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BANGLADESH : « Pour lutter contre le viol, nous avons besoin d’une réforme profonde du système juridique »
CIVICUS s’entretient avec Aparajita Sangita, activiste des droits humains bangladeshi et cinéaste indépendante primée au niveau international. Aparajita a travaillé à travers plusieurs films sur la discrimination sexuelle et les droits des femmes, et a été impliqué dans diverses actions sociales, telles que des projets d’éducation pour les enfants des rues et des banques alimentaires. En réponse à son activisme, elle a été harcelée par la police. Pour son activisme sur les réseaux sociaux, elle a également été poursuivie pour harcèlement en vertu de la draconienne loi sur la sécurité numérique. Les charges retenues contre elle ont été abandonnées en réaction aux manifestations qui ont eu lieu dans la rue et sur internet.
Quels éléments ont déclenché les récentes manifestations contre le viol au Bangladesh ?
Dans la nuit du 5 janvier 2020, une étudiante de l’université de Dhaka (UD) a été violée après être descendue d’un bus universitaire dans le quartier de Kurmitola de la capitale, Dhaka. Les étudiants de l’UD ont été perturbés par cet incident, qui a donné lieu à des manifestations et à l’organisation de plusieurs événements.
Malgré les manifestations généralisées contre le viol, la violence sexuelle à l’égard des femmes a persisté et même augmenté pendant la pandémie de COVID-19.
Le 25 septembre, une femme en visite au MC College de Sylhet avec son mari a été violée dans un foyer du campus par des activistes politiques liés au parti au pouvoir. Au même temps où éclataient des manifestations en réaction à cet incident, une vidéo montrant une femme en train d’être maltraitée à Begumganj, dans le Noakhali, est devenue virale sur les réseaux sociaux le 4 octobre. La vidéo montre un groupe d’hommes entrant dans la maison de la femme, la déshabillant et l’agressant physiquement, tout en laissant tout cela enregistré dans une vidéo.
Ces incidents ne sont que quelques-uns des nombreux cas de viols et de violences sexuelles contre les femmes qui ont circulé sur les réseaux sociaux au Bangladesh. Les auteurs de ces violences sont des parents, des hommes proches, des forces de l’ordre, des fonctionnaires, des dirigeants politiques et des acteurs religieux.
Tout cela a déclenché les manifestations de masse contre le viol qui ont eu lieu en octobre 2020, où des gens de tout le pays se sont rassemblés pour protester contre la violence à l’égard des femmes. Le mouvement contre le viol a commencé à Shahbag, connu sous le nom de « Bangladesh’s Movement Square », mais s’est rapidement étendu à toutes les villes, et même aux villages, à travers le Bangladesh. Il s’agit de Bogra, Brahminbaria, Champainabganj, Chandpur, Dhamirhat (Nowgaon), Faridpur, Gafargaon (Mymensingh), Gopalganj, Jaipurhat, Kurigram, Manikganj, Noakhali, Panchgarh, Rajshahi, Satkhira et Syedpur (Nilphamari).
Le mouvement de protestation contre le viol a rassemblé des personnes de différents horizons, notamment des membres de partis politiques, des écrivains, des militants culturels, des activistes des réseaux sociaux, des joueurs de l’équipe nationale de cricket, des activistes des droits des femmes et des journalistes. Pour la première fois au Bangladesh, des femmes ont manifesté contre le viol au milieu de la nuit. À Dhaka, ils ont marché de Shahbag au Parlement, portant des torches et criant des slogans.
Quelles étaient les principales revendications des manifestants ?
Le mouvement de protestation anti-viol a formulé neuf demandes pour mettre fin aux viols et aux violences sexuelles. Il s’agit notamment de l’introduction de sanctions exemplaires pour les personnes impliquées dans des viols et des violences contre les femmes dans tout le Bangladesh et du licenciement immédiat du ministre de l’intérieur, qui n’a pas rempli son rôle de rendre la justice.
Les manifestants ont également exigé la fin de tous les abus sexuels et sociaux à l’encontre des femmes tribales, la création d’un comité pour prévenir le harcèlement sexuel à l’encontre des femmes dans toutes les organisations gouvernementales et dans le secteur privé, ainsi que dans les établissements d’enseignement, conformément aux décisions de la Haute Cour, et la pleine application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Ils ont également appelé à l’abolition des lois et des pratiques qui perpétuent les inégalités entre les sexes.
Il a également été demandé de mettre fin au harcèlement mental des victimes pendant les enquêtes et de garantir leur sécurité juridique et sociale, d’inclure des experts en matière de criminalité et de genre dans les tribunaux de prévention de la répression des femmes et des enfants, et de créer davantage de tribunaux pour assurer un traitement rapide des affaires.
Enfin, les manifestants ont demandé la modification de la section 155(4) et d’autres sections pertinentes de la loi sur les preuves afin de mettre fin à la recevabilité des preuves de la moralité des plaignants dans les procès pour viol et au retrait des manuels scolaires de tout matériel jugé diffamatoire envers les femmes ou les présentant comme inférieures.
Comment les autorités ont-elles répondu aux manifestations ?
Le 6 octobre, les manifestants ont marché de Shahbag jusqu’au bureau du Premier ministre avec des drapeaux noirs, mais ont été arrêtés par la police près de l’hôtel Intercontinental. Plusieurs dirigeants et activistes d’un corps étudiant de gauche ont été blessés par la police.
En outre, le communiqué publié par la direction de la police le 10 octobre contenait des éléments de diffamation des manifestants. Il a déclaré que certains secteurs essayaient d’utiliser la manifestation « pour servir leurs intérêts », en sapant l’ordre public et en « créant du chaos social ». La police a averti les manifestants d’éviter toute « activité anti-étatique » et a annoncé que la police s’engageait à assurer la paix et l’ordre interne à tout prix. Cette déclaration a provoqué la panique des manifestants, qui craignaient la répression.
En plus de faire face à la répression policière, plusieurs femmes activistes, dont la dirigeante de l’Association des étudiants de gauche, qui ont participé au mouvement anti-viol, ont été menacées par téléphone et par Facebook Messenger. Certains des activistes ont également été menacés de poursuites pénales.
Qu’est-il arrivé au mouvement depuis lors, la campagne s’est-elle arrêtée ?
Après que les manifestations contre les viols et les agressions sexuelles se soient répandues dans tout le pays, la loi sur la prévention de la répression des femmes et des enfants a été modifiée. La peine de mort a été imposée comme la punition la plus sévère pour le viol. Auparavant, la peine maximale pour viol au Bangladesh était la prison à vie. La peine de mort n’était appliquée que dans les cas de viols collectifs ou de viols ayant entraîné la mort de la victime.
En conséquence, les manifestations ont cessé, car beaucoup de gens pensaient que la peine de mort réduirait les crimes de viol. Cependant, de nombreuses défenseures des droits des femmes insistent sur le fait que la peine de mort n’est pas la solution et demandent une réforme approfondie du système juridique et davantage d’éducation pour lutter contre ce qu’elles considèrent comme une épidémie de violence à l’égard des femmes au Bangladesh.
Que peut faire la communauté internationale pour soutenir le mouvement ?
Suite aux différents cas de violences sexuelles et de viols commis contre les femmes, nous avons vu un important mouvement de protestation émerger dans le pays. Cependant, certains manifestants et activistes ont reçu des menaces pour avoir élevé la voix. La solidarité de la communauté internationale est essentielle pour ceux qui protestent contre les violations des droits humains et formulent des demandes justes.
La société bangladaise est extrêmement patriarcale, et il y a eu de nombreuses tentatives au fil des années pour restreindre la vie et la voix des femmes. Le viol est une expression de ce contexte. Vivre en sécurité est un droit fondamental de chaque femme, et il est de la responsabilité de chaque citoyen, ainsi que de la communauté internationale, de garantir ce droit.
L’espace civique au Bangladesh est classé « reprimé » par leCIVICUS Monitor.
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CHILI : « Ce moment historique est un accomplissement de la part des citoyens »
CIVICUS s’entretient avec Marcela Guillibrand De la Jara, directrice exécutive du Réseau chilien de volontaires et coordinatrice générale de Ahora Nos Toca Participar. Le Réseau de volontaires est une plateforme nationale qui rassemble des organisations de la société civile (OSC) chilienne promouvant le volontariat. Ahora Nos Toca Participar est une initiative d’organisations sociales regroupées dans le Nouveau Pacte Social (NPS-Chili) qui cherche à contribuer au renforcement de la démocratie et de la cohésion sociale en promouvant la participation des citoyens au référendum sur la réforme constitutionnelle prévu pour octobre 2020 et au processus constituant qui devrait commencer avec lui. La campagne se concentre sur l’éducation des citoyens, la création d’espaces de dialogue et la génération de propositions pour alimenter le processus constituant.
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Colombia: Debe detener los brutales ataques y asesinatos de manifestantes
🚨#SOSColombiaDDHH
— CIVICUS Español (@CIVICUSespanol) May 5, 2021
Hacemos un llamamiento al gobierno de @IvanDuque para que detenga inmediatamente los brutales ataques y asesinatos de manifestantes.
Aquí nuestra declaración: https://t.co/8hjek6eaRS pic.twitter.com/0UEHxFqkhGLas autoridades colombianas deben dejar de reprimir brutalmente a las personas que protestan e investigar los asesinatos, ataques y uso excesivo de la fuerza por parte de policías y militares contra los manifestantes, dijo la alianza global de la sociedad civilCIVICUS.
Desde el 28 de abril, los colombianos han salido a las calles para exigir justicia social y oponerse a una reforma tributaria. Las protestas tienen lugar en un contexto de creciente desigualdad y violencia, provocadas por el fracaso en la implementación de los acuerdos de paz de 2016 y exacerbadas por la pandemia. Los manifestantes han sido fuertemente reprimidos por la policía en varias ciudades del país. Los militares han sido desplegados para vigilar las protestas, lo cual solo está permitido en casos excepcionales y de forma temporal de acuerdo con el derecho internacional.
El domingo 2 de mayo, el presidente de la República Iván Duque Márquez retiró el polémico proyecto de ley de reforma tributaria, pero las protestas han continuado. La semana pasada el DANE (el organismo de estadísticas de Colombia) anunció que la pobreza aumentó en 2020, afectando a casi la mitad de la población. La creciente desigualdad ha intensificado los disturbios y la violencia en el país.
Las organizaciones de la sociedad civil en Colombia han condenado graves violaciones a los derechos humanos, incluido el uso desproporcionado de la fuerza por parte de la policía, la represión violenta de las protestas, el asesinato y desaparición de manifestantes, los abusos sexuales, la detención arbitraria y el uso de armas de fuego.
El uso de la violencia contra los manifestantes se produce en un contexto de fuerte estigmatización contra los manifestantes. La sociedad civil en Colombia ha condenado los pronunciamientos del gobierno nacional y local contra la movilización, que comparó a los manifestantes con "vándalos" y sugirió que están vinculados a grupos armados ilegales.
La Oficina del Alto Comisionado para los Derechos Humanos (ACNUDH) dijo que mientras estaban en una misión de verificación la noche del 3 de mayo, la policía abrió fuego contra los manifestantes, al parecer matando e hiriendo a varias personas en la ciudad de Cali. Grupos de derechos humanos que acompañaban al ACNUDH fueron atacados, amenazados y recibieron disparos por parte de la policía. Así lo confirmó la representante del ACNUDH en Colombia, Juliette de Rivero, quien agregó que ninguno de los miembros de la misión resultó herido.
En una semana de protestas, las organizaciones que hacen monitoreo han documentado cientos de violaciones de los derechos humanos. Hasta el 3 de mayo, el Defensor del Pueblo de Colombia había registrado al menos 19 muertos desde el inicio de las protestas, y la sociedad civil informó de más casos que aún no han sido confirmados. El grupo de derechos humanos Defender la Libertad dice que unas 300 personas resultaron heridas y casi un millar de manifestantes fueron detenidos. El grupo de la sociedad civil Temblores también documentó nueve casos de violencia sexual por parte de la fuerza pública y 56 denuncias de desapariciones durante las protestas. La Fundación por la Libertad de Prensa (FLIP) también documentó 70 ataques contra los medios de comunicación.
"Lo que estamos viendo ahora es una escalada de violencia del gobierno Duque contra la movilización social, que cada vez es más letal. La introducción de acciones de "ayuda militar" ha legalizado el uso de la fuerza militar para reprimir el legítimo derecho a protestar y manifestarse pacíficamente", dijo Gina Romero, de la Red para la Democracia-Redlad de América Latina y el Caribe.
"CIVICUS recuerda al gobierno de Colombia que la libertad de reunión pacífica es un derecho humano fundamental articulado en el Pacto Internacional de Derechos Civiles y Políticos (ICCPR) de las Naciones Unidas. El derecho a reunirse para expresar puntos de vista colectivos es una piedra angular de una sociedad libre y abierta", dijo Natalia Gómez Peña, Oficial de Promoción y Campañas de CIVICUS para América Latina.
"Incluso si una asamblea incluye participantes violentos, los estándares internacionales de derechos humanos no permite a las autoridades usar fuerza excesiva contra los manifestantes. Al usar la fuerza, los organismos encargados de hacer cumplir la ley y sus oficiales no deben usar armas de fuego para dispersar a las multitudes y no pueden usar indiscriminadamente armas no letales como gases lacrimógenos", continuó Gómez Peña.
CIVICUS hace un llamado al gobierno colombiano para que garantice el derecho a la manifestación pacífica, la libertad de expresión, la seguridad, la vida y la integridad de todas las personas que participan en la huelga nacional.
Colombia es calificada como REPRIMIDA por el CIVICUS Monitor, una plataforma en línea que mide el estado de las libertades cívicas, incluyendo las libertades de expresión, reunión y asociación, en todos los países.
Entrevistas
Las entrevistas están disponibles con:
- Natalia Gómez Peña, Oficial de Promoción y Campañas de CIVICUS para AméricaLatina;
- Gina Romero, de la Red para la Democracia de América Latina y el Caribe-Redlad.
ACERCA DE CIVICUS
CIVICUS es una alianza global de organizaciones y activistas de la sociedad civil, dedicada a fortalecer la acción ciudadana y la sociedad civil en todo el mundo. CIVICUS cuenta con más de 10.000 miembros en todo el mundo.
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GABON : « L’espace civique et les conditions des droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Georges Mpaga, président exécutif national du Réseau des organisations libres de la société civile du Gabon (ROLBG).
Au cours des dix dernières années, le ROLBG s’est concentré sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les détentions arbitraires. Il plaide en faveur de l’espace civique au Gabon e l’Afrique centrale et mène des campagnes sur les conditions de détention inhumaines.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Les élections du 26 août ont été indubitablement frauduleuses, comme l’étaient les précédentes. Le régime du dictateur prédateur Ali Bongo avait interdit les missions d’observation internationales et domestiques ainsi que la présence de la presse internationale. Le ROLBG a été la seule organisation à mettre en œuvre une observation citoyenne à travers le système de tabulation parallèle des votes. Par la volonté despotique de Bongo, l’élection s’est tenue dans des conditions totalement irrégulières, en violation flagrante des normes et standards internationaux en la matière. Les scrutins s’étaient déroulés à huis clos, dans une opacité qui a généré une fraude électorale à grande échelle et des résultats tronqués.
Le 30 août 2023, l’intervention salutaire des forces de défense et de sécurité a mis un terme à cette forfaiture. Pour moi en tant qu’acteur de la société civile, ce qui vient de se passer au Gabon n’est nullement un coup d’Etat, c’est tout simplement une intervention militaire menée par des patriotes au sein de l’armée, sous le leadership du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a mis fin à une imposture de 56 ans, un système prédateur et un cycle infernal d’élections truquées souvent jalonnées de violations massives des droits humains. C’est notre lecture de la situation et c’est l’avis général de la population gabonaise qui vient d’être libérée d’une dictature et d’une oligarchie criminelle.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
L’intervention militaire du 30 août se justifie comme une réponse à la volonté du clan Bongo et son Parti démocratique gabonais de se maintenir au pouvoir de gré ou de force à travers des élections frauduleuses et la répression policière orchestrée par des forces de défense et de sécurité instrumentalisées et aux ordres de l’ancien président.
Les forces armées gabonaises sont intervenu pour éviter un bain de sang et remplacer le régime incarné par Bongo : un régime inamovible qui s’est montré impitoyable envers le peuple gabonais, entaché de relations clientélistes, d’affaires louches, de corruption prédatrice et de violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales, le tout sanctionné par des élections frauduleuses.
En résumé, le coup au Gabon ne s’inscrit pas dans une tendance régionale, mais est le résultat d’un processus purement interne résultant des 56 ans de dictature et son corollaire de violations des droits humains et de destruction du tissu économique et social du pays. Les évènements en cours au Gabon ont évidemment des répercussions dans la région d’Afrique centrale, foyer des plus grandes dictatures d’Afrique.
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La société civile a favorablement accueilli l’intervention militaire qui a sonné le glas de plus d’un demi-siècle de forfaiture et de prédation au sommet de l’Etat. Sans cette intervention, nous aurons assisté à une tragédie sans précédent.
L’armée gabonaise, sous la houlette du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire au pouvoir, a permis au pays d’échapper à un drame aux conséquences incalculables. Vu sous cet angle, les militaires sont des héros à célébrer. Dès sa prise de pouvoir, le Général Oligui s’est employé à fédérer un pays qui était profondément divisé et traumatisé par si longtemps de gestion calamiteuse par la famille Bongo et les intérêts mafieux qui les entouraient.
L’attitude de la communauté internationale est inacceptable pour la société civile, les défenseurs des droits humains et la population gabonaise, qui ont longtemps payé un lourd tribut. Quand en 2016 Bongo a planifié et exécuté un coup d’état électoral suivi d’atrocités contre les populations civiles qui s’étaient opposées à la mascarade électorale, la communauté internationale s’était tue laissant les populations civiles gabonaises face à leur bourreau. Au regard de ce qui précède, nous rejetons catégoriquement les déclarations de la communauté internationale, singulièrement la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale et l’Union Africaine, deux institutions qui encouragent les tripatouillages de constitutions et les présidences à vie en Afrique centrale.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
L’espace civique et les conditions d’exercice des libertés démocratiques et les droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime. Les droits de d’association, de réunion pacifique d’expression étaient bafoués. De nombreux militants de la société civile et défenseurs des droits humains dont moi-même, ont séjourné en prison ou furent privés de leurs droits fondamentaux.
Maintenant, avec l’arrivée du régime de transition, nous notons un changement fondamental, une approche globalement favorable à la société civile. Les nouvelles autorités travaillent désormais de concert avec toutes les forces vives de la nation y compris la société civile qui a été reçue le 1er septembre par le Général Oligui et ses pairs du CTRI, et votre humble serviteur était le facilitateur de cette rencontre. Le président de transition, qui a prêté serment le 4 septembre, s’est engagé à travailler pour restaurer les institutions de l’Etat et les droits humains et démocratiques et respecter les engagements nationaux et internationaux du Gabon. Le signal fort a été donné le 5 septembre par la libération progressive des prisonniers d’opinion dont le leader de la plus grande confédération syndicale de la fonction publique gabonaise, Jean Remi Yama, après 18 mois de détention arbitraire.
L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez Georgessur sa pageFacebook et suivez@gmpaga sur Twitter.
Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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GABON : « Sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Pepecy Ogouliguende, experte en droits humains, gouvernance, genre et médiation de paix et fondatrice et présidente de Malachie.
Malachie est une organisation de la société civile gabonaise qui lutte contre la pauvreté et promeut le développement durable et l’égalité des sexes. Elle est active dans plusieurs domaines, notamment la protection de la biodiversité, l’aide en cas de catastrophes naturelles, le soutien médical, notamment auprès des personnes vivantes avec le VIH/SIDA, et l’éducation aux droits humains, particulièrement auprès des couches sociales les plus vulnérables.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Le 30 août 2023 aux environs de 3h du matin la Commission Gabonaise Électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle qui donnaient le président, Ali Bongo, gagnant. Quelques minutes plus tard, les militaires annonçaient avoir pris le pouvoir. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais d’une prise de pouvoir par les militaires. Cela trouve sa justification dans le fait que cela s’est déroulé sans effusion de sang.
Cette élection était entachée d’irrégularités et l’annonce de ses résultats allaient conduire à des contestations bien que légitimes mais qui se seraient soldées par des violences. Je tiens donc ici à saluer l’acte de bravoure des forces de défense et de sécurité.
Les militaires ont ensuite dissous l’ensemble des institutions du gouvernement et ont mis en place un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI).
Votre organisation a-t-elle pu observer les élections ?
Non, mon organisation n’a pas pu observer les élections pour la simple raison qu’aucun observateurs internationaux et nationaux n’étaient admis. Cette élection s’est déroulée dans une opacité totale. Comme tous les Gabonais, j’ai effectivement constaté que les déclarations ne correspondaient pas aux résultats des urnes.
La prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité dans cette circonstance particulière de défiance des populations envers les autorités et de suspicion profonde quant à la vérité des urnes s’apparente plutôt à un sursaut patriotique.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
Nos forces de défense et de sécurité ont au même titre que la population, constaté de nombreuses irrégularités et plusieurs dysfonctionnements de l’appareil étatique ces dernières années. Ils ont donc décidé de mettre fin à ce régime qui ne correspondait plus aux aspirations des Gabonais.
Les militaires ont profité des élections du 26 août dernier pour mettre fin au système en place en prenant leurs responsabilités pour sauver la nation et l’État de droit. Aussi, le but de cette prise de pouvoir est de « redonner aux gabonais leur dignité ». Comme l’a dit le porte-parole du CTRI, « c’est enfin notre essor vers la félicité ».
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La communauté internationale a simplement appliqué les textes sans au préalable analyser le contexte. Le contexte du Gabon est bien particulier.
La célébration dans les rues des principales villes du pays montre à quel point le régime en place n’était plus désiré, mais seulement toléré. Ces scènes de liesse populaire observées qui contrastent avec la condamnation de la communauté internationale devraient interpeller celle-ci, l’inviter à revoir son approche davantage tournée vers la sauvegarde à tout prix de la stabilité souvent au détriment d’un réel progrès social, du développement ou encore de la croissance économique... bref, du bien-être du plus grand nombre.
Tous les membres de la communauté internationale qui se sont exprimés ont condamné le « coup d’État » et assuré qu’ils suivaient avec intérêt l’évolution de la situation au Gabon tout en rappelant leur attachement au respect des institutions. Les réactions des organisations internationales ont été très fortes : les Nations unies ont condamné et l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont suspendu le Gabon car ce « coup d’État » a été directement assimilé à ceux qui ont précédemment eu lieu dans la région. Les États-Unis se sont quelques peu démarqués en affirmant qu’ils travailleraient avec leurs partenaires et les populations pour soutenir le processus démocratique en cours. C’est en cela que nous attendons le reste de la communauté internationale pour nous aider à œuvrer à la construction d’institutions fortes.
Nous saluons les États qui ont bien compris la nécessité de ce changement. Nous condamnons les sanctions de l’UA et celles de la CEEAC. La communauté internationale devrait accompagner les États dans le respect des lois et constitutions et veiller au respect de la démocratie et des droits humains.
Pensez-vous que ce coup d’État s’inscrit dans une tendance régionale ?
Il faut avant tout rappeler que pour le cas du Gabon, il s’agit d’une prise de pouvoir des militaires et non d’un coup d’État au sens strict du terme. Il est effectivement le résultat d’une mauvaise gouvernance, de la non prise en compte des besoins des populations notamment les besoins sociaux mais aussi d’une soif de changement. Elle peut avoir une connotation régionale en ce sens que la plupart des populations africaines vivent les mêmes difficultés - chômage des jeunes, pauvreté, manque d’accès aux soins de santé - et aspirent à de grands changements. Lorsque la population ne se sent pas prise en compte dans les politiques mises en place elle est frustrée.
Nous n’excluons pas la possibilité que cela ait un impact chez nos voisins. Il n’est pas trop tard pour que les régimes en place en Afrique centrale saisissent cette occasion pour repenser la manière de servir le peuple.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
Au Gabon, le fonctionnement des organisations et associations est régie par la loi 35/62 qui garantit la liberté d’association. Cela dit, sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte. Elle ne participait que partiellement à gestion de la chose publique.
Certains leaders notamment syndicaux pouvaient être victimes d’arrestations ou d’intimidations si le régime estimait qu’ils faisaient trop de zèle. Plusieurs leaders dans la société civile gabonaise se levaient pour dénoncer des arrestations arbitraires liées aux opinions et positionnements.
Au même titre que les Gabonais, la société civile s’est réjouie du changement. La société civile dans son ensemble s’est engagée à prendre activement part aux actions et reformes menées par les autorités au cours de la transition qui iront dans le sens du respect des droits humains, l’équité et la justice sociale, la préservation de la paix ainsi que la promotion de la bonne gouvernance.
Le CTRI vient d’autoriser la libération de quelques figures de la lutte syndicale au Gabon et de prisonniers d’opinion. Aux vues des premières décisions prises par le CTRI, le meilleur est à venir. Je peux, sans risques de me tromper, dire que le Gabon de demain sera meilleur. Aujourd’hui on perçoit une lueur d’espoir.
L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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GUINÉE : « L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays »
CIVICUS échange sur l’absence de progrès dans la transition vers la démocratie en Guinée après le coup d’État militaire de 2021 avec Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).
Le FNDC est une coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens fondée en avril 2019 pour protester contre le projet de révision constitutionnelle de l’ancien Président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat. La coalition a continué à lutter pour le retour à un gouvernement constitutionnel après le coup d’État militaire de septembre 2021. Le 8 août 2022, le gouvernement de transition a en l’accusant d’organiser des manifestations publiques armées, de recourir à la violence et d’inciter à la haine.
Pourquoi tant de retard dans la convocation des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel ?
Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.
Quelles sont les conditions fixées par les militaires et comment l’opposition démocratique a-t-elle réagi ?
En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.
Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.
Quelle a été la réaction du public ?
Aujourd’hui la plupart des acteurs socio-politiques se sentent exclus du processus de transition et il y a eu des manifestations pour le rétablissement de la démocratie.
Mais la junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.
Le 28 juillet 2022, à l’appel du FNDC les citoyen.nes prodémocratie ce sont mobilisés pour protester contre la confiscation du pouvoir par la junte. Mais malheureusement cette mobilisation a été empêchée et réprimée dans le sang. Au moins cinq personnes ont été tuées par balles, des dizaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées. D’autres ont été déportées au camp militaire Alpha Yaya Diallo, où elles ont été torturées par des militaires.
Parmi les arrêtés aujourd’hui détenus à la maison d’arrêt de Conakry se trouvent le Coordinateur National du FNDC, Oumar Sylla Foniké Manguè, le responsable des opérations du FNDC, Ibrahima Diallo, et le secrétaire Général de l’Union des Forces Républicaines, Saikou Yaya Barry. Ils sont accusés d’attroupement illégal, destruction d’édifices publics et trouble à l’ordre public.
Comment la communauté internationale, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en particulier, pourrait-elle apporter au mouvement démocratique le soutien dont il a besoin ?
Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire pour la communauté internationale d’accompagner le peuple de Guinée qui est sous le prisme d’une nouvelle dictature militaire.
L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.
L’espace civique en Guinée est considéré comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Prenez contact avec le FNDC via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@FNDC_Gn sur Twitter. -
HAÏTI : « La communauté internationale ne s’est jamais attaquée aux causes profondes de la crise »
CIVICUS s’entretient avec Nixon Boumba, militant des droits humains et membre du Kolektif Jistis Min nan Ayiti (Collectif pour la justice minière en Haïti), sur la situation politique en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Formé en 2012, le Collectif pour la justice minière en Haïti est un mouvement d’organisations, d’individus et de partenaires de la société civile haïtienne qui font pression pour la transparence et la justice sociale et environnementale face à l’intérêt international croissant pour le secteur minier haïtien. Il sensibilise les communautés touchées aux conséquences de l’exploitation minière dans cinq domaines : l’environnement, l’eau, le travail, l’agriculture et la terre.
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HONG KONG : « La loi sur la sécurité nationale viole la liberté d’expression et intensifie l’autocensure »
CIVICUS s’entretient avec Patrick Poon, chercheur indépendant sur les droits humains, de la situation des droits humains à Hong Kong à la suite de l’adoption d’une nouvelle loi sur la sécurité nationale (LSN) en juin 2020. Patrick est un chercheur en doctorat à l’Université de Lyon en France,a précédemment travaillé comme chercheur sur la Chine à Amnesty International, et a occupé différents postes au sein du China Human Rights Lawyers Concern Group, du Independent Chinese PEN Center et du China Labor Bulletin.
L’espace civique à Hong Kong est de plus en plus assiégé depuis le début d’une vague demanifestations de masse pour les libertés démocratiques en juin 2019, déclenchée par l’introduction d’un projet de loi sur l’extradition. LeCIVICUS Monitor a documenté l’usage excessif et mortel de la force contre les manifestants par les forces de sécurité, l’arrestation et la poursuite d’activistes pro-démocratie, ainsi que des attaques contre les médias indépendants.
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KIRGHIZISTAN : « Le choix des citoyens lors du référendum sera décisif pour l'avenir »
CIVICUS et l’International Partnership for Human Rights (Partenariat international pour les droits de l'homme) s’entretiennent avec Ulugbek Azimov, expert juridique à la Legal Prosperity Foundation, au sujet des manifestations qui ont eu lieu au Kirghizistan en octobre 2020 et des évolutions politiques qui s’en sont suivies. La Legal Prosperity Foundation (anciennement Youth Human Rights Group) est une organisation indépendante de la société civile qui œuvre à la promotion des droits humains et des principes démocratiques au Kirghizstan depuis 1995. L’organisation mène des programmes éducatifs, assure le suivi des droits humains, interagit avec les mécanismes internationaux des droits humains et promeut le respect des droits humains dans le cadre de réformes juridiques.
Le Kirghizistan est souvent considéré comme la seule démocratie d’Asie centrale. Dans quelle mesure cette description est-elle proche de la vérité ?
Il est vrai qu’au début des années 1990, c’est-à-dire dans les premières années de l’indépendance, la démocratie a émergé et a commencé à se développer au Kirghizistan. Par rapport aux autres pays de la région, le Kirghizistan se caractérisait par un niveau plus élevé de participation des citoyens, une société civile plus développée et des conditions plus favorables au fonctionnement et à la participation des partis politiques au processus politique. Pour cette raison, le Kirghizstan a été qualifié d’« île de la démocratie » en Asie centrale.
Toutefois, au cours des 30 années qui ont suivi l’indépendance, le Kirghizistan a été confronté à de graves difficultés. Les tentatives des anciens présidents pour préserver et renforcer leur emprise sur le pouvoir, en faisant pression sur l’opposition, en persécutant les médias et les journalistes indépendants, en restreignant la liberté d’expression, en utilisant les ressources publiques en leur faveur, en soudoyant les électeurs et en falsifiant les résultats des élections, ont entraîné des bouleversements politiques majeurs à plusieurs reprises. Au cours des 15 dernières années, le gouvernement a été renversé à trois reprises lors des révolutions dites des tulipes, d’avril et d’octobre, respectivement en 2005, 2010 et 2020, deux anciens présidents ayant été contraints de fuir le pays et le troisième de démissionner avant le terme de son mandat.
Chaque bouleversement a hélas été accompagné d'évolutions mettant à mal les acquis démocratiques antérieurs. Il n’est donc pas surprenant que Freedom House ait toujours classé le Kirghizistan comme étant seulement « partiellement libre » dans son enquête annuelle sur la liberté dans le monde. En outre, dans l’enquête la plus récente, publiée cette année, la note du Kirghizistan s’est détériorée pour devenir « non libre » en raison des retombées des élections législatives d’octobre 2020, qui ont été entachées de graves violations. Ainsi, le Kirghizistan se trouve désormais dans la même catégorie que celle dans laquelle se trouvent les autres pays d’Asie centrale depuis de nombreuses années.
Des restrictions liées à la pandémie ont-elles été imposées à l’approche des élections de 2020 ?
En réponse à l’augmentation rapide des cas de COVID-19 au printemps 2020, les autorités kirghizes ont adopté des mesures d’urgence et instauré un confinement dans la capitale, Bichkek, et dans plusieurs autres régions du pays, ce qui a entraîné des restrictions du droit à la liberté de mouvement et d’autres droits connexes. Tous les événements publics, y compris les rassemblements, ont été interdits.
Les mesures prises dans le contexte de la pandémie ont également suscité des inquiétudes quant aux restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Les autorités ont sérieusement resserré la vis contre les voix critiques, en réponse aux nombreuses critiques formulées à l’encontre des personnes au pouvoir, notamment le président de l’époque Sooronbai Jeenbekov, pour leur incapacité à lutter efficacement contre la pandémie. Les forces de l’ordre ont traqué les blogueurs et les commentateurs des médias sociaux gênants, leur ont rendu visite à leur domicile et ont engagé des discussions « préventives » avec eux. Dans certains cas, des utilisateurs de médias sociaux ont été placés en détention pour avoir soi-disant diffusé de fausses informations sur la pandémie, et ont été contraints de présenter des excuses publiques sous la menace de poursuites.
La loi sur la « manipulation de l’information », adoptée par le Parlement en juin 2020, est particulièrement préoccupante. Bien que les initiateurs de la loi aient prétendu qu'elle avait pour seul but de résoudre le problème des faux comptes en ligne, il était clair dès le départ qu’il s’agissait d’une tentative de la part des autorités d’introduire la censure sur Internet et de fermer les sites indésirables à la veille des élections. Après une avalanche de critiques de la part de la communauté des médias et des défenseurs des droits humains, le président de l’époque, M. Jeenbekov, a refusé de signer la loi et l’a renvoyée au Parlement pour révision en août 2020. Depuis lors, la loi est restée au niveau du Parlement.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations post-électorales d’octobre 2020 ? Qui a protesté, et pourquoi ?
La principale raison des manifestations d’octobre 2020, qui ont à nouveau conduit à un changement de pouvoir, était le mécontentement de la population à l’égard des résultats officiels des élections législatives du 4 octobre.
Sur les 16 partis en lice pour un siège au Parlement, seuls cinq ont franchi le seuil des sept pour cent requis pour entrer au Parlement. Bien que le président de l’époque, M. Jeenbekov, ait déclaré publiquement qu’il ne soutenait aucun parti, celui qui a obtenu le plus de voix - Birimdik (Unité) – lui était lié puisque son propre frère et d’autres membres de l’élite dirigeante se présentaient sous sa bannière. Le parti arrivé en deuxième position, Mekenim Kyrgyzstan (Mère patrie du Kirghizistan), était également considéré comme pro-gouvernemental et associé à la famille de l’ancien haut fonctionnaire des services douaniers Raiymbek Matraimov, qui a été impliqué dans une enquête très médiatisée sur la corruption, publiée en novembre 2019. Le gouvernement de Jeenbekov a ignoré les conclusions de cette enquête et n’a pas engagé d’action pénale contre Matraimov, malgré les appels publics en ce sens.
Il était prévisible que Birimdik et Mekenim Kyrgyzstan obtiennent de nombreux votes, compte tenu de l’utilisation de ressources publiques et des cas signalés d'achat de votes en faveur de leurs candidats. Ces deux partis, qui participaient pour la première fois à des élections législatives, ont obtenu près de la moitié des voix et donc la majorité absolue des sièges au Parlement. Les méthodes utilisées par les deux partis vainqueurs pour s’assurer le contrôle du Parlement ont suscité l’indignation des autres partis politiques ayant participé aux élections, de leurs électeurs et même des personnes apolitiques.
Les élections se sont déroulées dans un contexte de mécontentement croissant face aux difficultés sociales et économiques causées par la pandémie, ainsi que de sentiments antigouvernementaux grandissants au sein de la population.
Les élections « entachées », caractérisées par un nombre sans précédent de violations, ont servi de catalyseur aux événements qui ont suivi. Les manifestations ont commencé immédiatement après l’annonce des résultats préliminaires, le soir du jour de l’élection, le 4 octobre, et se sont poursuivies tout au long de la journée suivante. Les jeunes y ont joué un rôle décisif : la plupart de ceux qui sont descendus dans la rue pour protester et se sont rassemblés sur la place centrale de la capitale étaient des personnes jeunes. Malheureusement, la plupart de ceux qui ont été blessés, ainsi que le manifestant qui est décédé pendant les événements d’octobre, étaient également des jeunes.
Quelle a été la réaction du gouvernement face aux manifestations ?
Les autorités avaient la possibilité de prendre le contrôle de la situation et de la résoudre pacifiquement, mais elles ne l’ont pas saisie. Ce n’est que dans la soirée du 5 octobre que le président de l’époque, M. Jeenbekov, a annoncé qu’il rencontrerait les dirigeants des différents partis en lice pour les élections. Il a fixé une réunion pour le matin du 6 octobre, mais il était trop tard, car dans la nuit du 5 octobre, les manifestations pacifiques ont dégénéré en affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre à Bichkek, qui se sont terminés par la prise de la Maison Blanche (siège de la présidence et du Parlement) et d’autres bâtiments publics par les manifestants. Au cours de ces affrontements, les forces de l’ordre ont utilisé des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. À la suite de ces affrontements, un jeune homme de 19 ans a été tué et plus de 1 000 personnes ont dû recevoir des soins médicaux, dont des manifestants et des membres des forces de l’ordre, et plus de 600 policiers ont été blessés. Au cours des troubles, des voitures de police, des ambulances, des caméras de surveillance et d’autres biens ont également été endommagés, pour une valeur estimée à plus de 17 millions de soms (environ 200 000 USD).
Les élections présidentielles anticipées organisées en janvier 2021 ont-elles permis de résoudre les problèmes soulevés par les manifestations ?
La principale revendication des manifestants était d’annuler les résultats des élections législatives d’octobre 2020 et d’organiser de nouvelles élections équitables. Cette demande a été partiellement satisfaite le 6 octobre 2020, lorsque la Commission électorale centrale (CEC) a déclaré les résultats des élections invalides. Cependant, jusqu’à présent, aucune date n’a été fixée pour les nouvelles élections législatives. La CEC les avait initialement prévues pour le 20 décembre 2020, mais le Parlement a réagi en adoptant rapidement une loi qui suspendait les élections durant le temps de révision de la Constitution, et prolongeait le mandat des membres du Parlement sortant jusqu’au 1er juin 2021.
La Commission de Venise - un organe consultatif du Conseil de l’Europe, composé d’experts indépendants en droit constitutionnel - a évalué cette loi et conclu que, pendant la période de transition actuelle, le Parlement devrait exercer des fonctions limitées et s’abstenir d’approuver des mesures extraordinaires, telles que des réformes constitutionnelles. Toutefois, le Parlement sortant a poursuivi ses travaux de manière habituelle et a approuvé la tenue d’un référendum constitutionnel en avril 2021. Le président nouvellement élu, Sadyr Japarov, a proposé d’organiser de nouvelles élections parlementaires à l’automne 2021, ce qui signifierait que les membres du Parlement sortant resteraient en poste même après le 1er juin 2021.
Conformément à d’autres revendications des manifestants, la législation électorale du pays a été modifiée en octobre 2020 afin de réduire le seuil électoral de sept à trois pour cent, permettant aux partis d'être représentés au Parlement et de réduire le fonds électoral de 5 à 1 million de soms (environ 12 000 USD). Ces modifications ont été apportées pour faciliter la participation d’un plus grand nombre de partis, y compris les plus récents, et pour promouvoir le pluralisme et la concurrence.
Les manifestants ont également exprimé leur mécontentement face à l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre la corruption. Ils ont exigé que les autorités traduisent en justice les fonctionnaires corrompus, en particulier Matraimov, et restituent à l’État les biens volés. S’exprimant devant les manifestants avant de devenir président, M. Japarov a promis que M. Matraimov serait arrêté et puni.
Il faut reconnaître que Japarov a tenu parole. Après son arrivée au pouvoir en octobre 2020, Matraimov a été arrêté dans le cadre d’une enquête sur des mécanismes de corruption au sein du service des douanes, a plaidé coupable et a accepté de réparer les dommages en remboursant plus de 2 milliards de soms (environ 24 millions de USD). Un tribunal local l’a ensuite condamné, mais lui a appliqué une peine réduite, sous la forme d’une amende de 260 000 soms (environ 3 000 USD) et a levé les mesures de gel de ses biens, car il avait coopéré à l’enquête. Cette sentence extrêmement clémente a provoqué l’indignation générale. Le 18 février 2021, Matraimov a de nouveau été arrêté pour de nouvelles accusations de blanchiment d’argent, mais quelques jours plus tard, il a été transféré du centre de détention provisoire où il était détenu vers une clinique privée pour y être soigné pour des problèmes de santé. Après cela, beaucoup ont qualifié de « populistes » les mesures anticorruption prises par les autorités actuelles.
En janvier 2021, les citoyens kirghizes ont également voté lors d’un référendum constitutionnel. Quels ont été ses résultats, et quelles conséquences auront-ils sur la qualité de la démocratie ?
Selon les résultats du référendum, qui s’est déroulé le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, 84 % des électeurs ont soutenu le changement d'un système de gouvernement parlementaire à un système présidentiel.
Sur la base d’une expérience comparative, de nombreux avocats et activistes de la société civile ne considèrent pas ce changement comme négatif en soi, à condition qu’un système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs efficace soit mis en place. Cependant, ils sont sérieusement préoccupés par le fait que les autorités tentent de mener cette transition à un rythme anormalement rapide, en utilisant des approches et des méthodes discutables qui ne correspondent pas aux principes généralement acceptés et aux règles et procédures juridiques établies.
Le premier projet de Constitution prévoyant un système de gouvernance présidentiel, présenté en novembre 2020, a été surnommé « khanstitution » en référence aux dirigeants autocratiques historiques d’Asie centrale. Ses détracteurs ont accusé M. Japarov, qui a plaidé en faveur de ce changement depuis son entrée en fonction en octobre 2020, de vouloir usurper le pouvoir.
Le projet de Constitution accordait au président des pouvoirs pratiquement illimités, tout en réduisant au minimum le statut et les pouvoirs du Parlement, ce qui compromettait l’équilibre des pouvoirs et créait un risque d’abus de pouvoir présidentiel. Il prévoyait également une procédure d’impeachment compliquée, impossible à mettre en œuvre dans la pratique. En outre, alors qu’il ne mentionne pas une seule fois le principe de l’État de droit, le texte fait référence à plusieurs reprises à des valeurs et principes moraux. De nombreuses dispositions de la Constitution actuelle qui garantissent les droits humains et les libertés ont été exclues.
En raison de critiques sévères, les autorités ont été contraintes d’abandonner leur projet initial de soumettre le projet de Constitution à un référendum le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, et ont accepté d’organiser une discussion plus large. À cette fin, une conférence dite constitutionnelle a été convoquée et ses membres ont travaillé pendant deux mois et demi, malgré les accusations d’illégitimité de leurs activités. Au début du mois de février 2021, la conférence constitutionnelle a soumis ses suggestions au Parlement.
Il faut reconnaître qu’à la suite de la discussion et des propositions soumises par la conférence constitutionnelle, certaines parties du projet de Constitution ont été améliorées. Par exemple, la référence au principe de l’État de droit a été rétablie et des modifications importantes ont été apportées aux sections relatives aux droits humains et aux libertés, notamment en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression, le rôle des médias indépendants et le droit d’accès à l’information. Mais le projet est resté pratiquement inchangé en ce qui concerne les dispositions qui prévoient des pouvoirs illimités pour le président.
En mars 2021, le Parlement a adopté une loi sur l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution révisé, fixant la date au 11 avril 2021. Cela a suscité une nouvelle vague d’indignation parmi les politiciens, les juristes et les activistes de la société civile, qui ont souligné que cela allait à l’encontre de la procédure établie pour les changements constitutionnels et ont de nouveau averti que la concentration du pouvoir entre les mains du président pourrait aboutir à un régime autoritaire. Leurs préoccupations ont été reprises dans un avis conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, émis en mars 2021 à la demande du médiateur du Kirghizistan.
Le projet de Constitution comporte deux autres dispositions problématiques. L’une d’elles permet d’imposer des restrictions à tout événement qui contredit les « valeurs morales et éthiques » ou « la conscience publique du peuple de la République kirghize ». Ces concepts ne sont pas définis ou réglementés, ils peuvent donc être interprétés différemment selon les cas, ce qui crée un risque d’interprétation trop large et subjective et d’application arbitraire. Cela pourrait à son tour entraîner des restrictions excessives des droits et libertés humains, notamment des droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.
L’autre disposition impose aux partis politiques, aux syndicats et aux autres associations publiques de garantir la transparence de leurs activités financières et économiques. Dans le contexte des récentes tentatives de renforcement du contrôle des organisations de la société civile (OSC), on craint que cette disposition ne soit utilisée pour faire pression sur celles-ci. Le jour même où le Parlement a voté en faveur de l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution, certains législateurs ont accusé les OSC de porter atteinte aux « valeurs traditionnelles » et de constituer une menace pour l’État.
Les activistes de la société civile continuent de demander la dissolution du Parlement actuel, qui a perdu sa légitimité à leurs yeux, et exhortent le président à convoquer rapidement de nouvelles élections. Les activistes organisent un rassemblement permanent à cette fin et, si leurs demandes ne sont pas satisfaites, ils prévoient de se tourner vers les tribunaux en invoquant l'usurpation du pouvoir.
Le président a toutefois rejeté toutes les préoccupations exprimées au sujet de la réforme constitutionnelle. Il a assuré que le Kirghizistan resterait un pays démocratique, que la liberté d’expression et la sécurité personnelle des journalistes seraient respectées et qu’il n’y aurait plus de persécution politique.
Les citoyens du Kirghizistan doivent faire leur choix. Le référendum à venir sur l’actuel projet de Constitution pourrait devenir un autre tournant dans l’histoire du Kirghizistan, et le choix des citoyens sera décisif pour l’évolution future vers la stabilité et la prospérité.
L’espace civique au Kirghizistan est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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Les protestations et les restrictions se multiplient durant la pandémie
Le CIVICUS Monitor a produit un quatrième volet de recherche sur l'état des libertés civiles pendant la pandémie de COVID-19. Cette dernière note de recherche fournit un aperçu des tendances et des études de cas liées au droit à la liberté de réunion pacifique.
Malgré les interdictions et les restrictions à la liberté de réunion pacifique, des manifestations ont eu lieu dans toutes les régions du monde.
- Les citoyens continuent de se mobiliser pour réclamer leurs droits pendant la pandémie.
- La lutte contre les mesures de confinement est un moteur commun aux protestations liées à la COVID-19.
- Les violations des droits de manifestation sont largement documentées : des manifestants sont placés en détention et une force excessive est utilisée tant par des gouvernements autoritaires que par des démocraties matures.
Dans les premiers jours de la pandémie, les restrictions imposées aux rassemblements publics ont temporairement mis un terme à de nombreux mouvements de protestation de masse. Cependant, les populations sont rapidement descendues à nouveau dans la rue, et ce pour des causes très diverses. Un nouveau rapport de recherche publié aujourd'hui par le CIVICUS Monitor documente les endroits où les protestations ont eu lieu pendant la première année de la pandémie, les moteurs de ces protestations et la façon dont les gouvernements ont répondu aux mobilisations de masse.
Des protestations contre les réponses des États à la pandémie et les difficultés économiques ont été enregistrées dans le monde entier. Les données compilées par le CIVICUS Monitor montrent que des manifestations liées à la COVID-19 ont eu lieu dans au moins 86 pays entre février 2020 et janvier 2021. D'autres manifestations ont également eu lieu, notamment sur les thèmes de la justice raciale, des droits des femmes et de la lutte contre la corruption.
La lutte contre les mesures de confinement a été le principal moteur des manifestations liées à la COVID-19. De l'Argentine à l'Irak, les populations ont protesté contre les mesures de confinement et leur impact sur les moyens de subsistance. Dans plus d'un quart des pays du monde, ces manifestations ont souvent mis en évidence de graves inégalités, et ont appelé les gouvernements à alléger le fardeau économique lié au confinement. Dans certains cas, les citoyens ont également protesté contre les mesures liées à la COVID-19, telles que le port de masques et la distanciation sociale, notamment en Australie, en Allemagne et aux États-Unis.
Le rapport de recherche mondial documente également trois autres catégories de protestations liées à la COVID-19, avec un aperçu des études de cas par pays, notamment les protestations liées aux droits des travailleurs, les protestations sectorielles et les manifestations de masse pour la réouverture des écoles.
En outre, et au cœur du mandat de recherche du CIVICUS Monitor, le dossier documente également les cas de violations du droit de réunion pacifique. Des manifestants ont été détenus dans au moins 100 pays, au motif du non-respect des mesures liées à la COVID-19 ou d'autres lois relatives aux rassemblements pacifiques. Bien que les restrictions aux manifestations puissent prendre de nombreuses formes, l'une des réactions les plus inquiétantes des autorités et des forces de sécurité a été le recours fréquent à une force excessive pour disperser les manifestations. Ce recours à la force meurtrière a conduit à des homicides contre des manifestants dans au moins 28 pays.
« La crise du COVID-19 ne doit pas servir de prétexte pour supprimer le droit de réunion pacifique. Le recours à une force excessive par les autorités pour disperser les manifestations est contraire au droit international, même pendant l'état d'urgence », a déclaré Marianna BelalbaBarreto, responsable du CIVICUS Monitor.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d'association a déclaré que les lois limitant les rassemblements publics doivent être nécessaires et proportionnées au regard des circonstances. L'expert des Nations unies s'est inquiété du fait que, dans de nombreux cas, il semble que les mesures adoptées visent davantage à renforcer le contrôle et à réprimer les figures de l'opposition qu'à garantir la santé publique.
Dans la mesure où tant les gouvernements autoritaires que les démocraties matures ont réagi à la pandémie par des mesures répressives, le rapport de recherche se termine par des recommandations sur la manière dont les gouvernements peuvent répondre aux crises sanitaires tout en maintenant le respect des réunions pacifiques et des autres libertés civiles.
Accédez au rapport complet ici.
ENTRETIENS
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LIBAN : « Cette crise doit être gérée avec une vision féministe »
CIVICUS s'entretient avec Lina Abou Habib, une activiste féministe basée à Beyrouth, au Liban, sur la réponse de la société civile face à l'urgence provoquée par l’explosion du 4 août 2020. Lina enseigne les Féminismes Mondiaux à l'Université Américaine de Beyrouth, où elle est membre de l'Institut Asfari, et préside le Collectif pour la Recherche et la Formation sur l’Action pour le Développement, une organisation féministe régionale qui travaille au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elle siège également au conseil d'administration de Gender at Work et en tant que conseillère stratégique du Fonds Mondial pour les Femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Pourriez-vous nous parler du moment où l’explosion s’est produite ?
L’explosion de Beyrouth s’est produite le 4 août 2020, vers 18 h 10, heure de Beyrouth. J'étais chez moi et je savais depuis une heure qu’il y avait eu un grand incendie dans le port de Beyrouth. Lorsque le feu a commencé à se propager, le ciel s’est assombri de fumée. Je regardais dehors, et la première chose que j’ai ressentie a été une sensation terrifiante, semblable à un tremblement de terre, et juste une fraction de seconde plus tard, une énorme explosion s’est produite. Les vitres autour de moi se sont brisées. Il m’a fallu quelques minutes pour comprendre ce qui venait de se passer. La première chose que nous avons tous faite a été de téléphoner à nos familles et à nos amis proches pour nous assurer qu’ils allaient bien. Tout le monde était dans un état d’incrédulité totale. L’explosion a été si puissante que chacun de nous a ressenti que cela se passait juste à côté de nous.
Quelle a été la réponse immédiate de la société civile ?
Il est important de souligner qu’en plus de la réponse de la société civile, il y a eu aussi une réponse individuelle. Les gens sont descendus dans la rue pour essayer d’aider les autres. Personne ne faisait confiance à l’État pour qu’il aide de quelque manière que ce soit ; en fait, l’État était responsable de ce qui s’était passé. Les gens ont pris la responsabilité de s’entraider, ce qui signifiait s’attaquer aux problèmes immédiats, comme nettoyer les rues des débris et parler à d’autres personnes pour savoir ce dont elles avaient besoin, comme de l’abri et de la nourriture. Environ 300 000 personnes se sont retrouvées sans abri et ont tout perdu en une fraction de seconde. Il y a eu une réaction extraordinaire de la part des gens ordinaires qui se sont mis à aider : des gens avec des balais et des pelles ont commencé à enlever les débris et d’autres ont distribué de la nourriture et de l’eau. L'indignation s'est transformée en solidarité.
Ce fut un moment de grande autonomisation, qui continue toujours. En ce moment même, il y a des volontaires et des organisations de la société civile (OSC) qui prennent essentiellement en charge la situation et non seulement apportent de l’aide immédiate, mais offrent également toutes sortes de soutien aux personnes en difficulté.
Cependant, ces actes de solidarité et de bienveillance ont aussi été critiqués. La principale critique a été de dire qu’ils sont contre-productifs car dispensent l’État de s’acquitter de ses obligations et de ses devoirs. Je comprends cette critique, mais je ne suis pas d’accord avec elle. Pour moi, les actes de solidarité menés par la société civile et les gens ordinaires ont été nos principales réussites, des histoires de pouvoir et de résistance dont il est bon de parler. Il faut souligner la réponse immédiate apportée individuellement par les mêmes personnes qui avaient subi des blessures ou avaient beaucoup perdu. Les communautés de travailleurs migrants elles-mêmes, vivant dans des conditions extrêmes d’exploitation, de racisme et d’abus, sont sorties pour nettoyer les décombres et aider les autres. Je ne pense pas qu’il faille ignorer le sens de ces actes de solidarité.
Le Liban subissait déjà une crise économique profonde, qui a été encore exacerbée par la pandémie du COVID-19 et l’explosion. Quels ont été les groupes les plus touchés ?
Les pires effets ont été ressentis par ceux qui se trouvaient déjà dans les situations les plus vulnérables. Un exemple clair de multiples formes de discrimination qui se chevauchent et se renforcent réciproquement est la situation des travailleuses migrantes au Liban. Ce n’est pas une situation nouvelle, cela fait déjà des décennies. Premièrement, les femmes migrantes travaillent dans la sphère privée, ce qui les rend encore plus invisibles et vulnérables. Deuxièmement, il n'y a absolument aucune règle à suivre pour les embaucher, alors elles sont essentiellement à la merci de leurs employeurs. Elles sont maintenues dans des conditions de quasi-esclavage sur la base des soi-disant « contrats de parrainage ». Même l’air qu’elles respirent dépend de la volonté de leurs employeurs, donc elles sont complètement liées à eux. En bref, c’est une population de femmes des pays pauvres du sud global qui sont employées comme travailleuses domestiques et soignantes, des postes qui les rendent incroyablement vulnérables aux abus. Il n’y a pas de lois que les protègent, et il en a toujours été ainsi. Par conséquent, ce sont elles qui sont laissées pour compte en cas de crise sécuritaire ou politique.
Trois événements consécutifs ont affecté leur situation. Le premier a été la révolution commencée le 17 octobre 2019, un moment incroyablement important qui a été le point culminant d’années d’activisme, et auquel ont également participé des travailleuses migrantes, qui ont été appuyées, soutenues et guidées par de jeunes féministes libanaises. En conséquence, il y a eu des travailleuses migrantes au sein de la révolution, qui se sont rebellées contre le système de parrainage qui les prive de leur humanité et les expose à des conditions de travail équivalentes à l'esclavage, et ont exigé un travail décent et une vie digne.
À cela s’ajoute l’effondrement économique et la pandémie du COVID-19, qui se sont produits alors que les manifestations se poursuivaient. En raison de la crise économique, certaines personnes ont choisi de ne pas payer les salaires des travailleuses domestiques et des travailleurs migrants, ou pire, ces personnes se sont simplement débarrassées d’eux en les laissant dans la rue pendant la pandémie.
Et puis l’explosion du port de Beyrouth s’est produite, frappant à nouveau particulièrement durement les travailleurs migrants. Il a eu une succession de crises qui ont touché avant tout les travailleurs migrants, et les femmes en particulier, car ils se trouvaient déjà dans des conditions précaires dans lesquelles ils subissaient des abus, leur travail était tenu pour acquis et ils ont ensuite été jetés dans la rue, oubliés par leurs ambassades et ignorés par le gouvernement libanais.
En tant qu’activiste et féministe, comment évaluez-vous la réponse du gouvernement à l'explosion ?
Il n’y a pas eu de réponse responsable du gouvernement. Je n’appellerais même pas ce que nous avons « gouvernement », mais plutôt « régime ». C'est une dictature corrompue, un régime autoritaire qui continue de se faire passer pour démocratique et même progressiste. Le régime dit qu’il incarne les réformes, mais ne les met jamais en œuvre. Par exemple, dix jours après la révolution, en octobre 2019, le président s’est adressé à la nation et nous a promis une loi civile égalitaire sur la famille, ce que les activistes féministes réclament depuis des décennies. C’était assez surprenant, mais il s’est avéré que ce n’était pas vrai, car rien n’a été fait à ce sujet. Les autorités disent simplement ce qu’elles pensent que les gens veulent entendre et elles semblent convaincues que le public est trop ignorant pour le remarquer.
Il faut donc replacer la réponse à l’explosion dans le contexte du récent soulèvement. La réponse du gouvernement à la révolution a été de ne pas reconnaître les problèmes que les gens signalaient : qu’il avait vidé les coffres publics, qu’il continuait à exercer le népotisme et la corruption et, pire que tout, qu’il démantelait les institutions publiques. La seule réponse du gouvernement a été de fermer l’espace de la société civile et d’attaquer les libertés d’association et d’expression et le droit de réunion. J’ai habité dans ce pays la plupart de ma vie, j’ai donc traversé une guerre civile et je crois que nous n’avons jamais connu une répression des libertés de l’ampleur que nous constatons actuellement sous ce régime. Nous n’avions jamais vu des personnes citées par la police ou les institutions de sécurité pour ce qu’elles ont dit ou publié sur les réseaux sociaux. C’est exactement ce que ce régime fait et continue de faire. Le président agit comme si nous avions une loi de lèse-majesté et n’accepte aucune critique ; ceux qui le critiquent le paient de leur liberté. C’est la première fois que nous voyons des activistes arrêtés pour cette cause.
Bref, le régime n’a rien fait de significatif en réponse à l’explosion. Le fait qu’il ait envoyé l’armée pour distribuer des colis d’aide alimentaire n’a pas une grande importance. En fait, ils ont refusé de livrer des articles d’aide alimentaire aux personnes non libanaises qui étaient touchées. Cela met en évidence la manière dont les couches successives de corruption, d’intolérance et de mauvaise gestion interagissent dans ce processus.
Après l'explosion, les gens sont descendus dans la rue à nouveau pour protester. Pensez-vous que les manifestations ont eu un impact ?
Le samedi après l’explosion, des gens manifestaient dans les rues. J’étais là-bas et j’ai eu peur du déploiement de la violence par les forces de sécurité.
Face à tant de calamités, la seule raison pour laquelle les gens ne sont pas descendus en masse dans la rue est la pandémie de COVID-19. En ce sens, la pandémie a été une aubaine pour le régime. Il a imposé un couvre-feu, détruit les tentes que les révolutionnaires avaient installées sur la Place des Martyrs et procédé à des arrestations et des détentions, le tout sous prétexte de protéger les gens du virus. Mais, bien sûr, cela ne trompe personne. Les niveaux de contagion augmentent plutôt qu’ils ne diminuent. Le fait que le régime soit tellement corrompu que nous n’avons fondamentalement pas de service de santé vraiment fonctionnel n’aide pas.
Les limites créées par la pandémie et les craintes des gens pour leur propre santé limitent sérieusement les actions contre le régime ; cependant, je ne pense pas que cela arrêtera la révolution. Les gens en ont assez. Beaucoup de gens ont tout perdu. Et quand ils vous mettent contre le mur, vous n’avez nulle part où aller d’autre que de l’avant. Le régime continuera à utiliser la force brutale, il continuera à mentir et à mal gérer les fonds et les ressources, mais cela devient totalement inacceptable pour une partie croissante de la population.
Je pense que la mobilisation de rue a été un succès à plusieurs niveaux. On peut ne pas être d'accord et faire remarquer que le régime est toujours au pouvoir, et il est vrai qu’il faudra encore beaucoup de temps pour qu’il tombe. Mais le succès immédiat des manifestations a été de briser un tabou. Il y avait une sorte de halo ou de sainteté autour de certains dirigeants considérés comme intouchables. Maintenant, il est évident qu’ils ne bénéficient plus de cette protection. Bien que le régime ne soit pas disposé à céder, il ne fait que gagner du temps.
À mon avis, une réalisation importante a été le rôle de leadership joué par les groupes féministes lorsqu’il s’agit de réfléchir au pays que nous voulons, aux droits et prérogatives que nous exigeons et à la forme de gouvernement que nous voulons. Avec 40 organisations féministes, nous avons lancé une liste de revendications. Nous avons réfléchi ensemble et établi à quoi devrait ressembler une reconstruction humanitaire dans une perspective féministe et nous l’utilisons comme un outil de plaidoyer devant la communauté internationale. La manière dont nous intervenons indique que cette crise doit être gérée avec une vision féministe.
De plus, pour la première fois, la communauté LGBTQI+ a joué un rôle essentiel dans le façonnement du processus de réforme, du processus de transition et du façonnement du pays que nous voulons, à la fois en termes de forme de l'État et en termes de relations humaines. La voix de la communauté des migrants a également été amplifiée. Pour moi, ces réalisations sont irréversibles.
De quel soutien de la part de la communauté internationale a besoin la société civile de Beyrouth et du Liban ?
Il y a plusieurs choses à faire. Tout d'abord, nous avons besoin de formes tangibles de solidarité dans le domaine des communications, pour amplifier notre voix. Deuxièmement, nous devons faire pression sur la communauté internationale, au nom du mouvement féministe libanais, pour qu’elle tienne le régime libanais responsable de chaque centime qu’il reçoit. Pour donner un exemple : nous avons reçu environ 1,700 kilos de thé du Sri Lanka, mais le thé a disparu ; il semble que le président l’ait distribué aux gardes présidentiels. Nous avons besoin de l’influence et de la pression de la communauté internationale pour demander des comptes à ce régime. Troisièmement, il faut que les principaux médias internationaux amplifient ces voix.
Je tiens à souligner le fait que l’aide internationale ne doit pas être sans conditions, car le régime en place n’opère pas avec transparence et responsabilité. Bien entendu, il n’appartient pas à la société civile de reconstruire ce qui a été endommagé ou de remettre l’infrastructure sur pied. Mais chaque centime qui va au régime pour ces tâches doit être livré dans des conditions de transparence, de responsabilité et de diligence raisonnable. La société civile doit être habilitée à exercer des fonctions de contrôle. Cela signifie que les OSC doivent avoir la voix et les outils pour surveiller. Sinon, rien ne changera. L’aide internationale s’évanouira ; cela ne fera qu’aider le régime à prolonger son règne tant que la ville reste en ruine.
L’espace civique au Liban est classé comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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MYANMAR : « Presque toutes les personnes détenues nous disent qu’elles ont été battues »
CIVICUS s’entretient avec Manny Maung, chercheuse au Myanmar pour Human Rights Watch (HRW), sur la situation des droits humains au Myanmar. Manny était auparavant journaliste et a passé de nombreuses années à vivre et à travailler au Myanmar.
Le Myanmar reste sur la liste de surveillance du CIVICUS Monitor, qui comprend les pays ayant connu un déclin récent et rapide de leurs libertés civiques. Les militaires du Myanmar ont pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, ont arrêté les dirigeants civils du gouvernement national et des États et ont lancé une répression brutale contre le mouvement de protestation dans tout le pays. Plus de six mois après, l’assaut contre l’espace civique persiste. Des milliers de personnes ont été arrêtées et détenues de manière arbitraire. Nombre d’entre eux font l’objet d’accusations infondées et des cas de torture et de mauvais traitements pendant les interrogatoires ont été signalés, ainsi que des décès en détention.
Quelle est la situation des libertés civiques au Myanmar plus de cinq mois après le coup d’État ?
Depuis le coup d’État militaire du 1er février, nous avons assisté à une détérioration rapide de la situation. Des milliers de personnes ont été détenues arbitrairement et des centaines ont été tuées, tandis que de nombreuses autres se cachent et tentent d’échapper à l’arrestation. HRW a déterminé que les militaires ont commis des abus qui équivalent à des crimes contre l’humanité à l’encontre de la population. Il est donc évident que la situation est extrêmement dangereuse pour la société civile, les libertés civiques étant devenues inexistantes.
Le mouvement de désobéissance civile (MDC) est-il toujours actif malgré la répression ?
Des manifestations ont encore lieu quotidiennement, bien qu’elles soient moins nombreuses et plus ponctuelles. Des grèves éclair éclatent dans tout le Myanmar, et pas seulement dans les grandes villes. Mais ces manifestations sont désormais légèrement atténuées, non seulement en raison des violentes répressions des forces de sécurité, mais aussi à cause de la troisième vague dévastatrice d’infections au COVID-19. Des centaines de mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre des meneurs des manifestations, y compris à l’encontre de près de 600 médecins qui ont participé à la MDC ou l’ont dirigée auparavant. Les journalistes, les avocats et les leaders de la société civile ont tous été pris pour cible, de même que toute personne considérée comme un leader de la manifestation ou de la grève. Dans certains cas, si les autorités ne trouvent pas la personne qu’elles veulent arrêter, elles arrêtent les membres de sa famille en guise de punition collective.
Quelle est la situation des manifestants qui ont été arrêtés et détenus ?
Presque toutes les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus et qui ont été détenues ou raflées lors des vastes opérations de répression des manifestations nous ont dit avoir été battues lors de leur arrestation ou de leur détention dans des centres d’interrogatoire militaires. Un adolescent m’a raconté qu’il avait été frappé si fort avec la crosse d’un fusil qu’il s’était évanoui entre les coups. Il a également raconté qu’on l’a forcé à entrer dans une fosse et qu’on l’a enterré jusqu’au cou alors qu’il avait les yeux bandés, tout cela parce que les autorités le soupçonnaient d’être un leader protestataire. D’autres personnes ont décrit des passages à tabac violents alors qu’elles étaient menottées à une chaise, qu’elles étaient privées de nourriture et d’eau, qu’elles ne dormaient pas et qu’elles subissaient des violences sexuelles ou des menaces de viol.
De nombreux manifestants qui sont toujours détenus n’ont pas eu de procès sérieux. Certains ont été inculpés et condamnés, mais il s’agit d’un petit nombre comparé aux milliers de personnes qui attendent que leur dossier avance. De nombreux détenus qui ont été libérés depuis nous disent qu’ils ont eu très peu de contacts, voire aucun, avec leurs avocats. Mais les avocats qui les représentent courent également des risques. Au moins six avocats défendant des prisonniers politiques ont été arrêtés, dont trois alors qu’ils représentaient un client dans le cadre d’un procès.
Comment l’interruption des services d’Internet et de télévision a-t-elle affecté le MDP ?
L’interdiction de la télévision par satellite est venue s’ajouter aux restrictions de l’accès à l’information. La junte a affirmé que des « organisations illégales et des organes de presse » diffusaient des programmes par satellite qui menaçaient la sécurité de l’État. Mais les interdictions semblent viser principalement les chaînes d’information étrangères qui diffusent par satellite au Myanmar, y compris deux diffuseurs indépendants en langue birmane, Democratic Voice of Burma et Mizzima, qui se sont vu retirer leur licence par la junte en mars. Les coupures d’accès à Internet ont également rendu difficile l’accès à l’information et la communication en temps réel entre les personnes.
Les coupures générales de l’accès à Internet sont une forme de punition collective. Elles entravent l’accès aux informations et aux communications nécessaires à la vie quotidienne, mais surtout en cas de crise et de pandémie de COVID-19. Ces restrictions servent également de couverture aux violations des droits humains et compliquent les efforts visant à documenter ces violations.
Pourquoi la violence dans les zones ethniques a-t-elle augmenté, et qui est visé ?
Le coup d’État a entraîné une reprise des combats dans certaines régions du pays entre les groupes armés ethniques et l’armée. L’État de Rakhine semble être l’exception, car l’armée d’Arakan y a négocié un cessez-le-feu et les manifestations contre l’armée n’ont pas été aussi bruyantes ou répandues. D’autres groupes armés ethniques, tels que l’Armée de l’indépendance kachin et l’Armée de libération nationale karen (ALNK), ont accueilli favorablement la résistance aux militaires et offrent un refuge aux personnes fuyant les militaires dans les territoires qu’ils contrôlent. De nouveaux affrontements entre l’armée et l’ALNK ont donné lieu à un certain nombre de violations des droits humains à l’encontre de civils et ont entraîné le déplacement de milliers de personnes à la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar.
Que pensez-vous de la réaction de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à la situation au Myanmar jusqu’à présent ?
L’ANASE a tenté de suivre les voies diplomatiques, mais il ne s’agit pas d’une situation où les choses se passent comme d’habitude. Les militaires ont pris le pouvoir et ont commis des crimes contre leur propre peuple - une population civile qui a déjà voté pour le gouvernement qu’elle préfère. Après des mois de négociations futiles, l’ANASE devrait être prête à imposer des sanctions au Myanmar. En tant que nations indépendantes, les États membres de l’ANASE devraient agir ensemble et imposer des sanctions ciblées au Myanmar afin de s’assurer que les militaires n’agissent plus en toute impunité.
La réaction du général Min Aung Hlaing, qui s’est autoproclamé Premier ministre, au plan consensuel en cinq points proposé par l’ANASE témoigne de son mépris total pour la diplomatie régionale et montre clairement qu’il ne répondra qu’à des actes durs - tels que la coupure de son accès et de celui de l’armée aux revenus étrangers par des sanctions intelligentes.
Que peut faire la communauté internationale pour soutenir la société civile et favoriser le retour à un régime démocratique ?
HRW recommande au Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) de saisir la Cour pénale internationale concernant la situation au Myanmar. Le CSNU et les pays influents tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon, l’Inde, la Thaïlande et l’Union européenne devraient appliquer des sanctions coordonnées pour faire pression sur la junte. Le CSNU devrait également adopter une résolution visant à interdire la vente d’armes au Myanmar.
Quant aux organisations internationales de la société civile, elles doivent continuer à plaider en faveur des membres de la société civile qui se cachent actuellement ou qui sont détenus de manière arbitraire. Cela signifie qu’elles doivent continuer à faire pression pour que soit reconnue la gravité de la crise politique et humanitaire au Myanmar, et pour que les gouvernements agissent en faveur de la population du Myanmar.
L’espace civique au Myanmar est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
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MYANMAR : « Si le coup d’État n’est pas renversé, il y aura beaucoup plus de prisonniers politiques »
CIVICUS parle du récent coup d’État militaire au Myanmar avec Bo Kyi, ancien prisonnier politique et co-fondateur de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Fondée en 2000 par d’anciens prisonniers politiques vivant en exil à la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar, l’AAPP est basée à Mae Sot, en Thaïlande, et possède deux bureaux au Myanmar, ouverts depuis 2012. L’AAPP travaille pour la libération des prisonniers politiques et l’amélioration de leur vie après leur libération, avec des programmes visant à leur garantir l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle, aux conseils en matière de santé mentale et aux soins de santé.
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NAMIBIE : « Les manifestations contre la violence de genre ont été alimentées par l’espoir collectif »
CIVICUS s’entretien avec Bertha Tobias sur les récentes manifestations contre le féminicide et la violence basée sur le genre (VBG) en Namibie. Bertha est une jeune activiste qui a reçu des prix internationaux pour sa participation à des concours de débat. Elle est diplômée du United World College à Changshu, en Chine, et poursuit actuellement des études supérieures au Claremont McKenna College en Californie. Elle a reçu le prix « Go Make A Difference », qui soutient la mise en œuvre de projets de développement communautaire, et a participé activement aux manifestations pour les droits des femmes en Namibie.
Pourriez-vous raconter comment ont commencé les manifestations #ShutItAllDown contre la VG et comment vous y avez participé ?
J’ai commencé à m’impliquer dans la lutte contre la VBG après l’annonce de la découverte de restes humains dans une ville côtière de Namibie. Les restes étaient soupçonnés être ceux de Shannon Wasserfall, une jeune fille de 20 ans qui avait disparu en avril 2020. Cet incident spécifique a provoqué des réactions massives. La publication du titre de l’article sur le compte Twitter de l’un des principaux médias nationaux a galvanisé de nombreux jeunes à l’action, les a poussés à s’organiser et à descendre dans la rue pour manifester. Elle a donné un caractère d’urgence à la conversation sur la VBG et le féminicide en Namibie.
Le cas de Shannon n’est pas un cas isolé, car des jeunes femmes disparaissent tout le temps en Namibie. Mais lorsque cette affaire a été révélée, elle a relancé la conversation nationale sur la question. Quelqu’un sur Twitter a déclaré à juste titre que quelque chose devait se passer, que quelque chose devait changer, et j’ai répondu à leur commentaire et je me suis impliquée très tôt, car c’est une question qui me tient profondément à cœur, car je suis fermement convaincue que la vie des femmes a une valeur intrinsèque et elle vaut tout autant que celle des hommes.
Avec d’autres jeunes, nous avons envoyé des courriels, obtenu le soutien nécessaire et nous nous sommes organisés en moins de 24 heures, principalement et surtout par le biais des réseaux sociaux. Nous avons fait un tract qui a été largement diffusé et de nombreuses personnes sont venues manifester. Nous, les jeunes, nous avons pris en main l’initiative et c’est ainsi que tout a commencé : c’était un exemple du pouvoir d’internet et du pouvoir des jeunes.
Si je me souviens bien, le premier jour de manifestations, un journal a rapporté qu’un peu plus de 800 personnes s’étaient rassemblées, et lors de toutes les manifestations ultérieures, il y avait des centaines de personnes. Des jeunes femmes et des jeunes hommes y ont participé : les manifestations étaient principalement dirigées par des femmes, mais des jeunes hommes étaient présents en nombre considérable. Ce qu’il est important de noter à propos de la démographie des manifestations, c’est que les participants étaient pour la plupart des jeunes. Ce sont des jeunes qui ont participé à des réunions avec des fonctionnaires, rédigé des pétitions et parlé aux médias. Et ce sont les jeunes femmes qui étaient à l’avant-garde, tandis que les jeunes hommes leur ont apporté leur soutien.
On pense que si les jeunes femmes en Namibie ne peuvent pas aller acheter un carton de lait sans craindre pour leurs vies, alors il y a quelque chose qui ne va pas du tout chez nous en tant que pays. La philosophie de #ShutItAllDown est assez radicale : elle consiste à tout arrêter jusqu’à ce que l’on comprenne ce qui ne fonctionne pas pour les femmes namibiennes en termes de sécurité. Tant qu’on n’aura pas de réponses à cette question, on ne pense pas que ce soit juste, sain ou dans l’intérêt de quiconque de continuer à faire comme si de rien n’était. On ne veut pas que l’activité économique continue comme si de rien n’était alors que les jeunes femmes ne se sentent pas en sécurité.
En quoi pensez-vous que #ShutItAllDown est différent des manifestations précédentes pour les droits des femmes en Namibie ?
D’autres manifestations en faveur des droits des femmes ont eu lieu dans le passé. En fait, au début de 2020, on a eu une manifestation pro-choix qui portait spécifiquement sur les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive et qui plaidait pour la légalisation de l’avortement et la reconnaissance de l’intégrité et de l’autonomie corporelle des femmes. Selon la loi sur l’avortement et la stérilisation de 1975, l’avortement est illégal en Namibie, sauf en cas d’inceste, de viol ou lorsque la vie de la mère ou de l’enfant est en danger.
Il y a des mouvements féministes en Namibie qui sont actifs et qui travaillent de façon régulière ; cependant, un fait de la réalité que nous avons dû reconnaître est que de nombreux mouvements féministes sont dirigés par des jeunes qui ont également d’autres obligations, comme des emplois à temps plein. Les organisations de la société civile sont également confrontées à des défis, notamment en termes de ressources et de soutien institutionnel.
La manifestation précédente, qui a eu lieu au début 2020, a été significative dans le sens où elle a ouvert la voie et posé des bases importantes pour que #ShutItAllDown puisse gagner la confiance collective nécessaire pour pouvoir avancer. Des organisatrices féministes étaient présentes et actives pour amplifier la voix de #ShutItAllDown. Elles ont été très actives dans la diffusion de l’information et ont joué un rôle crucial dans la mobilisation des gens pour venir aux manifestations et les rendre vivantes. Les organisatrices féministes de Namibie font un excellent travail en coulisses, mais leur travail est limité car elles manquent de ressources. Par conséquent, nombre de nos demandes s’adressent au gouvernement et à d'autres institutions qui disposent des ressources nécessaires pour mettre en place les changements que nous recherchons.
La différence entre #ShutItAllDown et les manifestations précédentes c’est que les jeunes en Namibie participent maintenant de plus en plus aux affaires publiques et s’expriment pour que le gouvernement et d’autres institutions rendent compte de leurs actions et remplissent leurs mandats et obligations envers les citoyens.
En outre, le mouvement a pu se développer plus ou moins organiquement car les médias sociaux sont de plus en plus utilisés comme un outil pour avoir des conversations et pousser à la responsabilisation. La Namibie a une population assez jeune avec d’énormes capacités numériques. La flexibilité et la capacité d’auto-organisation des jeunes ont fini par nous pousser tous à faire quelque chose.
Quelles étaient les exigences de #ShutItAllDown, et quelle réponse avez-vous obtenue ?
La principale demande que nous adressions au gouvernement namibien était la déclaration de l’état d'urgence en ce qui concerne le féminicide et la violence sexuelle et de genre (VSG), simplement parce que nous pensions que le problème auquel nous étions confrontés justifiait ce genre d’action. Nous voulions faire passer le message que le féminicide est une crise de dimension nationale et qu’au-delà de la pandémie de la COVID-19, les femmes toujours, chaque jour, craignent pour leur vie. Nous avons également exigé une consultation immédiate avec des experts en matière de violence sexuelle et que le ministère de la justice mette en place un registre des délinquants sexuels et des tribunaux pour les crimes sexuels.
Plusieurs demandes portaient sur le renforcement des méthodes existantes pour mettre fin à la VSG. De nouvelles demandes ont également été adressées à divers ministères et d’autres parties prenantes, telles que la mise en place de patrouilles de voisinage 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, de services virtuels et à distance de lutte contre la violence sexuelle, et de programmes scolaires et universitaires visant à sensibiliser les jeunes à ce problème.
Notre pétition reconnaît que la VSG existe à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du foyer. Mais nous comprenons qu’il est plus difficile de mettre fin à la violence au sein du foyer en raison des années ou des décennies de travail de base nécessaires pour inverser la normalisation de la VSG. Il se peut que nous ne soyons pas en vie pour voir les fruits de cet effort en raison du temps qu’il faut pour transformer une société et sa culture, pour interroger et briser collectivement les principes traditionnels dans lesquels les normes abusives sont ancrées.
Malheureusement, on n’a pas obtenu la déclaration de l’état d’urgence qu’on demandait. Mais d’autres demandes, telles que le renforcement de la sécurité par des patrouilles, la modification du programme d’enseignement et la création de groupes de travail ou de comités pour intensifier les efforts visant à endiguer la VSG, ont reçu un accueil favorable. Une autre demande importante qui a reçu une réponse positive a été la formation des officiers de police pour qu’ils soient plus sympathiques et empathiques dans le traitement des cas et la réception des plaintes de VSG. On sait que l’accueil que les victimes d’abus reçoivent dans les commissariats de police et le manque d’attention et d’urgence avec lequel leurs cas sont traités sont parmi les principales raisons pour lesquelles de nombreuses femmes ne dénoncent pas la VBG.
Le mouvement #ShutItAllDown a-t-il mis en lumière d’autres questions pertinentes ?
Oui, les activistes LGBTQI+ et les membres de ce collectif ont joué un rôle de premier plan dans la mobilisation des gens pour protester et ont amplifié les voix du mouvement #ShutItAllDown. Pour moi, il a été important de voir des femmes queer et d’autres personnes LGBTQI+ qui luttent pour naviguer dans une société violemment homophobe et transphobe protester et souligner l’importance de l’intersectionnalité et de la défense collective. Out-Right Namibia, l’une des principales organisations de défense des droits humains LGBTQI+ de Namibie, a mis à profit sa position pour pousser #ShutItAllDown et créer un réseau solide et bien connecté pour défendre nos droits collectifs en tant que femmes noires et/ou queer.
Les manifestations de #ShutItAllDown ont également mis en lumière l’illégalité de l’avortement en Namibie et plus généralement la précarité de notre droit à la santé reproductive. C’est dans ce contexte que l’on a intensifié nos conversations sur la question des droits des femmes en matière de santé reproductive. Celles-ci sont quelques-unes des questions essentielles que #ShutItAllDown a mises en lumière, soulignant tout le chemin qu'il reste à parcourir pour que les droits de toutes les femmes soient reconnus et respectés.
Y a-t-il de l’espace pour l’activisme intergénérationnel au sein du mouvement #ShutItAllDown ?
L’activisme intergénérationnel s’est révélé comme un terrain intéressant, notamment en raison de la nature ardente et passionnée de la jeunesse. L’impact de l’activisme incarné par les manifestations de #ShutItAllDown était en grande partie basé sur la création de perturbations et d’un malaise général pour inciter les gens, même les plus indifférents, à agir. Je crois que la perturbation engage des conversations importantes. Nous espérons que nos actions amèneront ceux qui ne sont pas familiers avec ce que nous faisons à se demander pourquoi nous nous soucions de la sécurité des femmes au point d’aller nous asseoir au milieu de la rue ou de bloquer et faire fermer un centre commercial, et à essayer de comprendre ce qui se passe et ce que nous faisons. Ces questions lanceraient une conversation et alimenteraient d’importants débats sur un mal national urgent qui coûte la vie à de nombreuses femmes.
Mais beaucoup d’adultes ont tendance à remettre en question les tactiques perturbatrices utilisées par les jeunes. Une autre limite qu’on a rencontrée, c’est que les tactiques de perturbation impliquent une prise de risque personnelle. Les jeunes ont beaucoup moins d’enjeux en termes d’employabilité et de perte de respectabilité. De nombreuses personnes plus âgées sont d’accord avec les causes qui nous mobilisent, mais elles ne prennent généralement pas le risque de prendre notre parti, ou du moins elles ne le font pas explicitement. Il y a des facteurs politiques et pratiques qui limitent même la mesure dans laquelle elles peuvent exprimer publiquement leur soutien.
Comment voyez-vous l’avenir de #ShutItAllDown ?
L’avantage des mouvements organiques et spontanés, ainsi que des mouvements qui n’ont pas de leader, c’est que n’importe qui peut se réveiller un jour et décider de lancer #ShutItAllDown dans sa propre localité, parce que le mouvement n’a pas de leader unique ou de visage visible. Depuis octobre 2020, on n’a pas eu de nouvelles manifestations, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas d’autres dans l’avenir. La VS est un problème permanent et malheureusement, à tout moment et en tout lieu, un cas nouveau peut se présenter qui relance les manifestations.
L’espace civique en Namibie est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
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RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »
CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).
Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?
La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.
La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.
La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.
De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.
Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?
La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie.
Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.
Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.
Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.
Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?
La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.
Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.
LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.
Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.
Que devrait faire la communauté internationale ?
La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.
La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.
La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.
L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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SÉNÉGAL : « La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de 2024 »
CIVICUS échange sur la dégradation de l’espace civique à l’approche des élections sénégalaises de l'année prochaine avec Sadikh Niass, Secrétaire Général de laRencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme(RADDHO), etIba Sarr, Directeur des Programmes de la RADDHO.
La RADDHO est une organisation de la société civile (OSC) nationale basée à Dakar, Sénégal. Elle travaille pour la protection et la promotion des droits humains au niveau national, régional et international par le biais de la recherche, de l’analyse et du plaidoyer afin de fournir des alertes d’urgence et de prévenir les conflits.
Quelles sont les conditions pour la société civile au Sénégal ?
La société civile sénégalaise reste très active mais est confrontée à plusieurs difficultés liées à la restriction de l’espace civique. Elle subit beaucoup d’attaques verbales de la part de certaines lobbies proches du pouvoir qui les considèrent comme des opposants ou faisant la promotion de « contre valeurs » comme l’homosexualité. Elle est aussi confrontée aux restrictions de libertés de manifestations. La société civile travaille dans des conditions difficiles avec peu de moyens financiers et matériels. En effet les organisations de défense des droits humains ne reçoivent aucun soutien financier de l’Etat.
La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de février 2024. Depuis mars 2021, l’opposition la plus radicale et le gouvernement ont tous opté pour la confrontation. Le gouvernement tente d’affaiblir l’opposition en la réduisant au minimum. Il s’attaque particulièrement à l’opposition la plus dynamique, la coalition Yewi Askan Wi (« Libérer le peuple »), dont le principal leader, Ousmane Sonko, est aujourd’hui en détention.
Toutes les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites. Les manifestations spontanées sont violemment réprimées et se soldent par des arrestations. Le judiciaire est instrumentalisé pour empêcher la candidature du principal opposant au régime, Sonko, et les principaux dirigeants de son parti sont arrêtés.
Nous avons également assisté ces dernières années à une recrudescence des menaces verbales, physiques et judiciaires envers les journalistes, ce qui constitue un vrai recul du droit à l’information.
Quels seront les enjeux de l’élection présidentielle de 2024 ?
Avec la découverte du pétrole et du gaz, le Sénégal devient une destination attrayante pour les investisseurs. La gestion transparente de ces ressources reste un défi dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes. Les populations confrontées à la pauvreté voient en cette découverte un moyen d’améliorer leur niveau de vie. Avec la percée de l’opposition lors des élections locales et législatives de 2022 on sent que l’électorat exprime de plus en plus fortement son désir de transparence, de justice et d’amélioration des conditions socio-économiques.
Le 3 juillet 2023 le président sortant a déclaré qu’il ne participera pas aux prochaines élections. Cette déclaration pourrait constituer une lueur d’espoir d’une élection libre et transparente. Mais le fait que l’État soit tenté d’empêcher certains ténors de l’opposition d’y prendre part constitue un grand risque de voir le pays sombrer dans des turbulences.
La société civile reste alerte et veille à ce que l’élection de 2024 soit une élection inclusive, libre et transparente. A cet effet elle a beaucoup multiplié des actions en faveur du dialogue entre les acteurs politiques. Également les OSC s’activent à travers plusieurs plateformes pour accompagner les autorités dans l’organisation des élections apaisées par la supervision du processus avant, pendant et après le scrutin.
Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations ? Quelles sont les revendications des manifestants et comment le gouvernement a-t-il réagi ?
Les récentes manifestations ont été déclenchées par la condamnation de Sonko à deux ans de prison le 1er juin 2023. Ce jour-là, un tribunal s’est prononcé sur l’affaire dite « Sweet Beauty », dans laquelle une jeune femme employée dans un salon de massage accusait Sonko de l’avoir violée et d’avoir proféré des menaces de mort à son encontre. Sonko a été acquitté des menaces de mort, mais les accusations de viol ont été requalifiées en accusations de « corruption de la jeunesse ».
Est venu se greffer à cette condamnation l’arrestation de Sonko le 31 juillet 2023 et la dissolution de son parti politique, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
Les manifestations sont animées par le sentiment que leur leader fait l’objet de persécutions et que les affaires pour lesquelles il a été condamné ne servent qu’à l’empêcher de participer aux prochaines élections. La principale revendication des manifestant est la libération de leur leader et des personnes illégalement détenus.
Face aux manifestations le gouvernement a opté pour la répression. En effet les autorités considèrent qu’elles font face à des actes de défiance de l’Etat et ont appelé les forces de sécurité à faire usage de la force.
La répression s’est soldée par la mort de plus de 30 personnes et de plus 600 blessés depuis mars 2021, quand les premières repressions ont commencé. En plus de ces pertes en vies humaines et de blessés on dénombre aujourd’hui plus de 700 personnes arrêtées et croupissent dans les prisons du Sénégal. Nous avons aussi noté l’arrestation de journalistes mais aussi de coupure de signal de chaines de télévisions et de restriction de certaines d’internet.
Comment la société civile sénégalaise, y compris la RADDHO, travaille-t-elle à la défense des droits humains ?
La RADDHO travaille au niveau national en aidant les victimes de violations de droits humains, et mène des activités de sensibilisation, d’éducation aux droits humains et de renforcement de capacités.
La RADDHO collabore avec les mécanismes régionaux et internationaux, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain des Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. A cet effet elle mène plusieurs activités de vulgarisations des Instruments juridiques de protection et de promotion des droits humains. En tant que membre observateur de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle participe régulièrement aux forums de la société civile lors des sessions de celle-ci. Également la RADDHO coordonne la coalition des OSC pour le suivi et la mise en œuvre des recommandations de l’Examen Périodique Universel des Nations unies pour le Sénégal.
Quel soutien international la société civile sénégalaise reçoit-elle et de quel soutien supplémentaire aurait-elle besoin ?
Dans le cadre de leurs missions, les OSC sénégalaise reçoivent des appuis de la part d’institutions internationales telles que l’Union Européenne, les agences de coopération bilatérale des États-Unis et de la Suède, USAID et SIDA, et des organisations et fondations tels qu’Oxfam NOVIB des Pays Bays, le NED des États-Unis, la NID de l’Inde et la Fondation Ford, entre autres. Cependant, du fait que le Sénégal a longtemps été considéré comme un pays stable, l’appui reste insuffisant.
Compte tenu des restrictions de l’espace civique constatées depuis quelques années et de la crise politique, la société civile a besoin d’être soutenue pour mieux assister les victimes de violations de droits humains, pour contribuer à l’avènement d’une véritable culture des droits humains, et pour travailler à l’élargissement de l’espace civique et le renforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.
L’espace civique au Sénégal est classé « entravé » par leCIVICUS Monitor.
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CIVICUS parle du récent glissement vers la droite en Slovénie avec Brankica Petković, chercheuse et chef de projet à l’Institut pour la paix de Ljubljana. Fondé en 1991, l’Institut pour la paix - Institut d’études sociales et politiques contemporaines - est un centre de recherche indépendant et à but non lucratif qui utilise la recherche et la défense des droits pour promouvoir les principes et les pratiques d’une société ouverte, la pensée critique, l’égalité, la responsabilité, la solidarité, les droits humains et l’État de droit. Il travaille en collaboration avec d’autres organisations et avec des citoyens aux niveaux local, régional et international.
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