CIVICUS échange sur la situation au Niger depuis le coup d’État militaire de juillet avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).
Le WANEP est une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.
Quels ont été les principaux développements depuis le coup d’État militaire au Niger ?
Le coup d’État du 26 juillet 2023 a entraîné des conséquences économiques, politiques et sécuritaires. À la suite du coup, la CEDEAO a imposé plusieurs sanctions économiques au Niger. Les sanctions comprennent la suspension de toutes les transactions financières et commerciales entre les États membres de la CEDEAO et le Niger, le gel des avoirs des militaires responsables du coup d’État, une interdiction de voyage pour les officiers militaires impliqués, la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Niger et l’établissement d’une zone d’exclusion pour tous les vols commerciaux à destination ou en provenance du Niger. Les sanctions ont fragilisé l’économie du pays, entraînant une hausse des prix des denrées de première nécessité.
Plusieurs développements importants ont eu lieu sur le front politique. Le 27 septembre, l’ambassadeur de France a quitté le Niger, ce qui a été célébré comme une victoire patriotique. La junte a également suspendu les médias français France 24 et RFI et a demandé le départ des 1 500 soldats déployés dans les trois bases françaises au Niger. La coordinatrice résidente du système des Nations unies est également partie.
Depuis lors, la junte a nommé Ali Mahamane Lamine Zeine comme Premier ministre et a annoncé une période de transition de trois ans avant que les civils ne prennent le relais. Deux nouveaux organes ont été mis en place pour accompagner le processus de transition : la Cour d’État et de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale.
La junte a également lancé officiellement le Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie, chargé de mobiliser des ressources pour renforcer les capacités des forces de sécurité engagées dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité en leur fournissant des armes et des moyens logistiques, notamment du matériel de transport. Il est également chargé du retour volontaire, de la relocalisation et de la réintégration locale des personnes déplacées de force par l’insécurité.
Fin novembre, le Niger et le Burkina Faso se sont retirés ensemble du G5 du Sahel, un cadre institutionnel de coordination de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité en Afrique de l’Ouest, fondé en 2014 et composé du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Cette décision a été prise à la suite d’un examen du fonctionnement de l’organisation et de sa force conjointe anti-jihadiste, qui n’a jamais réussi à s’implanter efficacement sur le terrain.
Au lieu du G5, le Niger a formé une alliance avec le Burkina Faso et le Mali pour aider à contrer toute menace de rébellion armée ou d’agression extérieure, soulignant que « toute attaque contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties ».
En novembre également, la junte a révisé les lois nigériennes sur l’immigration et abrogé une loi qui criminalisait le trafic de migrants dans le pays. Cette décision a été rejetée par l’Union européenne (UE), qui craignait qu’elle n’augmente les flux migratoires vers l’Europe.
Quel a été l’impact de la fin des accords de sécurité avec l’UE ?
Sur le plan géopolitique, le Niger s’est éloigné de ses partenaires traditionnels, notamment la France, qui était son principal allié dans une lutte soi-disant contre le terrorisme au Sahel.
Le Niger cherche à couper le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale. Aux premières heures du coup d’État, la CEDEAO et la France ont voulu mobiliser des forces militaires des pays voisins pour venir attaquer le Niger.
Le jour même où il dénonçait l’accord de sécurité et de défense commune du Niger avec l’UE, le gouvernement signait donc un accord de renforcement de la coopération militaire avec la Russie.
Cherchant à diversifier ses sources de revenus et à affirmer sa souveraineté, le Niger s’est rapproché de la Russie, en concluant des accords pour renforcer la coopération militaire, et de la Chine, qui lui offre des investissements dans les secteurs de l’infrastructure et de l’exploitation minière.
Existe-t-il un dialogue entre la junte et l’opposition pour mettre en place les conditions d’un rétablissement des libertés et une transition démocratique ?
Pour le moment, il n’y a pas d’indicateurs clairs de dialogue diplomatique entre la junte militaire et le président déchu Mohamed Bazoum ou ses partisans. La junte a demandé une période de transition de trois ans avant que les civils ne reprennent le pouvoir. Il a été promis qu’un dialogue inclusif serait bientôt organisé avec toutes les forces vives de la nation pour définir les termes d’une transition démocratique.
Mais je ne trouve pas de preuves que la préservation des libertés civiques soit une source d’inquiétude au Niger. La liberté d’expression est essentielle pour une société démocratique, mais si les « fake news » sont utilisées pour déstabiliser la gouvernance politique, on peut s’attendre à ce que des restrictions soient imposées.
Les obstacles qui pourraient compromettre le processus de transition démocratique seront nombreux. Les défis à relever comprennent la corruption, l’insécurité, la polarisation politique, la violation des droits humains, la fermeture des frontières, la paralysie du commerce, la hausse des prix des denrées alimentaires et des niveaux de pauvreté très élevés.
La confiance des citoyens envers les institutions démocratiques peut être sujette à des variations, influencées par des facteurs tels que la stabilité politique, la transparence des processus électoraux et la capacité des institutions à répondre aux besoins de la population.
Quelles sont les implications de la situation au Niger pour la région ?
Le Niger est un pays stratégique pour la sécurité et le développement de la région du Sahel, qui est confrontée à des groupes armés violents et à des crises humanitaires. Le Niger accueille environ 450 000 personnes réfugiées et déplacées, principalement venues du Burkina Faso, du Mali et du Nigeria.
Lorsqu’ils ont renversé le président Bazoum et mis en place une junte, les militaires ont justifié leur action en invoquant la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale, ainsi que par les accusations de corruption portées contre le gouvernement de M. Bazoum.
La communauté internationale a condamné fermement le coup et a appelé au rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel. L’Union africaine, l’Union européenne et les États-Unis, la France et d’autres pays ont suspendu leurs relations diplomatiques avec le Niger et ont imposé des sanctions économiques au régime militaire. Ils ont également menacé d’une intervention militaire si les militaires ne libéraient pas les prisonniers politiques et respectaient les droits humains.
La population nigérienne n’est pas favorable à une intervention militaire internationale. Cependant, cette même population a exprimé des préoccupations concernant la sécurité et la stabilité du pays. Pour contribuer à la stabilisation de la situation, la CEDEAO devrait lever les sanctions injustement imposées au Niger.
Les pays voisins du Niger ont exprimé leur soutien aux efforts diplomatiques visant à résoudre la crise par des moyens pacifiques et ils ont appelé au dialogue entre toutes les parties prenantes pour préserver la stabilité. Ils ont également craint que le coup d’État ne favorise l’influence étrangère dans la région, notamment celle de la Chine, l’Iran et la Russie.
L’espace civique au Niger est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.