COVID-19 : « Les réfugiés ont payé un prix plus élevé dans une crise dont on pensait qu’elle nous touchait tous »

CIVICUS s’entretien sur la situation des réfugiés climatiques et les défis croissants rencontrés lors de la pandémie de la COVID-19 avec Amali Tower, fondatrice et directrice exécutive de Climate Refugees. Fondée en 2015, l’association Climate Refugees défend les droits des personnes déplacées et forcées de migrer, y compris par-delà les frontières, en raison du changement climatique. Elle documente leurs cas pour faire la lumière sur les lacunes en matière de protection et les vides juridiques et plaide en faveur de solutions fondées sur les droits humains et de la création de normes et de politiques qui protègent les personnes touchées par les migrations et les déplacements liés au changement climatique.

Amali Tower

Votre organisation s’appelle Climate Refugees (« réfugiés climatiques »), même si le terme n’est pas actuellement soutenu par le droit international. Pourquoi avez-vous choisi de vous appeler Réfugiés climatiques, et pensez-vous que cette catégorie devrait être officiellement reconnue ?

Le concept n’existe pas en droit international, mais les moteurs de la migration sont de plus en plus imbriqués, comme on le voit dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays par les conflits et les persécutions. Il en va de même dans le contexte de la migration climatique, qui pour des millions de personnes n’est pas une question purement environnementale, mais une question de justice. Pour de nombreuses populations dépendantes de la terre, le changement climatique a des répercussions sur la survie et les moyens de subsistance, avec des effets qui vont bien au-delà de l’individu et qui touchent la famille, la communauté, la production et les entreprises locales. Ainsi, avant d’être un facteur contribuant à la migration, le climat est un facteur qui, pendant des années, cause des pertes et des souffrances profondes, s’exprime en pertes économiques et a des ramifications politiques. C’est le cas, par exemple, des agriculteurs de subsistance en Afrique subsaharienne, en Amérique centrale et dans de nombreuses autres régions. Dans ce contexte, une personne déplacée par les impacts du changement climatique est en même temps déplacée par des facteurs économiques et politiques, puisque dans de nombreux pays, la situation politique et les systèmes économiques sont fortement liés à la situation environnementale.

En outre, il est important de se rappeler que les impacts du changement climatique et les migrations et déplacements induits par le climat ne sont pas des risques futurs. C’est une réalité que beaucoup de gens vivent déjà, qui se manifeste dans certains des endroits les plus fragiles du monde et qui est vécue par des populations appauvries et vulnérables qui n’ont presque pas eu de responsabilité dans le changement climatique.

C’est pourquoi nous abordons la question comme une question d’égalité et de justice. Ayant longtemps travaillé dans le domaine de la protection des réfugiés, ayant interviewé et fourni des services à d’innombrables réfugiés fuyant les conflits et les persécutions, conformément à la définition légale, je suis pleinement consciente de la controverse et du contrecoup que cela peut provoquer. J’ai lutté pour prendre cette décision, mais en fin de compte, je n’ai pas pu concilier la définition juridique avec les années de témoignages de personnes fuyant pour diverses raisons qui ont mis en évidence, parmi leurs motivations, l’impact d’années de dévastation de l’environnement plutôt que la guerre que nous savions tous être en train de se produire.

Nous nous sommes donc finalement mis d’accord sur le terme « réfugiés climatiques » ou « réfugiés du climat » pour provoquer la discussion. Pour mettre l’accent sur la responsabilité politique en matière de changement climatique. Pour sensibiliser aux impacts disparates du changement climatique, qui sont mortels pour certaines personnes. Pour contribuer, provoquer et remettre en question les politiques publiques. Pour mettre en évidence les besoins en écoutant la voix des personnes concernées et les aider à obtenir une protection juridique. En bref, pour présenter le sujet comme une question d’égalité.

Dans le domaine de la migration, la terminologie fait l’objet de nombreuses discussions - certains diraient même d’une confusion. Il n’y a pas de consensus sur les termes appropriés, et c’est pour cela que différents termes sont utilisés, tels que « migration induite par le climat » et « migrants environnementaux ».

Je pense que nous devons veiller à ne pas simplifier le message. Mais nous ne devons pas non plus utiliser une terminologie trop technique sur les problèmes sous-jacents et les souffrances que connaissent tant de personnes réelles. Nous devons aider les décideurs politiques et les citoyens à comprendre que toute situation complexe implique un certain nombre de facteurs contributifs. Souvent, les gens se sont déplacés, devenant des réfugiés, à la suite de conflits et de la sécheresse - il suffit de regarder la Somalie. D’autres se déplacent à la recherche de sécurité et de meilleures possibilités de subsistance, comme nous le constatons dans le cas de l’Amérique centrale.

Nous devons être clairs sur le fait que la ligne de démarcation entre migration « forcée » et « volontaire » est souvent mal comprise, voire une fausse dichotomie.

Nous utilisons le terme « réfugiés climatiques » pour attirer l’attention sur la responsabilité politique des pays riches et de certaines industries pour garantir l’accès à la justice, la compensation, la protection et l’égalité à tous les niveaux, car les solutions doivent également être multidimensionnelles.

Quel type de travail réalise Climate Refugees ?

Climate Refugees est une organisation de recherche et de plaidoyer qui produit des rapports sur le terrain et s’engage dans l’élaboration de politiques pour examiner le changement climatique à travers un prisme humain et aider à inclure et amplifier les voix des communautés dont les moyens de subsistance et la sécurité ont été affectés et qui ont été déplacées ou forcées de migrer. Sinon, la conversation sur le changement climatique resterait froide et abstraite, au lieu de se concentrer sur les impacts qu’il a sur des communautés entières et sur des êtres humains réels, en chair et en os.

En plus de produire des rapports sur les points chauds du déplacement climatique, nous éduquons et sensibilisons aux impacts du changement climatique sur la mobilité humaine en temps réel et selon des modalités pas toujours explorées, grâce à deux publications : FOCUS : Le déplacement climatique dans l’actualité (SPOTLIGHT: Climate Displacement in the News) qui, comme son nom l’indique, est un résumé actuel des nouvelles mondiales et des analyses d’experts sur les impacts du changement climatique sur la migration, les droits humains, les lois et politiques, les conflits et la sécurité ; et PERSPECTIVES : Déplacement climatique sur le terrain (PERSPECTIVES: Climate Displacement in the Field), qui comprend des articles sur divers sujets liés à la migration et au déplacement induits par le climat, avec des avis d’experts et des histoires à la première personne.

Avec ces publications, notre objectif est de fournir des informations et de présenter les histoires des migrants et des personnes déplacées, ainsi que des analyses d’experts à travers une optique de justice climatique qui met en évidence les impacts disproportionnés du changement climatique sur les populations marginalisées et défavorisées, qui sont les moins responsables du changement climatique. Je pense que j’ai fondé cette organisation en grande partie pour pouvoir avoir la conversation que beaucoup d’entre nous souhaitent avoir, autour de l’idée que nous traitons avant tout d’une question de justice et d’égalité, et que nos solutions devraient découler de cette prise de conscience.

Les réfugiés climatiques ont-ils été particulièrement touchés par la pandémie de la COVID-19 et les restrictions qui en découlent ? Que fait-on à ce sujet ?

La pandémie de la COVID-19 est un bon exemple de l’augmentation des violations des droits dans un contexte de crise, et réfute catégoriquement l’affirmation selon laquelle « nous sommes tous dans le même bateau ». Les migrants et les réfugiés ont certainement payé un prix plus élevé lors d’une pandémie mondiale qui, selon beaucoup, a touché tous les êtres humains de la même manière. Il est difficile de maintenir une distance sociale lorsque vous êtes une personne déplacée vivant dans des conditions de surpeuplement dans un établissement, qu’il soit formel ou informel, urbain ou rural, qu’il s’agisse d’un camp de réfugiés ou d’un logement temporaire pour migrants. Les migrants et les réfugiés se voient refuser la liberté de mouvement, le droit à la santé et le droit à l’information dans une plus large mesure que les autres populations, et sont confrontés à davantage d’obstacles pour accéder à leurs droits.

Il ne s’agit pas d’isoler un pays en particulier, car le fait est que les populations vulnérables, qui auraient dû bénéficier d’une plus grande protection pendant la pandémie presque partout, sont devenues plus vulnérables presque partout. Au Liban, les réfugiés ont été soumis à un couvre-feu plus strict, ce qui a même empêché leur accès aux soins médicaux. Dans le camp de réfugiés de Cox’s Bazar au Bangladesh, les réfugiés Rohingya ont été contraints de rester dans le camp et se sont vus refuser les droits à la communication et à la santé. Dans de nombreux pays où ils étaient entassés dans des logements insalubres, comme en Malaisie, de nombreux migrants étaient détenus. Les États-Unis ont refusé aux demandeurs d’asile le droit de présenter leurs pétitions et ont violé le principe de non-refoulement, en les renvoyant à la frontière sans audience, en expulsant les demandeurs d’asile dont le test COVID-19 était positif et en exportant ainsi le virus vers Haïti et l’Amérique centrale. Les États-Unis continuent de détenir des milliers de personnes, pour la plupart originaires d’Amérique centrale, qui fuient non seulement la violence et la persécution mais aussi les effets du changement climatique, les privant de leur liberté de mouvement et peut-être aussi, dans certains cas, du droit de demander l’asile, de bénéficier d’une procédure régulière et d’être en bonne santé.

Lorsque le cyclone Amphan était sur le point de frapper le golfe du Bengale en mai 2020, au plus fort de la pandémie, les populations des zones touchées ont été relocalisées avant la catastrophe, ce qui a permis de sauver des vies, mais a également signifié que la distanciation sociale ne pouvait pas être mise en œuvre dans le contexte du déplacement, et la vulnérabilité au virus est devenue une préoccupation majeure.

Je crains que la situation ne soit pas différente à mesure que la crise climatique s’aggrave. Elle touchera de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables du monde et, une fois de plus, nous nous retrouverons dans une situation où il nous semblera pertinent de penser que nous sommes tous dans le même bateau. Cependant, à nouveau, nous constaterons que certains d’entre nous ont les moyens d’échapper au plus fort des impacts du changement climatique, tandis que d’autres ont des protections sociales limitées et que beaucoup d’autres, déjà dans l’extrême pauvreté et en marge de la société, tomberont encore plus bas et seront incapables d’échapper aux multiples impacts à tous les niveaux.

La question des déplacements climatiques fait-elle l’objet d’une attention suffisante ? Des progrès ont-ils été réalisés dans l’élaboration d’un cadre juridique international visant à protéger les personnes déplacées par le changement climatique ?

Nous constatons certainement que les médias s’intéressent davantage aux conséquences du changement climatique, y compris les migrations. Mais à mesure que la question s’intègre dans la conversation quotidienne, il est possible que des nuances importantes soient omises. Je dirais que certains progrès ont été réalisés dans le domaine des déplacements climatiques, c’est-à-dire des déplacements qui se produisent à la suite de catastrophes telles que les inondations et les tempêtes. Nous disposons de données qui nous indiquent combien de personnes sont déplacées chaque année par des catastrophes - une moyenne d’environ 25 millions - et nous avons une meilleure compréhension de la nature et des déterminants causaux de ces déplacements.

Mais la migration climatique est beaucoup plus compliquée, car les facteurs à l’origine de cette migration, qu’elle soit interne ou transfrontalière, sont de plus en plus imbriqués. Et lorsque de multiples facteurs sont en jeu, il est difficile de démêler le rôle que chacun joue, ou dans quelle mesure le phénomène qui en résulte, en l’occurrence la migration, peut être attribué à une cause particulière, en l’occurrence le changement climatique. La science et la technologie dans le domaine de l’attribution du climat s’améliorent, permettant aux experts de mieux en mieux déterminer dans quelle mesure le changement climatique est un facteur pertinent dans chaque situation. Mais d’une manière générale, dans de nombreuses régions du monde, l’environnement est également une question économique et politique, de sorte que pour le moment, il est correct de dire que le changement climatique contribue grandement à la migration.

Une grande partie de la discussion sur le cadre juridique s’enlise dans des conversations qui tournent autour du fait que la migration est en grande partie interne, ainsi que dans des projections apocalyptiques de déplacements. Le système international hésite à pousser à des conversations qui feraient de la migration une question de sécurité encore plus importante, et les États sont réticents à prendre des engagements qui offriraient une plus grande protection aux migrants ou aux réfugiés.

Ainsi, pour l’instant, les progrès se limitent à des engagements non contraignants pris par les États sous la forme du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui comprend certaines mesures liées aux migrations environnementales transfrontalières. La Plateforme sur le déplacement des personnes en cas de catastrophe est une initiative menée par les États qui fait du bon travail pour protéger les personnes déplacées à travers les frontières par les catastrophes et le changement climatique.

Plus tôt cette année, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a décidé de réexaminer le cas d’une personne de Kiribati qui prétendait être un « réfugié climatique ». Cette personne avait porté son affaire devant l’organe des droits humains au motif que le rejet par la Nouvelle-Zélande de sa demande d’asile violait son droit à la vie en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’ONU a décidé que les pays ne peuvent pas expulser des personnes confrontées à des conditions induites par le changement climatique qui violent leur droit à la vie.

Que faut-il faire pour que le problème soit non seulement reconnu mais aussi atténué ?

Certains craignent que la mise en garde face à une crise migratoire imminente causée par le changement climatique n’ait pour effet d’alimenter l’hostilité et la xénophobie à l’égard des migrants et des réfugiés. Si je comprends l’argument et reconnais que le risque est réel, je pense qu’il est tout aussi vrai que, pour les personnes xénophobes et hostiles aux migrants et aux réfugiés, la raison pour laquelle ils émigrent n’est pas pertinente. Ainsi, lorsque nous parlons de ces choses, nous devons nous préoccuper de trouver un équilibre délicat, car nous ne savons pas vraiment comment cela va se passer, mais ce que nous savons, c’est que les trajectoires et les perspectives ne sont souvent pas si bonnes, que la volonté politique fait souvent défaut et que la question n’est souvent pas abordée sous l’angle des droits humains en mettant l’accent sur la protection des communautés touchées, y compris les migrants. En ce sens, il ne s’agit pas d’être alarmiste sur les chiffres, mais plutôt de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité de faire mieux pour combler les lacunes vitales en matière de droits et de protections.

On met souvent trop l’accent sur ce que nous ne devrions pas appeler ces personnes, sur la manière dont nous ne devrions pas encadrer la question, mais on n’accorde pas assez d’attention à la manière dont nous devrions protéger les populations vulnérables.

Les pays qui connaissaient déjà un problème d’extrême pauvreté sont maintenant confrontés à des conditions climatiques extrêmes, et il existe ici une énorme injustice sous-jacente, au sens que l’on ne reconnaît pas que le changement climatique n’a pas été causé par tout le monde de la même manière, et que ses impacts ne seront pas non plus ressentis par tout le monde de la même manière.

On pourrait faire beaucoup plus en matière d’adaptation. L’adaptation est très coûteuse et les pays qui supportent le plus gros des conséquences du changement climatique ne sont pas en mesure d’en supporter également les coûts financiers. De nombreux experts régionaux affirment qu’une grande partie du financement international qui leur est destiné est axé sur l’atténuation du changement climatique plutôt que sur l’adaptation.

Nous devons renforcer la résilience des communautés pour qu’elles puissent résister aux effets du changement climatique et, dans certains contextes, cela peut également impliquer de renforcer les institutions de gouvernance, les institutions publiques et les capacités à résister aux fortes pressions des effets du changement climatique sur les sociétés.

L’adaptation peut nécessiter des innovations, le développement d’infrastructures et des changements sociaux, qui peuvent tous être très coûteux, et la planification de l’adaptation doit respecter les droits humains et permettre des choix, y compris celui de migrer, qui n’est pas non plus nécessairement un « choix » entièrement volontaire. Le fait est que l’établissement de voies de migration sûres, lorsque les conditions ne permettent pas aux gens de rester, est une façon de sauvegarder les droits humains des populations touchées par le changement climatique.

Des liens suffisants sont-ils établis entre les efforts de défense des droits des migrants et des réfugiés et l’activisme climatique ?

De mon point de vue, j’ai l’impression qu’il y a peu de liens entre ces deux mouvements et je pense qu’il y a un grand potentiel pour un travail de plaidoyer commun plus fort. Par exemple, le simple fait d’élargir la conversation sur les migrations climatiques et de la transformer en un débat d’un mouvement plutôt qu’en une conversation sur la recherche et les politiques publiques serait un pas en avant pour engager les citoyens sur une question que je crains que beaucoup de gens trouvent trop difficile à comprendre, voire à aborder.

En même temps, il y a un public concerné et intéressé qui veut faire partie de la solution. Ainsi, en essayant de contribuer à la politique publique, nous nous efforçons de rendre l’information plus accessible afin de pouvoir engager et unir le mouvement avec le public pour aborder le problème comme une question de justice climatique, car c’est ainsi que nous le voyons.

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