COVID-19 : « Nous avons besoin de politiques publiques qui réduisent et redistribuent le travail de soins non rémunéré »

CIVICUS s’entretient des impacts de la pandémie de COVID-19 sur les inégalités de genre et des réponses formulées par la société civile avec Gala Díaz Langou, directrice du programme de protection sociale du Centre pour la mise en œuvre des politiques publiques d’équité et de croissance (Centro de Implementación de Políticas Públicas para la Equidad y el Crecimiento, CIPPEC). CIPPEC est une organisation de la société civile argentine qui se consacre à la production de connaissances et de recommandations pour l’élaboration de politiques publiques visant le développement, l’équité, l’inclusion, l’égalité des chances, l’efficacité et la force des institutions.

GalaDiazangou

Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle contribué à creuser les écarts entre les sexes sur le marché du travail ?

Les écarts entre les sexes sur le marché du travail répondent à des inégalités structurelles. Fin 2019, avant la pandémie, nous avons publié un livre, Le genre du travail. Entre la maison, le salaire et les droits, qui présente un diagnostic de la situation des femmes sur le marché du travail en Argentine et propose une série de recommandations pour réduire les écarts entre les sexes dans les secteurs public et privé.

Mais aujourd’hui, la pandémie et les politiques destinées à l’endiguer amplifient ces inégalités par deux mécanismes.

Tout d’abord, elle les approfondit en raison de la structure du marché du travail et des positions qu’y occupent les femmes. Les femmes sont plus susceptibles d’être employées dans des secteurs qui ont été désignés comme « essentiels », elles sont plus susceptibles d’avoir des emplois informels et donc de se retrouver sans revenu pendant les mois de quarantaine, elles sont moins susceptibles d’avoir des emplois auxquels le télétravail peut s’appliquer et elles sont plus susceptibles d’être impliquées dans des petites et moyennes entreprises (PME), le type d’entreprises qui ont été le plus durement touchées par la crise résultant de la pandémie.

Deuxièmement, les inégalités sont amplifiées par ce qui se passe au sein des ménages. Les femmes sont plus impliquées dans les soins aux enfants et aux personnes âgées. L’écart entre le temps que les femmes et les hommes consacrent à ces tâches s’est creusé avec la pandémie, pour toutes les tâches sauf les courses. Cette surcharge de travail non rémunéré a un impact direct sur les chances des femmes de participer au marché du travail. Celles qui ressentent le plus cette tension sont les femmes qui sont à la tête de leur foyer, les chefs de famille. Ces types de familles, les ménages monomaternelles, sont les plus susceptibles de tomber dans la pauvreté en raison de l’impact de la crise.

Par ces deux voies, la crise retire les femmes du marché du travail, ce qui se traduit par le fait qu’il y a de moins en moins de femmes actives. En même temps, elle détermine que celles qui continuent à participer au marché du travail le font dans des conditions de plus en plus mauvaises. Cela a un impact direct et négatif sur les revenus des femmes, leur autonomie économique et la jouissance de leurs droits.

Que devrions-nous faire, au sein de la société civile, pour transformer cette crise en une occasion de combler les écarts entre les sexes dans nos sociétés ?

La société civile est en mesure de faire avancer un programme d’égalité entre les sexes, et peut le faire grâce aux actions suivantes.

Tout d’abord, en rendant les écarts visibles et en faisant la lumière sur la manière dont la pandémie les approfondit. Cela implique de s’engager avec les médias, mais aussi de mettre en réseau et de diffuser ces informations aux organisations et mouvements de la société civile. Les mouvements de femmes ont un rôle central à jouer à cet égard. Les questions relatives au travail ne sont pas très présentes dans l’agenda public en tant que questions de genre ; la question dite « de genre » est généralement présentée comme étant presque exclusivement liée aux questions d’autonomie physique, de violence et de droits sexuels et reproductifs, l’avortement étant au premier plan de ces dernières. Mais il est possible d’inclure des questions liées à l’autonomie économique, qui à son tour est liée à l’autonomie physique.

Ensuite, par l’analyse des impacts des crises sanitaires et économiques et le suivi de la mise en œuvre des politiques visant à atténuer leurs effets. La société civile doit travailler, et travaille, à produire des preuves et à promouvoir leur utilisation dans la prise de décisions politiques publiques. Il est important que le travail de la société civile s’articule avec la recherche universitaire. Il est également important que la société civile, qui est fortement connectée dans des réseaux régionaux et mondiaux, utilise cette insertion et agisse comme un pont, en apportant des idées dérivées de ce qui se passe sous d’autres latitudes et qui pourraient être appliquées dans nos contextes nationaux.

Troisièmement, en encourageant le débat. Les espaces de débat doivent être aussi pluralistes que possible afin de permettre la formation d’un consensus plus transversal et durable, susceptible d’avoir un plus grand impact. Il est également utile que la société civile s’efforce d’identifier les domaines de dissension et les positions divergentes des différents acteurs.

Comment l’initiative de l’Agenda pour l’égalité est-elle née en Argentine ? Qui est à l’origine de cette initiative et quels sont ses objectifs ?

L’Agenda pour l’égalité est né de la confluence de plusieurs réseaux de femmes qui, depuis un certain temps, menaient en parallèle des conversations similaires dans différents secteurs : le secteur syndical, la société civile, le monde universitaire et le secteur privé. Dans le secteur privé, un groupe appelé Mujeres Gestionando avait été formé, composé de femmes chefs d’entreprise qui avaient été convoquées à une réunion avec le président de la nation, et qui sont restées en contact après cela. Dans tous les groupes, la préoccupation était la même : les écarts entre les sexes sur le marché du travail se creusaient. Lorsque nous avons réalisé cela, des conversations ont été engagées et nous avons commencé à construire des ponts.

À partir de ces conversations, un programme comportant trois objectifs a été convenu : premièrement, promouvoir l’embauche de femmes dans les emplois du secteur privé formel et encourager une meilleure participation des femmes dans les secteurs traditionnellement dominés par les hommes ; deuxièmement, redistribuer le travail de soins non rémunéré ; et troisièmement, briser les stéréotypes et encourager et rendre visible la participation des femmes aux discussions et à la prise de décision. Ces objectifs ont été concrétisés dans 12 propositions :

  1. favoriser des processus organisationnels d’embauche, d’évaluation et de promotion exempts de tout préjugé sexiste ;
  2. promouvoir la formalisation du travail des femmes dans tous les secteurs de l’économie, et en particulier dans le travail domestique ;
  3. introduire des incitations fiscales à l’embauche de femmes, en particulier dans les secteurs STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) ;
  4. favoriser, par exemple par l’accès au crédit, l’entreprenariat féminin et les entreprises ayant un conseil d’administration avec une parité de genre ;
  5. intégrer la perspective de genre dans les bourses destinées aux étudiants en situation vulnérable ;
  6. supprimer les obstacles juridiques à la participation des femmes dans certains secteurs ;
  7. inclure la perspective de genre dans les systèmes d’information des secteurs public et privé ;
  8. établir un régime de congé parental fondé sur les principes d’universalité, d’adaptabilité et de co-parentalité ;
  9. étendre la couverture des institutions offrant des services de garde et d'éducation de la petite enfance, ainsi que des services de soins aux personnes âgées et aux personnes handicapées dépendantes;
  10. accélérer le changement culturel en promouvant une communication sensible à la dimension de genre et en intégrant une perspective de genre dans l’éducation ;
  11. encourager la participation des femmes dans les espaces de dialogue social ;
  12. encourager l’adoption mesures visant à promouvoir la parité dans les conseils d’administration des entreprises privées et publiques, les associations collégiales de différents types, et les conseils du secteur privé et des syndicats.

L’Agenda pour l’égalité a été lancé le 30 juillet 2020. Il a été initialement signé par 200 femmes leaders du monde universitaire, de la société civile, des syndicats et des entreprises de tous types, des multinationales aux PME et aux coopératives. Une fois l’initiative rendue publique, elle a été ouverte à d’autres soutiens, et aujourd’hui nous avons près de 1500 signatures de dirigeants, de différents sexes, de tout le pays et de différents secteurs.

Dans le cadre de la pandémie et des changements qu’elle a entraînés, et qui pourraient avoir des effets régressifs durables, il est important de souligner que les groupes qui ont promu l’Agenda se sont engagés à travailler avec les autorités pour promouvoir des politiques publiques qui réduisent et redistribuent le travail de soins non rémunéré.

Quel rôle la société civile jouera-t-elle pour traduire l’Agenda en changements concrets ?

L’agenda a été élaboré très rapidement : l’ensemble du processus, depuis le début des conversations jusqu’à ce que nous rendions publique l’initiative avec les 12 propositions, n’a pris que deux semaines. Nous réfléchissons maintenant à la manière de structurer l’initiative et de générer des synergies avec d’autres acteurs.

Je pense que l’Agenda devrait se traduire par des changements concrets de deux manières.

Tout d’abord, au sein des organisations. La grande majorité des personnes qui ont rejoint l’initiative dirigent des organisations de différents secteurs et ont le potentiel de promouvoir des changements concrets au sein de leurs organisations. Je pense que la société civile, et en particulier les organisations spécialisées dans ces questions, ont un rôle à jouer ici, car elles peuvent fournir les outils nécessaires pour promouvoir ces changements.

Deuxièmement, ces changements doivent avoir lieu au niveau des politiques publiques. Nombre des recommandations formulées impliquent des changements qui devraient être discutés à différents niveaux de gouvernement et dans différentes branches du gouvernement. Là aussi, la société civile a un rôle à jouer en termes de plaidoyer et de travail conjoint avec les autorités pour contribuer à la conception de ces politiques.

Enfin, comme le problème des disparités entre les sexes et leur aggravation du fait de la pandémie est loin d’être exclusif à l’Argentine, la société civile devrait également y travailler dans le cadre de réseaux régionaux et mondiaux. Cela serait très utile car cela nous permettrait de tirer profit des leçons apprises dans d’autres contextes. Étant donné la rapidité avec laquelle tout ce processus s’est développé, nous n’avons pas encore pris de mesures dans le sens de la création de ces liens. Toutefois, il ne sera pas difficile de les mettre en place, puisque parmi les signataires de l’Agenda pour l’égalité, il y a des représentants de divers réseaux régionaux et internationaux.

L’espace civique en Argentine est classé « rétréci » par le CIVICUS Monitor.

Contactez CIPPEC via son site web ou son profil Facebook, et suivez @CIPPEC et @GCDL sur Twitter.

COMMUNIQUEZ AVEC NOUS

Canaux numériques

Siège social
25  Owl Street, 6th Floor
Johannesbourg,
Afrique du Sud,
2092
Tél: +27 (0)11 833 5959
Fax: +27 (0)11 833 7997

Bureau pour l’onu: New-York
CIVICUS, c/o We Work
450 Lexington Ave
New-York
NY 10017
Etats-Unis

Bureau pour l’onu : Geneve
11 Avenue de la Paix
Genève
Suisse
CH-1202
Tél: +41.79.910.34.28