COVID-19 : « On a besoin d’un nouveau contrat social fondé sur les droits et le principe de la prospérité partagée »

Owen Tudor

CIVICUS parle de l’impact de la pandémie de la COVID-19 et des mesures d’urgence sur les droits du travail, et de la réponse de la société civile, avec Owen Tudor, secrétaire général adjoint de la Confédération syndicale internationale (CSI). Reconnue comme la voix mondiale des travailleurs du monde entier, la CSI vise à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des travailleurs par le biais de la coopération internationale entre les syndicats, de campagnes mondiales et d’actions de sensibilisation au sein des grandes institutions mondiales. La CSI adhère aux principes de la démocratie et de l’indépendance syndicales et regroupe trois organisations régionales en Afrique, en Amérique et en Asie et le Pacifique, tout en coopérant avec la Confédération européenne des syndicats.

Quels ont été les principaux impacts de la pandémie de la COVID-19 sur les droits du travail ?

La CSI a régulièrement mené des enquêtes auprès de ses affiliés syndicaux nationaux au cours des premiers mois de la pandémie, et nous avons rapidement constaté que, si de nombreux pays constataient un engagement positif entre les gouvernements et les syndicats, d’autres ne le faisaient pas. Dans de nombreux pays, comme ceux de Scandinavie et du reste de l’Europe, et souvent en s’appuyant sur les formes existantes de dialogue social, les gouvernements, les employeurs et les syndicats ont travaillé ensemble pour élaborer des mesures visant à lutter contre la pandémie et ses effets sur les lieux de travail. Cela s’est également produit dans certains pays où cette coopération est moins courante, comme l’Argentine, la Géorgie, le Nigeria et le Royaume-Uni. Au niveau mondial, l’Organisation internationale du travail (OIT) a souligné l’importance du dialogue social comme l’un de ses quatre piliers d’action contre la pandémie, parallèlement à la stimulation de l’économie et de l’emploi, au soutien des entreprises, des emplois et des revenus, et à la protection des travailleurs sur le lieu de travail.

Mais dans certains pays, des employeurs de mauvaise foi et des gouvernements néolibéraux ont pensé qu’ils pouvaient utiliser la pandémie pour restreindre des droits des travailleurs et des syndicats, comme la limitation du temps de travail ou la sécurité de l’emploi. Dans des pays comme la Croatie et la Lituanie, nous avons fait campagne pour soutenir nos affiliés afin de faire obstacle à ces changements, mais nous n’avons pas réussi partout. En Inde, par exemple, les gouvernements des provinces ont mis en œuvre une vaste déréglementation des protections de l’emploi.

Cela a-t-il entraîné des changements dans l’organisation syndicale ?

Dans trop de pays, des emplois ont été perdus et le chômage a grimpé en flèche. Cela a un impact inévitable sur l’organisation syndicale. Mais dans plusieurs pays, y compris ceux qui ont récemment connu une réduction des adhérents syndicaux ainsi que ceux où le nombre d’adhérents est déjà élevé, le rôle clé joué par les syndicats dans la défense de l’emploi et des salaires et dans la campagne pour une santé et une sécurité au travail décentes a entraîné une augmentation des adhérents. En clair, les travailleurs ont compris plus clairement l’importance de l’adhésion aux syndicats pour les protéger contre les insuffisances de la direction et les violations de leurs droits les plus fondamentaux.

Dans certains cas, la pandémie a accéléré l’expérience de l’organisation virtuelle - sur Zoom ou d’autres plateformes Internet. Dans certains cas, ces technologies ont amené les organisateurs syndicaux à changer de point de vue, passant de l’explication des avantages de l’adhésion à l’écoute de ce que veulent les membres potentiels. Là encore, cela n’a fait qu’accélérer une tendance, qui est passée de l’offre d’un modèle qui résout les problèmes des gens à la possibilité de laisser les travailleurs définir ce qui leur convient. Comme l’a exprimé un dirigeant syndical australien, « finalement, nous avons commencé à contacter nos membres de la manière dont ils voulaient être contactés ».

Comment les syndicats ont-ils travaillé pour défendre les droits et aider leurs membres et leurs communautés pendant la pandémie ?

Le travail quotidien des syndicats s’est intensifié avec la pandémie. Les syndicats ont représenté les travailleurs menacés de licenciement, ont fait pression pour obtenir des indemnités de licenciement adéquates, ont cherché à élargir l’accès à la protection sociale et ont soulevé les préoccupations des travailleuses qui sont confrontées à une discrimination encore plus grande et des travailleurs migrants qui se voient refuser l’égalité d’accès et de traitement. Dans de nombreux cas, les syndicats ont obtenu des avancées que l’on ne pensait pas possibles auparavant, et nous devons maintenant défendre ces acquis sur le long terme.

Les syndicats ont participé activement aux travaux d’institutions internationales telles que le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de gouvernements nationaux sur tous les continents, et d’employeurs, allant du lieu de travail jusqu’à la salle de conférence des multinationales, afin de garantir la protection des salariés et de leurs emplois. De la négociation de programmes nationaux de travail à court terme en Allemagne à la garantie du respect des contrats dans l’industrie mondiale du textile, en passant par l’élaboration de politiques sectorielles pour le retour en toute sécurité sur le lieu de travail en Belgique, les syndicats ont fait preuve d’une grande détermination pour que les intérêts des salariés soient reconnus. Malheureusement, chaque fois que nous entendons parler de la transmission communautaire de la COVID-19 (clusters), c’est souvent d’un lieu de travail dont on parle, comme dans l’hôtellerie, les soins de santé ou les usines de transformation de la viande. Les syndicats ont insisté sur la nécessité que la santé au travail soit aussi importante que la santé publique, insistant sur l’importance de la fourniture d’équipements de protection individuelle ainsi que l’accès aux congés de maladie payés.

Les syndicats ont également négocié avec acharnement avec les employeurs pour mettre fin aux licenciements, qui ont eu lieu, de façon scandaleuse, même dans des entreprises qui ont été renflouées avec l’argent des contribuables. Dans certains pays, la loi a empêché les employeurs de licencier des travailleurs. Nous avons négocié des arrangements pour le télétravail, qui devient plus courant que jamais, même après la fin de la pandémie. En Argentine, une nouvelle loi sur le télétravail a été négociée avec les syndicats, apportant des innovations comme le fait que les travailleurs puissent décider s’ils veulent retourner travailler sur leur lieu de travail.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de la pandémie quant aux problèmes sous-jacents de l’économie et du travail, et quant aux changements qui doivent intervenir ?

Même avant la pandémie COVID-19, les inégalités massives - notamment les disparités de revenus, l’injustice raciale et la discrimination sexuelle - étaient déjà à l’origine d’une colère caractérisée par des troubles civils et la méfiance à l’égard de la démocratie. Outre les destructions résultant des catastrophes naturelles dues au changement climatique, les risques pour les économies et les sociétés étaient déjà évidents. À cela s’ajoutent les choix associés aux meilleurs et aux pires impacts de la technologie, dépourvus de base de droits.

La pandémie a mis en évidence les fissures qui étaient déjà présentes dans le contrat social. L’insuffisance des soins de santé a rendu les premières semaines de la pandémie particulièrement inquiétantes, avec la crainte que les hôpitaux ne soient saturés. Similairement, des manques dans le financement des soins aux personnes âgées et des conditions de travail épouvantables ont obligé les salariés à devoir se déplacer entre les établissements résidentiels, incapables de prendre des congés de maladie lorsqu’ils présentaient des symptômes. La précarité de l’emploi et l’insuffisance de la protection sociale ont obligé de nombreuses personnes à continuer à travailler tout en étant contagieuses pour pouvoir nourrir leur famille. L’absence d’équipement de protection individuelle adéquat n’était que le signe le plus visible des lacunes en matière de santé et de sécurité au travail.

Pour l’économie dans son ensemble, les prévisions de l’OIT, qui annonçaient des centaines de millions de pertes d’emplois dans le secteur formel, ont été démesurées par rapport au nombre de travailleurs du secteur informel dont les moyens de subsistance ont été anéantis. Dans chacun de ces domaines d’échec systémique, ce sont les femmes qui ont été les plus vulnérables dans leur emploi et dont la santé a été le moins protégée, les situations de confinement obligeant beaucoup d’entre elles à s’occuper de leurs enfants sans être rémunérées et certaines à tomber dans le piège de la violence et des abus.

Nous devons mieux reconstruire, notamment en établissant un nouveau contrat social pour la reprise et la résilience qui assure la protection de l’emploi et une garantie de travail universelle, que vous soyez employé à plein temps chez Amazon ou chauffeur Uber précaire. La sécurité et la santé au travail doivent devenir un droit fondamental sur le lieu de travail, au même titre que la liberté de ne pas être réduit en esclavage ou le droit de grève. Nous avons besoin de soins de santé publics, d’éducation et d’eau de qualité et correctement financés, dans le cadre d’une protection sociale universelle. Et nous devons réglementer le pouvoir économique, garantissant la liberté d’association et le droit de négocier collectivement, le salaire minimum vital et la diligence raisonnable obligatoire dans le cadre des droits humains, et les normes environnementales dans les chaînes d’approvisionnement.

Les syndicats et les millions de membres que nous représentons peuvent contribuer à la réalisation de tous ces objectifs par la négociation collective avec les employeurs, le dialogue social avec les gouvernements et l’engagement dans les institutions internationales et multilatérales.

Que doivent faire les gouvernements et les entreprises pour mieux travailler avec les syndicats, et quel rôle la communauté internationale peut-elle jouer ?

Les gouvernements et les entreprises doivent reconnaître le rôle essentiel que jouent les syndicats dans la représentation des travailleurs, non seulement lors des élections ou de la négociation des salaires, mais aussi tout au long de l’année et dans tous les secteurs de l’économie. Ils doivent respecter les droits et libertés fondamentales dont les syndicats ont besoin pour fonctionner, notamment la liberté d’association, le droit de négociation collective et le droit de grève. Lorsqu’ils prennent des décisions qui affectent des millions, voire des centaines de millions de personnes, ils doivent respecter le slogan "rien sur nous sans nous", ce qui implique de travailler de manière positive avec les syndicats.

Au même temps, nous sommes confrontés à une crise du multilatéralisme, souvent provoquée par des politiciens nationalistes et populistes, mais qui résulte en partie de l’effondrement de la confiance du public dans la mondialisation en raison du caractère lucratif des multinationales et des puissantes entreprises technologiques.

Le monde est confronté à une convergence de crises, mais les institutions mondiales établies pour soutenir et renforcer les droits, l’égalité, la croissance inclusive et la stabilité mondiale sont à leur point de rupture. Elles doivent être renforcées et recentrées pour répondre aux besoins des personnes et de la planète.

L’OMS a prouvé sa nécessité dans la réponse mondiale à la COVID-19, mais même ainsi, la science doit être à la base de la gestion des risques sanitaires et de la garantie d’un accès universel au traitement, sans compromis politique.

L’Organisation mondiale du commerce promeut un modèle mondial de commerce qui a échoué tant pour les personnes comme pour l’environnement. Et les institutions de Bretton Woods se sont écartées de leur mandat en favorisant la réforme structurelle et l’austérité néolibérales, les intérêts des pays dominants et la cupidité des entreprises. Il faut que cela change.

L’OIT, avec son système tripartite unique, est aussi nécessaire aujourd’hui qu’elle l’était lorsqu’elle a donné naissance au contrat social fondé sur un mandat de justice sociale. Ses mandants doivent être aussi motivés pour garantir un socle mondial de droits et une prospérité partagée que l’étaient ses fondateurs il y a 100 ans, en 1919, et que l’a réaffirmé la Déclaration de Philadelphie en 1944.

En collaboration avec leurs alliés de la société civile au sens large, les syndicats veulent construire un nouveau contrat social fondé sur ces principes. Si nous y parvenons, nous pourrons créer une meilleure économie, une meilleure société et un monde meilleur.

Prenez contact avec la Confédération syndicale internationale via son site web ou sa page Facebook, et suivez @ituc et @Owen4ituc sur Twitter.

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