MALAWI : « Les filles doivent être protégées non seulement contre la COVID-19, mais aussi contre la violation endémique de leurs droits »

Ephraim Chimwaza pictureCIVICUS s’entretient avec Ephraim Chimwaza, directeur exécutif du Centre for Social Concern and Development (CESOCODE), une organisation de la société civile (OSC) qui travaille sur les questions de santé reproductive et promeut les droits des femmes au Malawi. Le CESOCODE s’emploie à mettre fin à toutes les formes de violence fondée sur le genre subies par les filles, les adolescents et les jeunes femmes et promeut leurs droits humains et leur bien-être par le biais du plaidoyer, de la recherche, de l’éducation, de la formation et de la fourniture de services de santé reproductive de base.

Quelle est la situation des filles et des jeunes femmes au Malawi ?

Au Malawi, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les filles rencontrent plus d’obstacles que les garçons dans l’accès à l’éducation et à l’emploi, et beaucoup d’entre elles ne connaissent pas leurs droits. Le manque d’accès aux opportunités favorise également le mariage des enfants, ce qui compromet également dans une large mesure la réalisation des droits des filles.

Le Malawi s’est engagé à mettre un terme aux mariages d’enfants, aux mariages précoces et aux mariages forcés d’ici 2030, conformément à la cible 5.3 des Objectifs de développement durable, et a également ratifié plusieurs instruments internationaux à cette fin. Pourtant, 42 % des filles au Malawi sont mariées de force avant l’âge de 18 ans, et près de 10 % sont mariées avant l’âge de 15 ans. Dans certains groupes ethniques, les mariages arrangés sont couramment utilisés pour créer des alliances entre les familles. Dans tout le pays, les familles les plus pauvres donnent souvent leurs filles en mariage pour réduire la charge économique que représente leur entretien, ou dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure. Dans d’autres cas, elles les forcent à se marier si elles tombent enceintes, afin qu’elles ne déshonorent pas leur famille. Certains parents qui se trouvent dans des situations désespérées, obligent également leurs filles à avoir des rapports sexuels en échange d’argent ou de nourriture.

La violence contre les adolescentes et les jeunes femmes est monnaie courante. Une jeune femme sur quatre a récemment subi des violences de la part de leur conjoint, mais peu d’entre elles cherchent de l’aide. La violence sexuelle et les autres formes de violence à l’encontre des femmes et des filles sont largement acceptées par la société, même par les jeunes. Il n’est pas surprenant que les adolescentes continuent de faire les frais de l’épidémie de VIH. Le nombre de filles âgées de 10 à 19 ans qui vivent avec le VIH est en augmentation, et près de trois nouveaux cas d’infections sur quatre concernent des adolescentes.

Comment le CESOCODE contribue-t-il à relever ces défis ?

Depuis 2009, nous nous efforçons de promouvoir les droits des filles et l’éradication du mariage des enfants. À cette fin, nous coopérons avec les communautés et leurs dirigeants pour encourager les filles à rester à l’école. Nous offrons aux adolescentes un espace sûr où elles peuvent accéder à des services de santé sexuelle et reproductive, et nous offrons des conseils aux victimes de violences sexistes.

Nous faisons également partie d’une initiative mondiale appelée « Girls Not Brides », qui regroupe plus de 1 300 OSC dans plus de 100 pays, et dont l’objectif est de mettre fin au mariage des enfants et d’aider les filles à réaliser pleinement leur potentiel en leur donnant accès aux services de santé, à l’éducation et à de meilleures opportunités. Grâce à ce partenariat, nous attirons l’attention du monde sur le mariage des enfants et les violations concomitantes des droits des filles, nous aidons à faire comprendre le problème et appelons à des changements dans les lois et à la mise en œuvre de politiques et de programmes qui feront la différence dans la vie de millions de filles.

Quelle incidence la pandémie de COVID-19 a-t-elle eu sur les filles au Malawi, et comment avez-vous réussi à continuer à travailler dans ce contexte ?

La pandémie de COVID-19 a des répercussions sur les filles au Malawi. Nous le constatons déjà dans les communautés où nous travaillons. Les mesures de distanciation sociale imposées par le gouvernement ont entraîné la fermeture d’écoles. L’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, qui était déjà limité, s’est encore réduit, étant donné que les centres de santé et les cliniques mobiles ont également suspendu leurs soins. Pendant le confinement, les cas de violence sexiste et d’abus sexuels ont augmenté, mais leur signalement a diminué. La plupart des filles ne sont pas en mesure de dénoncer les violences sexistes qu’elles subissent et doivent continuer à vivre avec leurs agresseurs en craignant pour leur vie.
Nos programmes et activités ont été affectés par les mesures de distanciation sociale imposées par le gouvernement visant à réduire le risque d’infection par la COVID-19. Nous n’avons pas été en mesure de rencontrer physiquement les filles et de leur fournir des services essentiels, tels que des préservatifs et des contraceptifs. Les filles ne peuvent pas quitter leur domicile pour assister à des réunions, des ateliers ou des conférences, car tous les rassemblements publics ont été interdits afin de respecter les mesures de distanciation.

Cependant, nous avons continué à être à l’écoute des filles par différents moyens.

Premièrement, nous les informons en diffusant par exemple des messages sur la santé publique et la prévention de la violence domestique sur Facebook et WhatsApp. Nous avons développé un service de messagerie Bluetooth de mobile à mobile qui nous permet de rester en contact avec les filles et qu’elles peuvent utiliser pour nous alerter si elles sont en danger. Nous avons également produit un court podcast axé sur la violence domestique à l’égard des filles, qui comprend une version en langue des signes afin de ne pas exclure celles qui sont sourdes ou malentendantes.
Deuxièmement, nous utilisons la radio et la télévision communautaires pour diffuser des messages personnalisés et proposer des talk-shows afin que les filles qui sont à la maison puissent entendre nos messages de prévention de la violence fondée sur le genre. Une interprétation en langue des signes est également disponible.
Troisièmement, nous continuons à travailler dans les communautés, en diffusant des messages de bouche à oreille ou par le biais de haut-parleurs. Nous utilisons notre véhicule avec haut-parleur pour faire le tour des communautés et diffuser des informations sur la prévention de la violence sexiste et du mariage des enfants et pour promouvoir les droits des filles en général.

Quatrièmement, nous distribuons des documents de sensibilisation pour expliquer les conséquences des violations des droits des filles et indiquer où signaler les cas de violence à leur encontre. Pour ce faire, nous distribuons des dépliants et des brochures, et nous apposons des affiches dans les endroits où les filles et les adolescents passent fréquemment, comme les magasins, les fontaines à eau et les supérettes. Ces documents sont toujours rédigés dans la langue locale et comportent des images pour faciliter la compréhension du contenu.
Ainsi, nous avons pu poursuivre notre travail et nous n’avons pas abandonné les filles qui nous font confiance à un moment où elles ont le plus besoin de nous.

Selon vous, quelles sont les clés du succès que nous constatons aujourd’hui ?

Je pense qu’il y a trois facteurs principaux qui expliquent les bons résultats que nous avons obtenus.

Tout d’abord, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les dirigeants communautaires et d’autres parties prenantes clés pour faire en sorte qu’ils continuent de soutenir la politique de tolérance zéro en matière de violence sexiste à l’encontre des filles. Nous avons organisé des réunions virtuelles et partagé des programmes de podcasts avec des parties prenantes qui travaillent avec des filles. L’objectif est d’encourager des relations positives et saines afin de prévenir la violence à leur égard, tout en promouvant la santé reproductive des jeunes femmes pendant la pandémie de COVID-19. 

Ensuite, nous avons identifié des outils peu coûteux qui nous ont permis de maintenir le contact avec les filles et de continuer à les autonomiser pendant la pandémie. Pour ce faire, nous avons utilisé les nouvelles technologies lorsqu’elles étaient disponibles et accessibles, et nous avons cherché à créer des liens par d’autres moyens avec les filles vivant dans des communautés qui n’ont pas accès aux réseaux sociaux.
Enfin, nous avons fait pression pour intégrer des messages de prévention de la violence fondée sur le genre dans le matériel de prévention de la COVID-19, afin que les services de santé communiquent avec les filles et leur apportent un soutien et une protection totale, non seulement contre la COVID-19 mais aussi contre la violation endémique de leurs droits.

L’espace civique au Malawi est classé comme « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
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