Mexique : « La violence à l’égard des femmes est une pandémie séculaire »

Wendy FigueroaCIVICUS s’entretient avec Wendy Figueroa, directrice de la Red Nacional de Refugios (Réseau National des Refuges), une organisation de la société civile (OSC) mexicaine dont le travail est ininterrompu depuis plus de 20 ans. Le Réseau comprend 69 espaces de prévention, de soins et de protection des victimes de violence domestique et sexiste dans tout le pays. Il travaille selon une approche multidisciplinaire et intersectorielle, avec une perspective de genre, de droits humains et multiculturelle. Il se concentre sur la défense des politiques publiques, la sensibilisation au problème par des campagnes et une couverture médiatique, et la fourniture de soins complets spécialisés et gratuits aux femmes et à leurs enfants victimes de violences domestiques et sexistes.

 

 

Comment la violence sexiste au Mexique a-t-elle été influencée par la pandémie de COVID-19 ?

Au Mexique, la violence contre les femmes est une pandémie séculaire. Elle n’a pas seulement émergé avec la COVID-19 ; la pandémie n'a fait que rendre la situation plus apparente et plus prononcée pendant le confinement. Les mesures de confinement adoptées pour atténuer les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont eu pour effet d'accroître les risques et la vulnérabilité pour des centaines de femmes. La violence sexiste a également été exacerbée pendant la pandémie, précisément parce qu'en période de confinement, les femmes se retrouvent avec une surcharge de responsabilités en matière de soins, de travaux domestiques et d'optimisation des ressources disponibles dans leur foyer, tout cela en subissant la pression de l’agresseur qui vit avec elles.

Comment le Réseau National a-t-il réagi ?

Nous avons renforcé les activités et les interventions que nous développons depuis de nombreuses années. Ce qui caractérise le travail du Réseau National des Refuges, c’est que, bien que notre travail ait été constant, nos approches pour prévenir, traiter et éliminer la violence envers les femmes et les enfants se sont adaptées et enrichies avec le temps. Ces approches sont mises à jour en fonction des besoins des femmes et des enfants. Ainsi, nos réponses pendant la période de confinement ont été enrichies et renforcées de différentes manières.

Tout d’abord, le Réseau dispose d’une ligne d’assistance téléphonique qui fonctionne 24 heures sur 24, tout au long de l’année, et propose également une assistance par le biais des réseaux sociaux. Nous avons renforcé ces derniers, en augmentant le nombre de professionnels qui fournissent des soins à travers ces deux espaces de communication. Nous avons également mis en place un numéro WhatsApp car nous avons constaté que plus le temps passé en confinement est long, moins les femmes victimes de violences ont la possibilité de contacter le monde extérieur. Ainsi, les SMS ou les messages sur les médias sociaux sont devenus un moyen extrêmement utile pour les femmes de nous envoyer un message dès qu'elles en avaient l'occasion.

Dans de nombreux cas, ces messages ont permis de mener des opérations de sauvetage. Dans le contexte du confinement, les femmes devaient partir à la première occasion, lorsque leur agresseur n'était pas à la maison, de sorte que les opérations de sauvetage ont augmenté de façon spectaculaire. En seulement deux mois, nous avons effectué 19 opérations de sauvetage, contre à peine un par mois environ pendant la même période en 2019. Pour y parvenir, nous avons dû faire preuve de créativité et avons établi des partenariats avec certaines entreprises privées, comme Avon et Uber, afin d’organiser la logistique et le transport.

Deuxièmement, nos campagnes d’information, de sensibilisation et de prévention se sont concentrées sur trois moments que traversent les femmes qui subissent des violences, afin de partager des stratégies sur ce qu’il faut faire avant, pendant et après un événement violent. Nous avons également partagé des stratégies pour réduire les situations à risque avec les enfants à la maison et établir des plans de sécurité. Nous avons mené une campagne inclusive et multiculturelle, avec des messages en langue des signes pour les femmes malentendantes et des messages en langues nahuatl, zapotèque et maya pour les femmes des communautés autochtones.

Étant donné que la COVID-19 rend plus prononcées et plus visibles les formes préexistantes de discrimination et d'inégalités, et que les femmes se trouvent dans une situation de plus grande vulnérabilité, nous avons également créé du matériel destiné à la société dans son ensemble. Nous encourageons les citoyens à former des réseaux de soutien solidaire pour rendre visible la violence contre les femmes et les enfants, afin que les citoyens puissent dénoncer les situations de violence et participer à la construction d’une culture de tolérance zéro.

Troisièmement, nous avons développé la campagne « confinement sans violence », destinée au gouvernement, soulignant la nécessité et l’urgence de créer de politiques publiques transversales, dotées de ressources, pour faire face aux conséquences et à l’impact de la pandémie sur les femmes, dans une perspective de genre, de droits humains, et multiculturelle. Ces politiques doivent garantir l’accès à la justice, aux services de santé et aux compensations économiques, entre autres droits. 

Quatrièmement, nous avons mené des actions spécifiques au sein des refuges, des centres d’urgence, des maisons de transition et des centres externes qui composent le Réseau, en mettant en œuvre des protocoles visant à atténuer le risque d'infection par le COVID-19. Nous avons utilisé notre créativité pour fournir une assistance à travers différentes plateformes numériques afin de continuer à accompagner toutes les femmes qui participent à nos programmes. Nous avons échelonné les heures d’attention au sein des refuges et mis en place des salles de quarantaine pour continuer à permettre l’accès aux femmes et aux enfants qui en ont besoin sans obstacles ni discrimination dus au coronavirus, car selon nous il est essentiel de placer les droits humains au cœur de nos actions.

Nous recherchons des financements internationaux et du secteur privé pour renforcer notre réseau de centres d’urgence et de transition. Les centres d’urgence sont l'étape précédant l'entrée dans un refuge et nous les utilisons actuellement pour atténuer le risque d’infection par le COVID-19 dans les refuges : au lieu des trois jours habituels, les séjours dans les centres d’urgence durent maintenant 14 jours, ce qui correspond au temps de quarantaine. Les centres de transition sont très importants car ils constituent l’espace disponible pour les femmes qui quittent le refuge et ne disposent pas d’un logement ou d’un réseau de soutien solide. Dans ces espaces de transition, elles mettent en pratique les plans qu'elles ont élaborés pendant leur séjour dans les refuges et commencent à cheminer vers l'indépendance. Cependant, en raison des impacts économiques de la COVID-19, les contrats de travail que nous avions pour ces femmes ont été annulés. Dans ce contexte, les centres de transition offrent aux femmes la possibilité de poursuivre leur processus et d'éviter la frustration et la victimisation.

Avez-vous été confrontés à des restrictions supplémentaires concernant les libertés de rassemblement, d'expression et de mobilisation pendant la pandémie ?

D'une manière générale, la mobilité a bien sûr été limitée par le confinement. En réponse à cela, nous avons traité une grande partie de l’assistance par téléphone et par les médias sociaux. Mais nous n’avons pas négligé l'assistance en face à face : dans certaines villes où nous opérons, il n’existe pas d’alternative au centre d’attention externe de l’OSC locale qui appartient au Réseau National, et dans ces cas-là, nous avons continué à fournir une assistance en face à face, en prenant toutes les précautions pour réduire le risque de contagion. Nous continuons également à fonctionner et à fournir des soins en personne, si nécessaire, dans tous nos espaces dédiés à la protection : centres d’urgence, refuges et centres de transition. Et nous continuons à nous mobiliser en cas de besoin.

La liberté de réunion est limitée, mais il ne nous est pas interdit d'agir face aux féminicides et autres violations des droits. Nous continuons à agir selon notre modèle et sur la base de nos principes directeurs, à savoir les droits humains et le respect de la vie des femmes. Nous nous sommes réorganisés pour respecter la distanciation sociale lorsque cela est possible, mais surtout pour nous concentrer sur les besoins des familles que nous aidons.

Comment le mouvement féministe s’est-il adapté à la transition entre les manifestations de masse et l'isolement social ?

Nous avons transformé nos façons de protester, d’élever la voix, de nous unir dans la fraternité pour demander la justice, l’égalité réelle et le respect de tous les droits des femmes et des enfants. Nous avons utilisé les plateformes numériques et la technologie pour continuer à communiquer, à créer des réseaux et à proposer des actions. Les mouvements féministes ne se sont pas arrêtés avec l'arrivée de la COVID-19 : grâce aux médias et aux plateformes numériques, nous avons organisé des conversations, des webinaires, des réunions de solidarité, des rencontres pour exprimer nos sentiments et exercer notre solidarité. Nous avons établi des échanges féministes pour soutenir les activités économiques de nos consœurs et offrir nos services professionnels en tant que psychologues, médecins et avocates sur les médias sociaux.

Nous avons également multiplié les déclarations. Nous avons récemment produit, avec 42 autres groupes féministes, une vidéo qui accompagne une lettre comportant plus de 6 000 signatures pour exiger que l’État mexicain et les 32 États mettent en œuvre des actions urgentes et prioritaires pour garantir la vie et la sécurité de toutes les femmes et de tous les enfants de notre pays. Face à la minimisation du phénomène de la violence contre les femmes, nous avons lancé la campagne « Nosotras tenemos otros datos », qui a eu un impact considérable. Nous nous sommes également fait l’écho des voix des femmes victimes de violence qui ont sollicité notre aide. Nous sommes donc bel et bien présents et nous continuerons à l’être.

Que faut-il changer après la pandémie, et comment pouvons-nous travailler ensemble pour provoquer ce changement ?

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les problèmes de fond de notre pays : l’accès très inégal à la santé, à l’éducation, à l’information, à la justice et aux droits. De mon point de vue, l’après-pandémie peut également être une grande opportunité pour réorganiser notre système de soins, de protection et de sécurité globale, afin de s’assurer que toutes les personnes disposent à la fois de garanties légales et d’opportunités réelles de mener une vie sans violence - et en particulier les groupes les plus vulnérables, notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées, les migrants et les personnes souffrant de handicap.

Nous avons besoin de politiques publiques qui garantissent l’égalité d’accès de tous à tous les droits. Ces politiques publiques doivent bénéficier d’un budget spécifique. Et il doit s'agir de politiques d'État plutôt que de politiques gouvernementales, car ce n'est pas un problème de l'administration actuelle - c'est un problème historique. Or, les politiques gouvernementales sont démantelées à chaque changement de gouvernement, même dans le cas de politiques de discrimination positive, qui donnent pourtant de bons résultats. C’est pourquoi il est essentiel de s’orienter vers une politique d’État, avec un budget garanti et une action intersectorielle. Ces politiques doivent inclure les perspectives de genre, de droits humains et de diversité, afin que personne ne soit laissé de côté. Elles devraient relever de la responsabilité du gouvernement fédéral, mais aussi des 32 États et de la société elle-même, et bien sûr des OSC, afin de progresser vers une société où la violence sexiste n’est pas justifiée et naturalisée, comme cela continue malheureusement d’être le cas actuellement. 

Toutes les personnes, dans tous les secteurs, doivent œuvrer à un changement culturel, en commençant par nous-mêmes, afin d’identifier nos propres actes discriminatoires et actions violentes, ainsi que la manière dont nous reproduisons les codes sociaux et naturalisons la violence. C’est pourquoi je pense que le changement doit s’opérer à tous les niveaux avant que l'on puisse réellement parler d'une véritable transformation.

De quel type de soutien le Réseau National a-t-il besoin de la part de la communauté internationale ?

Nous voulons que la communauté internationale soit informée des régressions que connaît notre pays dans le domaine des droits humains. Il est important que l’information parvienne aux organisations internationales, car l’Etat mexicain a signé et ratifié la Convention de Belém do Pará (Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et le Programme d’action de Beijing, et il n’en respecte aucune. L’État mexicain a déjà reçu de nombreuses recommandations internationales à cet égard, mais n’y répond pas par des actions concrètes. 

Au contraire, le gouvernement est souvent complice de la violence. En ignorant, voire en niant, que les femmes subissent des violences au sein de leur foyer et que celles-ci ont augmenté pendant le confinement, les autorités condamnent à nouveau les victimes. De plus, la politique d’austérité affecte les programmes et les communautés. Depuis 2019, les refuges mènent une lutte regrettable et constante pour défendre leur budget, en montrant les bénéfices et l’impact qu’ils génèrent auprès des familles mexicaines. Nous avons donc également besoin d’un soutien sous forme de dons pour renforcer notre réseau national et créer davantage de centres d’urgence et de transition, qui jouent un rôle crucial pour fermer le cycle de la violence et assurer une véritable citoyenneté et la protection des droits humains.

L’espace civique au Mexique est classé comme « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Contactez le Réseau National des Refuges via son site web ou son profil Facebook, et suivez @RNRoficial sur Twitter.

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