liberté d’expression
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BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »
CIVICUS s’entretient avecCarina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à proposde la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.
L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pourdocumenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.
La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?
Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.
Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.
Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?
En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.
Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.
Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.
Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?
En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.
L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.
Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.
Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?
Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.
Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.
Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?
La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.
Tout d’abord, le gouvernement doit libérerFloriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées.
La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.
Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.
Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?
Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.
Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.
Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.
L’espace civique au Burundi est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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GABON : « L’espace civique et les conditions des droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Georges Mpaga, président exécutif national du Réseau des organisations libres de la société civile du Gabon (ROLBG).
Au cours des dix dernières années, le ROLBG s’est concentré sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les détentions arbitraires. Il plaide en faveur de l’espace civique au Gabon e l’Afrique centrale et mène des campagnes sur les conditions de détention inhumaines.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Les élections du 26 août ont été indubitablement frauduleuses, comme l’étaient les précédentes. Le régime du dictateur prédateur Ali Bongo avait interdit les missions d’observation internationales et domestiques ainsi que la présence de la presse internationale. Le ROLBG a été la seule organisation à mettre en œuvre une observation citoyenne à travers le système de tabulation parallèle des votes. Par la volonté despotique de Bongo, l’élection s’est tenue dans des conditions totalement irrégulières, en violation flagrante des normes et standards internationaux en la matière. Les scrutins s’étaient déroulés à huis clos, dans une opacité qui a généré une fraude électorale à grande échelle et des résultats tronqués.
Le 30 août 2023, l’intervention salutaire des forces de défense et de sécurité a mis un terme à cette forfaiture. Pour moi en tant qu’acteur de la société civile, ce qui vient de se passer au Gabon n’est nullement un coup d’Etat, c’est tout simplement une intervention militaire menée par des patriotes au sein de l’armée, sous le leadership du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a mis fin à une imposture de 56 ans, un système prédateur et un cycle infernal d’élections truquées souvent jalonnées de violations massives des droits humains. C’est notre lecture de la situation et c’est l’avis général de la population gabonaise qui vient d’être libérée d’une dictature et d’une oligarchie criminelle.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
L’intervention militaire du 30 août se justifie comme une réponse à la volonté du clan Bongo et son Parti démocratique gabonais de se maintenir au pouvoir de gré ou de force à travers des élections frauduleuses et la répression policière orchestrée par des forces de défense et de sécurité instrumentalisées et aux ordres de l’ancien président.
Les forces armées gabonaises sont intervenu pour éviter un bain de sang et remplacer le régime incarné par Bongo : un régime inamovible qui s’est montré impitoyable envers le peuple gabonais, entaché de relations clientélistes, d’affaires louches, de corruption prédatrice et de violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales, le tout sanctionné par des élections frauduleuses.
En résumé, le coup au Gabon ne s’inscrit pas dans une tendance régionale, mais est le résultat d’un processus purement interne résultant des 56 ans de dictature et son corollaire de violations des droits humains et de destruction du tissu économique et social du pays. Les évènements en cours au Gabon ont évidemment des répercussions dans la région d’Afrique centrale, foyer des plus grandes dictatures d’Afrique.
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La société civile a favorablement accueilli l’intervention militaire qui a sonné le glas de plus d’un demi-siècle de forfaiture et de prédation au sommet de l’Etat. Sans cette intervention, nous aurons assisté à une tragédie sans précédent.
L’armée gabonaise, sous la houlette du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire au pouvoir, a permis au pays d’échapper à un drame aux conséquences incalculables. Vu sous cet angle, les militaires sont des héros à célébrer. Dès sa prise de pouvoir, le Général Oligui s’est employé à fédérer un pays qui était profondément divisé et traumatisé par si longtemps de gestion calamiteuse par la famille Bongo et les intérêts mafieux qui les entouraient.
L’attitude de la communauté internationale est inacceptable pour la société civile, les défenseurs des droits humains et la population gabonaise, qui ont longtemps payé un lourd tribut. Quand en 2016 Bongo a planifié et exécuté un coup d’état électoral suivi d’atrocités contre les populations civiles qui s’étaient opposées à la mascarade électorale, la communauté internationale s’était tue laissant les populations civiles gabonaises face à leur bourreau. Au regard de ce qui précède, nous rejetons catégoriquement les déclarations de la communauté internationale, singulièrement la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale et l’Union Africaine, deux institutions qui encouragent les tripatouillages de constitutions et les présidences à vie en Afrique centrale.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
L’espace civique et les conditions d’exercice des libertés démocratiques et les droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime. Les droits de d’association, de réunion pacifique d’expression étaient bafoués. De nombreux militants de la société civile et défenseurs des droits humains dont moi-même, ont séjourné en prison ou furent privés de leurs droits fondamentaux.
Maintenant, avec l’arrivée du régime de transition, nous notons un changement fondamental, une approche globalement favorable à la société civile. Les nouvelles autorités travaillent désormais de concert avec toutes les forces vives de la nation y compris la société civile qui a été reçue le 1er septembre par le Général Oligui et ses pairs du CTRI, et votre humble serviteur était le facilitateur de cette rencontre. Le président de transition, qui a prêté serment le 4 septembre, s’est engagé à travailler pour restaurer les institutions de l’Etat et les droits humains et démocratiques et respecter les engagements nationaux et internationaux du Gabon. Le signal fort a été donné le 5 septembre par la libération progressive des prisonniers d’opinion dont le leader de la plus grande confédération syndicale de la fonction publique gabonaise, Jean Remi Yama, après 18 mois de détention arbitraire.
L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez Georgessur sa pageFacebook et suivez@gmpaga sur Twitter.
Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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GABON : « Sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Pepecy Ogouliguende, experte en droits humains, gouvernance, genre et médiation de paix et fondatrice et présidente de Malachie.
Malachie est une organisation de la société civile gabonaise qui lutte contre la pauvreté et promeut le développement durable et l’égalité des sexes. Elle est active dans plusieurs domaines, notamment la protection de la biodiversité, l’aide en cas de catastrophes naturelles, le soutien médical, notamment auprès des personnes vivantes avec le VIH/SIDA, et l’éducation aux droits humains, particulièrement auprès des couches sociales les plus vulnérables.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Le 30 août 2023 aux environs de 3h du matin la Commission Gabonaise Électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle qui donnaient le président, Ali Bongo, gagnant. Quelques minutes plus tard, les militaires annonçaient avoir pris le pouvoir. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais d’une prise de pouvoir par les militaires. Cela trouve sa justification dans le fait que cela s’est déroulé sans effusion de sang.
Cette élection était entachée d’irrégularités et l’annonce de ses résultats allaient conduire à des contestations bien que légitimes mais qui se seraient soldées par des violences. Je tiens donc ici à saluer l’acte de bravoure des forces de défense et de sécurité.
Les militaires ont ensuite dissous l’ensemble des institutions du gouvernement et ont mis en place un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI).
Votre organisation a-t-elle pu observer les élections ?
Non, mon organisation n’a pas pu observer les élections pour la simple raison qu’aucun observateurs internationaux et nationaux n’étaient admis. Cette élection s’est déroulée dans une opacité totale. Comme tous les Gabonais, j’ai effectivement constaté que les déclarations ne correspondaient pas aux résultats des urnes.
La prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité dans cette circonstance particulière de défiance des populations envers les autorités et de suspicion profonde quant à la vérité des urnes s’apparente plutôt à un sursaut patriotique.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
Nos forces de défense et de sécurité ont au même titre que la population, constaté de nombreuses irrégularités et plusieurs dysfonctionnements de l’appareil étatique ces dernières années. Ils ont donc décidé de mettre fin à ce régime qui ne correspondait plus aux aspirations des Gabonais.
Les militaires ont profité des élections du 26 août dernier pour mettre fin au système en place en prenant leurs responsabilités pour sauver la nation et l’État de droit. Aussi, le but de cette prise de pouvoir est de « redonner aux gabonais leur dignité ». Comme l’a dit le porte-parole du CTRI, « c’est enfin notre essor vers la félicité ».
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La communauté internationale a simplement appliqué les textes sans au préalable analyser le contexte. Le contexte du Gabon est bien particulier.
La célébration dans les rues des principales villes du pays montre à quel point le régime en place n’était plus désiré, mais seulement toléré. Ces scènes de liesse populaire observées qui contrastent avec la condamnation de la communauté internationale devraient interpeller celle-ci, l’inviter à revoir son approche davantage tournée vers la sauvegarde à tout prix de la stabilité souvent au détriment d’un réel progrès social, du développement ou encore de la croissance économique... bref, du bien-être du plus grand nombre.
Tous les membres de la communauté internationale qui se sont exprimés ont condamné le « coup d’État » et assuré qu’ils suivaient avec intérêt l’évolution de la situation au Gabon tout en rappelant leur attachement au respect des institutions. Les réactions des organisations internationales ont été très fortes : les Nations unies ont condamné et l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont suspendu le Gabon car ce « coup d’État » a été directement assimilé à ceux qui ont précédemment eu lieu dans la région. Les États-Unis se sont quelques peu démarqués en affirmant qu’ils travailleraient avec leurs partenaires et les populations pour soutenir le processus démocratique en cours. C’est en cela que nous attendons le reste de la communauté internationale pour nous aider à œuvrer à la construction d’institutions fortes.
Nous saluons les États qui ont bien compris la nécessité de ce changement. Nous condamnons les sanctions de l’UA et celles de la CEEAC. La communauté internationale devrait accompagner les États dans le respect des lois et constitutions et veiller au respect de la démocratie et des droits humains.
Pensez-vous que ce coup d’État s’inscrit dans une tendance régionale ?
Il faut avant tout rappeler que pour le cas du Gabon, il s’agit d’une prise de pouvoir des militaires et non d’un coup d’État au sens strict du terme. Il est effectivement le résultat d’une mauvaise gouvernance, de la non prise en compte des besoins des populations notamment les besoins sociaux mais aussi d’une soif de changement. Elle peut avoir une connotation régionale en ce sens que la plupart des populations africaines vivent les mêmes difficultés - chômage des jeunes, pauvreté, manque d’accès aux soins de santé - et aspirent à de grands changements. Lorsque la population ne se sent pas prise en compte dans les politiques mises en place elle est frustrée.
Nous n’excluons pas la possibilité que cela ait un impact chez nos voisins. Il n’est pas trop tard pour que les régimes en place en Afrique centrale saisissent cette occasion pour repenser la manière de servir le peuple.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
Au Gabon, le fonctionnement des organisations et associations est régie par la loi 35/62 qui garantit la liberté d’association. Cela dit, sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte. Elle ne participait que partiellement à gestion de la chose publique.
Certains leaders notamment syndicaux pouvaient être victimes d’arrestations ou d’intimidations si le régime estimait qu’ils faisaient trop de zèle. Plusieurs leaders dans la société civile gabonaise se levaient pour dénoncer des arrestations arbitraires liées aux opinions et positionnements.
Au même titre que les Gabonais, la société civile s’est réjouie du changement. La société civile dans son ensemble s’est engagée à prendre activement part aux actions et reformes menées par les autorités au cours de la transition qui iront dans le sens du respect des droits humains, l’équité et la justice sociale, la préservation de la paix ainsi que la promotion de la bonne gouvernance.
Le CTRI vient d’autoriser la libération de quelques figures de la lutte syndicale au Gabon et de prisonniers d’opinion. Aux vues des premières décisions prises par le CTRI, le meilleur est à venir. Je peux, sans risques de me tromper, dire que le Gabon de demain sera meilleur. Aujourd’hui on perçoit une lueur d’espoir.
L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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RDC : « La société civile est ciblée par certains politiciens qui trouvent en elle un obstacle à leur pouvoir »
CIVICUS échange sur la récente élection présidentielle en République Démocratique du Congo (RDC) avec le journaliste et activiste des droits humains Jonathan Magoma.
Jonathan Magoma est le Directeur des Programmes Pays et Directeur Exécutif ad intérim de Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI), une organisation de la société civile qui œuvre pour la paix et la protection des défenseurs des droits humains en RDC et dans la région.
Dans quelle mesure les récentes élections en RDC ont-elles été libres et équitables ?
L’élection présidentielle du 20 décembre 2023 a été organisée pour montrer à la face du monde que le pouvoir en place l’organisait dans le délai constitutionnel, mais a été émaillée de fraudes et d’irrégularités.
Le processus électoral n’a pas été libre et moins encore équitable. Dans plusieurs circonscriptions, les groupes rebelles ont imposé leurs choix. Dans la province de l’Ituri, au Nord-Est du pays, le groupe armé Chini ya Tuna a contraint la population de voter pour un candidat de leur communauté. Les milices ont même ravi deux machines à voter pour procéder, eux-mêmes, au vote.
Vers le centre du pays, dans la province du Sankuru, le frère d’un dignitaire congolais a mis en place une milice pour perturber les élections et molester les agents de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), tout simplement parce qu’il n’a pas été aligné comme candidat député national quand son parti n’est pas parvenu à atteindre le seuil exigé. Ses hommes armés ont emporté des kits électoraux en toute quiétude, sous les regards impuissants des observateurs.
Par ailleurs, des candidats ont distribué des présents dans des centres de vote pour influencer le vote en leur faveur. Certains, et/ou leurs représentants, ont été attrapés en train de distribuer de l’argent aux électeurs le jour de vote, ce qui est illégal. Certains ont été interpelés par les éléments de l’ordre dans quelques centres, tandis que d’autres n’ont pas été inquiétés.
Dans la circonscription de Kabare, au Sud-Kivu, par exemple, des matériels électoraux, pour être remis au centre de vote, ont été transportés dans les véhicules d’un parti politique membre du présidium de l’Union Sacrée pour la Nation (USN), la coalition qui a porté la candidature du président Félix Tshisekedi. Voyant cela, les observateurs et les électeurs dans ce centre ont crié à la tricherie.
Sur quoi se fondent les allégations de fraude formulées par l’opposition ?
Les allégations de fraude formulées par l’opposition congolaise sont légitimes. Elles se fondent sur le fait que plusieurs politiciens proches du pouvoir ont eu dans leurs domiciles des kits électoraux complets pour y effectuer des votes de manière frauduleuse. Des machines à voter ont été découvertes dans des maisons de particuliers avec des bulletins de vote déjà signés et complétés. C’est ainsi que dans la plupart de centres de vote, il y a eu carence en machines à voter, conduisant la population dans certaines circonscriptions au soulèvement.
Le 31 décembre, la CENI avait rendu publics les résultats provisoires de l’élection présidentielle, proclamant ainsi Tshisekedi, candidat à sa propre succession, comme vainqueur. Mais cinq jours après cette publication, soit le 5 janvier, la CENI a procédé à l’invalidation des suffrages de 82 candidats députés ayant postulé aux législatives nationales, provinciales et à l’élection municipale du 20 décembre. Ces députés ont été invalidés après nombreuses accusations de détention illégale des machines à voter, fraudes, destruction du matériel électoral, bourrage des urnes et incitation à commettre des actes de violence contre les agents de la CENI. Parmi les invalidés figurent trois ministres en fonction, quatre gouverneurs de province, six sénateurs et un membre du bureau de l’Assemblée nationale. La quasi-totalité des personnes sur la liste étaient membres de l’USN.
La centrale électorale avait, à la même occasion, annoncé l’annulation des résultats des élections dans les circonscriptions de Masimanimba dans la province du Kwilu et de Yakoma dans la province du Nord-Ubangi pour « fraudes massives et exagérées ». Malheureusement, la décision a laissé intacte l’élection présidentielle hautement contestée. Mais comment ces irrégularités ont pu se produire seulement à d’autres niveaux des scrutins et non à l’élection présidentielle tenue le même jour et avec les mêmes bulletins de vote ?
Cette question a suscité du débat au sein de la société civile et, dans l’opposition politique, elle a suscité plusieurs manifestations pour contester ce « simulacre » d’élection et en exiger l’annulation. En vain : le 20 janvier, Tshisekedi a été investi Président de la RDC par « sa » Cour Constitutionnelle.
Comment la société civile, et PPI en particulier, a-t-elle tenté de rendre les élections libres, équitables et pacifiques ?
En période préélectorale, nous avons entamé des campagnes de sensibilisation pour promouvoir des élections apaisées. Nous avons tenu des actions de plaidoyer avec des parties prenantes aux élections, les amenant à adhérer aux valeurs démocratiques garantissant les élections équitables, libres, transparentes, inclusives et à la nécessité de garantir l’espace civique, avant, pendant et après les élections. Nous avons également formé des acteurs de la société civile et des journalistes sur l’observation électorale et la couverture médiatique des élections.
En outre, nous avons observé le déroulement des scrutins et contribué au rapport de la société civile qui en a résulté. Ce rapport n’a toutefois pas été pris en compte par les entités compétentes.
J’ai personnellement fait l’observation dans un village situé à environ 35 km au Nord de la ville de Bukavu, où les « observateurs en gilet » sont plus ou moins respectés et la plupart des agents de la CENI me connaissaient. Mais sans motif, il m’a été interdit de passer plus de 15 minutes dans un bureau de vote. Dans des centres environnants, les gens se sont plaints du manque d’accès aux bureaux de vote. Certains observateurs se sont également plaints. Dans mon bureau de vote, la machine à voter devait ouvrir à 6 heures du matin mais n’a été mise en marche qu’après midi, aux mécontentements des électeurs et électrices.
Enfin, nous continuons à suivre de près la situation et assistons les défenseurs des droits humains, les journalistes et d’autres personnes menacés ou poursuivis pour avoir joué un rôle important ou pour avoir dénoncé des irrégularités lors des élections. PPI assiste actuellement deux journalistes et un activiste de la société civile poursuivis en justice par le parquet général de la province du Sud-Kivu pour avoir dénoncé les fraudes électorales perpétrés par un politicien proche du pouvoir. Les activistes sous menaces bénéficient de l’assistance juridique et judiciaire de PPI, de l’accompagnement psychosocial et des conseils sur la sécurité physique et numérique. Le cas échéant, la prise en charge médicale ou l’assistance financière, voire la délocalisation, est offerte à l’activiste en danger.
Il sied de rappeler que nous sommes toujours en période électorale car les élections des sénateurs et des gouverneurs n’ont pas encore eu lieu. Initialement prévues en février, elles ont été reportées par la CENI et auront lieu fin mars et début avril. Pendant ce temps, les acteurs de la société civile continueront à être la cible de certains politiciens qui trouvent en eux un obstacle à leur pouvoir.
Quelles étaient les revendications des manifestants le jour des élections, et comment le gouvernement a-t-il répondu ?
Le 20 décembre, certains habitants de Beni et de Goma n’ont pas supporté l’attente. Arrivés tôt le matin aux bureaux de vote, ils n’ont pas retrouvé leurs noms sur les listes affichées à l’extérieur. De plus, certains bureaux de vote n’étaient pas ouverts. Dans certains centres, seuls deux bureaux de vote sur dix étaient ouverts, ou un sur huit. Des rumeurs ont circulé sur la possession illégale de machines à voter par certains candidats. Tout cela a donné lieu à des manifestations spontanées, notamment à Beni, où un centre a été vandalisé.
Dans plusieurs circonscriptions, le vote s’est poursuivi au-delà du délai prévu. Le gouvernement a reconnu des « difficultés logistiques » mais a loué la CENI pour l’organisation « réussie » des élections. Evidemment la CENI n’était pas prête à gérer la logistique des élections. Il a ensuite été annoncé que les électeurs pourraient voter le lendemain, et le vote a repris dans presque tous les centres du pays. Dans la province du Bas Uélé, il a duré trois jours, du 20 au 22 décembre.
Quelles sont vos attentes pour la période post-électorale ?
Je reste pessimiste car je suis convaincu que les élections n’ont pas été transparentes, libres, crédibles et indépendantes. En outre, moins de la moitié des électeurs potentiels se sont rendus aux urnes. C’est un message fort pour un président censé avoir été élu avec plus de 73% de ceux qui sont dits avoir voté.
Dans un tel contexte, la légitimité du pouvoir en place sera toujours remise en cause. D’ailleurs, l’ancien président de la CENI, Corneille Nanga, a initié en décembre un mouvement politico-militaire allié au mouvement terroriste M23, soutenu par le gouvernement du Rwanda et qui fait la guerre dans l’Est du pays.
En période post-électorale, il se passerait plutôt de violations graves des droits humains comme ça a été documenté au cours du premier quinquennat de Tshisekedi qui avait, pourtant, promis faire du respect des droits humains et de la démocratie son cheval de bataille.
Alors que la coalition au pouvoir s’est arrogée la majorité absolue des parlementaires, il est fort possible que pour son intérêt, cette majorité se mette à changer des lois, voire certains articles verrouillés de la constitution. Cela créerait le chaos et torpillerait la démocratie chèrement acquise.
Que faudrait-il faire pour renforcer la démocratie en RDC ?
Actuellement, l’espace civique est réprimé ou presque fermé en RDC. Les discours politiques se contredisent avec les actes sur terrain. Des opposants sont poursuivis et d’autres emprisonnés pour leurs opinions. Des manifestations sont réprimées de manière sanglante. Des journalistes tel que Stanis Bujakera, Blaise Mabala, Philémon Mutula et Rubenga Shasha et de nombreux activistes sont persécutés et jetés en prison pour avoir fait leur travail. Nous sommes intimidés et parfois menacés et même assassinés.
Pour espérer renforcer la démocratie en RDC, il va falloir appeler le gouvernement devant ses responsabilités et engagements internes et externes pris. Le quatrième cycle de l’Examen Périodique Universel au Conseil des droits de l’homme des Nations unies est une grande opportunité au cours de laquelle les dirigeants congolais doivent renouveler leur engagement en faveur de la démocratie et du respect des droits fondamentaux.
La société civile mondiale et la communauté des défenseurs des droits humains devront rester aux côtés des activistes congolais dans la quête de démocratie. Cela se passera par des actions conjointes de plaidoyer et de lobby ainsi que celles de renforcement des capacités et d’échanges d’expérience.
L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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SÉNÉGAL : « Après avoir été un exemple de démocratie en Afrique, on tend de plus en plus vers l’autoritarisme »
CIVICUS échange avec Abdou Aziz Cissé, chargé de plaidoyer d’AfricTivistes, au sujet de la décision du Président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle prévue le 25 février et de ses implications pour la démocratie au Sénégal.
AfricTivistes est une organisation de la société civile (OSC) panafricaine qui promeut et défend les valeurs démocratiques, les droits humains et la bonne gouvernance à travers la civic tech. Elle vise à autonomiser les citoyens africains afin qu’ils deviennent des acteurs actifs dans la construction de leurs sociétés et puissent demander des comptes à leurs gouvernements.
Pourquoi le Président Sall a-t-il reporté l’élection présidentielle du 25 février ?
Cette nouvelle crise au Sénégal est partie d’une allocution solennelle du président Sall le 3 février dernier, la veille du jour prévu pour le lancement de la campagne pour l’élection du 25 février, au cours de laquelle son successeur devait être élu. Il a abrogé le décret convoquant le corps électoral qui avait fixé l’élection présidentielle le 25 février.
Il a invoqué trois raisons : une supposée crise institutionnelle entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel concernant une présumée affaire de corruption de juges, la nécessité de mettre en place une commission parlementaire pour enquêter sur des suspicions d’irrégularités dans le processus de vérification des parrainages en vue de l’élection, et la révélation de la binationalité d’un des candidats retenus par le Conseil constitutionnel.
Il est à noter que Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) ne figurait pas sur la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle annoncée le 20 janvier. Pour contester cette décision du Conseil Constitutionnel, les députés du PDS ont demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour éclairer sur le processus de vérification des candidatures. Ils ont également accusé de corruption deux magistrats du Conseil constitutionnel. La mise en place de cette commission a été approuvée au parlement le 31 janvier.
Le 5 février, une proposition de loi visant à reporter l’élection présidentielle au 15 décembre a été adopté après l’évacuation des députés de l’opposition par des gendarmes à l’intérieur de l’hémicycle. Pour rappel, le 3 juillet 2023, après avoir renoncé à un troisième mandat, M. Sall avait promis de remettre le pouvoir le 2 avril à la suite d’élections libres, inclusives et transparentes.
Pourquoi cette décision a-t-elle été qualifiée de « coup d’État constitutionnel » ?
Cet acte du président a été décrit comme un coup d’État constitutionnel parce que le président ne peut pas interrompre un processus électoral déjà enclenché. En effet, le report d’une élection est une prérogative exclusive du Conseil constitutionnel.
La décision du président viole également d’autres articles de la Constitution, notamment l’article 27, qui prévoit un mandat présidentiel de cinq ans et une limitation à deux mandats consécutifs donc ne peut de lui-même proroger son mandat. Il y’a également l’article 103, qui dispose que « la forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision ».
Je tiens à souligner que conformément à l’article 52 de la Constitution, le président peut interrompre le processus seulement « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate… ». Hors toutes les institutions de la république marchent de manière régulière. L’établissement d’une commission d’enquête parlementaire et le vote d’une proposition de loi en sont les preuves patentes.
En prenant cette décision illégale, M. Sall est devenu le premier président de l’histoire du Sénégal à ne pas organiser une élection présidentielle à date échue depuis 1963.
Quelle a été la réaction de la société civile ?
La réaction de la société civile a été spontanée. Plusieurs OSC dont AfricTivistes ont condamné cet acte antidémocratique soit par des communiqués ou des déclarations médiatiques. Les autres forces vives de la nation, comme les syndicats de tous les secteurs, ont aussi marqué leur désaccord.
Sur les réseaux sociaux, les citoyens ont aussi fait montre de leur indignation, internationalisant du coup leur colère face à la décision.
Le 4 février, 19 candidats ont tenu un point de presse pour réaffirmer leur volonté de faire campagne ensemble, rejoints par des membres de la société civile.
Une autre manifestation a été déclarée pour le 5 février, le jour du vote parlementaire, mais n’a pas pu se tenir car toutes les artères stratégiques menant à l’Assemblée nationale ont été quadrillées. Depuis juin 2023, les autorités administratives interdisent systématiquement les manifestations, même pacifiques.
La plateforme « Aar Sunu Election » (« Protégeons notre élection ») a rassemblé plus de 100 OSC rejetant le report de l’élection. Les pressions ont payé car le 15 février au soir, le Conseil constitutionnel a invalidé le décret présidentiel du 3 février et la loi votée par l’Assemblée nationale le 5 février.
Comment le gouvernement a-t-il réagi ?
Le gouvernement a commencé par réprimer les manifestations du 4 février, au lendemain de l’annonce du président et le jour où la campagne électorale était censée commencer. La censure a également été imposée ce jour-là, lorsque l’internet via les données mobiles a été coupé, selon le ministre de tutelle, pour arrêter « la diffusion de messages haineux et subversifs ». Les mêmes raisons ont été invoquées pour justifier les actes de censure au cyberespace en juin, juillet et août 2023. Les données mobiles ont été rétablies le 7 février, puis à nouveau restreintes le 13 février avec des plages horaires.
Les coupures d’Internet et autres formes de restrictions en ligne constituent des violations à la constitution et à plusieurs conventions internationales ratifiées par le Sénégal. Ce sont des violations de la liberté d’expression, de l’accès à l’information et des libertés économiques. Selon les syndicats des opérateurs télécoms sénégalais, la censure a causé des pertes s’élevant à 3 milliards de francs CFA (environ 4.9 millions de dollars).
En ce sens, AfricTivistes et deux journalistes sénégalais portent plainte contre l’Etat du Sénégal devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation régionale, pour mettre fin aux coupures intempestives des données mobiles d’internet.
De plus, la suspension de la licence de la télévision Walfadjri, l’objet d’un acharnement de la part des autorités, a survenu en pleine couverture des protestations consécutives à l’annonce de l’annulation de l’élection. Leur signal a été rétabli le 11 février.
Le 9 février, un rassemblement pacifique appelé par les forces vives du Sénégal sur la Place de la Nation à Dakar a été dispersé dès le départ par la police. Les gens se sont mobilisés dans tout le pays, notamment à Saint-Louis, dans le nord. Les manifestants pacifiques ont été violemment réprimés avec un usage disproportionné de la force, faisant trois morts, plusieurs blessés, dont certains ne participaient pas à la manifestation, et plus de 200 arrestations
La presse a aussi été empêchée de couvrir les manifestations afin de fournir une information juste et vraie aux citoyens. Au même titre que les manifestants classiques, des journalistes, la plupart des femmes ont été gazés, arrêtés et brutalisés. Au moins 25 journalistes ont été attaqués, détenus ou aspergés de gaz lacrymogène lors des manifestations selon le Comité de Protection des Journalistes. La journaliste Absa Anne, du site d’informations générales Seneweb, a été traînée dans un véhicule de police et battue jusqu’à perdre connaissance, devenant le symbole de cette répression aveugle sur la presse ce jour-là.
La marche silencieuse déclarée par la plateforme « Protégeons notre élection » a été interdite le 13 février par l’autorité administrative. Toutefois celle du 17 février a été autorisée et a vu une participation massive des Sénégalais pour communier et jouir de leur liberté constitutionnelle longtemps confisquée. Cette communion nationale est la preuve que lorsqu’elles sont autorisées par l’autorité administrative, les manifestations se passent paisiblement.
Comment voyez-vous l’avenir de la démocratie au Sénégal ?
Après avoir été un exemple de démocratie et de stabilité politique en Afrique, avec des alternances démocratiques et pacifiques en 2000 et 2012, le Sénégal tend de plus en plus vers l’autoritarisme, symbolisé par la confiscation des droits et libertés fondamentaux.
Même si la libération depuis le 15 février de plus de 600 détenus politiques arrêtés pour des délits d’opinion ou appartenance à l’opposition participe de la décrispation du climat politique, la crise que vit le pays actuellement ne présage pas d’un avenir radieux pour la démocratie sénégalaise.
Mais je suis optimiste, car même si la classe politique est engagée dans une lutte acharnée pour le pouvoir, la société civile est forte et jouit d’une force de contestation considérable dans tous les secteurs de la vie sociale du pays. Sans oublier la nouvelle force de contestation qui a vu le jour avec l’avènement des technologies civiques. Les réseaux sociaux amplifient les voix citoyennes et leur donnent une dimension internationale, d’où les tentatives des autorités de faire taire les voix qui s’expriment à travers l’outil numérique.
Le Sénégal a aussi une justice et une administration qui ont toujours joué leur rôle de contre-pouvoir. Il faut aussi prendre en compte la non-linéarité de tout système démocratique. Comme tous les systèmes démocratiques, celui du Sénégal est à parfaire. Il a connu des avancées notables bien que des soubresauts comme ceux que nous vivons actuellement. Et il faut prendre en considération que c’est à partir des crises que les opportunités émergent.
Que devrait faire la communauté internationale pour contribuer à la résolution de cette crise ?
La résolution d’une crise politique interne est souvent complexe, La communauté internationale peut jouer un rôle important pour soutenir un processus démocratique transparent et équitable en envoyant des missions d’observation électorale.
Outre le soutien à la société civile, les partenaires internationaux peuvent aussi exercer une pression diplomatique, comme l’ont fait Antony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, Joseph Borell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a demandé des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur les manifestants tues. Toutes ces bonnes volontés peuvent aussi contribuer à encourager un dialogue inclusif. Cela pourrait favoriser la recherche de solutions consensuelles.
La communauté internationale doit aussi condamner toute violence politique et rappeler l’importance du respect des droits humains fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de manifestation.
Comment voyez-vous la situation de la démocratie en Afrique de l’Ouest, et comment AfricTivistes travaille-t-elle pour aider les activistes dans les pays touchés par des coups d’État ?
La démocratie a reculé dans la région au cours des trois dernières années. De 2020 à 2022, l’Afrique de l’Ouest a vécu cinq coups d’État dans un double contexte de terrorisme dans le Sahel et sur un fond de discours anti-impérialiste. La société civile joue un rôle crucial dans le façonnement de la démocratie, mais l’espace civique est étouffé dans les pays où les militaires ont pris le pouvoir.
Toutefois, chaque pays a ses propres dynamiques historiques et politiques. Les tendances démocratiques varient considérablement en fonction de facteurs historiques, culturels et socio-économiques. Les pays qui ont réussi à mettre en œuvre des réformes institutionnelles pour lutter contre la corruption ont généralement vu la qualité de leur démocratie s’améliorer, comme le montre le Cap-Vert, champion de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.
Plusieurs pays ont maintenu une stabilité politique relative, comme le Sénégal avant les derniers développements. Le dernier pays à avoir organisé une élection présidentielle c’est la Côte d’Ivoire, après des incidents post électorales et la violation de la constitution ivoirienne, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.
Forte d’une large communauté qui nous permet d’internationaliser nos plaidoyers, AfricTivistes apporte du soutien moral aux militants prodémocratie en publiant des communiqués pour rappeler l’illégalité de leur arrestation et leur censure.
Nous leur apportons aussi un soutien technique afin qu’ils puissent contourner les censures auxquelles ils font face dans leur pays. À ce jour, nous avons soutenu sept activistes pro démocratie et journalistes en danger.
L’espace civique au Sénégal est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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SÉNÉGAL : « La restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile »
CIVICUS échange avec Malick Ndome, conseiller sénior en politique et membre du conseil d’administration au Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), sur les récentes élections au Sénégal.
La CONGAD a été fondée en 1982 par des organisations de la société civile (OSC) travaillant au Sénégal pour coordonner les relations avec l’État et d’autres partenaires. La CONGAD offre des formations pour les OSC, les autorités locales et les médias. Il plaide également en faveur d’une société civile plus forte, capable d’influencer les politiques publiques.
Quelle est l’importance de la victoire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye lors de la récente élection présidentielle ?
La victoire de M. Faye au premier tour était difficile à prévoir. Cependant, il est important de reconnaître l’impact de sa sortie de prison, ainsi que celle d’Ousmane Sonko, leader de son parti, les Patriotes du Sénégal (PASTEF), à peine dix jours avant l’élection.
M. Sonko avait été empêché de se présenter à la suite d’une condamnation controversée pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023. M. Faye a été désigné comme candidat à sa place, mais il a également été envoyé en prison pour avoir critiqué la décision du tribunal dans l’affaire Sonko. Leur libération a notablement galvanisé le soutien des sympathisants et des militants de PASTEF, et plus généralement des jeunes, qui ont apprécié leur message de changement et leur aura anti-corruption. En revanche, il semble que la coalition gouvernementale ait suscité un manque d’enthousiasme notable.