COP26 : « Il y a encore un manque de conscience quant au fait que nous devons protéger le climat pour nous protéger nous-mêmes »

À la veille de la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni, du 31 octobre au 12 novembre 2021, CIVICUS a interrogé des militants, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leur contexte, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet à venir.

CIVICUS s’entretient avec Sascha Müller-Kraenner, directeur exécutif d’Action Environnementale Allemagne (Deutsche Umwelthilfe), une organisation qui promeut des modes de vie durables et des systèmes économiques respectueux des limites écologiques. Depuis plus de 40 ans, elle milite pour la conservation de la diversité biologique et la protection du climat et des biens naturels.

Sascha Muller Kraenner

Photo : Stefan Wieland

Quel est le principal problème climatique dans votre pays ?

L’Allemagne et l’Europe doivent éliminer progressivement les gaz fossiles si elles veulent avoir un espoir de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C. Les hommes politiques n’acceptent toujours pas cette réalité, et le débat public est obscurci par le lobby du gaz, qui mène une campagne mensongère pour présenter le gaz fossile comme propre, bon marché et respectueux de l’environnement. Mais prendre au sérieux la préservation du climat implique de transformer l’ensemble du système énergétique, et l’industrie du gaz fossile n’a pas sa place dans cette transformation. Nous devons cesser de la subventionner et de construire de nouvelles infrastructures pour la desservir.

Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique doivent être massivement développées pour réduire la demande de gaz et générer une énergie propre. Dans le secteur du chauffage, nous devons interdire la vente de nouveaux appareils de chauffage au gaz et remplacer les appareils existants par des technologies durables, comme les pompes à chaleur, au lieu de proposer de fausses solutions comme l’hydrogène.

L’émergence de ce que l’on appelle les « gaz verts » tels que l’hydrogène constitue à la fois une menace et une opportunité à cet égard, et la conception d’une réglementation appropriée pour un avenir neutre sur le plan climatique est un défi majeur. Comme l’offre d’hydrogène vert sera très limitée, car sa production est très coûteuse, nous devons l’utiliser uniquement dans les secteurs plus difficiles à décarboniser, tels que les processus industriels à haute température, plutôt que pour le chauffage ou les transports, pour lesquels d’autres options sont disponibles.

Les inondations dévastatrices qui ont frappé l’Allemagne en juillet ont-elles permis une meilleure reconnaissance de la crise climatique et une plus grande volonté d’agir ?

Une plus grande reconnaissance, oui. Les inondations ont été largement attribuées, et à juste titre, au changement climatique. Cependant, le débat n’a pas beaucoup évolué une fois la crise immédiate passée. Le gouvernement a dû engager 30 milliards d’euros (environ 35 milliards de dollars) pour réparer les dégâts causés par les inondations et reconstruire les régions touchées. Cependant, dans le contexte des élections fédérales, la politique climatique a été discutée comme un « coût » que la société doit payer pour des raisons altruistes.

Présenter la politique climatique comme opposée au développement économique est une fausse dichotomie. La vérité est que nous devons réduire les émissions, même dans les zones où cela est difficile, précisément pour éviter que des événements terriblement coûteux comme les inondations et les sécheresses ne deviennent plus fréquents. Cette conscience quant au fait que nous devons protéger le climat pour nous protéger nous-mêmes fait encore défaut.

Dans quelle mesure la crise climatique a-t-elle été présente dans la campagne électorale d’octobre, et comment le mouvement climatique pousse-t-il le nouveau gouvernement potentiel à aller plus loin ?

Selon les sondages, le changement climatique était la question électorale la plus importante. Cela s’explique en partie par la frustration suscitée par le gouvernement sortant de la « grande coalition », qui s’est montré complaisant à l’égard de la crise climatique, incapable d’atteindre ses propres objectifs et peu enclin à prendre des décisions de grande envergure dans des domaines essentiels tels que les énergies renouvelables, la construction, les transports et l’agriculture.

Le mouvement pour le climat, et en particulier le mouvement Fridays for Future, s’est beaucoup renforcé depuis les élections de 2017. Les jeunes sont mobilisés et maintiendront la pression car ils craignent, à juste titre, pour leur avenir. Il est très probable que le parti des Verts fasse partie du nouveau gouvernement après avoir obtenu le meilleur résultat électoral de son histoire. Cela est de bon augure pour la politique climatique ainsi que pour l’exercice de l’influence du mouvement climatique. Le parti des Verts est de loin le plus compétent et le plus disposé à adopter une politique climatique ambitieuse, et aussi le plus ouvert aux préoccupations du mouvement pour le climat.

Quel lien entretenez-vous avec le mouvement international pour le climat ?

Deutsche Umwelthilfe est liée au mouvement climatique en Europe par son adhésion à des associations faîtières telles que Climate Action Network-Europe et le Bureau européen de l’environnement. Nous participons régulièrement, avec nos partenaires européens, à des échanges et à des groupes de travail sur différents sujets, tels que l’élimination progressive du gaz, la réglementation des émissions de méthane, le financement durable et le chauffage durable.

Dans quelle mesure espérez-vous que la COP26 débouchera sur des progrès, et quelle utilité voyez-vous à de tels processus internationaux ?

Il ne fait aucun doute que la coopération internationale est essentielle si nous voulons limiter efficacement le réchauffement de la planète, et l’accord de Paris en est la preuve. Cependant, depuis le début de la série de réunions de la COP, nous avons constaté une augmentation constante des émissions au niveau mondial. Beaucoup critiquent également ces événements parce qu’ils sont fortement sponsorisés par l’industrie et que leurs résultats sont donc quelque peu orientés vers les attentes de l’industrie.

Ainsi, les processus internationaux sont, d’une part, cruciaux, mais d’autre part, ils sont aussi l’occasion pour l’industrie des combustibles fossiles de gagner, ou du moins de conserver, sa réputation de partie de la solution à la crise climatique, tout en continuant, dans de nombreux cas, à entraver le progrès.

C’est pourquoi nous devons veiller à envisager de manière réaliste les résultats qui pourraient découler de la COP26. J’espère que des progrès seront réalisés sur les engagements de réduction des émissions afin d’être en mesure de respecter l’accord de Paris. Mais il faudra que la société civile exige et mette en œuvre les changements nécessaires, quelle que soit l’issue de la COP26. Nous faisons et continuerons de faire partie de ce changement.

Quel changement souhaiteriez-vous voir se produire pour contribuer à résoudre la crise climatique ?

Ces dernières années, nous avons assisté à des efforts incroyables de la part de la jeune génération pour enfin concrétiser les promesses faites dans l’accord de Paris. Cependant, trop souvent, les décideurs ignorent leurs connaissances et leurs demandes concernant la crise climatique et continuent à faire comme si de rien n’était. Je pense que nous aurions tous intérêt à ce que les jeunes aient davantage d’influence sur les processus décisionnels susceptibles d’enrayer le réchauffement climatique.

L’espace civique en Allemagne est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor.
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