TRAITÉ SUR LES PANDÉMIES : « Les États ont une responsabilité commune pour assurer la sécurité du monde et doivent être tenus responsables »

Barbara StockingCIVICUS s’entretient avec Dame Barbara M. Stocking sur la nécessité de développer un nouveau traité sur les pandémies, qui soit ancré dans la solidarité, la transparence, la responsabilisation et l’équité.

Barbara Stocking est présidente du Panel pour une convention mondiale sur la santé publique (Panel for a Global Public Health Convention, PGPHC), ancienne présidente du Murray Edwards College de l’Université de Cambridge, ancienne directrice générale d’Oxfam Grande-Bretagne et ancienne présidente du Panel d’évaluation intérimaire d’Ebola.

Qu’est-ce que le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique et qu’est-ce qui a motivé sa création en avril 2021 ?

L’université de Miami a décidé d’interroger des experts du monde entier sur le thème des pandémies, avant que la pandémie de COVID-19 n’éclate. Nous avions besoin de savoir si nous étions préparés à une pandémie et quels étaient les problèmes à résoudre à cet égard. Je faisais partie des experts : en 2015, j’ai présidé le comité Ebola, qui a évalué les performances de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière. Un article résumant l’avis des experts a été publié quelques mois plus tard dans la revue médicale à comité de lecture « The Lancet ».

À ce moment-là, la pandémie de COVID-19 battait son plein, et le président de l’université de Miami, Julio Frank, a suggéré de faire plus que de publier un rapport. Le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique a été créé en 2020 pour promouvoir de nouvelles façons de contrôler les épidémies et d’y répondre, et on m’a demandé d’en assurer la présidence.

Le Panel est une coalition de plaidoyer indépendante et de haut niveau. Il compte parmi ses membres d’anciens présidents, tels que Laura Chinchilla du Costa Rica et John Mahama du Ghana, ainsi que l’ancien secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques, Angel Gurría. Ce sont toutes des personnes qui peuvent avoir une influence sur l’OMS, ses États membres et d’autres organes. Nous ne menons pas de campagnes publiques, car nous n’avons ni les moyens financiers ni les ressources humaines requises, mais nous agissons au plus haut niveau politique.

En décembre 2021, l’Assemblée mondiale de la Santé a convenu d’entamer un processus visant à élaborer un traité mondial sur la prévention, la préparation et la riposte en matière de pandémies. Notre panel continuera à suivre de près l’évolution de cette idée pour s’assurer qu’elle permettra d’atteindre les objectifs que nous jugeons nécessaires pour éviter que les épidémies ne deviennent des pandémies.

Quelles sont les insuffisances en matière de riposte à la pandémie de COVID-19 qui ont mis en évidence la nécessité d’un traité ?

La nécessité d’une convention est devenue évidente pour tout le monde à la suite de la pandémie de COVID-19, mais il ne s’agit pas d’une mesure prise uniquement pour faire face à la COVID-19. Au cours des 20 dernières années, tous les rapports ont conclu que nous n’étions pas prêts à faire face à une pandémie, quelle qu’elle soit. C’est ce que la COVID-19 vient de confirmer, de la manière la plus horrible qui soit.

La préparation est une des clés de la solution au problème. Les gouvernements se sont efforcés d’être prêts, mais ils ne l’étaient manifestement pas. Pourquoi en est-il ainsi ? Pour certains pays, le manque de préparation venait d’un manque de ressources, auquel cas nous devons veiller à ce qu’ils aient les moyens de mettre en place des systèmes de surveillance de la santé. Cependant, bon nombre de pays disposant de nombreuses ressources et d’excellents systèmes de santé n’étaient pas prêts non plus à affronter la pandémie. Cela s’explique en partie par le fait que très peu de pays mettent en pratique la préparation en matière de santé publique. Lorsque je travaillais dans le service de santé britannique, chaque hôpital s’entraînait à gérer un incident majeur tous les trois ans. Nous devons adopter la même approche pour la préparation en matière de santé publique. La pratique est essentielle et doit impliquer non seulement les systèmes de santé, mais aussi l’ensemble du gouvernement, car lorsqu’un évènement aussi grave se produit, les ministères et les chefs d’État doivent également être impliqués.

Le public n’était pas non plus préparé. Nous devons nous assurer que nous faisons passer le bon message et que nous faisons participer les communautés, qui, comme nous le savons, ont un rôle si important.

Quand il y n’y avait plus aucun doute sur le fait qu’un virus circulait, sans pour autant connaître la nature exacte de ce virus, et que l’OMS a déclaré l’état d’urgence sanitaire international, peu de choses ont été faites. Février 2020 a été un moment clé pour agir, mais très peu de choses ont été faites.

Bref, tout ceci revient à dire que les individus ne savaient pas comment faire preuve de précaution dans le contexte d’une pandémie, contrairement à beaucoup d’autres cas de figures, pour lesquels on peut se demander si une situation va s’aggraver, puis faire une évaluation réaliste. Mais dans le cas d’une pandémie, surtout au début, on ne sait pas comment le virus va proliférer, et il faut donc agir vite. Or, dans le cas de la COVID-19, les États n’ont pas agi de la sorte. Ils se sont également opposés aux directives de l’OMS en disant que l’OMS « n’avait pas d’autorité ».

L’autre problème est que nous disposons bel et bien de règlements sanitaires internationaux, mais que ceux-ci ne sont pas respectés, et il qu’il n’existe pas de mécanismes d’application et de responsabilisation. Bien sûr, il faudrait également mettre à jour les règlements sanitaires internationaux, mais aussi et surtout faire en sorte que les pays acceptent de se rendre des comptes mutuellement. Il s’agit du concept d’« assurance mutuelle » : pour qu’un État puisse prendre des décisions difficiles, il doit savoir que les autres États feront de même. Cela devrait aider à faire accepter l’idée de responsabilisation.

Il ne sert à rien d’avoir un traité ou une convention sur les pandémies si les individus ne sont pas prêts à rendre des comptes. Mais cet aspect est souvent ignoré car il est difficile à appliquer. Les États sont souverains sur leur territoire et sont responsables de la santé de leurs citoyens, mais ils ont aussi la responsabilité commune de préserver la sécurité du monde. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’un traité ou d’une convention.

Comment le traité pourrait-il contribuer à résoudre ces problèmes ?

Les principes d’équité, de transparence et de responsabilisation doivent être intégrés dans ce traité. Nous devons réfléchir à ce qui doit être réglé ou rectifié, car c’est sur cela que nous serons tenus responsables.

En ce qui concerne la préparation, par exemple, les premiers progrès ont été réalisés, mais uniquement par le biais d’évaluations par les pairs des pays, afin de déterminer s’ils sont prêts. Ce système devrait être étendu. Des évaluations indépendantes seraient bénéfiques pour le traité ou la convention. Nous avons besoin d’une instance autre que l’OMS pour effectuer les évaluations de la préparation et de la riposte, ce qui peut se faire dans le cadre d’une structure de traité. L’OMS devrait fixer les normes et apporter son soutien en jouant le rôle d’« ami du pays ». Nous pourrions mettre en place un petit comité. Comme l’OMS dispose de pratiquement toutes les données en la matière, il n’est pas nécessaire de partir de zéro. Il doit s’agir d’un organisme doté de l’expérience et des compétences requises. Il devra peut-être faire rapport, par le biais des structures des traités, aux chefs d’État, qui, nous l’espérons, formeront les conférences des parties chargées de superviser ce traité ou cette convention.

Tous ces éléments peuvent être intégrés. Ils ne réduiront pas les pouvoirs de l’OMS, mais les étendront plutôt.

Comment la société civile a-t-elle participé au processus d’élaboration du traité jusqu’à présent ?

La société civile demande manifestement à avoir plus de poids dans les questions de santé et dans l’élaboration du traité sur les pandémies, et je pense que ce changement est vraiment nécessaire.

Au niveau de l’OMS, la société civile est surtout représentée dans les organes internationaux et auprès des partenaires locaux, qui ont souvent une expérience dans le domaine de la santé – et j’entends « santé » au sens large, y compris la santé mentale.

Lorsque des réunions ont été organisées, la société civile y a activement participé et le cercle des organisations de la société civile (OSC) participantes s’est élargi aux OSC de défense des droits humains, non seulement en raison des libertés entravées par les confinements, mais aussi parce que les gouvernements utilisaient la pandémie comme prétexte pour violer les droits humains. Par conséquent, de plus en plus d’OSC de défense des droits humains ont voulu avoir leur mot à dire dans le traité.

En ce qui concerne la participation au processus du traité lui-même, l’OMS a prévu une catégorie pour la société civile, celle des « observateurs officiels ». Mais la société civile devrait avoir beaucoup plus d’influence sur les discussions. Au plus haut niveau, l’OMS organise des événements de deux jours pour fournir des preuves aux parties prenantes au-delà des États membres. En avril, un événement de deux jours a été organisé, auquel le Panel a participé et présenté son point de vue sur la question. Un autre événement est prévu en juin.

Un autre problème majeur réside dans la gestion centralisée des pandémies. Nous devons impliquer les communautés dans cette gestion, y compris la société civile. La gestion d’une pandémie doit impliquer les personnes et les organisations au niveau local. Cette gestion ne peut pas uniquement reposer sur le gouvernement central, les autorités locales doivent également jouer leur rôle pour coopérer avec ces groupes. 

Étendre la gestion du traité à la société civile serait un véritable défi, car les États membres seront maîtres du traité qu’ils signeront, soit par consensus, soit en le faisant ratifier par le gouvernement. Il faut discuter davantage de la manière dont nous pouvons impliquer davantage la société civile et coopérer avec elle, même s’il y a une conférence des parties.

Quels sont les principaux défis que vous prévoyez dans les années à venir en vue de la mise en œuvre d’un éventuel traité ?

Le premier défi est de produire une convention mondiale sur la santé publique avec un mécanisme solide de responsabilisation. Les États doivent accepter de se rendre des comptes entre eux et au reste du monde. Et même s’il peut être difficile pour les États d’accepter l’idée d’être évalués par des entités indépendantes, nous devons faire en sorte que les évaluations soient réalisées par un organe indépendant. Le travail de cet organe peut être contrôlé par les États, mais il doit pouvoir travailler de manière indépendante.

L’idée de « souveraineté partagée » est toujours difficile à accepter pour les pays. Mais nous sommes une planète et nous avons donc besoin de personnes qui coopèrent. Nous sommes tous interdépendants, nous devons donc avoir la volonté de coopérer et de voir comment nous pouvons construire quelque chose ensemble. Les États vont dans un premier temps s’inquiéter de la perte de leur souveraineté, mais nous devons les aider à comprendre à quel point un tel changement est important, à la fois d’un point de vue moral et dans leur propre intérêt. Il est dans l’intérêt de chacun que les autres adoptent un comportent louable envers les autres. Ce sont là quelques-uns des obstacles que nous devons surmonter pour parvenir à un traité digne de ce nom.

En bref, les États se sont déjà mis d’accord pour élaborer une sorte de traité ou de convention et y travaillent déjà. Mais la question est de savoir s’il s’agira d’un traité efficace. Si tout se passe bien, nous aurons un accord d’ici 2024, et ensuite les pays devraient avoir encore un peu de temps pour le ratifier - ou pas.

Mais il nous faut impérativement profiter de cet élan, car nous devons vraiment être prêts à affronter une autre éventuelle pandémie. Les individus se demandent souvent s’ils devront faire face à une autre pandémie dans les 10 ou 20 prochaines années. Eh bien, franchement, la réponse est que nous pourrions en avoir une autre dès l’année prochaine. Il y a une réelle urgence en la matière, car les habitats changent et les animaux et les êtres humains vivent de plus en plus en proximité les uns des autres.

Je vois que tout le monde se relâche un peu depuis que la COVID-19 semble être quelque peu sous contrôle. Mais malgré les progrès, nous ne devons pas dormir sur nos lauriers. Car il est presque certain que nous devrons faire face à une autre pandémie dans le futur. La seule chose que nous ignorons encore, c’est quand.

Prenez contact avec le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique via son site web.

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