces de pouvoir qu’ils ont occupé. 

    Contactez Tamara Adrián sur sonsite web ou son profilFacebook et suivez@TamaraAdrian sur Twitter. 

  • POLOGNE : « La crise de la démocratie et des droits humains va s'aggraver »

    CIVICUS parle à Małgorzata Szuleka à propos de la récente élection présidentielle en Pologne, qui s'est tenue pendant la pandémie COVID-19, et sur l'utilisation par le parti au pouvoir de la rhétorique anti-LGBTQI+ pour mobiliser son électorat. Małgorzata est avocate à la Fondation Helsinki pour les droits humains (HFHR) - Pologne, l'une des plus grandes et des plus anciennes organisations de défense des droits humains en Pologne et dans la région. La HFHR Pologne représente les victimes de violations des droits humains dans les procédures judiciaires, mène des enquêtes et surveille les violations des droits humains. Depuis 2015, elle surveille activement les violations croissantes de l'État de droit en Pologne. Elle travaille avec des organisations partenaires en Europe de l'Est, en Asie centrale, dans l'Union européenne (UE) et aux États-Unis.

    Małgorzata Szuleka

    Après avoir été reprogrammées, les élections polonaises ont eu lieu en juin et juillet 2020. Quelle était la position de la société civile sur la tenue d'élections pendant la pandémie de la COVID-19 ?

    Les élections étaient initialement prévues pour mai 2020 et leur organisation posait un gros problème juridique car il n'y avait pas de mécanisme légal pour les reporter. La seule façon de les reporter était de déclarer l'état d'urgence, comme le prévoit la Constitution. Les élections ne peuvent pas être organisées pendant l'état d'urgence ou dans les 90 jours suivant sa fin. D'un point de vue constitutionnel, une déclaration officielle reconnaissant que le pays subissait une épidémie aurait donné au gouvernement la prérogative d'imposer l'état d'urgence. Cela aurait automatiquement prolongé le mandat du président jusqu'à ce que des élections régulières puissent être programmées, une fois l'épidémie terminée. Cependant, le gouvernement n'a pas suivi cette procédure. Les élections ont été reprogrammées et le second tour entre les deux principaux candidats a été reporté au 12 juillet 2020 sur la base d'arguments juridiques très douteux. Cependant, cela n'a été contesté ni par la majorité gouvernementale ni par l'opposition.

    Les organisations de la société civile (OSC) ont d'abord fait pression sur le gouvernement pour que les élections se déroulent correctement, l'exhortant à déclarer l'état d'urgence. Lorsque cela ne s'est pas produit, les OSC ont essayé de soulever la question du contrôle international, principalement en termes d'équité et de financement des campagnes. Le problème était qu’on s’attendait à ce que les élections soient libres mais non justes. Les médias publics ont fait preuve de partialité à l'égard du président Andrzej Duda, le candidat soutenu par le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), et se sont montrés extrêmement critiques et plutôt peu professionnels à l'égard de tout candidat de l'opposition. Bien que l'état d'urgence n'ait pas été déclaré, de nombreux droits fondamentaux, tels que la liberté de réunion et l'accès à l'information, se sont vus limités. Telles étaient les principales préoccupations.

    Il y avait aussi le problème de la Cour suprême qui confirmait la validité des élections. Le 12 juillet, le président Duda a été réélu pour un second mandat avec une faible marge. Il a obtenu 51 % des voix, tandis que son adversaire de l'opposition, la Coalition civique, en a obtenu 49 %. Le taux de participation a été légèrement supérieur à 68 % et plus de 5 800 plaintes pour irrégularités ont été déposées. La Cour suprême a jugé que 92 de ces plaintes étaient justifiées mais n'avaient aucune influence sur le résultat final, elle a donc déclaré les résultats valables. Malheureusement, cette décision a complètement négligé le problème des bases constitutionnelles et juridiques sur lesquelles ces élections avaient été convoquées.

    Des mesures ont-elles été prises pour protéger les gens pendant la campagne et le processus de vote ? La pandémie a-t-elle eu un impact sur la participation électorale ?

    L'organisation de la campagne a impliqué des mesures sanitaires en termes de distanciation sociale et d'utilisation de masques. Mais ces dispositions n'ont pas été pleinement respectées par les deux parties. Pour les besoins de la campagne, le gouvernement a assoupli certaines restrictions ; par exemple, bien que le port du masque facial soit obligatoire, des photographies ont été publiées dans lesquelles le premier ministre n'en portait pas en public. Le fait que de nombreux fonctionnaires aient participé à la campagne électorale aux côtés du président Duda est également préoccupant. Les institutions publiques ont été instrumentalisées par les hommes politiques du parti au pouvoir. Le centre de sécurité du gouvernement, responsable de la coordination et de l'information en cas d'urgence ou de catastrophe naturelle, a envoyé des SMS de masse le jour des élections. Chaque électeur a reçu un message disant que les personnes de plus de 60 ans, les femmes enceintes et les personnes handicapées pouvaient voter sans faire la queue. Cela aurait pu être utilisé pour mobiliser l'électorat du parti au pouvoir. Ce n'est qu'un exemple, mais il pourrait être révélateur du rôle joué par les institutions de l'État pour faire pencher la balance en faveur du parti PiS.

     

    La couverture médiatique pendant les élections a-t-elle été équitable ?

    La couverture médiatique publique était absolument injuste. Le reste de la couverture, principalement par les médias privés, a été assez bon ; il n'a certainement pas été aussi mauvais que les médias publics, qui ont été utilisés à des fins de propagande et ont renforcé la campagne du président Duda.

     

    L'une des plaintes électorales déposées auprès de la Cour suprême portait spécifiquement sur la couverture médiatique. Elle a déclaré que la télévision publique soutenait le président tout en discréditant systématiquement son rival, et que les institutions et les fonctionnaires publics ont violé à plusieurs reprises le code de conduite en soutenant un seul des candidats. Mais le problème avec le mécanisme de plaintes électorales est qu'il exige la preuve non seulement que l'irrégularité alléguée a eu lieu, mais aussi qu'elle a eu un impact sur les résultats des élections. Lors d'élections présidentielles comme celle-ci, c'est une chose très difficile à prouver. De plus, le code électoral ne réglemente pas le travail des médias, il est donc difficile de soutenir juridiquement que les médias devraient fonctionner différemment. Et si on y parvient, il est également difficile de prouver que la couverture (ou l'absence de couverture) reçue d'un média par un candidat particulier a abouti à un résultat électoral particulier. C'est une chose que nous pouvons intuitivement supposer, en particulier face à des résultats aussi serrés, mais il est très difficile de créer un argument juridique solide.

    Quelles sont les implications de la réélection du président Duda pour la démocratie et les droits humains en Pologne ?

    Elle représente la poursuite d'une tendance très inquiétante. Parmi tous les objets de campagne possibles, le président Duda a choisi d'alimenter l'homophobie. La campagne s'est déroulée dans le contexte d'un processus de longue date de recul de l'État de droit, au milieu d'une crise dans les relations entre la Pologne et l'UE, au cours d'un énorme défi sanitaire et au bord d'une crise économique qui touchera tous les Polonais. Mais aucune de ces questions n'a été au centre de la campagne électorale et du débat public. Le président Duda a surtout parlé des personnes LGBTQI+ qui représentent une menace pour notre héritage chrétien traditionnel, assimilant l'homosexualité à la pédophilie. La question s'est distillée dans le récit diviseur, scandaleux et déshumanisant du parti PiS. C'était un geste très pragmatique des astucieux propagandistes du PiS car il a mobilisé le noyau même de l'électorat. Soudain, les groupes et communautés LGBTQI+ sont devenus le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas en Pologne. Il est scandaleux de constater à quel point cette question a été politisée et comment elle a été utilisée pour déshumaniser cette minorité. Ce fut un spectacle douloureux et déchirant.

    Et cela ne s'est pas terminé avec la campagne. Le président Duda n'est qu'un représentant du parti PiS, il dira donc tout ce qu'il faut pour le maintenir aligné. Ce n'est rien d'autre qu'une question de calcul et de lutte de pouvoir interne. En juin, le parti PiS a ciblé la population LGBTQI+. En juillet, elle a ciblé les victimes de violence domestique en lançant un débat sur le retrait de la Convention d'Istanbul. En août, il a proposé un système de registre pour les OSC qui reçoivent des fonds de l'étranger. Maintenant, je ne sais pas qui sera son prochain ennemi. Ce n'est pas seulement que la majorité actuelle au pouvoir est homophobe, mais aussi qu'elle a tout le temps besoin d'avoir un ennemi à affronter ou à blâmer.

    Nous venons d'entrer dans une phase où il n'y aura pas d'élections pendant trois ans, alors attendez-vous à une consolidation majeure du pouvoir qui permettra au gouvernement de faire ce qu'il veut : exercer plus de pression sur les OSC, polariser davantage les médias, attaquer les groupes minoritaires et intensifier le conflit avec l'UE, entre autres choses. On peut s'attendre à ce que tout cela se produise au cours des trois prochaines années. La seule chose qui pourrait les arrêter est l'évaluation pragmatique de la question de savoir si c'est quelque chose qui répond au besoin du moment ou s'il pourrait y avoir autre chose de plus important. Mais je crois que la crise de la démocratie et les droits humains en Pologne va s'aggraver.

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  • SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »

    RetoWyssCIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable desaffaires internationalesde Pink Cross, au sujet du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse et des défis à venir.

    Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.

    Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?

    Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.

    Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.

    Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.

    Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.

    La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.

    Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.

    Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?

    Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.

    La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.

    Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?

    Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.

    La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.

    S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.

    Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage. 

    Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?

    Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.

    Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.

    L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec Pink Cross via sonsite web ou ses pagesFacebook etInstagram, et suivez@pinkcross_ch sur Twitter. 

  • SUISSE : « La victoire du mariage entre personnes de même sexe va stimuler nos efforts pour les prochaines étapes »

    JessicaZuberCIVICUS s’entretient avec Jessica Zuber, coleader de la campagne « mariage pour tous » d’Opération Libero, à propos du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse. Opération Libero est un mouvement de la société civile non partisan fondé pour faire campagne contre les initiatives populistes. Son travail se concentre sur la préservation et le développement de la démocratie libérale, la promotion de relations fortes entre la Suisse et l’Europe, la promotion d’une loi libérale sur la citoyenneté, le soutien d’une transformation numérique renforçant la démocratie et la promotion d’une politique plus transparente, responsable et inclusive.

    Quel rôle Opération Libero a-t-il joué dans le processus qui a conduit à la récente légalisation du mariage homosexuel ?

    Depuis sa fondation, Opération Libero se bat pour l’égalité de traitement juridique. Nous avons accompagné le processus parlementaire et fait du lobbying pour que la loi soit adoptée, ce qui est arrivé en décembre 2020, après presque sept ans. Quelques jours avant que les opposants à la loi ne déposent leur demande de référendum, nous avons lancé notre pétition, qui est devenue virale et a reçu plus de 60 000 signatures en ligne en un seul week-end. Pour nous, c’était un signal très fort sur l’état de l’opinion publique.

    Nous avons lancé notre campagne six semaines avant le vote. Elle était axée sur la devise « même amour, mêmes droits ». Notre campagne a complété celle du comité « officiel » mené par la communauté LGBTQI+, qui montrait de vrais couples de même sexe sur leurs affiches. Pour nous démarquer et attirer une cible plus conservatrice, nous avons montré des couples de même sexe aux côtés de couples hétérosexuels.

    Pour le lancement de notre campagne, nous avons mis en scène un mariage et les images de cette cérémonie ont servi de supports visuels pour la couverture médiatique de la campagne. Certains de nos principaux concepts étaient que les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, et que personne ne perd lorsque l’amour gagne. Il s’agissait d’une campagne de bien-être, car nous nous sommes volontairement abstenus de susciter trop de controverse - par exemple, en soulignant que l’homophobie est encore un phénomène très présent dans la société suisse.

    Pendant la campagne, environ 150 000 de nos dépliants ont été distribués, 13 000 sous-verres ont été commandés et 10 000 autocollants ont été distribués. Notre principale source de financement a été la vente de nos chaussettes spéciales, dont nous avons vendu près de 10 000 paires. Nous avons organisé des ateliers d’entraînement pour préparer les électeurs aux débats et lancé une campagne d’affichage dans les gares et les bus publics. L'événement conjoint de distribution de tracts avec des membres du parti populiste de droite - qui, contre la ligne officielle du parti, soutenaient le mariage pour tous - a attiré l’attention des médias et a réussi à montrer l’ampleur du soutien à la loi.

    Enfin et surtout, une semaine avant le vote, nous avons organisé un événement au cours duquel 400 personnes se sont alignées de part et d’autre pour applaudir les couples de jeunes mariés - de même sexe ou non - lors de leur passage. C’était un événement très inspirant, le plus grand de ce type en Suisse.

    Nous sommes très heureux d’avoir remporté le référendum, 64 % des électeurs ayant soutenu la loi. Le 26 septembre marque un grand pas pour la Suisse : après une attente bien trop longue, l’accès au mariage s’applique enfin à tous les couples, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle. Cela élimine les principales inégalités juridiques dont souffrent les couples de même sexe, par exemple en matière de naturalisation facilitée, de perception des pensions de veuve, d’adoption et de médecine reproductive.

    Pourquoi un référendum a-t-il été organisé alors que le Parlement avait déjà légalisé le mariage homosexuel ?

    Les opposants à la loi ont lancé le référendum pour tenter de l’annuler. Leurs arguments étaient centrés sur la vision traditionnelle du mariage en tant qu’union « naturelle » entre un homme et une femme, et sur son rôle central dans la société. Selon eux, l’introduction du mariage universel constitue une rupture sociale et politique qui annule la définition historique du mariage, entendu comme une union durable entre un homme et une femme. Ils ont été particulièrement choqués par le fait que la loi permette l’accès au don de sperme pour les couples de femmes, car ils estiment que cela prive l’enfant de son intérêt supérieur. Ils craignent également que ces changements ne conduisent à la légalisation de la maternité de substitution.

    Sur un plan plus technique, ils ont fait valoir que le mariage universel ne pouvait être introduit par un simple amendement législatif, mais nécessitait une modification de la Constitution.

    Qui était dans le camp du « oui » et du « non » lors du référendum ?

    Après l’adoption de la loi par le Parlement, un comité interpartis - composé principalement de représentants de l’Union démocratique du centre, un parti de droite, et de l’Union démocratique fédérale, un parti chrétien ultra-conservateur - a lancé une pétition en faveur d’un référendum. Ils ont réussi à réunir plus de 50 000 signatures nécessaires pour faire passer leur proposition et obtenir un vote national. Le droit d’opposer son veto à une décision parlementaire fait partie du système suisse de démocratie directe.

    Pendant la campagne, ces groupes ont diffusé des affiches et des publicités en ligne et ont participé à des débats publics dans les médias. Leur principal argument était que le bien-être des enfants était en danger. Ils ont donc placé le débat public sous le signe de l’adoption et des droits reproductifs.

    Heureusement, le mariage civil pour les couples de même sexe bénéficie d’un large soutien politique, comme on a pu le constater le 26 septembre. À l’exception de l’Union démocratique du centre, tous les partis au pouvoir ont soutenu le projet de loi, de même que les Verts et les Verts libéraux, qui ne font pas partie du gouvernement.

    Les groupes religieux ont même fait preuve d’une certaine ouverture. En novembre 2019, la Fédération des Églises protestantes de Suisse s’est prononcée en faveur du mariage civil entre personnes de même sexe ; en revanche, la Conférence des évêques suisses et le Réseau évangélique suisse y restent opposés.

    L’agressivité avec laquelle la loi accordant le mariage pour tous a été combattue et le fait qu’environ un tiers des électeurs l’ont rejetée, en partie pour des raisons homophobes, montre que l’homophobie est encore très répandue et encore bien trop largement acceptée.

    Nous avons également dû relever le défi suivant : les sondages prévoyant une victoire relativement nette dès le départ, il nous a été plus difficile de mobiliser les gens. Nous craignions que les gens considèrent la victoire comme acquise et ne se rendent pas aux urnes. Mais nous avons réussi à faire passer le message qu’une victoire plus large était un signe encore plus fort pour l’égalité en Suisse.

    Quels sont les autres défis auxquels les personnes LGBTQI+ sont confrontées en Suisse, et que faut-il encore changer pour faire progresser l’égalité des droits ?

    Les groupes LGBTQI+ continueront à se battre, notamment contre les crimes haineux. Le mariage pour tous n’offre pas une égalité absolue aux couples de femmes qui reçoivent un don de sperme d’un ami ou choisissent une banque de sperme à l’étranger, auquel cas seule la mère biologique sera reconnue. Ces débats auront toujours lieu, et la communauté LGBTQI+ continuera à se battre pour l’égalité.

    Le « oui » clair au mariage pour tous est un signal fort indiquant que la majorité de notre société est beaucoup plus progressiste et ouverte à des choix de vie diversifiés que notre système juridique, fortement fondé sur un modèle familial conservateur, pourrait le suggérer. En effet, le mariage pour tous n’est qu’un petit pas vers l’adaptation des conditions politiques et juridiques aux réalités sociales dans lesquelles nous vivons. Le « oui » au mariage entre personnes de même sexe stimulera nos efforts pour les étapes suivantes.

    Nous demandons que toutes les formes consensuelles de relations et de modèles familiaux - qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé, mariés ou non - soient reconnues de manière égale. Le mariage, avec sa longue histoire en tant qu’instrument central du pouvoir patriarcal, ne doit plus être considéré comme le modèle standard. Il ne doit pas être privilégié, ni juridiquement ni financièrement, par rapport aux autres formes de cohabitation. Dans les mois et les années à venir, Opération Libero fera campagne pour l’imposition individuelle, la cohabitation réglementée, la parentalité simplifiée et un droit pénal sexuel moderne.

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