SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »

RetoWyssCIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable des affaires internationales de Pink Cross, au sujet du récent référendum sur le mariage homosexuel en Suisse et des défis à venir.

Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.

Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?

Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.

Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.

Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.

Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.

La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.

Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.

Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?

Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.

La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.

Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?

Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.

La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.

S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.

Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage. 

Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?

Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.

Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.

L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor.
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