Appel de la société civile aux États: nous sommes tous dans la même situation, ne bafouons pas les droits de l'homme lorsque nous répondons au COVID-19

Alors que les gouvernements prennent des mesures extraordinaires pour freiner la propagation du COVID-19, nous reconnaissons et saluons les efforts que les États déploient pour gérer le bien-être de leurs populations et protéger les droits de l'homme, tels que les droits à la vie et à la santé. Cependant, nous exhortons les États à mettre en œuvre ces mesures dans le respect de l'État de droit: toutes les mesures de riposte face au COVID-19 doivent être basées sur des éléments concrets, elles doivent être légales, nécessaires pour protéger la santé publique, non discriminatoires, être définies dans le temps et proportionnées.

Toutes les mesures de riposte face au COVID-19 doivent intrinsèquement se baser sur ces principes transversaux: les principes du respect de la dignité humaine, de l’indépendance et de l’autonomie de la personne, de la non-discrimination et de l’égalité, et celui du respect de la diversité et de l'inclusion. Toute mesure de riposte doit être conforme aux normes internationales en matière de législation d'urgence, et respecter les droits de l'homme et l'État de droit. Les mesures extraordinaires ne sont légitimes que s’il existe des circonstances exceptionnelles, tel que lorsqu'on est en présence d’une menace immédiate pour la santé publique. Ces mesures devraient être utilisées de manière appropriée et proportionnée et être conformes au droit international relatif aux droits de l'homme.

À ce jour, il y a plus de deux millions de cas confirmés (en anglais) de COVID-19 dans le monde entier. Les prochaines semaines sont cruciales, car les mesures mises en place par les États détermineront le cours de la pandémie. Les ressources seront mises à rude épreuve et il pourrait y avoir davantage de pénuries de personnel et d'équipements de protection, ce qui mettra les pays sous une immense pression. D'autres cas pourraient être signalés, ce qui entraînerait la mise en œuvre de mesures plus strictes par certains États. Malgré les défis auxquels sont confrontés les gouvernements du monde entier, les mesures de riposte à la pandémie ne doivent pas être utilisées comme prétexte pour restreindre l'espace civique.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les États qui, ayant déclaré l'état d'urgence, abusent des leurs pouvoirs pour restreindre les droits fondamentaux, y compris la liberté d'expression et le droit d'accès à l'information. Partout dans le monde, des journalistes, des défenseurs des droits humains et d'autres opinions indépendantes subissent des menaces et sont punis pour avoir dénoncé l'étendue de la pandémie dans leur pays ou encore les mesures adoptées en réponse au COVID-19. Ces pays comprennent le Tadjikistan, le Niger, l'Égypte, la Thaïlande, l'Arabie saoudite, El Salvador, le Bangladesh et la Chine. D'autres gouvernements sont en train de prendre des mesures législatives pour restreindre les libertés fondamentales, comme c'est le cas en   Hongrie, en Arménie, en Azerbaïdjan et aux Philippines. Certains États abusent de leurs pouvoirs pour réprimer les rassemblements pacifiques, notamment à Hong Kong

Les gouvernements, dont ceux de l'Inde, du Myanmar et du Bangladesh, ont imposé (en anglais) des restrictions et des fermetures de la fourniture d'Internet. Celles-ci empêchent de nombreuses personnes d'accéder à des informations vitales sur la façon de se protéger contre le virus. Ces restrictions ne favorisent pas également le nombre de plus en plus important de personnes qui travaillent à distance de façon à ce qu’elles puissent pratiquer la séparation physique.

L'accès à l'information est essentiel dans les efforts visant à freiner la propagation du COVID-19. Les gouvernements doivent partager de manière proactive les informations clé sur la pandémie dès qu'elles sont disponibles, telles que les décisions importantes adoptées, le nombre de cas, la disponibilité de l'équipement et des fournitures, ainsi que les conseils avisés. Les informations devraient être largement accessibles à tous, pas seulement à certains responsables gouvernementaux sélectionnés ou à d'autres intermédiaires, comme c'est le cas en Ouzbékistan. Cela garantit que les individus, les communautés et les agents de santé peuvent réagir rapidement et de manière responsable aux nouvelles informations.

Les migrants dans les centres de détention, par exemple au Mexique et en Grèce, vivent dans des conditions désastreuses, sans accès à des installations d'hygiène adéquates. Il leur est également impossible de pratiquer la distanciation sociale due à la surpopulation. Tous les demandeurs d'asile arrivés en Grèce depuis le 1er mars 2020 se sont vu refuser l'accès à l'asile. Nous félicitons des États comme le Portugal qui ont temporairement levé les restrictions imposées aux demandeurs d'asile dont les demandes sont en attente. Cela leur garantit un accès aux soins de santé et à la sécurité sociale conforme à celui du reste de la population.

Les femmes et les enfants victimes de violence domestique ou à risque peuvent être contraints de demeurer en dangereuse situation avec un partenaire ou un parent violent. Dans le même temps, l'accès aux espaces de sûreté et aux services de soutien peut se trouver restreint lorsque les centres d’accueil sont touchés par les mesures de santé publique et les ressources consacrées à la justice pénale réaffectées.

Nous sommes préoccupés par les gouvernements qui, dans plusieurs pays dont la France (en anglais), confinent dans des institutions les personnes vivant avec handicap. Cela contrevient à la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées et expose les personnes vivant avec handicap à un risque accru de contracter le COVID-19.

Nous sommes préoccupés par les gouvernements qui ont imposé des restrictions entraînant des violations des droits humains contre les personnes LGBT +, notamment au Pérou, en Ouganda et en Colombie. Les gouvernements doivent veiller à ce que leurs politiques soient inclusives et à ce que tous les fonctionnaires soient formés aux droits des LGBT +.

Plusieurs pays ont libéré des prisonniers dans le cadre de leur riposte pour freiner la propagation de la pandémie. Ces actions sont louables car les centres de détention congestionnés et les prisons sont des zones à haut risque. Nous exhortons des pays comme l'Égypte, Bahreïn, le Koweït, l'Iran, Israël, la Libye, le Maroc, la Syrie, la Turquie, l'Inde et les Émirats arabes unis à inclure des défenseurs des droits humains, des manifestants pacifiques et des prisonniers d'opinion parmi les personnes actuellement libérées.

Nous sommes également préoccupés par cette pratique de plus en plus courante (en anglais) qui consiste à surveiller et à contrôler étroitement les mouvements des personnes, même au détriment de leur vie privée. Les efforts visant à contenir le virus ne doivent pas être utilisés pour étendre les systèmes de surveillance numérique invasive. Israël et Taïwan sont des excellents exemples de la manière dont la surveillance technologique est utilisée dans ce sens et à quel point les conséquences de telles mesures peuvent être incontrôlées lorsqu'elles ne sont pas strictement définies et limitées.

Les défis sans précédent présentés par le COVID-19 offrent une opportunité aux États et aux organisations de la société civile de travailler ensemble pour vaincre le virus.

Nous exhortons les États à être transparents et responsables: cela garantira que toutes les mesures adoptées pour empêcher la propagation du COVID-19 seront efficaces. Plus précisément, nous exhortons les États à :

1. Veiller à ce que toutes les mesures adoptées en rapport avec la pandémie de COVID-19 soient pleinement conformes aux obligations internationales des États en matière de droits de l'homme et que toutes les restrictions associées aux droits de l'homme aient un caractère nécessaire, proportionné, inclusif et limité dans le temps. Maintenir également des contacts réguliers avec la société civile (en anglais) pour s'assurer que les nouvelles mesures sont conformes aux normes internationales.
2. Veiller à ce que le COVID-19 ne soit pas utilisé comme prétexte pour imposer des restrictions infondées à la société civile; il ne doit pas être utilisé pour viser les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes ainsi que faciliter les prises autoritaires du pouvoir.
3. Veiller à ce que la pandémie ne soit pas utilisée comme excuse pour imposer des retours forcés ou des refoulements en violation du droit international humanitaire; ou comme prétexte pour suspendre ou déroger au droit fondamental de demander l'asile
4. Veiller à ce que le pouvoir judiciaire indépendant, et non les autres branches du gouvernement, décide de toute mesure limitant l'accès et le fonctionnement des tribunaux. Permettre à des tribunaux indépendants d'évaluer toute imposition illégale ou prorogation injustifiée de mesures d'urgence, ou toute restriction illégale de l'état de droit.
5. Veiller à ce que les autorités judiciaires et les autres autorités publiques compétentes accordent une attention particulière aux cas urgents (en anglais), où un retard est le plus susceptible de causer un préjudice irréparable, ou bien là où des mesures de protection sont nécessaires. Cela concerne: les migrants (y compris les demandeurs d'asile et les réfugiés ainsi que les migrants internes), les femmes et les enfants, les communautés LGBT +, les personnes âgées, les personnes vivant avec un handicap, les minorités religieuses et les autres groupes vulnérables.
6. Libérer les détenus; libérer immédiatement et sans condition tous les défenseurs des droits de l'homme et les prisonniers d'opinion. Cela réduira la pression sur le système pénitentiaire et réduira les risques pour la population carcérale, et pour la population en général, de contracter le COVID-19.
7. Accorder une attention particulière aux groupes traditionnellement marginalisés ou vulnérables et garantir l'accès à un soutien, à des ressources et à des mécanismes de protection appropriés. Être attentif à tout problème lié à la stigmatisation, à l'exclusion, à la violence, à la haine, à la catégorisation  et au ciblage des victimes de COVID-19.
8. Veiller à ce que tout le monde soit pris en compte dans les politiques et stratégies nationales de lutte contre la pandémie de COVID-19. S’assurer que les politiques sont inclusives et protègent efficacement contre la discrimination quel qu'en soit le motif. Prendre les personnes en situation de handicap en considération et s’assurer que toutes les informations sont fournies en des formats accessibles.
9. Appliquer une approche sexospécifique dans toutes les politiques relatives à la pandémie de COVID-19.
10. Maintenir un accès fiable et sans entraves à Internet afin que tous aient le droit d'accès à l’information ainsi que le droit de la partager. Mettre fin à tout brouillage injustifié de la connexion Internet.
11. Préserver le rôle des médias indépendants et du journalisme citoyen. Veiller à ce que les mesures visant à contenir le virus, ainsi que la lutte contre la désinformation, ne soient pas utilisées comme prétexte pour museler les médias ou réglementer leur liberté.
12. Veiller à ce que toute utilisation de mécanismes de surveillance pour suivre la propagation du coronavirus soit limitée dans son objectif et dans le temps et respecte les garanties relatives aux droits de l'homme. Les États devraient respecter le droit à la liberté d'expression, les droits à la vie privée, à la non-discrimination, à la confidentialité ainsi que le droit à la protection des sources journalistiques.

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