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  • BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’

    Kopep DabugatCIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).

    WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.

    Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?

    Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.

    Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.

    La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.

    Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.

    Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.

    Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?

    À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.

    Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.

    L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.

    Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?

    Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.

    De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.

    Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?

    Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.

    Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.

    Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?

    Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.

    Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.

    La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.


     L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.

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  • BURKINA FASO : « La société civile prodémocratie est pratiquement paralysée par l’intensité et la férocité de la répression »

    OusmaneMiphalLankoandeCIVICUS échange avec Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif et Coordonnateur du programme de gouvernance et mobilisation citoyenne au Balai Citoyen, sur les droits humains et l’espace civique au Burkina Faso.

    Fondé en 2013, le Balai Citoyen est une organisation de la société civile (OSC) qui mobilise l’action citoyenne pour promouvoir la démocratie, l’intégrité de la gouvernance, la justice et l’état de droit au Burkina Faso.

    Comment les droits humains et les libertés civiques se sont-ils détériorés sous la junte militaire du Burkina Faso ?

    Depuis l’arrivée des militaires en janvier 2022, il y a eu une dégradation manifeste des droits humains et des libertés civiques, un phénomène qui s’est accentué à la suite du second coup d’État survenu en septembre 2022. Toute voix dissidente, divergeant de la ligne officielle du régime militaire, est systématiquement réprimée.

    Pour ce faire, le régime a progressivement mis en place des mesures insidieuses. Initialement, il a suspendu les activités des partis politiques, même après le rétablissement de la Constitution après une suspension temporaire. De plus, certains médias internationaux sont proscrits de diffusion, tandis que certains médias nationaux ont subi des suspensions. Des journalistes et activistes sont soumis à des intimidations et menaces, certains ayant été enlevés. Le sort de certains, notamment deux militants du Balai citoyen, reste inconnu à ce jour.

  • CAMEROUN : « La communauté internationale n’a pas contribué au traitement des causes profondes de la crise anglophone »

     moniqCIVICUS échange avec la chercheuse et écrivaine féministe camerounaise Monique Kwachou au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a émergé en 2016 à travers une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.

    Monique est la fondatrice de Better Breed Cameroon, une organisation de la société civile (OSC) travaillant sur le développement et l'émancipation des jeunes, et coordinatrice nationale de la section camerounaise du Forum des éducatrices africaines.

    Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit dans les régions anglophones du Cameroun ?

    La crise dans les régions anglophones du Cameroun a entraîné le déplacement interne de près de 800 000 personnes anglophones, selon lesuivi des organisations humanitaires. De nombreuses personnes émigrent également vers d’autres pays en quête de sécurité. Malheureusement, les civils ont été instrumentalisés et utilisés comme une arme. En conséquence la seule manière pour eux de se protéger est de fuir vers des régions plus sûres, à l'intérieur comme en dehors du pays.

    De même, de nombreuses personnes sont de plus en plus désespérées et n’investissent plus dans les régions anglophones comme elles le faisaient auparavant. Pour vous donner une idée claire de l’insécurité qui règne actuellement dans les régions anglophones, avant de sortir de chez moi, je dois évaluer les risques et décider si ce que je dois faire en vaut la peine.

    Les exécutions illégales et les enlèvements sont désormais monnaie courante et quelque peu normalisés : ils ne nous choquent pas autant qu’autrefois, et il existe une lassitude générale liée au traumatisme qui peut engendrer une apathie dangereuse.

    Actuellement, certaines personnes essaient de faire circuler un hashtag à propos d’un enlèvement récent de membres du clergé et de fidèles catholiques dans la région du Nord-Ouest. Les ravisseurs exigent une rançon de 30 millions de francs CFA (environ 45 000 dollars), mais l’Église hésite d’accepter ces demandes, craignant que si les kidnappeurs sont payés une fois, d’autres personnes seront enlevées dans le futur. Pourtant, la plupart des commentaires sur les réseaux sociaux à propos de cette nouvelle soutiennent le paiement de la rançon puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. C'est la récurrence de telles histoires qui provoque cette apathie.

    Étant donné que les forces de sécuritéont une réputation de violence et qu’elles ont contribué au développement de la crise en brûlant des villages entiers, les gens ne leur font pas confiance non plus.

    En tant qu’enseignante, je pense que l’un des impacts les plus tristes de cette crise est au niveau de l’éducation. Pour l’instant, je pense que personne ne bénéficie d’une éducation de qualité. De nombreuses personnes ont émigré vers d’autres régions, notamment vers Douala, la plus grande ville du Cameroun, et Yaoundé, la capitale. En conséquence, les écoles y sont surpeuplées. Le ratio élèves- enseignants a augmenté et la qualité de l’enseignement a baissé. Dans les régions en crise, chaque grève et chaque couvre-feu met en suspens l’avenir des élèves et affecte potentiellement leur bien-être psychologique.

    Que faudra-t-il faire pour désescalader la situation ?

    Je pense que le gouvernement sait déjà ce qu’il faut faire pour que la situation s’apaise. Edith Kahbang Walla, du parti de l’opposition Parti du Peuple Camerounais, a présenté un processus de désescalade et de transition politique pacifique, étape par étape. Mais le problème est que le parti au pouvoir ne veut pas de transition. Or, vu qu'il semblerait qu'ils prévoient de rester perpétuellement au pouvoir, ils feraient mieux d’apporter des changements qui conviennent à toutes les régions du Cameroun.

    Des mesures extrêmes ont été adoptées pour attirer l’attention sur les problèmes rencontrés par les Camerounais anglophones. Les régions anglophones maintiennent les journées de « ville morte » tous les lundis, arrêtant les activités pendant un jour pour protester contre les autorités. Ces jours-là, les écoles ne fonctionnent pas et les entreprises restent fermées. L’objectif initial était de montrer du soutien aux enseignants et aux avocats en grève, mais cette pratique commence à avoir un impact négatif sur la vie des habitants des régions anglophones.

    Si le gouvernement envisageait une meilleure stratégie pour négocier avec les sécessionnistes, la situation pourrait être traitée efficacement. Malheureusement, le gouvernement a rendu la négociation impossible depuis le début de la crise en arrêtant les manifestants. Avec qui le gouvernement va-t-il alors dialoguer ? Ils soutiennent qu’ils ne négocieront pas avec les terroristes, tout en oubliant que c'est eux qui ont créé le monstre. Ils doivent reconnaître les causes profondes du problème, sinon ils ne pourront pas le résoudre.

    À quels défis la société civile doit-elle faire face en plaidant pour la paix ?

    La société civile est doublement victime du conflit en cours. Étant donné que les OSC se concentrent en ce moment sur l'action humanitaire, leurs activités axées sur le développement ont été grandement affectées par la crise et laissées de côté.

    D’une part, le gouvernement est en train de saper l’activisme des populations anglophones par le biais d'arrestations et de restrictions de la liberté d’expression, tant sur Internet comme hors Internet. Il est dangereux de dénoncer le gouvernement et l'action des militaires dans les régions anglophones. Par exemple, la journaliste Mimi Mefo a été arrêtée pour avoir fait un reportage sur l’activité militaire et a dû quitter le Cameroun parce que sa vie était menacée.

    D’autre part, les militants pacifistes qui préconisent le retour des enfants à l’école sont attaqués par des groupes sécessionnistes qui pensent que ces demandes seront instrumentalisées par le gouvernement. Des hôpitaux ont été attaqués à la fois par les militaires et par les groupes armés sécessionnistes parce qu’ils ont aidé l’un ou l’autre.

    Outre le défi du danger auquel les membres des OSC sont confrontés dans le cadre de leur travail, un autre défi est celui de l'articulation de messages pour la paix et la résolution de la crise sans être identifié comme pro-gouvernemental ou pro-sécessionniste. Cela s'accentue par le fait que les médias tentent de dépeindre le conflit comme si c'était tout noir ou blanc. Cela n’a pas été une tâche facile. Les ressources limitées rendent également difficile le travail tendant à la consolidation de la paix.

    Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise ?

    Pendant la crise, les organisations humanitaires ont commencé à se rendre visibles dans les régions anglophones. Cependant, l’aide des organisations humanitaires ne répond qu'aux symptômes du problème, et non à sa cause profonde : ce n'est pas une façon de résoudre la crise. Je n’ai pas vu la communauté internationale aider le Cameroun à s’attaquer aux causes profondes du conflit. Ce serait constructif, par exemple, d’aider à tracer la vente d'armes aux deux camps. Nos principaux partenaires internationaux pourraient également utiliser leur influence pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il s’oriente vers un véritable dialogue inclusif et garantisse l’adoption de solutions efficaces à la crise.


     L’espace civique au Cameroun est classé comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez Monique Kwachou sur sonsite internet et suivez@montrelz sur Twitter.

  • CAMEROUN : « Le mécontentement de la communauté anglophone doit être abordé à travers des discussions sérieuses avec toutes les parties »

    DibussiTandeCIVICUS échange avec l’écrivain et activiste numérique camerounais Dibussi Tande au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a commencé en 2016 dû à une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.

    Dibussi est l’auteur deScribbles from the Den. Essays on Politics and Collective Memory in Cameroon. Il tient également un blog où il partage des nouvelles et des analyses de la situation au Cameroun. 

    Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit au Cameroun ?

    Le principal problème humanitaire concerne le déplacement de centaines de milliers de personnes fuyant le conflit. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en août 2021 on comptait 712 800 personnes déplacées internes (PDI), à savoir déplacées à l’intérieur du pays. Bien que depuis certaines soient retournées, il reste encore plus d’un demi-million de PDI à travers le Cameroun.

    Aujourd’hui, les besoins prioritaires des personnes déplacées et des rapatriés sont le logement ainsi que l’accès aux soins de santé, à l’alimentation, à l’eau et à l’éducation. Cependant, l’aide n’a pas été facilement accessible, ce qui explique pourquoi ce conflit a été classé à plusieurs reprises comme l’une des crises de déplacement les plus négligées depuis 2019.

    N’oublions pas que l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés compte 82 000 réfugiés camerounais supplémentaires enregistrés au Nigeria. De plus, il y a des millions de personnes piégées dans des zones de conflit et prises entre deux feux, ce qui pourrait conduire vers une crise humanitaire catastrophique.

    Que faut-il faire pour désescalader le conflit ?

    C’est très simple. Tout d’abord, les parties impliquées dans le conflit doivent être prêtes à oublier l’option militaire, qui n’a jusqu’à présent rien résolu, et à rechercher plutôt une solution pacifique. Il ne peut y avoir de véritable désescalade tant qu’elles n’auront pas donné un sens aux demandes aujourd’hui ridiculisées tendant à un « dialogue national inclusif ». Or celles-ci, sont devenues banales et constituent désormais une excuse pour l’inaction. Cela dit, je pense que la responsabilité incombe en premier lieu au gouvernement camerounais, qui dispose des ressources nécessaires pour au moins entamer un véritable dialogue.

    Deuxièmement, la communauté internationale doit revoir son approche au conflit. Jusqu’à présent, toutes les tentatives de médiation internationale, telles que le processusde facilitationsuisse dans le cadre duquel le gouvernement suisse a organisé des pourparlers, ont stagné pendant des années ou ont tout simplement échoué. La communauté internationale doit intensifier la pression sur toutes les parties, y compris en menaçant tant avec des sanctions individuelles comme collectives si l’obstination persiste. Sans cette double approche, il n’y aura pas de désescalade à portée du regard.

    A quels types de défis la société civile s’affronte-t-elle dans le cadre du plaidoyer pour la paix ?

    La société civile est confrontée à de nombreux défis. Tout d’abord, les organisations de la société civile (OSC) ont un accès limité aux zones de conflit. Elles doivent également faire face à une situation délicate entre le gouvernement et les groupes ambazoniens qui luttent pour l’indépendance de l’Ambazonie, un État autoproclamé dans les régions anglophones, dans laquelle chacun des deux camps les accuse régulièrement de soutenir l’autre. Ainsi, même quand la société civile accède aux zones de conflit, elle opère avec des ressources (financières et autres) très limitées.

    Cela dit, l’hostilité du gouvernement constitue le principal obstacle à leurs activités. Les OSC locales se plaignent régulièrement d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités camerounaises lorsqu’elles tentent de travailler dans les zones de conflit. En 2020, par exemple, le ministre de l’Administration Territoriale a accusé les OSC locales de coopérer avec les OSC internationales pour alimenter le terrorisme au Cameroun. Il a affirmé que ces « ONG téléguidées » avaient reçu 5 milliards de francs CFA (environ 7,4 millions de dollars) pour minimiser les atrocités commises par les groupes séparatistes tout en publiant des informations fabriquées sur l’armée camerounaise.

    Les groupes humanitaires internationaux tels que Médecins sans frontières (MSF) ont également subi la colère du gouvernement. En 2020, le Cameroun a suspendu MSF de ses activités dans la région du Nord-Ouest après l’avoir accusé d’entretenir des relations de complicité avec les séparatistes. En mars 2022, MSF a suspendu ses activités dans la région du Sud-Ouest suite à l’arrestation de quatre de ses employés pour avoir prétendument collaboré avec des séparatistes. MSF s’est plaint de la confusion du gouvernement entre l’aide humanitaire neutre, indépendante et impartiale, et la collusion avec les groupes séparatistes.

    Quelles étaient les attentes des Camerounais anglophones pour le 1er octobre, proclamé « Jour de l’indépendance » dans les régions anglophones ?

    Les Camerounais anglophones avaient différentes attentes en fonction de leur idéologie politique. Pour les indépendantistes, l’objectif est tout simplement l’indépendance de l’ancien territoire sous mandat britannique, le Southern Cameroons. De leur point de vue toute négociation avec le gouvernement doit donc porter sur les modalités pour mettre fin à l’union et non sur la question de savoir si l’union doit continuer.

    Mais d’autres segments de la population croient toujours en une république camerounaise bilingue, bien que sous d’autres accords et agencements politiques. Les fédéralistes pensent que les attentes des anglophones seront satisfaites si le pays revient au système fédéral qui existait entre 1961 et 1972. Ce système offrait à l’ancien Southern Cameroons britannique des protections constitutionnelles au sein d’une république fédérale, notamment le droit d’avoir son propre gouvernement, un corps législatif élu, un système judiciaire indépendant, un système de gouvernement local dynamique et le contrôle étatique du système éducatif.

    Le gouvernement camerounais n’a accédé ni aux demandes radicales des indépendantistes ni aux demandes comparativement modérées des fédéralistes. Au lieu de cela, il va de l’avant avec une politique de « décentralisation » qui, en accordant un pouvoir symbolique aux régions, finit par ne même pas aborder le soi-disant « problème anglophone ».

    Que devrait faire le gouvernement camerounais pour assurer la reconnaissance des droits des Camerounais anglophones ?

    Dans un premier temps, le gouvernement devrait abandonner ses politiques palliatives et largement cosmétiques pour résoudre le conflit, car celles-ci ne font qu’ajouter au ressentiment dans la région. Tel est le cas, par exemple, du « statut spécial » accordé aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui était censé reconnaître leur « particularité linguistique et leur patrimoine historique ». Cependant, cette approche hautement critiquée n’accorde pas le pouvoir d’influencer ou de déterminer les politiques dans des domaines clés tels que l’éducation, la justice et le gouvernement local, où cette « particularité » a le plus besoin d’être protégée.

    Les origines historiques et constitutionnelles du mécontentement des communautés anglophones au sein de la république bilingue du Cameroun sont bien documentées. Ce mécontentement doit être abordé par le biais d’une approche holistique qui inclut des discussions sérieuses avec toutes les parties, allant des fédéralistes aux indépendantistes. Le dialogue est un voyage, pas une destination. Il est maintenant temps de commencer ce voyage, même s’il est tortueux, frustrant et difficile, et malgré la méfiance, le ressentiment et l’animosité qui sont profondément ancrés entre les parties.

    Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise et aider à trouver une solution ?

    La société civile camerounaise a besoin, entre autres, de ressources financières et matérielles pour fournir adéquatement l’assistance humanitaire aux personnes déplacées ainsi qu’aux personnes vivant dans les zones de conflit. C’est dans ce cadre que la communauté internationale peut participer. Cependant, l’aide internationale est une arme à double tranchant étant donné que le gouvernement camerounais est suspicieux et hostile envers les OSC locales qui ont des partenaires internationaux, et en particulier celles qui critiquent la façon dont le gouvernement a géré le conflit jusqu’à présent. La société civile a également besoin de ressources pour documenter de manière précise et adéquate ce qui se passe sur le terrain, y compris les crimes de guerre et les violations des lois internationales relatives aux droits humains.

    Les OSC devront trouver un moyen de convaincre tant le gouvernement comme les groupes ambazoniens, qui se méfient également de leurs activités, qu’elles sont des intermédiaires honnêtes. Si elles parviennent à prouver qu’elles ne sont pas des acteurs partiaux, cela leur permettrait de jouer un rôle central dans la recherche d’une solution au conflit. À ce stade cela représente toutefois une tâche herculéenne, voire impossible. Pour l’instant, la société civile demeurera sur la corde raide entre le gouvernement et les indépendantistes, tout en faisant des promesses qu’elle ne peut pas tenir aux personnes touchées par le conflit.

    En ce qui concerne la recherche internationale d’une solution, il y a eu beaucoup plus de tergiversations, tant de la part de l’Union Africaine comme de l’ONU, que de véritables actions. Jusqu’à présent, la communauté internationale a adopté une attitude essentiellement réactive face au conflit. Des déclarations de détresse suivies d’appels creux à un dialogue inclusif ont été publiées après chaque atrocité. Cela s’ensuit par du silence jusqu’à la prochaine tragédie. Les parties sont donc peu incitées au dialogue, surtout lorsque chacune d’entre elles croit, à tort ou à raison, qu’elle prend le dessus sur le plan militaire.

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  • CANADA : « Le pape n’a pas présenté d’excuses claires aux peuples autochtones au nom de l’Église catholique »

    Virginie LadischCIVICUSéchange avec Virginie Ladisch du International Center for Transitional Justice (ICTJ : le Centre international pour la justice transitionnelle) au sujet des récentes excuses du pape François aux peuples autochtones canadiens et de l’empreinte laissée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

    L’ICTJ est une organisation de la société civile (OSC) qui travaille en partenariat avec des victimes et survivants afin d’obtenir la reconnaissance et la réparation des violations massives de droits humains, d’obliger les responsables à rendre des comptes, de réformer et de construire des institutions démocratiques et de prévenir que la violence et la répression ne resurviennent.

     

    Quelles violations des droits humains commises à l’encontre des peuples autochtones la Commission de vérité et réconciliation a-t-elle révélées ?

    Lerapport final de laCommission de vérité et réconciliation du Canada décrit très clairement les violations des droits humains et le génocide culturel résultant du système des « pensionnats indiens », qui a fait l’objet des récentes excuses du pape François.

    Les pensionnats indiens et les abus qui y ont été commis sont parmi de nombreuses autres violations des droits humains subies par les populations autochtones au Canada, notamment les violations sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes et des filles autochtones, la dépossession des terres, la violation du droit à l’eau potable, les taux d’incarcération disproportionnés, le recours excessif à la force contre les manifestants pour les droits fonciers, les pratiques discriminatoires et le manque d’accès aux services de base, y compris les soins de santé.

    Quelle est l’importance des excuses du pape ?

    Lesexcuses du pape constituent une première étape importante dans le processus de reconnaissance et de réparation des torts du passé. Dans ses excuses, le pape a reconnu l’intention assimilationniste du système des pensionnats et les dommages causés en marginalisant systématiquement les populations autochtones, en dénigrant et en supprimant leurs langues et leurs cultures, en arrachant les jeunes enfants de leur foyer, en affectant de manière indélébile leur relation avec leurs parents et leurs grands-parents et en les soumettant à des violences physiques, verbales, psychologiques et spirituelles.

    Les derniers pensionnats ayant fermé dans les années 1990, il était important qu’il reconnaisse le préjudice intergénérationnel causé, qui persiste encore aujourd’hui. Cependant, plusieurs survivants ont été déçus de constater que le pape a omis les abus sexuels, très répandus dans les pensionnats indiens, dont les effets demeurent nuisibles pour les survivants et leurs familles.

    Bien que le pape ait souligné la nature systématique des préjudices commisà l’encontre des populations autochtones du Canada, ses excuses ont tu le rôle de l’Église catholique dans le système visant à« tuer l’Indien dans l’enfant ». Il a déclaré : « Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré,mêmeà travers l’indifférence, aux projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée promus par les gouvernements de l’époque, qui ontabouti au système des pensionnats ».

    Les paroles du Pape reflètent des excuses personnelles et des excuses au nom des catholiques individuels, mais pas d’excuses claires au nom de l’Église catholique en tant qu’institution. Certes, il est possible d’interpréter ces excuses personnelles comme des excuses au nom de l’Église en tant que le pape est lui-même représentant de l’Église catholique. Cependant, les violations de l’Église catholique à l’encontre des peuples autochtones ont représenté des atteintes systémiques et se sont ancré profondément, d’où il est nécessaire de reconnaître clairement que le système était en faute et qu’il y a eu un effort institutionnel concerté pour assimiler de force les enfants autochtones. Il ne s’agissait pas de l’œuvre de quelques individus malavisés.

    Il faut un effort concerté pour démêler les idées colonialistes sous-jacentes du système des pensionnats. qui demeurentà l’origine du racisme persistant aujourd’hui.

    Quels devraient être les prochains pas pour l’Église catholique et le gouvernement canadien ?

    L’ICTJreconnaît que les excuses constituent un élément important du processus de justice transitionnelle en raison de leur valeur morale et symbolique significative. Mais pour qu’elles soient significatives, elles doivent être suivies d’actions réelles et de réparations matérielles. Le pape a reconnu cela dans ses excuses et a noté qu’« une enquête sérieuse sur les faits » et des efforts « pour aider les survivants des pensionnats à guérir des traumatismes qu’ils ont subis » seraient essentiels pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. En fin de compte, l’importance des excuses du pape dépendra de la manière dont il conduira l’Église catholique à traduire ces paroles en actes.

    En ce qui concerne les prochaines étapes, l’Église catholique et le gouvernement du Canada devraient suivre les94 appels à laction de la Commission de vérité et réconciliation, qui traitent des préjudices durables causés par les pensionnats et appellent tous les secteurs de la société à investir dans des moyens nouveaux et respectueux d’avancer ensemble. Lorsque des informations supplémentaires sont nécessaires, par exemple au sujet des enfants disparus et des tombes non marquées, l’Église catholique devrait ouvrir ses archives et entreprendre une enquête rigoureuse.

    Comment l’ICTJ travaille-t-il pour faire avancer les droits des peuples autochtones ?

    L’ICTJ travaille aux côtés des victimes et des survivants dans leur quête de justice et veille à ce qu’ils aient leur mot à dire dans les politiques qui les concernent. Nous sensibilisons les gens à leurs droits et soutenons les efforts déployés pour que les auteurs de ces crimes soient tenus responsables, pour découvrir la vérité sur les violations qu’eux-mêmes et leurs communautés ont subies et pour obtenir reconnaissance et réparation.

    Nous collaboronségalementavec des groupes de la société civile, notamment des groupes de femmes, de jeunes et de minorités, qui ont intérêt à construire une société plus juste, plus pacifique et plus démocratique. Ensemble, nous faisons avancer les réformes institutionnelles et les garanties nécessaires pour éviter que ces violations ne se reproduisent.

    Au cours des trois dernières décennies, les processus de justice transitionnelle ont représenté un moyen de remédier aux injustices historiques de longue date commises à l’encontre des peuples autochtones dans le monde entier. Les processus et institutions spécifiques associés à la justice transitionnelle, tels que les commissions de vérité, les organes spéciaux de poursuites, la commémoration et les réparations, peuvent ainsi catalyser des changements politiques, sociaux, institutionnels et culturels qui contribuent à la reconnaissance et à la concrétisation des droits des peuples autochtones, tel que souligné dans unrapport que nous avons publié en 2012.

    L’ICTJ a œuvré pour faire progresser les droits des peuples autochtones dans différents pays, notamment en Australie, au Canada, en Colombie, au Guatemala, au Pérou et aux États-Unis. Au Canada, il a accompagné la Commission de vérité et réconciliation depuis avant sa création en 2008 jusqu’à la fin de son mandat en 2015.

    Reconnaissant l’importance d’impliquer les jeunes dans ce processus de vérité et de réconciliation au Canada, l’ICTJsest associé à la Commission pour mener des activités d’engagement des jeunes. Les initiatives comprenaient une série derassemblements pour les jeunes au cours desquelles les participants ont développé les compétences techniques et de communication nécessaires pour mieux engager avec leurs pairs sur les questions autochtones, ainsi qu’un projetvidéo dirigé par des jeunes. Celui-ci concernait l’histoire des pensionnats et la connaissance, ou le manque de connaissance, des jeunes de cette histoire, ainsi que la situation contemporaine des peuples autochtones au Canada.

    Comme l’a dit un lycéen d’Edmonton qui a participé à l’un des événements de l’ICTJ, « Nous sommes la prochaine génération. Dans dix ans, nous serons les adultes - les avocats, les premiers ministres. Nous devons nous informer lorsque nous sommes jeunes, et quand nous serons plus âgés, nous pourrons faire en sorte que cela ne se produise plus ».

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  • CANADA : « Les peuples autochtones les plus marginalisés subissent de sévères violations de leurs droits humains »

    Melanie OmenihoCIVICUS parle des droits des peuples autochtones au Canada avec Melanie Omeniho, présidente de Les Femmes Michif Otipemisiwak/Femmes de la Nation Métisse (LFMO).

    Fondée en 1999 et constituée en société en 2010, LFMO est une organisation de la société civile qui défend les droits des peuples autochtones au Canada. Cela inclut notamment le droit à l’égalité de traitement, à la santé et au bien-être des femmes, et les droits des personnes de diverses identités de genre et des minorités sexuelles de la Nation Métisse.

    Quelle est la situation actuelle des peuples autochtones au Canada ?

    D’après notre expérience au LFMO, les personnes autochtones les plus marginalisées subissent d’importantes violations de leurs droits humains. Beaucoup d’entre elles tentent de surmonter des traumatismes et n’ont ni le temps, ni les ressources nécessaires pour faire face au racisme systémique responsable de la violation persistante de leurs droits.

    Par exemple, nous avons entendu de nombreuses expériences concernant les difficultés d’accès au système canadien de services d’assistance aux victimes. Dans certaines régions si une personne a déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, même des décennies auparavant, et que cela reste dans son casier judiciaire, elle peut ne pas être admissible à des services aux victimes. Cette politique a de graves répercussions sur les personnes autochtones qui sont victimes de crimes, y inclus d’agressions sexuelles, et représente une violation de leurs droits.

    Au LFMO, nous sommes très conscients de l’expérience du racisme anti-autochtone. Certains d’entre nous sommes attaqués sur la base de notre apparence ou de nos propos dans notre vie quotidienne. Ce qui nous concerne particulièrement est le manque de volonté de catégoriser comme des crimes de haine les attaques physiques contre les femmes autochtones.

    Nous encourageons un changement de politiques et de pratiques dans toutes les facettes du système de justice pénale, afin d’identifier les crimes de haine contre les personnes autochtones au lieu de les classer comme des agressions ordinaires. Pour créer un changement et tenir les agresseurs dûment responsables, nous devons faire en sorte que le racisme anti-autochtone soit reconnu comme un crime de haine.

    Comment la LMFO travaille-t-elle pour faire avancer les droits des peuples autochtones au Canada ?

    La LMFO est l’organisation nationale qui représente les femmes Métisses dans toute la mère patrie de la Nation Métisse. Les Métis sont l’un des trois peuples autochtones reconnus du Canada, avec les Premières Nations et les Inuits. Selon le recensement de 2016, près de 600 000 Canadiens s’identifient comme Métis.

    La LMFO défend l’égalité des femmes Métisses, des personnes bispirituelles et des personnes Métisses de diverses identités de genre dans toute la mère patrie de la Nation Métisse – notre mère patrie Métisse. Le terme « bispirituel » a été repris dans les années 1990 pour désigner les personnes autochtones LGBTQI+. Il correspond à un concept ancien dans les communautés autochtones qui désigne une personne qui incarne à la fois un esprit masculin et féminin.

    Le LFMO joue un rôle important dans l’amélioration de l’espace social, culturel, économique, environnemental et de leadership (rôles de dirigeance) occupé par les femmes Métisses et les minorités de genre. Notre mission primordiale est d’assurer l’égalité de traitement, la santé et le bien-être de tous les Métis, en mettant l’accent sur les femmes, les jeunes et les personnes bispirituelles et de genre diverse.

    Dans le cadre de notre plan stratégique, nous avons 10 objectifs : défendre les priorités et les besoins des femmes de la Nation Métisse, du Canada et du monde entier ; prendre soin de la terre et des eaux ; préserver le savoir traditionnel des femmes Métisses ; promouvoir la justice sociale et l’égalité ; créer des occasions pour les femmes Métisses de développer leurs compétences en leadership ; aider les Métis à mener une vie plus saine et soutenir des communautés saines et dynamiques ; veiller à ce que les perspectives et les priorités des femmes Métisses soient prises en compte dans les initiatives de développement économique, et qu’un soutien soit apporté à leur esprit d’entreprise ; favoriser des espaces d’apprentissage culturellement adéquats, dès la jeunesse et tout au long de la vie, afin d’améliorer les résultats éducationnels pour les enfants, les femmes et tous les apprenants Métis ; élaborer une stratégie de recherche d’informations spécifique aux Métis afin de produire des données désagrégées ; et bâtir une organisation forte, prospère, inclusive, responsable et transparente.

    Nous faisons partie d’un mouvement global de groupes de peuples autochtones du monde entier qui luttent et plaident collectivement pour être vus, entendus et reconnus. Plus nous prenons la parole, partageons nos histoires et luttons pour préserver nos traditions et nos cultures, plus nous aurons de chances d’obtenir la reconnaissance de nos droits et la création de politiques qui nous soutiennent et nous protègent.

    Comment le gouvernement devrait-il contribuer à l’avancement des droits des peuples autochtones du Canada ?

    Nous espérons qu’en transposant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans son droit interne, le gouvernement mettra en œuvre des politiques visant à concrétiser les droits des peuples autochtones, et que les femmes autochtones participeront à ces conversations. C’est en vue de cet objectif que LFMO préconise une approche fondée sur le genre avec une optique intersectionnelle dans l’élaboration des politiques et la co-création de la législation.

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  • GABON : « L’espace civique et les conditions des droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime »

    GeorgesMpagaCIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Georges Mpaga, président exécutif national du Réseau des organisations libres de la société civile du Gabon (ROLBG).

    Au cours des dix dernières années, le ROLBG s’est concentré sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les détentions arbitraires. Il plaide en faveur de l’espace civique au Gabon e l’Afrique centrale et mène des campagnes sur les conditions de détention inhumaines.

    Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?

    Les élections du 26 août ont été indubitablement frauduleuses, comme l’étaient les précédentes. Le régime du dictateur prédateur Ali Bongo avait interdit les missions d’observation internationales et domestiques ainsi que la présence de la presse internationale. Le ROLBG a été la seule organisation à mettre en œuvre une observation citoyenne à travers le système de tabulation parallèle des votes. Par la volonté despotique de Bongo, l’élection s’est tenue dans des conditions totalement irrégulières, en violation flagrante des normes et standards internationaux en la matière. Les scrutins s’étaient déroulés à huis clos, dans une opacité qui a généré une fraude électorale à grande échelle et des résultats tronqués.

    Le 30 août 2023, l’intervention salutaire des forces de défense et de sécurité a mis un terme à cette forfaiture. Pour moi en tant qu’acteur de la société civile, ce qui vient de se passer au Gabon n’est nullement un coup d’Etat, c’est tout simplement une intervention militaire menée par des patriotes au sein de l’armée, sous le leadership du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a mis fin à une imposture de 56 ans, un système prédateur et un cycle infernal d’élections truquées souvent jalonnées de violations massives des droits humains. C’est notre lecture de la situation et c’est l’avis général de la population gabonaise qui vient d’être libérée d’une dictature et d’une oligarchie criminelle.

    Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?

    L’intervention militaire du 30 août se justifie comme une réponse à la volonté du clan Bongo et son Parti démocratique gabonais de se maintenir au pouvoir de gré ou de force à travers des élections frauduleuses et la répression policière orchestrée par des forces de défense et de sécurité instrumentalisées et aux ordres de l’ancien président.

    Les forces armées gabonaises sont intervenu pour éviter un bain de sang et remplacer le régime incarné par Bongo : un régime inamovible qui s’est montré impitoyable envers le peuple gabonais, entaché de relations clientélistes, d’affaires louches, de corruption prédatrice et de violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales, le tout sanctionné par des élections frauduleuses.

    En résumé, le coup au Gabon ne s’inscrit pas dans une tendance régionale, mais est le résultat d’un processus purement interne résultant des 56 ans de dictature et son corollaire de violations des droits humains et de destruction du tissu économique et social du pays. Les évènements en cours au Gabon ont évidemment des répercussions dans la région d’Afrique centrale, foyer des plus grandes dictatures d’Afrique.

    Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?

    La société civile a favorablement accueilli l’intervention militaire qui a sonné le glas de plus d’un demi-siècle de forfaiture et de prédation au sommet de l’Etat. Sans cette intervention, nous aurons assisté à une tragédie sans précédent.

    L’armée gabonaise, sous la houlette du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire au pouvoir, a permis au pays d’échapper à un drame aux conséquences incalculables. Vu sous cet angle, les militaires sont des héros à célébrer. Dès sa prise de pouvoir, le Général Oligui s’est employé à fédérer un pays qui était profondément divisé et traumatisé par si longtemps de gestion calamiteuse par la famille Bongo et les intérêts mafieux qui les entouraient.

    L’attitude de la communauté internationale est inacceptable pour la société civile, les défenseurs des droits humains et la population gabonaise, qui ont longtemps payé un lourd tribut. Quand en 2016 Bongo a planifié et exécuté un coup d’état électoral suivi d’atrocités contre les populations civiles qui s’étaient opposées à la mascarade électorale, la communauté internationale s’était tue laissant les populations civiles gabonaises face à leur bourreau. Au regard de ce qui précède, nous rejetons catégoriquement les déclarations de la communauté internationale, singulièrement la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale et l’Union Africaine, deux institutions qui encouragent les tripatouillages de constitutions et les présidences à vie en Afrique centrale.

    Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?

    L’espace civique et les conditions d’exercice des libertés démocratiques et les droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime. Les droits de d’association, de réunion pacifique d’expression étaient bafoués. De nombreux militants de la société civile et défenseurs des droits humains dont moi-même, ont séjourné en prison ou furent privés de leurs droits fondamentaux.

    Maintenant, avec l’arrivée du régime de transition, nous notons un changement fondamental, une approche globalement favorable à la société civile. Les nouvelles autorités travaillent désormais de concert avec toutes les forces vives de la nation y compris la société civile qui a été reçue le 1er septembre par le Général Oligui et ses pairs du CTRI, et votre humble serviteur était le facilitateur de cette rencontre. Le président de transition, qui a prêté serment le 4 septembre, s’est engagé à travailler pour restaurer les institutions de l’Etat et les droits humains et démocratiques et respecter les engagements nationaux et internationaux du Gabon. Le signal fort a été donné le 5 septembre par la libération progressive des prisonniers d’opinion dont le leader de la plus grande confédération syndicale de la fonction publique gabonaise, Jean Remi Yama, après 18 mois de détention arbitraire.


    L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez Georgessur sa pageFacebook et suivez@gmpaga sur Twitter.

    Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.


     

  • GABON : « Sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte »

    PepecyOgouliguendeCIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Pepecy Ogouliguende, experte en droits humains, gouvernance, genre et médiation de paix et fondatrice et présidente de Malachie.

    Malachie est une organisation de la société civile gabonaise qui lutte contre la pauvreté et promeut le développement durable et l’égalité des sexes. Elle est active dans plusieurs domaines, notamment la protection de la biodiversité, l’aide en cas de catastrophes naturelles, le soutien médical, notamment auprès des personnes vivantes avec le VIH/SIDA, et l’éducation aux droits humains, particulièrement auprès des couches sociales les plus vulnérables.

    Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?

    Le 30 août 2023 aux environs de 3h du matin la Commission Gabonaise Électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle qui donnaient le président, Ali Bongo, gagnant. Quelques minutes plus tard, les militaires annonçaient avoir pris le pouvoir. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais d’une prise de pouvoir par les militaires. Cela trouve sa justification dans le fait que cela s’est déroulé sans effusion de sang.

    Cette élection était entachée d’irrégularités et l’annonce de ses résultats allaient conduire à des contestations bien que légitimes mais qui se seraient soldées par des violences. Je tiens donc ici à saluer l’acte de bravoure des forces de défense et de sécurité.

    Les militaires ont ensuite dissous l’ensemble des institutions du gouvernement et ont mis en place un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI).

    Votre organisation a-t-elle pu observer les élections ?

    Non, mon organisation n’a pas pu observer les élections pour la simple raison qu’aucun observateurs internationaux et nationaux n’étaient admis. Cette élection s’est déroulée dans une opacité totale. Comme tous les Gabonais, j’ai effectivement constaté que les déclarations ne correspondaient pas aux résultats des urnes.

    La prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité dans cette circonstance particulière de défiance des populations envers les autorités et de suspicion profonde quant à la vérité des urnes s’apparente plutôt à un sursaut patriotique.

    Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?

    Nos forces de défense et de sécurité ont au même titre que la population, constaté de nombreuses irrégularités et plusieurs dysfonctionnements de l’appareil étatique ces dernières années. Ils ont donc décidé de mettre fin à ce régime qui ne correspondait plus aux aspirations des Gabonais.

    Les militaires ont profité des élections du 26 août dernier pour mettre fin au système en place en prenant leurs responsabilités pour sauver la nation et l’État de droit. Aussi, le but de cette prise de pouvoir est de « redonner aux gabonais leur dignité ». Comme l’a dit le porte-parole du CTRI, « c’est enfin notre essor vers la félicité ».

    Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?

    La communauté internationale a simplement appliqué les textes sans au préalable analyser le contexte. Le contexte du Gabon est bien particulier.

    La célébration dans les rues des principales villes du pays montre à quel point le régime en place n’était plus désiré, mais seulement toléré. Ces scènes de liesse populaire observées qui contrastent avec la condamnation de la communauté internationale devraient interpeller celle-ci, l’inviter à revoir son approche davantage tournée vers la sauvegarde à tout prix de la stabilité souvent au détriment d’un réel progrès social, du développement ou encore de la croissance économique... bref, du bien-être du plus grand nombre.

    Tous les membres de la communauté internationale qui se sont exprimés ont condamné le « coup d’État » et assuré qu’ils suivaient avec intérêt l’évolution de la situation au Gabon tout en rappelant leur attachement au respect des institutions. Les réactions des organisations internationales ont été très fortes : les Nations unies ont condamné et l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont suspendu le Gabon car ce « coup d’État » a été directement assimilé à ceux qui ont précédemment eu lieu dans la région. Les États-Unis se sont quelques peu démarqués en affirmant qu’ils travailleraient avec leurs partenaires et les populations pour soutenir le processus démocratique en cours. C’est en cela que nous attendons le reste de la communauté internationale pour nous aider à œuvrer à la construction d’institutions fortes.

    Nous saluons les États qui ont bien compris la nécessité de ce changement. Nous condamnons les sanctions de l’UA et celles de la CEEAC. La communauté internationale devrait accompagner les États dans le respect des lois et constitutions et veiller au respect de la démocratie et des droits humains.

    Pensez-vous que ce coup d’État s’inscrit dans une tendance régionale ?

    Il faut avant tout rappeler que pour le cas du Gabon, il s’agit d’une prise de pouvoir des militaires et non d’un coup d’État au sens strict du terme. Il est effectivement le résultat d’une mauvaise gouvernance, de la non prise en compte des besoins des populations notamment les besoins sociaux mais aussi d’une soif de changement. Elle peut avoir une connotation régionale en ce sens que la plupart des populations africaines vivent les mêmes difficultés - chômage des jeunes, pauvreté, manque d’accès aux soins de santé - et aspirent à de grands changements. Lorsque la population ne se sent pas prise en compte dans les politiques mises en place elle est frustrée.

    Nous n’excluons pas la possibilité que cela ait un impact chez nos voisins. Il n’est pas trop tard pour que les régimes en place en Afrique centrale saisissent cette occasion pour repenser la manière de servir le peuple.

    Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?

    Au Gabon, le fonctionnement des organisations et associations est régie par la loi 35/62 qui garantit la liberté d’association. Cela dit, sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte. Elle ne participait que partiellement à gestion de la chose publique.

    Certains leaders notamment syndicaux pouvaient être victimes d’arrestations ou d’intimidations si le régime estimait qu’ils faisaient trop de zèle. Plusieurs leaders dans la société civile gabonaise se levaient pour dénoncer des arrestations arbitraires liées aux opinions et positionnements.

    Au même titre que les Gabonais, la société civile s’est réjouie du changement. La société civile dans son ensemble s’est engagée à prendre activement part aux actions et reformes menées par les autorités au cours de la transition qui iront dans le sens du respect des droits humains, l’équité et la justice sociale, la préservation de la paix ainsi que la promotion de la bonne gouvernance.

    Le CTRI vient d’autoriser la libération de quelques figures de la lutte syndicale au Gabon et de prisonniers d’opinion. Aux vues des premières décisions prises par le CTRI, le meilleur est à venir. Je peux, sans risques de me tromper, dire que le Gabon de demain sera meilleur. Aujourd’hui on perçoit une lueur d’espoir.


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    Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.

  • HAÏTI : « Les gangs contrôlent le pays en lieu et place des autorités »

    Nancy_Roc.jpgCIVICUS échange sur l’augmentation de la violence des gangs et la situation politique en Haïti avec Nancy Roc, journaliste indépendante.

    Avec 38 ans d’expérience, Nancy est une journaliste originaire d’Haïti, reconnue pour son travail en faveur de la liberté de la presse. Elle est récipiendaire de nombreux prix, dont le prix Jean Dominique pour la liberté de la presse décerné par l’UNESCO, entre autres.

    Quelle est la situation actuelle d’Haïti en matière de sécurité ?

    La situation est intenable, pour reprendre le terme exact du Haut-Commissaire des Nations Unies (ONU) aux droits de l’homme, Volker Türk. Malgré l’état d’urgence et la succession de couvre-feu déclarés par le gouvernement depuis le 4 mars pour regagner le contrôle de la capitale, Port-au-Prince, il n’y a pas une semaine qui ne s’écoule sans que des kidnappings aient lieu. La violence est quotidienne.

    La population est cloitrée chez elle, la plupart des écoles sont fermées et les activités économiques sont gravement affectées. Il en est de même sur les routes où depuis plus de trois mois les gangs imposent leur loi et de nombreux chauffeurs sont au chômage. Pratiquement toutes les infrastructures de la capitale ont été ou détruites ou gravement affectées par les attaques des gangs.

    L’attaque du Pénitencier national, le 2 mars, a été un grand choc pour les Haïtiens, même s’ils sont habitués à vivre sous la menace constante de la violence. Plus de 4.500 détenus se seraient évadés, parmi lesquels des membres éminents de gangs et des personnes arrêtées dans le cadre de l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021. Les pillages et les attaques ont été nombreux, notamment contre la Bibliothèque nationale, qui a été prise d’assaut le 3 avril.

    La veille, dans la soirée du 2 avril, des bandits lourdement armés ont pillé des dizaines de maisons et emporté plusieurs véhicules privés aux villages Tecina et Théodat, dans la municipalité de Tabarre, au nord-est de Port-au-Prince. La grande majorité de la population, qui vivait déjà dans une misère extrême, est aujourd’hui plongée dans un véritable enfer et laissée pour compte.

    Quant à la police, malgré certains efforts, elle n’est pas outillée ni assez nombreuse pour faire face à une telle situation de guérilla urbaine face à des gangs surarmés. Actuellement, environ 23 gangs opèrent dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, divisés en deux grandes coalitions : le G-Pèp, dirigé par Gabriel Jean Pierre, dit Ti Gabriel, et le G9 Famille et Alliés, dirigé par Jimmy Chérizier, alias Barbecue. Mais les experts de l’ONU estiment qu’il y en a entre 150 et 200 dans l’ensemble du pays.

    Selon l’ONU, depuis le début de l’année, 1.193 personnes ont été tuées et 692 blessées à cause de la violence des gangs. Le système de santé est au bord de l’effondrement et les hôpitaux n’ont souvent pas la capacité de traiter les personnes blessées. L’économie est asphyxiée car les gangs imposent des restrictions aux mouvements de la population. Le principal fournisseur d’eau potable a cessé ses livraisons. Cette situation a entraîné une crise alimentaire majeure : près de la moitié des 11 millions d’habitants d’Haïti ont besoin d’une forme d’assistance alimentaire.

    Comment les gangs sont-ils devenus si puissants ?

    Les gangs disposent de puissants financeurs au sein du gouvernement et du secteur privé. Sous l’ancien premier ministre de facto Ariel Henry, qui a démissionné en mars, le gouvernement finançait 30% des membres du G9. Il ne serait pas étonnant que certaines personnalités tant du secteur privé que d’anciens hauts dignitaires de l’État continuent à les financer, en particulier ceux qui ont été sanctionnés par la communauté internationale.

    Un rapport d’experts de l’ONU publié en 2023 a également pointé du doigt l’ancien président Michel Martelly, au pouvoir entre 2011 et 2016, ainsi que plusieurs hommes d’affaires et législateurs de premier plan, comme fournissant des ressources aux gangs armés, que ce soit en nature ou en espèces.

    La prolifération des gangs a commencé sous Martelly et s’est accentuée après l’assassinat de Moïse. Déjà en 2019, environ 162 groupes armés avaient été répertoriés sur le territoire national dont plus de la moitié opérait dans l’aire métropolitaine. Au total, ils auraient un potentiel supérieur à 3.000 soldats armés d’armes à feu, dont des adolescents et même des enfants.

    Sous Moïse, de nombreux massacres ont eu lieu, tels que le massacre de La Saline en 2018, le massacre du Bel Air en 2019 et le massacre de Cité Soleil en 2020. Tous ont eu lieu dans des quartiers à fort poids électoral et où résidaient des membres de l’opposition, et ces crimes sont tous restés impunis.

    En 2020, la situation s’est aggravée lorsque Chérizier, ancien policier, a fédéré les gangs avec la « famille G9 » alliée aux neuf bandes les plus puissantes de la région. Cela lui a permis de contrôler une bonne partie de la capitale – tout en étant financé en sous-main par de hauts fonctionnaires de l’appareil d’État.

    La fédération des gangs a même été saluée par la Représentante spécial du Secrétaire Général de l’ONU en Haïti, qui a affirmé que fédérer les gangs avait fait baisser le nombre d’homicides de 12% en trois mois. Cela a provoqué un tel scandale qu’elle a dû revenir sur ses propos en les qualifiant de « mésinterprétation ».

    Un an après l’assassinat du président Moïse, alors que la situation s’aggravait, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, à l’unanimité, une résolution établissant un régime de sanctions qui ciblait les chefs de gangs et ceux qui les finançaient. Chérizier était le seul chef de gang dont le nom figurait dans une annexe de la résolution mais, à ce jour, aucune mesure n’a été prise à son encontre.

    Le 29 février 2024, la situation dans la capitale a pris un tournant décisif et pour le pire lorsque Chérizier a annoncé, à travers une vidéo sur les réseaux sociaux, la reconstitution de la coalition des groupes armés dénommée « Viv Ansanm » (Vivre ensemble). Il y revendiquait la responsabilité des tensions qui ont secoué Port-au-Prince et a déclaré que l’objectif premier des gangs était de renverser le gouvernement. Il a précisé aussi qu’une chasse aux ministres, au directeur général de la Police Nationale, était désormais ouverte. Il voulait les arrêter et empêcher Ariel Henry, qui se trouvait à Porto Rico, de rentrer au pays. Des policiers ont été tués, des commissariats attaqués, plusieurs vols annulés suite à un assaut des gangs à l’aéroport international Toussaint Louverture qui, depuis, est fermé.

    Chérizier prétend lancer une révolution afin de libérer le peuple haïtien des autorités et des oligarques pourtant, ces gangs ont ciblé toutes les couches de la société, autant que les quartiers pauvres de la capitale et de nombreuses structures étatiques qui servaient aux pauvres comme le principal hôpital public. La destruction est telle que l’ONU parle d’Haïti comme « un État au bord de l’effondrement ».

    En décembre 2023 plus de 310.000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 50.000 personnes ont quitté la capitale en trois semaines au mois de mars 2024. L’ampleur du désastre est stupéfiante et tous les pays qui avaient promis une aide policière ou militaire sont absents. Haïti est abandonnée à son triste sort et les gangs contrôlent le pays en lieu et place des autorités.

    Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas réagi à la menace croissante des gangs ?

    Il y a quatre ans, la Police Nationale d’Haïti disposait officiellement d’une force de 15.498 officiers de police (dont seulement 1.711 femmes), bien que le nombre d’officiers effectifs était estimé à beaucoup moins. En outre, le programme humanitaire mis en place par l’administration Biden-Harris pour faciliter le séjour des Haïtiens aux États-Unis a fait courir à la police le risque de perdre jusqu’à un tiers de ses effectifs en raison de l’émigration.

    Dans un tel contexte, le chaos et la violence ont atteint un niveau sans précédent. Depuis l’assassinat du président Moïse, le gouvernement a été incapable d’instaurer l’ordre avec la police, et l’armée ne comptait qu’environ 2.000 soldats. De plus, aucune élection législative ou générale n’a été organisée depuis 2016. Il n’y a donc plus d’élus, le mandat des précédents étant expiré. Les critiques d’Henry, très impopulaire, considéraient son règne comme illégitime.

    En octobre 2022, Henry a fait appel à la communauté internationale, sollicitant l’intervention d’une force étrangère. Vu son impopularité, cela a suscité la méfiance parmi la population qui redoutait que cette intervention vienne renforcer un gouvernement illégitime et accusé de connivence avec les gangs. De plus, la composition de cette mission a viré au casse-tête.

    Près d’un an plus tard, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant le recours à la force par une mission internationale d’assistance à la sécurité en Haïti. Ni le Canada ni les États-Unis n’ont voulu intervenir directement en Haïti, soulignant que la solution devait venir des Haïtiens. Mais ces derniers n’ont jamais pu s’entendre et, de plus, ils redoutent une intervention étrangère, compte tenu des interventions catastrophiques de l’ONU, depuis 2004. Le Canada, qui avait été sollicité par Washington pour prendre le leadership de l’intervention, s’est retiré en mars 2023, pour laisser la direction au Kenya.

    Le déploiement de la force d’intervention multinationale devait commencer le 1er janvier 2024. En juillet dernier, le Kenya avait proposé de diriger la mission avec un millier de policiers. Antigua et Barbuda, les Bahamas et la Jamaïque s’étaient engagés à envoyer du personnel de sécurité, et plus récemment le Belize et la Guyane. Le Canada s’était également engagé à participer à la mission. Pour sa part, le gouvernement américain s’était engagé à financer la mission à hauteur d’au moins 100 millions de dollars.

    Alors que les gangs étendaient leur emprise sur Port-au-Prince et formaient une alliance dans le but déclaré de renverser le Premier ministre, Henry prévoyait de se rendre au Kenya pour signer un accord de réciprocité. Pendant son absence, les bandes criminelles de Chérizier ont attaqué des commissariats de police, l’aéroport de la capitale et des prisons. Ils ont brandi la menace d’une guerre civile si Henry revenait en Haïti. Il a démissionné le 11 mars 2024. Le lendemain, le Kenya a suspendu l’envoi de ses policiers en Haïti.

    Qui est aux commandes aujourd’hui, et quelles sont les chances que la démocratie soit rétablie ?

    Dans la foulée de la démission d’Henry, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence. Le même jour, la formation d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) chargé de rétablir l’ordre a été annoncée. Le conseil est constitué de neuf membres, soit sept votants et deux observateurs. Il intègre des représentants des principaux partis politiques, ainsi que du secteur privé et de la société civile. Son mandat de 22 mois prendra fin le 7 février 2026 après avoir organisé des « élections démocratiques, libres et crédibles ».

    De nombreux obstacles se dressent déjà pour atteindre cette finalité. En premier lieu, comment rétablir la sécurité alors que les gangs continuent de recevoir des armes des États-Unis ? Dernier coup de théâtre : lorsque Ariel Henry a sorti le décret annonçant la formation du CPT, aucun nom des membres n’y figurait. Depuis, les organisations des représentants désignés du CPT ont exprimé leur désaccord avec le décret du Gouvernement publié dans le journal officiel le 12 avril 2024. Finalement, l’arrêté officialisant la nomination des membres du CPT a été publié le 16 avril.

    De plus, le Conseil souhaite prêter serment au Palais National devant la nation alors même que le Palais a été la cible des gangs à plusieurs reprises. Qui assurera sa sécurité ?  Comment rétablir la paix en Haïti dans un contexte d’incertitude politique et de fragilité économique ? Est-ce que les membres du Conseil, dont certains sont des frères ennemis, pourront dépasser leurs propres intérêts au profit de la nation ? D’autre part, qui reconstruira le pays après le départ de tant de jeunes ? Le pays fera-t-il enfin appel à sa diaspora ?

    Par ailleurs, la possibilité d’une famine se dessine à l’horizon et le Programme Alimentaire Mondial craint que ses stocks alimentaires ne s’épuisent d’ici la fin du mois d’avril.

    Enfin, comment convaincre les gangs de déposer leurs armes alors qu’ils accumulent des millions à travers les kidnappings et la vente des armes ? Il s’agit d’une activité très lucrative, tant pour les gangs que pour de simples citoyens qui font face à une grande pauvreté.

    Comment aussi rétablir la justice et punir les criminels qui ont commis tant de crimes contre l’humanité ? L’adage ne dit-il pas qu’il n’y a pas de paix sans justice ? Enfin, que dire des ambitions politiques des gangs ? Le 11 mars, Chérizier a déclaré qu’il serait « l’alliance Viv Ansanm, avec le peuple haïtien, qui élira celui qui dirigera le pays ». Le CPT devra-t-il négocier avec les gangs ?

    Les défis qui se dressent devant le CPT ne sont donc pas des moindres et l’un des plus ardus sera de trouver le moyen d’articuler une demande d’aide externe sans perdre la souveraineté d’Haïti.


    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

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  • HAÏTI : « Si la mission a du succès, les autorités n’auront pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix »

    Rosy Auguste DucénaCIVICUS échange avec l’avocate haïtienne Rosy Auguste Ducéna sur la situation en Haïti et les perspectives d’une mission internationale nouvellement déployée.

    Rosy est responsable de programmes du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), une organisation de la société civile qui œuvre pour l’instauration d’un État de droit en Haïti.

    Suite à la démission du premier ministre de facto Ariel Henry en avril, un Conseil présidentiel de transition a été nommé pour tenter d’entamer le processus de rétablissement de la paix dans un pays assiégé par les gangs. En proie à des divisions internes, il a fallu attendre le mois de juin pour que le conseil nomme un nouveau premier ministre, l’universitaire et praticien du développement Garry Conille. Le même mois, le premier contingent de la Mission multinationale de soutien à la sécurité des Nations unies, dirigée par le Kenya et longtemps retardée, a commencé à arriver. Compte tenu de la longue histoire d’échecs des interventions internationales en Haïti, la société civile est sceptique et exige que la mission soit fortement axée sur les droits humains.

    Qu’est-ce qui a changé depuis la démission du premier ministre de facto Ariel Henry ?

    Après l’avoir soutenu tout au long de son gouvernement, la communauté internationale a finalement retiré son soutien à Henry, qui a démissionné dans la honte. Il était un prédateur des droits humains et nous étions donc heureux de le voir partir, même si ce n’était pas de la manière dont nous l’aurions souhaité.

    Un Conseil présidentiel de transition a été mis sur pied avec la participation de la communauté internationale via la Communauté caribéenne (CARICOM), l’organisation régionale. Il compte en son sein des personnalités issues de secteurs qui n’inspirent pas confiance à la population haïtienne. La seule femme qui fait partie du Conseil a un rôle d’observateur et tous les candidats au poste de premier ministre auditionnés étaient des hommes.

    Un mois après l’installation de ce conseil, avec le peuple haïtien dévasté par l’insécurité et les bandes armées, un premier ministre a enfin été élu : Garry Conille, lui aussi soutenu par la communauté internationale. La prochaine étape logique est la mise en place d’un gouvernement de transition.

    Qu’attend la société civile du nouveau premier ministre ?

    Nous attendons du nouveau Premier ministre qu’il tienne sa première promesse : celle d’établir un gouvernement dans lequel les femmes n’auront pas un rôle symbolique mais occuperont des postes de pouvoir. Et nous espérons que des femmes ayant un agenda de lutte pour les droits des femmes dans le contexte de la transition seront choisies. Il est important de respecter le quota minimal de 30% de femmes dans les organes de décision – sans pour autant s’y arrêter, puisque plus de la moitié de la population haïtienne sont des femmes –, mais il est également important que les femmes qui occupent ces postes s’impliquent dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les discriminations et les injustices sociales subies par les femmes.

    Nous espérons aussi que les décisions qui seront prises par ce gouvernement à venir tiendront compte des priorités de la population : combattre l’insécurité, lutter contre l’impunité dont ont toujours bénéficié les bandits armés et mettre les victimes de l’insécurité au cœur des décisions, ainsi qu’organiser les élections.

    Et, sachant que cette transition a une obligation de résultat, tout doit être mis en œuvre pour que la feuille de route du Conseil et du premier ministre soit réalisée.

    Quelle est la situation en matière de sécurité et de droits humains ?

    La situation des droits humains sur le terrain est très préoccupante : les vols, assassinats, viols, viols collectifs, massacres, attaques armées et enlèvements contre rançon, et les incendies des maisons et des véhicules de la population sont monnaie courante.

    Deux grandes coalitions de gangs armés qui jadis se battaient entre elles, le « G-9 an Fanmi e Alye » dirigé par Jimmy Chérizier, alias Barbecue, et le « G-Pèp », dirigé par Gabriel Jean Pierre, alias Ti Gabriel ou Gabo, se sont regroupées autour d’une fédération et s’attaquent à la population civile pour asseoir leur pouvoir.

    Les conséquences sur la vie et la sécurité de la population haïtienne sont énormes : les bandits armés contrôlent la circulation des biens et des services ainsi que les approvisionnements en carburant et en médicaments et sèment la terreur. Certaines zones se sont complètement vidées de leur population. Des victimes de l’insécurité vivent dans des camps d’accueil surpeuplés, dans la promiscuité et exposés à toutes sortes d’exactions et de maladies contagieuses.

    Les écoles ne fonctionnent pas toutes. Des milliers d’enfants en âge d’être scolarisés et de jeunes qui devaient fréquenter l’université viennent de perdre une année académique. Des hôpitaux et centres de santé ont dû fermer leurs portes en raison de l’insécurité. Des alertes à la crise alimentaire aigüe ont été lancées : en Haïti, nous vivons une crise humanitaire sans précédent. Et, si aucune mesure n’est prise, elle s’aggravera.

    Dans un pays appauvri, où le système éducatif n’était déjà pas inclusif et où les droits sociaux ont toujours été considérés comme des produits à se procurer, le fossé de l’accès à l’éducation et à des soins de santé de qualité se creuse. Les femmes, les enfants et les personnes vivant avec une déficience physique, sensorielle ou même cognitive, ont été les premiers touchés par les conséquences néfastes du chaos instauré par les bandits armés, avec la complicité de l’institution policière et des autorités au pouvoir dirigé par Henry.

    Dans ce contexte de violation massive et continue des droits humains, le Conseil présidentiel de transition n’a pas encore prouvé qu’il comprend la nécessité d’agir vite.

    Comment la nouvelle mission internationale a-t-elle été créée et en quoi diffère-t-elle de ses prédécesseurs ?

    Le 6 octobre 2022, Henry avait sollicité l’envoi d’une « force robuste » en vue, selon ses dires, « de combattre l’insécurité, rétablir la paix et de réaliser les élections ». Près d’une année plus tard, le 2 octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution autorisant le déploiement d’une force baptisée Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, après que le Kenya eut accepté d’en assurer le leadership.

    La mission a mis du temps à se mettre en place. Elle est en train de commencer, mais nous restons sceptiques.

    Elle sera la onzième mission depuis 1993. Toutes ses prédécesseuses ont été impliquées dans la commission de violations des droits humains à l’encontre de la population haïtienne : exécutions sommaires, bastonnades et atteintes à l’intégrité physique et psychique, marchandage sexuel, viols sur mineurs.es et sur femmes. Et la seule sanction à laquelle s’exposaient les auteurs de ces violations était le rapatriement.

    L’Organisations des Nations Unis a apporté le choléra, dont la propagation a causé la mort de plus de 10.000 personnes, et n’a accepté ses responsabilités que du bout des lèvres. Les promesses de dédommagement n’ont jamais été tenues.

    Les résultats des différentes missions en Haïti, qui ont coûté des millions de dollars, sont maigres. Les institutions policières et judiciaires, ainsi que l’organe électoral qu’on leur a toujours demandé de renforcer, n’ont jamais été aussi dysfonctionnels. Le calcul coût-bénéfice et leur implication dans les violations des droits humains suggèrent qu’elles sont contre-productives.

    Il faut toutefois reconnaitre que la population, fatiguée de l’insécurité qui lui vole sa vie et son humanité et ayant perdu confiance dans le système pénal haïtien, place ses espoirs dans cette force internationale. Actuellement, la police ne traque pas les bandits notoires, les tribunaux ne les jugent pas, même par contumace, alors que plusieurs centaines de victimes de massacres, accompagnées par le RNDDH, ont porté plainte contre leurs agresseurs. Les rares fois où ils sont emprisonnés, ils s’évadent ou passent des années en détention, sans que les faits qui leur sont reprochés ne soient jamais élucidés et sans que les victimes ne reçoivent justice.

    Comment la mission internationale doit-elle agir pour contribuer à une paix durable ?

    Avec six autres organisations de la société civile haïtienne, nous avons réfléchi à cette question et formulé des recommandations. Celles-ci portent notamment sur la définition des objectifs de la mission et la prise en compte des préoccupations des organisations de défense des droits humains dans l’élaboration du cadre réglementaire et du plan stratégique de sécurité de la mission.

    La résolution étant restée muette ou ayant utilisé des termes sibyllins sur certaines questions importantes, nous insistons sur la nécessité d’aborder les obligations des agents.es relatives à la gestion des eaux, aux normes déontologiques et de transparence, ainsi qu’aux mécanismes de monitoring et de suivi des comportements des agents.

    Nous recommandons également l’établissement de mécanismes de prévention des actes de violations des droits humains et la mise en place d’un mécanisme de plaintes pour les éventuelles victimes. Il est essentiel que les pays pourvoyeurs d’agents.es s’engagent à tout mettre en œuvre pour que les exactions soient punies et que les garanties judiciaires des victimes soient protégées et respectées.

    Plus que toute autre chose, nous espérons que la mission mènera ses opérations sur le terrain avec la participation des policiers.ères haïtiens, qui y gagneront en formation et en tactiques de lutte contre les bandes armées, afin qu’au départ de cette mission, les autorités haïtiennes n’aient pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix et la sécurité.

    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez le RNDDH sur sonsite web ou sa pageFacebook, suivez@RnddhAyiti et@AugusteRosy sur Twitter, et contactez Rosy Auguste Ducéna sur son compte d’Instagram ou sa pageFacebook.


     

  • NIGER : « La menace ne résout pas les problèmes ; la réponse internationale doit mettre en avant le dialogue et la négociation »

    ClementKocouGbedeyCIVICUS échange sur le récentcoup d’État militaire au Niger avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).

    Le WANEPest une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.

    Quelles sont les causes du récent coup d’État militaire, et quel est la position de l’opinion publique ?

    Les causes du coup d’État font suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale, et ainsi que la corruption et la mal gouvernance. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale du Niger, Niamey, lors d’une manifestation pacifique soutenant le coup d’État et critiquant d’autres pays d’Afrique de l’Ouest pour avoir imposé des sanctions financières et commerciales au Niger.

    Pourquoi ? Parce que les Nigériens aujourd’hui ont l’impression que les pays occidentaux, surtout la France, sont en train d’exploiter toutes les richesses du pays, telles que l’uranium, le pétrole et l’or. Et le Niger est encore mal classé en termes de développement humain. Les autorités déchues auraient contracté avec la France pour exploiter des ressources minières et énergétiques qui constituent un combustible vital pour l’énergie nucléaire. Et les bénéfices de ce contrat se partagent au niveau du plus haut sommet, sans que le peuple ait droit à quoi que ce soit.

    Quelles restrictions ont été imposées à l’espace civique à la suite du coup d’État, et comment la société civile a-t-elle réagi ?

    Le coup d’État a entraîné des nouvelles restrictions de l’espace civique, notamment la suspension des activités des partis politiques et la censure des médias internationaux RFI et France 24, ainsi que la fermeture de l’espace aérien. Ces mesures visent à empêcher toute contestation du pouvoir militaire et à se prémunir contre une éventuelle intervention extérieure.

    Le coup d’État a eu un impact important sur la société civile nigérienne. Certains acteurs de la société civile ont exprimé leur soutien au général Abdourahamane Tchiani, qui a arrêté le président Mohamed Bazoum, et ses hommes, qu’ils considèrent comme des sauveurs face à la menace terroriste et à la mauvaise gouvernance du président Bazoum. Mais d’autres ont dénoncé le coup d’État comme une atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et ont réclamé le retour du président élu.

    Combien de temps la junte compte-t-elle rester au pouvoir ?

    La junte s’est fixé plusieurs objectifs à long terme et, bien qu’elle n’ait pour l’instant donné aucune indication sur la durée de son maintien au pouvoir, elle ne semble pas envisager de le quitter à brève échéance. Leurs objectifs déclarés sont de corriger les incohérences et les inefficacités dans la gestion de la sécurité du gouvernement déchu, de revoir l’approche sécuritaire du pays et de le protéger contre le terrorisme, de renouer les relations avec les pays voisins, et plus particulièrement avec le Burkina Faso et le Mali, d’améliorer la situation de l’éducation et de la santé et de lutter contre les détournements de fonds publics. Dans tout cela, ils disent mettre les intérêts du Niger en avant.

    Le plus grand défi auquel le régime militaire est confronté est celui des sanctions très sévères imposées par la CEDEAO, qui visent à isoler le Niger sur le plan économique, politique et diplomatique.

    Quels ont été les résultats de la présence militaire étrangère au Niger jusqu’à présent ?

    La présence française au Niger a eu pour but de lutter contre le terrorisme, de former et d’équiper les forces de sécurité nigériennes et de promouvoir la stabilité dans la région. La France intervient au Niger dans le cadre de l’opération Barkhane, qui vise à soutenir les pays du Sahel face aux groupes armés djihadistes.

    Mais depuis un moment la présence française est controversée par certains acteurs de la société civile, qui la jugent inefficace, néocoloniale et contraire aux intérêts nationaux. Depuis lors, un sentiment anti politique française a évolué.

    Pour l’instant il n’y a pas de présence russe au Niger, mais depuis le coup d’État un sentiment pro-russe est en train de gagner l’esprit de la population. Le public pense que la CEDEAO et les institutions internationales sont restées insensibles au cri des populations civiles, et préfèrent se diriger vers une autre puissance qui pourrait peut-être les aider.

    Pensez-vous que la communauté internationale a réagi de manière adéquate au coup d’État ?

    La communauté internationale a condamné le coup d’État, mais le président déchu veut plus : il a exhorté les États-Unis et « l’ensemble de la communauté internationale » à aider à « rétablir l’ordre constitutionnel ».

    Mais comment ? Les sanctions n’ont fait qu’aggraver la situation. La CEDEAO, qui se dit être la CEDEAO des peuples, a été vite en besogne dans la prise des sanctions contre le Niger. Les sanctions devraient aller en crescendo, mais cela n’a pas été le cas et la situation est devenue insoutenable. Avec les frontières fermées, les sanctions entraînent des conséquences graves pour la population nigérienne, qui souffre déjà de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la crise sanitaire. Les coupures d’électricité, le manque de carburant, la hausse des prix des produits de première nécessité et la paralysie des activités commerciales sont autant de difficultés qui affectent le quotidien des Nigériens.

    Une intervention de la CEDEAO compliquerait encore plus la situation au Niger et dans les autres pays voisins, voire un embrasement dans la sous-région. Nous pensons que ce qui est nécessaire dans la réponse internationale serait de continuer toujours à mettre en avant le dialogue et la négociation, car la menace ne résout pas les problèmes.

    Quel soutien international la société civile nigérienne reçoit-elle et de quel soutien aurait-elle besoin ?

    Actuellement on ne reçoit aucun soutien, puisque tout est verrouillé par les sanctions injustement imposées au Niger. En revanche, la société civile nigérienne aurait donc besoin d’un soutien supplémentaire pour assurer sa protection, sa pérennité et son indépendance face aux menaces et aux pressions qu’elle subit à la suite des sanctions de la CEDEAO et des institutions internationales. Elle aurait également besoin d’un soutien pour renforcer son dialogue avec les autorités publiques, les acteurs internationaux et les autres OSC, afin de construire une vision commune et concertée du développement du Niger.


    L’espace civique au Niger est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez le WANEPsur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@WANEP_Regional sur Twitter.

    Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.

  • SÉNÉGAL : « La restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile »

    MalickNdomeCIVICUS échange avec Malick Ndome, conseiller sénior en politique et membre du conseil d’administration au Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), sur les récentes élections au Sénégal.

    La CONGAD a été fondée en 1982 par des organisations de la société civile (OSC) travaillant au Sénégal pour coordonner les relations avec l’État et d’autres partenaires. La CONGAD offre des formations pour les OSC, les autorités locales et les médias. Il plaide également en faveur d’une société civile plus forte, capable d’influencer les politiques publiques.

    Quelle est l’importance de la victoire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye lors de la récente élection présidentielle ?

    La victoire de M. Faye au premier tour était difficile à prévoir. Cependant, il est important de reconnaître l’impact de sa sortie de prison, ainsi que celle d’Ousmane Sonko, leader de son parti, les Patriotes du Sénégal (PASTEF), à peine dix jours avant l’élection.

    M. Sonko avait été empêché de se présenter à la suite d’une condamnation controversée pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023. M. Faye a été désigné comme candidat à sa place, mais il a également été envoyé en prison pour avoir critiqué la décision du tribunal dans l’affaire Sonko. Leur libération a notablement galvanisé le soutien des sympathisants et des militants de PASTEF, et plus généralement des jeunes, qui ont apprécié leur message de changement et leur aura anti-corruption. En revanche, il semble que la coalition gouvernementale ait suscité un manque d’enthousiasme notable.

  • SÉNÉGAL : « La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de 2024 »

    SadikhNiass IbaSarrCIVICUS échange sur la dégradation de l’espace civique à l’approche des élections sénégalaises de l'année prochaine avec Sadikh Niass, Secrétaire Général de laRencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme(RADDHO), etIba Sarr, Directeur des Programmes de la RADDHO.

    La RADDHO est une organisation de la société civile (OSC) nationale basée à Dakar, Sénégal. Elle travaille pour la protection et la promotion des droits humains au niveau national, régional et international par le biais de la recherche, de l’analyse et du plaidoyer afin de fournir des alertes d’urgence et de prévenir les conflits.

    Quelles sont les conditions pour la société civile au Sénégal ?

    La société civile sénégalaise reste très active mais est confrontée à plusieurs difficultés liées à la restriction de l’espace civique. Elle subit beaucoup d’attaques verbales de la part de certaines lobbies proches du pouvoir qui les considèrent comme des opposants ou faisant la promotion de « contre valeurs » comme l’homosexualité. Elle est aussi confrontée aux restrictions de libertés de manifestations. La société civile travaille dans des conditions difficiles avec peu de moyens financiers et matériels. En effet les organisations de défense des droits humains ne reçoivent aucun soutien financier de l’Etat.

    La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de février 2024. Depuis mars 2021, l’opposition la plus radicale et le gouvernement ont tous opté pour la confrontation. Le gouvernement tente d’affaiblir l’opposition en la réduisant au minimum. Il s’attaque particulièrement à l’opposition la plus dynamique, la coalition Yewi Askan Wi (« Libérer le peuple »), dont le principal leader, Ousmane Sonko, est aujourd’hui en détention.

    Toutes les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites. Les manifestations spontanées sont violemment réprimées et se soldent par des arrestations. Le judiciaire est instrumentalisé pour empêcher la candidature du principal opposant au régime, Sonko, et les principaux dirigeants de son parti sont arrêtés.

    Nous avons également assisté ces dernières années à une recrudescence des menaces verbales, physiques et judiciaires envers les journalistes, ce qui constitue un vrai recul du droit à l’information.

    Quels seront les enjeux de l’élection présidentielle de 2024 ?

    Avec la découverte du pétrole et du gaz, le Sénégal devient une destination attrayante pour les investisseurs. La gestion transparente de ces ressources reste un défi dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes. Les populations confrontées à la pauvreté voient en cette découverte un moyen d’améliorer leur niveau de vie. Avec la percée de l’opposition lors des élections locales et législatives de 2022 on sent que l’électorat exprime de plus en plus fortement son désir de transparence, de justice et d’amélioration des conditions socio-économiques.

    Le 3 juillet 2023 le président sortant a déclaré qu’il ne participera pas aux prochaines élections. Cette déclaration pourrait constituer une lueur d’espoir d’une élection libre et transparente. Mais le fait que l’État soit tenté d’empêcher certains ténors de l’opposition d’y prendre part constitue un grand risque de voir le pays sombrer dans des turbulences.

    La société civile reste alerte et veille à ce que l’élection de 2024 soit une élection inclusive, libre et transparente. A cet effet elle a beaucoup multiplié des actions en faveur du dialogue entre les acteurs politiques. Également les OSC s’activent à travers plusieurs plateformes pour accompagner les autorités dans l’organisation des élections apaisées par la supervision du processus avant, pendant et après le scrutin.

    Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations ? Quelles sont les revendications des manifestants et comment le gouvernement a-t-il réagi ?

    Les récentes manifestations ont été déclenchées par la condamnation de Sonko à deux ans de prison le 1er juin 2023. Ce jour-là, un tribunal s’est prononcé sur l’affaire dite « Sweet Beauty », dans laquelle une jeune femme employée dans un salon de massage accusait Sonko de l’avoir violée et d’avoir proféré des menaces de mort à son encontre. Sonko a été acquitté des menaces de mort, mais les accusations de viol ont été requalifiées en accusations de « corruption de la jeunesse ».

    Est venu se greffer à cette condamnation l’arrestation de Sonko le 31 juillet 2023 et la dissolution de son parti politique, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).

    Les manifestations sont animées par le sentiment que leur leader fait l’objet de persécutions et que les affaires pour lesquelles il a été condamné ne servent qu’à l’empêcher de participer aux prochaines élections. La principale revendication des manifestant est la libération de leur leader et des personnes illégalement détenus.

    Face aux manifestations le gouvernement a opté pour la répression. En effet les autorités considèrent qu’elles font face à des actes de défiance de l’Etat et ont appelé les forces de sécurité à faire usage de la force.

    La répression s’est soldée par la mort de plus de 30 personnes et de plus 600 blessés depuis mars 2021, quand les premières repressions ont commencé. En plus de ces pertes en vies humaines et de blessés on dénombre aujourd’hui plus de 700 personnes arrêtées et croupissent dans les prisons du Sénégal. Nous avons aussi noté l’arrestation de journalistes mais aussi de coupure de signal de chaines de télévisions et de restriction de certaines d’internet.

    Comment la société civile sénégalaise, y compris la RADDHO, travaille-t-elle à la défense des droits humains ?

    La RADDHO travaille au niveau national en aidant les victimes de violations de droits humains, et mène des activités de sensibilisation, d’éducation aux droits humains et de renforcement de capacités.

    La RADDHO collabore avec les mécanismes régionaux et internationaux, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain des Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. A cet effet elle mène plusieurs activités de vulgarisations des Instruments juridiques de protection et de promotion des droits humains. En tant que membre observateur de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle participe régulièrement aux forums de la société civile lors des sessions de celle-ci. Également la RADDHO coordonne la coalition des OSC pour le suivi et la mise en œuvre des recommandations de l’Examen Périodique Universel des Nations unies pour le Sénégal.

    Quel soutien international la société civile sénégalaise reçoit-elle et de quel soutien supplémentaire aurait-elle besoin ?

    Dans le cadre de leurs missions, les OSC sénégalaise reçoivent des appuis de la part d’institutions internationales telles que l’Union Européenne, les agences de coopération bilatérale des États-Unis et de la Suède, USAID et SIDA, et des organisations et fondations tels qu’Oxfam NOVIB des Pays Bays, le NED des États-Unis, la NID de l’Inde et la Fondation Ford, entre autres. Cependant, du fait que le Sénégal a longtemps été considéré comme un pays stable, l’appui reste insuffisant.

    Compte tenu des restrictions de l’espace civique constatées depuis quelques années et de la crise politique, la société civile a besoin d’être soutenue pour mieux assister les victimes de violations de droits humains, pour contribuer à l’avènement d’une véritable culture des droits humains, et pour travailler à l’élargissement de l’espace civique et le renforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.


    L’espace civique au Sénégal est classé « entravé » par leCIVICUS Monitor.

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