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  • CONVENTION FISCALE DE L’ONU : « Le pouvoir populaire est notre arme principale pour lutter contre les inégalités »

    JennyRicksCIVICUS échange sur le travail de la société civile pour lutter contre les inégalités en adoptant une approche ascendante, et discute des perspectives d’une convention fiscale des Nations Unies avec JennyRicks, coordinatrice mondiale de l’Alliance contre les inégalités.

    L’Alliance contre les inégalités est une coalition mondiale en plein essor qui rassemble un large éventail de mouvements sociaux, d’organisations de base et communautaires, d’organisations de la société civile, de syndicats, d’artistes, et d’activistes individuels qui s’organisent et se mobilisent du bas vers le haut. Leur objectif est de trouver et promouvoir des solutions aux causes structurelles des inégalités afin de rééquilibrer le pouvoir et la richesse dans nos sociétés.

    Existe-t-il un consensus mondial sur le fait que l’inégalité est un problème qu’il faut adresser ?

    Depuis quelques années, il semble avoir un consensus sur le fait que l’inégalité a atteint de nouveaux extrêmes et qu’elle est préjudiciable à tous les membres de la société ainsi qu’à l’environnement. À l’heure actuelle, ce ne sont pas seulement les personnes les plus touchées par les inégalités qui s’y opposent, affirmant que c’est grotesque et que cela doit changer, mais même des organisations comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale l’envisagent comme un problème. Le pape dit que c’est un problème. Les gouvernements se sont engagés à réduire les inégalités dans le cadre de l’un des objectifs de développement durable.

    En apparence, il existe un large consensus : tout le monde semble penser que la concentration du pouvoir et des richesses au sommet des sociétés est allée trop loin, que le fossé est trop profond et qu’il affecte la vie quotidienne et les moyens de subsistance des gens au point où c’est une question de vie ou de mort. Et ce n’est pas tout : les inégalités érodent aussi les démocraties. Lorsque les oligarques contrôlent les médias, achètent des votes, répriment les défenseurs des droits de l’homme et l’espace civique et saccagent l’environnement, tout le monde est concerné.

    Mais sous ce consensus superficiel, je pense qu’il existe encore un profond désaccord sur ce que signifie réellement la lutte contre les inégalités. À l’Alliance contre les inégalités, nous travaillons pour démanteler les systèmes d’oppression à l’origine des inégalités, notamment le néolibéralisme, le patriarcat, le racisme et l’héritage colonial. Ce sont les racines structurelles profondes des inégalités qui expliquent pourquoi des milliards de personnes ont lutté pour survivre à une pandémie mondiale tandis que les plus riches du monde continuaient à s’amuser. C’est pour cela que notre plan d’action se centre sur la transformation de la nature de nos économies et de nos sociétés, et nous ne nous contentons pas d’apporter des modifications mineures au statu quo pour éviter les émeutes.

    Comment s’attaquer à l’inégalité structurelle ?

    Depuis le début de la formation de l’Alliance contre les inégalités, nous savions que le problème ne résidait pas dans le manque de solutions politiques. Nous connaissons déjà les solutions politiques pour lutter contre les inégalités : cela comprend notamment des mesures de lutte contre le changement climatique, des politiques fiscales redistributives, des politiques visant à garantir un travail décent.

    Le problème était que la concentration écrasante de pouvoir et de richesse au sommet ne s’accompagnait pas d’une force compensatrice en bas de l’échelle. Les plus riches et les plus puissants sont organisés et bien financés. Ils poursuivent leurs intérêts et leur avidité de manière agressive et avec succès. Or, nous avons le pouvoir du peuple. Mais dans la société civile et au-delà, les groupes étaient très fragmentés, très cloisonnés, concentrés sur leurs agendas individuels et absorbés par les questions les plus cruciales pour leurs partie-prenantes. Il n’y avait pas assez de liens entre les luttes.

    Le fait de s’organiser autour des inégalités permet de comprendre à quel point les luttes différentes sont interconnectées : sous les luttes quotidiennes, il y a des racines communes, et donc aussi des solutions communes à promouvoir. C’est là, ainsi que dans la transformation des discours sur l’inégalité, que nous avons trouvé notre mission. Nous devons changer ce que nous considérons comme nécessaire et possible dans nos sociétés et renforcer le pouvoir des visions alternatives pour lesquelles nous nous battons. Lorsque nous sommes limités par ce qui est perçu comme naturel ou normal selon le courant dominant, telle que l’idée fausse que les milliardaires sont des génies qui travaillent dur et méritent donc une richesse illimitée, cela limite nos énergies et nos capacités d’organisation pour un changement structurel.

    Les personnes à la base connaissent bien leurs problèmes et leurs solutions. Les inégalités ne sont pas un problème à résoudre pour les économistes et les technocrates : il s’agit avant tout d’un combat qui doit être mené par les gens. Surtout, les voix des personnes qui subissent le pire des inégalités doivent être entendues. Ces personnes sont les véritables experts de cette lutte. Le pouvoir populaire est donc la plus grande arme que nous puissions utiliser dans ce combat. Les gouvernements et les institutions internationales veulent ramener ces débats dans les arènes techniques des organes de décision et des salles de conférence, en les enveloppant d’un langage technique qui les rend intentionnellement inaccessibles à la plupart des gens. Les inégalités, comme de nombreuses autres questions qui requièrent des changements structurels, sont vues dans les cercles économiques comme des éléments à mesurer, à rapporter et à discuter. 

    Mais l’inégalité est une tragédie humaine, pas une question technique. C’est une question de pouvoir. Et les solutions doivent venir des personnes dont la vie est la plus affectée par ces inégalités. Nous devons modifier l’équilibre des pouvoirs, dans nos sociétés et sur la scène mondiale, au lieu de discuter à huis clos sur la formulation d’un document technique. Cela passe par une organisation à grande échelle : le pouvoir du peuple est notre arme principale pour lutter contre les inégalités.

    Pourquoi le régime fiscal est-il important dans la lutte contre les inégalités ?

    La lutte contre les inégalités passe par une redistribution du pouvoir et des richesses, et les impôts constituent un outil majeur de redistribution.

    Au cours des dix ou vingt dernières années, la société civile a fourni des efforts considérables pour remettre en question le fait que les personnes les plus riches et les plus grandes entreprises du monde ne paient pas leur juste part d’impôts. Le modèle économique est exploiteur, injuste et non durable, basé sur l’extraction de ressources, principalement du Sud, sur des pratiques de travail abusives, sur des travailleurs sous-payés et sur des dommages environnementaux considérables.

    Lorsqu’il s’agit de budgets nationaux ou locaux, les gouvernements augmentent souvent les impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée. Or celui-ci est le type d’impôt le plus régressif car au lieu de taxer davantage les riches ou les multinationales, il s’applique à tous les biens achetés, y compris les produits de première nécessité. Une industrie mondiale avec des systèmes d’évitement et d’évasion fiscale à grande échelle a été mise en place.

    La redistribution actuelle se base sur l’extraction aux dépens des plus pauvres et la distribution aux personnes les plus riches du monde – milliardaires, actionnaires d’entreprises, etc. C’est ce que nous nous efforçons d’inverser, tant au niveau local comme au niveau mondial.

    Comment une convention fiscale des Nations Unies pourrait-elle être utile ?

    Le niveau actuel de concentration des richesses est tellement grotesque qu’il nécessite des solutions et des actions à tous les niveaux. Nous devons nous battre sur le front local, là où se trouvent les difficultés, tout en faisant pression pour un changement systémique dans des espaces tels que les Nations Unies. La discussion sur les règles fiscales mondiales semble assez éloignée des luttes quotidiennes pour lesquelles la plupart des gens, au sein de notre alliance et au-delà, font campagne. Mais les décisions prises à ce sujet ont des répercussions sur ces luttes.

    Jusqu’à présent, les règles fiscales ont été fixées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation intergouvernementale comptant 38 États membres : un club de pays riches. Comment les décisions sur les règles fiscales mondiales qui concernent tout le monde pourraient-elles être prises ailleurs qu’à l’ONU, qui, malgré tous ses défauts et toutes ses lacunes, est le seul organisme multilatéral où tous les États ont un siège ?

    Néanmoins, comme nous l’avons vu avec les négociations sur le climat, il y a une énorme lutte de pouvoir qui doit être menée à l’ONU. Il faudra encore mener un énorme combat pour obtenir le type de règles fiscales mondiales que nous souhaitons. Mais si les règles fiscales mondiales sont élaborées au sein de l’OCDE, la majorité du monde n’a aucune chance. Ce n’est pas en demandant aux pays riches de mieux se comporter que l’on obtiendra le type de transformation que nous souhaitons.

    En novembre 2022, une première étape positive a été franchie lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution appelant à une coopération fiscale internationale plus inclusive et plus efficace et exhortant les États membres à entamer des négociations sur une convention fiscale mondiale. La résolution fait écho à un appel lancé par le Groupe des 77 (G77), le plus grand bloc de pays en développement au sein des Nations Unies, ainsi que par le Groupe africain. Elle donne aux Nations Unies le mandat de contrôler, d’évaluer et de déterminer les règles fiscales mondiales et de soutenir la création d’un organisme fiscal mondial.

    Une convention fiscale mondiale mettrait les États du Sud sur un pied d’égalité avec les États du Nord, de sorte que la proposition s’est heurtée à des résistances. Les dynamiques de pouvoir mondiales étaient clairement en jeu. Il fallait s’attendre à de telles réactions : en effet, ce processus sera à long terme et à durée indéterminée. Rien ne garantit qu’il aboutira au cadre mondial solide dont nous avons besoin. Mais c’est un combat qui vaut la peine d’être mené, et les Nations Unies sont l’enceinte idéale pour cela, tout simplement parce qu’il n’existe pas d’autre espace pour mener ces négociations. Où d’autre le G77 ou le Groupe africain pourraient-ils renégocier les règles fiscales mondiales ?

    Comment faites-vous campagne à la lumière de la résolution ?

    Nous ne faisons pas directement campagne pour la convention fiscale des Nations Unies, mais nous essayons d’amener les gens à s’intéresser à cet agenda différemment. Nous avons beaucoup fait campagne sur la taxation des riches et l’abolition des milliardaires, ce qui est une manière plus attrayante de présenter le problème et de mobiliser les gens. Nous ne pouvons pas imaginer à ce stade que des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour soutenir la convention fiscale des Nations Unies. Au lieu de cela, nous nous sommes organisés autour de la nécessité de taxer les riches, au niveau national et mondial, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.

    Cet appel a une grande résonance populaire parce qu’il est plus facile de le relier aux luttes principales individuelles telles que la recherche d’emploi, les dépenses en matière de santé, l’efficacité des services publics, le revenu de base, ou encore à la lutte contre les mesures d’austérité, les hausses d’impôts régressives ou les réductions de subventions. Grâce à notre organisation ces dernières années, cet appel a en effet été intégré à des campagnes d’un nombre croissant de mouvements à travers le monde. Cela a permis à de nombreux mouvements de base du Sud global de s’engager dans l’agenda fiscal, ce qui a le potentiel d’attirer l’attention des gens sur l’agenda plus large de justice fiscale. On ne peut pas commencer par l’organisation d’une réunion communautaire sur la Convention fiscale des Nations Unies : il faut partir des inégalités quotidiennes auxquelles les gens sont confrontés.


    Contactez l’Alliance contre les inégalités sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@jenny_ricks et@FightInequality sur Twitter.

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