Entretien avec Anas Elhasnaoui, de l’ANND (Arab NGO Network for Développement)

« Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe peut être considéré comme un laboratoire ouvert au service non seulement des sociétés arabes mais de l’ensemble des pays en développement. L’éveil démocratique qu’a connu la région  en aspirant à passer d’une phase de violation systématique des droits, d’injustice sociale et d’inégalité vers des projets de démocratisation est digne d’une attention particulière. Dans cette ébullition, les OSC sont pratiquement présentes partout et ne se contentent pas uniquement du rôle de revendication… ». Anas Elhasnaoui, du réseau ANND, membre du Partenariat international des OSC pour l’Efficacité du Développement (POED) nous parle dans cet entretien du dialogue conflictuel entre les OSC et les autorités publiques dans le monde arabe. Il évoque les résultats d’enquêtes d’opinion sur les OSC et les questions de transparence et de redevabilité des OSC.  Il témoigne de la participation et la contribution du réseau ANND aux processus internationaux en matière de développement et conclut enfin sur les principes essentiels d’une nouvelle génération d‘objectifs de développement.


1.    Existe-t-il des résultats d’enquêtes d’opinion sur les OSC dans le monde arabe ? Comment sont-elles perçues par le public ?

A ma connaissance, des enquêtes d’opinion spécialement dédiées à mesurer la perception publique des OSC n’existent pas,  au moins durant la dernière décennie. Toutefois, en se référant aux quelques enquêtes pays menées dans le cadre de l’indice CIVICUS, notamment sur l’évaluation de l’impact des OSC, on peut relever que la perception de l’impact n’est pas très forte et que la confiance dont jouissent les OSC par rapport à d’autres types d’institutions est plutôt faible tout en étant en revanche, plus importante que celle accordée aux institutions gouvernementales et parlementaires. Il est notoire de constater aussi l’appréciation faible de cet impact par les OSC elles-mêmes comparativement à la perception externe qui est davantage positive. Enfin, il faut noter que les institutions religieuses bénéficient d’un crédit de confiance deux fois supérieur que celui accordé aux OSC.

Selon ces enquêtes, au Liban par exemple, les OSC sont perçues comme peu efficaces pour répondre aux besoins sociétaux et  d’habilitation des citoyens. Une perception positive se dégage toutefois quant à la réussite de la société civile en matière d’information et d’éducation sur la chose publique. Si les initiatives des OSC sur la redevabilité des secteurs étatique et privé sont perçues hésitantes et  sans succès ; d’autres initiatives ont réussi à influencer les politiques publiques notamment en matière des droits de l’homme et de la politique sociale, les OSC au Liban mènent plusieurs campagnes sur des questions extrêmement vitales : loi électorale, code civil, droits de la femme (nationalité, violence, etc.), accès à l’information et autres.  Toutefois en raison de leur caractère complexe et stratégique les résultats ne sont pas immédiats ni perceptibles à l’opinion publique.  Par contre, d’autres actions telles que la loi d’interdiction de fumer, la chaine de salaires etc.,  ont connu un franc succès. Encore faut-il noter que ces résultats sont davantage stimulés par la conjoncture politique, les pressions extérieures et les standards internationaux que par la capacité interne des OSC.

Au Maroc, les trois quarts des enquêtés considèrent que les OSC sont utiles et importantes.  Celles qui interviennent au plan local sont plus connues que les associations ayant une couverture nationale. Leur impact est plus visible  dans les domaines de l’éducation, du développement social et de l’assistance aux plus vulnérables. Vues par les secteurs étatique et privé, les OSC ont un impact de niveau moyen à supérieur avec quelques succès de plaidoyer relatifs aux politiques publiques. Les OSC actives dans les domaines de la charité, de l’environnement et du développement local jouissent d’un niveau de confiance publique supérieur à celui exprimé en direction des  partis politiques et du parlement.

En Jordanie, l‘étude révèle que le niveau d’impact est perçu comme plus important par les parties prenantes  comparativement à l’évaluation qui est faite par les  OSC. Les domaines d’action où les OSC en Jordanie  s’activent de plus sont le travail avec les pauvres et les marginalisés, le développement social, l’éducation et la santé avec des niveaux d’influence variant entre moyen et faible  et démontrant du coup le fossé existant entre les efforts entrepris et l’impact réel. L’étude démontre un niveau de confiance élevé envers les institutions religieuses et les organisations environnementales comparativement au faible degré de confiance accordé aux OSC et aux institutions gouvernementales.


2.    Comment se posent les questions de légitimité, transparence et de responsabilité pour les OSC du monde arabe ? S’agit-il de questions importantes pour les OSC ?

Les questions de la bonne gouvernance au sein des OSC  reflétées par les principes de responsabilité, de redevabilité, de légitimité, etc. ont toujours été au centre des préoccupations des OSC dans la région arabe. Elles leur permettent d’abord de se positionner par rapport aux autres acteurs. Elles constituent ensuite et toujours un élément différenciateur pour distinguer deux catégories d’associations : d’une part les OSC autonomes porteuses de valeur qui considèrent comme mission première d’inscrire la réponse aux attentes et aux droits des citoyens et à leurs aspirations démocratiques. Ce sont des  OSC avant-gardistes, le plus souvent engagées pour influencer les politiques publiques. Soucieuses de leur crédibilité dans leur action pour influencer les politiques publiques et gouvernementales, ces OSC adoptent des règles d’éthique traduites souvent dans leurs statuts, chartes de valeurs ou autres outils de gestion. D’autre part,  il existe des OSC qui dans leur mission et objectifs constituent, dans une grande majorité, le prolongement de l’Etat, des gouvernements ou des partis politiques. Elles bénéficient le plus souvent d’un appui systématique sans obligation automatique de résultats ni devoir de transparence. Il existe entre les deux une catégorie plus importante quantitativement et qui n’adhère pas à cette réflexion ou ne se positionne pas par rapport à ce débat. Par conséquent l’appréciation de la gouvernance varie d’une catégorie à l’autre.

L’intérêt pour ces principes de bonne gouvernance au sein des OSC  a pris de l’importance sous l’impulsion de la pratique de  partenariats entre l’Etat et les OSC, encouragée par l’appui des donateurs notamment étrangers et l’adhésion aux dynamiques régionales et internationales thématiques ou globales. Les engagements dans le cadre des partenariats en appellent ainsi aux différentes parties  à réfléchir sur le respect d’un certain nombre de principes. Les évolutions toutes récentes dans la région ont favorisé le recours à ces principes y compris par les gouvernements en place, mais contre le sens qui leur est dévolu en les utilisant  comme obstacles à l’ouverture des OSC sur leur environnement national et international et une limitation de leur liberté d’action voire la violation du principe d’association lui- même par l’introduction de réformes très restrictives dans les lois régissant le champ d’action des OSC. Dans ce contexte, la société civile se déploie pour se prémunir contre toute régression en remettant sur table la question des principes à respecter par les OSC en relation étroite avec l’environnement porteur.


3.    Il y a un dialogue, parfois conflictuel, entre les OSC et les pouvoirs publics dans le monde arabe. Les OSC ont-elles besoin des Principes d’Istanbul et d’autres outils internes pour leur légitimité, dans le cadre de ce dialogue ?

De toute évidence, une référence consensuelle entre les différents acteurs de développement dans un espace géographique donné est plus qu’une nécessité, elle sert de soupape de sécurité contre tout dérapage et créent un climat de confiance, d’autant plus que la finalité étant d’un côté de concevoir et mettre des politiques publiques et de l’autre assurer la participation citoyenne dans ce processus via, entre autres, les OSC. Des initiatives par-ci et par-là sont entreprises avec comme ambition d’identifier une plate forme représentative de ces valeurs, mais elles butent toutes en raison des stratégies des acteurs et des conjonctures régnantes. La Ligue Arabe a entrepris un dialogue via l’administration en charge des OSC pour convenir d’une charte d’éthique. Toutefois le statut que les Etats membres veulent conférer aux OSC, dans ce cadre officiel régional, est réducteur en les cantonnant dans le domaine des œuvres charitables et humanitaires, quand bien même importantes, mais en les excluant  de la participation au suivi des politiques publiques ou en exerçant un type de tutelle par la sélection d’OSC sans répondre aux critères de transparence et d’inclusivité.

Suite  aux soulèvements populaires dans la région, force est de constater de manière schématique un tiraillement entre deux pôles, l’un sociétal, l’autre politique, fondant paradoxalement tout deux leur légitimité sur la reconnaissance de la société civile comme acteur incontournable dans ce qui a été réalisé et dans les développements futurs. Les pouvoirs publics et politiques s’attèlent à revisiter les lois régissant la vie associative (Bahreïn, Egypte, Tunisie, Maroc selon une approche particulière, etc.) avec comme dénominateur commun plus de restriction du champ des libertés d’association et d’expression et beaucoup d’ingérence dans l’espace de la société civile. Le conflit actuel est multidimensionnel et l’adoption des Principes d’Istanbul pourrait être une base consensuelle avancée, mais tout dépendra de l’approbation et de la mise en œuvre par les Etats arabes  de la Déclaration de Busan. Ainsi que de la capacité des OSC  à promouvoir ces principes et à les mettre en œuvre.    


4.    Qu’est ce qui a été fait dans le monde arabe dans le cadre du Forum sur l’Efficacité de développement des OSC ? Quelles sont les priorités de suivi à l’avenir ?

Dès le déclenchement du processus et bien avant la reconnaissance des OSC dans l’accord d’Accra en 2008, certaines composantes de la société civile dans le monde arabe étaient déjà impliquées dans les débats et discussions liées à la trilogie coopération, efficacité et développement : du Sommet pour le Développement de Copenhague en passant par la Déclaration du Millénaire et le Sommet de Monterrey sur le financement du développement jusqu’aux consultations qui ont précédé le Forum de Haut-Niveau d’Accra et tout le processus engagé par la société civile durant les quatre dernières années. Dans les pays où il était possible, nous avons organisé des consultations ouvertes aux différentes parties prenantes, une contribution significative en a résulté sous forme de messages clés adressés aux gouvernements et forums internationaux. Ce dynamisme est aussi présent par l’adhésion aux plates formes globales et à leur structures de gouvernance tels que Better Aid, Forum Ouvert et aujourd’hui le Partenariat des OSC pour l’efficacité du développement (POED).

L’engagement dans ce processus est aujourd’hui irréversible notamment au regard de l’intérêt accru de plusieurs parties à venir en appui aux transitions en cours dans la région. Les OSC ont exprimé leurs inquiétudes par rapport à cet engouement qui risque d’engager la région dans de nouvelles dépendances et engagements qui ne pourraient être assurés par les gouvernements en place soit en raison de leur caractère transitionnel soit pour le non respect des engagements pris dans le cadre des  déclarations de Rome, Paris, Accra et Busan. La future étape devrait être celle de la construction d’espaces de dialogues multi-acteurs qui n’ont malheureusement pas encore été formellement établis et de s’engager dans un dialogue avec les acteurs de la société civile dans leur diversité y compris idéologique.    


5.    Comment se pose ainsi la question de l’environnement propice, ou non, des OSC dans le monde arabe ? Nous savons que des lois restrictives ont été adoptées ou sont en cours d’adoption : doit-on parler de régression ou peut-on observer ici et là quelques avancées ?

A compléter

6.    Qu’est-ce que les OSC du monde arabe peuvent enseigner aux autres ? Comment installer un meilleur dialogue entre les OSC du monde arabe et les autres ? Comment faire en sorte que les OSC du monde arabe participent plus et mieux aux dialogues internationaux ?

Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe peut être considéré comme un laboratoire ouvert au service non seulement des sociétés arabes mais de l’ensemble des pays en développement. L’éveil démocratique qu’a connu la région  en aspirant à passer d’une phase de violation systématique des droits, d’injustice sociale et d’inégalité vers des projets de démocratisation est digne d’une attention particulière. Dans cette ébullition, les OSC sont pratiquement présentes partout et ne se contentent pas uniquement du rôle de la revendication : elles peuvent aller au-delà pour agir en acteur politique de premier rang concurrençant les partis politiques si elles  ne se transforment pas elles même en partis. Elles peuvent aussi jouer le rôle de « sapeur-pompier » pour limiter les dégâts et subvenir aux besoins de première nécessité. Ces différents types d’adhésion et les approches qui leur sont sous-jacentes sont des  situations à considérer en tant que telles sans appréciation à priori de leur validité ou de leur valeur. La recherche de repère, le positionnement sur une carte ambigüe, la quête de la crédibilité, de la transparence ainsi que le souci de  l’efficacité  sont  tous des champs d’investissement apprenants mais extrêmement coûteux. C’est dans ce sens qu’installer un dialogue ici et maintenant entre les OSC arabes et les OSC  d’autres régions du monde contribuerait aux avancées de la transition dans le monde arabe. Il aura pour mérite de décloisonner le débat et de lui donner une dimension extraterritoriale. Un tel dialogue a besoin d’une volonté réciproque des parties, d’un renforcement des capacités des OSC arabes et d’une meilleure circulation de l’information. Les mêmes conditions s’appliquent pour la participation effective au niveau des dialogues internationaux, auxquelles il faut ajouter la disponibilité de la société civile arabe à contribuer aux questions stratégiques, mobiliser au niveau national et local et à adhérer aux alliances au niveau international.


7.    Les coalitions du Forum Ouvert et de Better Aid  sont maintenant réunies au sein du Partenariat des OSC pour l’efficacité du développement (POED). Quel est le rôle de l’ANND dans cette nouvelle coalition mondiale ? Comment d’autres OSC peuvent-elles s’engager ?

L’ANND a jusqu’ici joué un rôle déterminant et quasi exclusif dans la mobilisation et la facilitation de l’adhésion des plates formes nationales, quand elles existent, les OSC et les personnes concernées dans le processus depuis son lancement. Aujourd’hui en tant que membre du POED, l’ANND s’active pour accroitre sa contribution dans trois directions parallèles : d’abord en aidant à la construction de l’action aux niveaux sous régional, national et local ; en engageant ensuite les OSC à ces différents niveaux dans les débats des groupes de travail du POED, qu’il s’agisse de l’approche basée sur les droits de l’homme, l’environnement porteur, l’efficacité des OSC ou le dialogue Sud-Sud. Le dernier axe consiste à développer l’articulation entre les OMD revus et l’efficacité du développement, en tenant compte des spécificités de la région : la diversité au niveau de l’organisation des OSC dans la région, les niveaux inégaux de l’environnement favorable à l’action, la situation transitionnelle par laquelle passe la région avec des niveaux de stabilité très hétérogènes et une vulnérabilité inquiétante mais non désespérante. L’ANND  a mis en place un groupe de travail au sein de son réseau afin de poursuivre la réflexion sur les questions de l’efficacité du développement et de dynamiser l’implication des OSC au niveau national et local, par la construction de plates formes dédiées ou de comités servant de points focaux là où il est encore difficile d’aller vers une forme de « coalition ». L’ANND a inscrit deux activités dans les deux sous-régions du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord dans le cadre du programme transitoire janvier–juin du CPDE. Les objectifs de ces deux réunions est d’établir un plan d’action sur les 3  années à venir  tenant compte des particularités et des priorités des pays de la région.


8.    Enfin, le POED parle d’efficacité et de coopération pour le développement et promeut en particulier le rôle des OSC dans les processus de développement. Comment à votre avis le POED peut contribuer au dialogue actuel sur la nouvelle génération d‘objectifs de développement, Post 2015 ?

Il est de prime abord impératif de procéder à un recadrage de la vision globale sous-jacente à la définition des OMD par l’adoption d’une approche compréhensive multidimensionnelle. La définition du cadre du développement est plus importante que les OMD en eux même. Partant, trois axes sont à investir :

  1. Le POED doit aider à la définition du cadre du développement en préservant l’approche compréhensive de la Déclaration du Millénaire au lieu de l’approche fragmentée des OMD. Il doit prendre en considération le nouveau paradigme basé sur le rôle de l’Etat en tant que protecteur des droits et garant de la répartition des richesses, se focaliser sur les secteurs productifs de valeur ajoutée pouvant générer des emplois et enfin la distribution suivant un system fiscal équitable, des réseaux de service et une politique des salaires. Le rôle du secteur privé est important dans ce cadre à condition d’en définir l’identité en termes de responsabilité et de transparence, d’apport aux économies nationales en valeur ajoutée et de la nature des secteurs qu’il investit pour renforcer le tissu économique national. Mais, le plus important c’est  que ce cadrage soit le résultat d’un dialogue national inclusif, d’où la nécessité d’un secteur associatif  compétent et influent avec la participation du mouvement syndical et ouvrier.

  2. Le POED doit veiller à ce que l'agenda post-2015 tienne compte des liens entre les processus nationaux de développement et les défaillances systémiques au niveau mondial ; il doit en cela veiller à la cohérence des politiques pour le développement: Cela nécessite la mise en œuvre du contenu de l'Objectif 8, tout en tenant compte de son respect des références internationales en matière des droits de l’Homme comme traduction claire du partenariat mondial. La réalisation des objectifs de développement va au-delà de  l'aide au développement pour se pencher également sur les différents impacts des secteurs  clés tels que le commerce, l'agriculture, la pêche, la sécurité sur les perspectives de développement.

  3. Le POED doit plaider pour un engagement clair et solide pour assurer des sources de financement pour le développement dans le cadre post-2015.  Bien que la récession mondiale et la crise économique affectent à la fois les pays développés et en développement, l'engagement réel des pays développés pour assurer des sources suffisantes de financement, y compris 0,7% du revenu national brut comme aide publique au développement est cruciale dans le cadre post-2015. Ceci devrait être accompagné d'un véritable respect des engagements convenus à Accra et Busan.

Enfin la définition du cadre doit  veiller  à la relation indissociable entre la paix et la sécurité d’un côté et le développement humain de l’autre, comme elle doit inscrire l’exigence pour les objectifs nationaux  de se conformer aux normes internationales dans afin d’en mesurer les progrès.

Pour en savoir plus : www.annd.org

15 avril 2013

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