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  • BIODIVERSITÉ : « Les gouvernements ne feront pas preuve de volonté politique sans pression de la base »

    Gadir LavadenzCIVICUS s’entretient avec Gadir Lavadenz, coordinateur mondial de l’Alliance de la Convention sur la diversité biologique (Alliance CDB), au sujet du processus en cours visant à rédiger un cadre mondial pour la biodiversité post-2020 avec la pleine participation des communautés concernées et de la société civile dans son ensemble.

    L’Alliance CDB est un réseau d’organisations de la société civile (OSC) ayant un intérêt commun pour la Convention sur la diversité biologique. Elle s’efforce de mieux faire comprendre au public les questions qu’elle aborde, d’améliorer la coopération entre les organisations qui souhaitent avoir une influence positive sur la CDB et de combler le fossé entre les participants aux sessions de la CDB et ceux qui œuvrent pour la biodiversité sur le terrain, tout en respectant l’indépendance et l’autonomie des peuples autochtones, une partie prenante essentielle.

    Qu’est-ce que l’Alliance CDB, que fait-elle et comment s’est-elle développée ?

    Les origines de l’Alliance CDB, il y a une vingtaine d’années, sont organiques : elle a émergé naturellement lorsque les participants au processus de la CDB ont reconnu la nécessité d’agir ensemble et d’amplifier les voix de la société civile dans les négociations. Dès le début, le rôle de l’Alliance CDB n’était pas de parler au nom des gens, mais de soutenir du mieux qu’elle pouvait tous les efforts de plaidoyer qui étaient faits de manière autonome.

    Malgré nos limites, nous sommes bien conscients que les groupes défavorisés ont besoin d’un soutien spécifique. En outre, bien que notre réseau soit diversifié, nous respectons le rôle des autres grands groupes impliqués dans le processus et assurons une bonne coordination avec eux, notamment le Forum international autochtone sur la biodiversité (FIAB), le Réseau mondial des jeunes pour la biodiversité (GYBN) et l’Assemblée générale des femmes.

    L’Alliance CDB est une vaste communauté : elle comprend à la fois les peuples autochtones et les communautés locales (IPLC), et les OSC qui les soutiennent. Nous respectons pleinement les structures de gouvernance et les processus décisionnels de chacun de ces groupes. Nous maintenons une communication et une coordination fluides avec le FIAB, qui représente le plus grand groupe de peuples et de communautés autochtones engagés dans la CDB. Nous appuyons leurs déclarations lors des réunions officielles, soutenons la participation des peuples autochtones et des communautés locales aux réunions internationales chaque fois que cela est possible, et amplifions toutes leurs publications et campagnes.

    Pourquoi un nouveau cadre mondial pour la biodiversité est-il nécessaire ?

    Historiquement, la mise en œuvre de la CDB s’est concentrée sur son premier objectif, la conservation de la diversité biologique, et relativement peu d’attention a été accordée à ses deuxième et troisième objectifs, qui sont l’utilisation durable des éléments constitutifs de la diversité biologique et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles la CBD n’a pas été en mesure de fournir les résultats escomptés. Au cours de la dernière décennie, le manque de volonté politique des parties à la CDB a conduit à l’échec de la réalisation des objectifs d’Aichi, et une abondante littérature montre que la destruction de la biodiversité se poursuit à un rythme galopant.

    Un nouveau cadre devrait être une occasion unique de corriger les erreurs du passé. La CDB couvre un large éventail de questions, mais n’a pas réussi à s’attaquer aux causes profondes de la perte de biodiversité, et sa focalisation excessive sur des objectifs tels que les zones protégées, axés sur la quantité plutôt que sur la qualité, a masqué d’énormes incohérences dans notre approche de la perte de biodiversité.

    Par exemple, le Forest Peoples Programme, membre de l’Alliance CDB, a indiqué que le financement mondial de la biodiversité a augmenté de manière significative au cours de la dernière décennie, et est désormais estimé entre 78 et 147 milliards de dollars par an. Cependant, il est largement dépassé par les subventions publiques et les flux financiers qui entraînent la perte de biodiversité, estimés entre 500 milliards et plusieurs milliers de milliards de dollars par an.

    En outre, bien que la contribution des peuples autochtones et des communautés locales soit largement reconnue comme vitale pour la protection de la biodiversité, ceux-ci sont souvent affectés négativement par le financement de la biodiversité, et leurs efforts reçoivent peu de soutien direct.

    Un autre membre de l’Alliance CDB, le Third World Network, a indiqué qu’en 2019, 50 des plus grandes banques du monde ont soutenu avec plus de 2 600 milliards de dollars des industries reconnues comme étant à l’origine de la perte de biodiversité. Une étude récente a conclu que « le secteur financier finance la crise d’extinction massive tout en sapant les droits humains et la souveraineté des autochtones ».

    Selon la Coalition mondiale des forêts, également membre de l’Alliance CDB, le financement du climat et la production subventionnée d’énergies renouvelables constituent une forme de subvention directe qui nuit souvent aux forêts et ne réduit pas les émissions. L’exemple le plus marquant est la centrale de Drax, au Royaume-Uni, qui reçoit 2 millions de livres sterling (environ 2,8 millions de dollars) par jour pour produire de l’électricité très polluante à partir de bois récolté, entre autres, dans des forêts humides riches en biodiversité du sud-est des États-Unis. Parmi les autres exemples, citons la subvention accordée par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) aux entreprises sidérurgiques pour qu’elles produisent du charbon de bois à partir de plantations d’eucalyptus au Brésil, et les nombreuses subventions nationales et européennes accordées à l’industrie de la pâte et du papier au Portugal.

    Récemment, lors d’un événement organisé par le secrétariat de la CDB, plusieurs soi-disant leaders mondiaux ont promis d’importantes sommes d’argent pour la biodiversité. Cependant, les pays du Nord ont renoncé à leurs engagements internationaux en matière de fonds nouveaux et supplémentaires. Ce qu’ils promettent pour la nature est mélangé à toutes sortes de dispositifs qui ne s’attaquent pas aux causes réelles de la perte de biodiversité. Et les montants promis pour protéger la biodiversité sont clairement dépassés par tout l’argent dépensé pour sa destruction.

    Outre ces contradictions et incohérences inquiétantes, les groupes puissants et les nations développées tentent constamment et par tous les moyens d’échapper à leurs responsabilités. Nous pensons que la volonté d’intégrer des termes tels que « solutions fondées sur la nature » dans la CDB n’est qu’une nouvelle astuce de la part des grands pollueurs pour se soustraire à leurs obligations et une nouvelle forme de « blanchiment écologique » et d’accaparement des terres par les entreprises.

    Pourquoi tout cela n’est-il pas relayé par les médias ? C’est ce qui se produit lorsque les principaux acteurs concentrent toute leur attention sur certaines politiques et activités, comme l’augmentation des zones protégées. Les zones protégées ne sont pas mauvaises en soi, mais elles sont loin d’être une véritable solution, tout comme la modification de nos modes de production et de consommation. Le discours sur la CDB doit être recentré sur les causes profondes de la perte de biodiversité, qui sont plus structurelles et liées à la justice et à l’équité. De la même manière que le changement climatique n’est plus considéré comme un problème purement environnemental, nous devons comprendre le tableau d’ensemble de la destruction de la biodiversité en relation avec les droits des peuples autochtones et tribaux, des paysans, des femmes, des générations futures et de la nature elle-même. Il faut mettre un terme à la marchandisation de la nature, car celle-ci n’appartient ni à nous ni à quelques privilégiés parmi nous. La nature n’a pas besoin d’artifices et de gros sous pour se développer, elle a besoin que nous cessions de la détruire. Ce récit devrait nous inciter à vouloir et à travailler réellement à un profond changement individuel et collectif.

    Quels changements le Cadre mondial pour la biodiversité post-2020 devrait-il apporter ?

    La CDB est un accord juridiquement contraignant et, si elle est pleinement mise en œuvre, elle offre un grand potentiel. Le Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après 2020 devrait être l’instrument permettant de faire respecter les obligations juridiques des parties à la CDB grâce à des mécanismes de responsabilisation qui sanctionnent l’inaction. C’est également l’occasion d’adopter une approche fondée sur les droits qui place les droits des peuples autochtones et tribaux, des femmes et des paysans, ainsi que les droits de la nature, au centre du débat, en reliant la CDB à l’architecture internationale des droits humains.

    Plusieurs rapports ont montré que des violations des droits humains ont été commises au nom de la promotion des zones protégées. Bien qu’il soit possible et inévitable de s’attaquer à la crise de la biodiversité et au changement climatique, divers intérêts font pression pour que ce lien se concentre sur les soi-disant « solutions fondées sur la nature », qui ne sont rien d’autre qu’une couverture pour des systèmes tels que les compensations, qui ne profitent pas à la nature mais au statu quo et n’apportent pas de véritables solutions à nos problèmes structurels.

    Un autre défi majeur réside dans le fait que la mise en œuvre des normes environnementales est souvent entre les mains des ministères de l’environnement, qui sont souvent complètement impuissants face aux autres acteurs qui sont les véritables moteurs de la perte de biodiversité. Avec le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, cela doit changer.

    La Conférence des Nations unies sur la biodiversité a été reportée à deux reprises en raison de la pandémie de COVID-19. Quels défis cette situation a-t-elle posés ?

    Le premier défi auquel nous avons été confrontés est que les pays du Nord ont exercé une forte pression pour poursuivre les négociations par des moyens virtuels, sans tenir compte des diverses difficultés rencontrées non seulement par leurs pairs du Sud mais aussi par la société civile. L’Alliance CDB a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant aux inégalités et aux injustices des négociations virtuelles, et a soutenu la proposition des parties du sud de la planète de reporter les négociations. Ce n’est que lorsque les États africains et certains États d’Amérique latine ont exprimé leur profonde inquiétude face à cette situation que les nations riches ont fait marche arrière. Les réunions en ligne ont été maintenues afin que les discussions puissent se poursuivre, mais il a été établi que les décisions ne seraient prises que lors de réunions en face à face.

    Comment la société civile internationale peut-elle soutenir au mieux le travail que vous réalisez autour du Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après 2020 ?

    Certains de nos objectifs sont de veiller à ce que le Cadre mondial pour la diversité pour l’après 2020 se concentre sur une déclaration de principes forte, telle que l’équité et les responsabilités communes mais différenciées (CBDR) ; un mécanisme pour traiter le non-respect, y compris des sanctions et bien intégré au principe CBDR ; un objectif axé sur les défenseurs des droits humains, les défenseurs de l’environnement et les femmes, car ce sont elles qui défendent la biodiversité dans le monde réel ; et un objectif sur l’interdiction des altérations majeures de la nature.

    Une fois le cadre approuvé, notre mission sera de coordonner avec les régions, les réseaux et les organisations qui ont un lien direct avec ceux qui travaillent sur le terrain et en première ligne. Cette coordination devrait inclure une diffusion massive et intense du cadre, mais en mettant l’accent sur la manière dont il peut renforcer les personnes dans leurs résistances, leurs luttes et leurs projets.

    Même s’ils sont confrontés à des obligations juridiquement contraignantes, les gouvernements ne feront pas preuve de volonté politique s’ils ne subissent pas une pression suffisante de la base. Une telle pression ne peut avoir lieu en l’absence d’autonomisation et d’information sur les décisions prises au niveau international.

    Contactez l’Alliance CDB via sonsite web, sa pageFacebooket son compteTwitter. 

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