CIVICUS échange avec Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif et Coordonnateur du programme de gouvernance et mobilisation citoyenne au Balai Citoyen, sur les droits humains et l’espace civique au Burkina Faso.
Fondé en 2013, le Balai Citoyen est une organisation de la société civile (OSC) qui mobilise l’action citoyenne pour promouvoir la démocratie, l’intégrité de la gouvernance, la justice et l’état de droit au Burkina Faso.
Comment les droits humains et les libertés civiques se sont-ils détériorés sous la junte militaire du Burkina Faso ?
Depuis l’arrivée des militaires en janvier 2022, il y a eu une dégradation manifeste des droits humains et des libertés civiques, un phénomène qui s’est accentué à la suite du second coup d’État survenu en septembre 2022. Toute voix dissidente, divergeant de la ligne officielle du régime militaire, est systématiquement réprimée.
Pour ce faire, le régime a progressivement mis en place des mesures insidieuses. Initialement, il a suspendu les activités des partis politiques, même après le rétablissement de la Constitution après une suspension temporaire. De plus, certains médias internationaux sont proscrits de diffusion, tandis que certains médias nationaux ont subi des suspensions. Des journalistes et activistes sont soumis à des intimidations et menaces, certains ayant été enlevés. Le sort de certains, notamment deux militants du Balai citoyen, reste inconnu à ce jour.
Sous couvert de la loi de mobilisation générale introduite en 2023 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le régime punit les dissidents en les soumettant à des réquisitions. La société civile prodémocratie est pratiquement paralysée par l’intensité et la férocité de la répression. Malgré cela, elle tente tant bien que mal de maintenir des concertations internes et d’élargir ses réseaux à l’échelle internationale afin de partager ses expériences et de recueillir les bonnes pratiques adaptées à cette situation critique.
Quelles sont les demandes de la société civile aux autorités, en particulier pour protéger les droits humains et prévenir les disparitions forcées ?
La société civile exhorte les autorités à lever les restrictions sur l’espace civique et respecter les droits consacrés par la constitution, qui demeure en vigueur. Le respect des lois est inclus dans le serment du chef de l’État. La société civile insiste sur la nécessité pour les autorités de se conformer aux lois en vigueur et de ne pas entraver l’exécution des décisions judiciaires. Elle demande que tout citoyen accusé d’une infraction, quelle qu’en soit la nature ou la gravité, soit jugé équitablement par le système judiciaire, seul habilité à rendre justice, et que les droits de toutes les parties impliquées soient respectés.
Les personnes concernées par des enlèvements et des réquisitions, ont obtenu gain de cause devant la justice, qui les ont jugés illégaux. Malgré ces décisions de justice, certaines personnes sont toujours retenues contre leur gré, et d’autres qui ont été enlevées n’ont pas été retrouvées.
En somme, la société civile demande que la justice puisse agir selon les procédures et les lois en vigueur.
Quels obstacles la société civile rencontre-t-elle pour mener ses activités et remplir ses fonctions ?
Il convient de distinguer deux segments différents de la société civile. Les OSC pro-junte, qui soutiennent le régime militaire, ne rencontrent aucun obstacle et ne sont pas soumises aux interdictions officielles. Par exemple, elles peuvent organiser des manifestations malgré les interdictions émises par les autorités.
D’autre part, les OSC prodémocratie, qui maintiennent une distance par rapport au régime et sont guidées par des valeurs et des principes démocratiques, rencontrent des obstacles dans l’exercice de leurs fonctions, en particulier lorsqu’il s’agit de la surveillance des actions gouvernementales et l’interpellation des dirigeants pour qu’ils rendent des comptes à la population.
L’interdiction officielle de manifester s’applique à ces organisations. Elles font également l’objet d’intimidations et de menaces de la part des partisans du régime et de la diffusion de désinformations et de « fausses nouvelles » visant à discréditer ces organisations et leurs dirigeants. Il y a des individus, soutiens du régime, qui à visage découvert menacent d’assassinat les leaders d’OSC. Ce sont des propos qui tombent parfois sous le coup d’infraction mais que les autorités ne prennent pas de mesures pour les recadrer. Par exemple en octobre 2023 lorsqu’un collectif d’OSC a voulu organiser un rassemblement, on a vu dans les réseaux sociaux des individus aiguisés des machettes menaçant de s’en prendre aux participants.
Un aspect tout aussi important mais souvent négligé est la pression exercée par la famille et les amis sur les militants engagés, qui craignent que ces derniers ne soient enlevés, emprisonnés ou tués. Les militants manquent également de fonds pour faire face aux frais juridiques en cas de procès et pour réaliser leurs activités.
Les tensions entre la junte militaire du Burkina Faso et les pays voisins risquent-elles de dégénérer en un conflit régional plus large ?
L’émergence successive de régimes militaires, d’abord au Mali puis en Guinée-Conakry, au Burkina Faso et au Niger, dans un contexte d’aggravation de la crise sécuritaire à laquelle les régimes précédents peinaient à trouver des solutions, a accéléré la reconfiguration géopolitique de l’Afrique de l’Ouest.
Au Burkina Faso, l’accession des militaires au pouvoir a été facilitée par la persistance de la crise sécuritaire entamée en 2015 et qui s’est intensifiée sans être résolue. Dès leur arrivée, leur chef, le capitaine Ibrahim Traoré, a adopté un langage martial et une rhétorique guerrière, tant en interne que vis-à-vis des partenaires extérieurs.
En Afrique de l’Ouest et dans le voisinage immédiat, le ton adopté varie en fonction de la nature du régime en place dans chaque pays. Les régimes démocratiques issus des élections semblent irriter nos autorités, tandis qu’elles sont attirées par les régimes militaires du Mali et du Niger au point de formaliser cette proximité dans une alliance appelée « Alliance des Etats du Sahel ».
Toutefois, si l’on se réfère à l’histoire du Burkina Faso, l’hostilité envers certains régimes des pays voisins ne semble pas devoir dégénérer en conflit régional. Il serait plus raisonnable de craindre un conflit bilatéral entre le Burkina et l’un de ses voisins, d’autant plus que celui envers lequel nous manifestons actuellement le plus d’hostilité, la Côte d'Ivoire, est celui qui abrite la plus grande communauté de nos compatriotes à l’étranger.
Il est plus probable qu’une brouille diplomatique à court terme survienne plutôt qu’une escalade de conflit. Néanmoins, il serait imprudent d’écarter toute possibilité de conflit. À cet égard, la société civile mène des concertations dans les pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, notamment par le biais de WADEMOS (West African Democracy for Solidarity), qui regroupe de nombreuses OSC d’Afrique de l’Ouest, en particulier des pays en crise. Ces organisations travaillent à favoriser un dialogue constructif entre les acteurs de la société et les dirigeants.
Par ailleurs, dans le cadre d’un autre réseau, j’ai appelé à l’organisation d’une rencontre régionale visant à renforcer la voix de la société civile pour la paix et la stabilité en Afrique de l’Ouest. Cette initiative est encore en attente de financement.
Quel soutien la société civile du Burkina Faso reçoit-elle de la communauté internationale, et quel soutien supplémentaire lui est nécessaire ?
Je n’ai pas connaissance de mesures concrètes prises par la communauté internationale pour remédier aux violations des droits humains et à la répression de la société civile au Burkina Faso. En dehors des déclarations de principe qui ont pu être émises, il semble qu’il n’y ait pas d’actions spécifiques pour adresser ces problèmes de manière effective.
Il est essentiel de souligner l’importance du soutien financier aux OSC, afin qu’elles puissent faire face à l’adversité et mener à bien leurs activités au service des populations. En effet, le financement adéquat permettrait à ces organisations de renforcer leurs capacités opérationnelles et de répondre de manière plus efficace aux besoins des communautés qu’elles servent.
L’espace civique au Burkina Faso est classé « entravé » par le CIVICUS Monitor.
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