Le respect des mandats présidentiels dans la démocratie burundaise

Réponse à l’appel ouvert par Me MBONGO Ali

Depuis 2015, le Burundi est confronté à une nouvelle crise politique lié à un troisième mandat illégal qui n’a cessé d’alimenter toutes les polémiques causant instabilité et pertes humaines considérables. Et pourtant, la logique du respect des mandats présidentiels ou d’alternance au pouvoir avait déjà été posée au Burundi depuis la fin de la monarchie en 1966. Ce sont en effet des coups d’état militaires sans violence qui ont permis à trois présidents de la république d’alterner au pouvoir de 1966 à 1993. Pour illustration, le président Michel Michombero a pris le pouvoir par un coup d’état militaire en 1966, et se faisant, il a mis fin à la monarchie et fonda la république du Burundi dont il fut le premier président jusqu’en 1976. Il fut renversé, sans violence, le 2 novembre de cette année-là par Jean-Baptiste Bagaza, qui resta au pouvoir jusqu’au 3 septembre 1987, avant de se faire renverser, lui aussi, par un coup d’état orchestré par Pierre Buyoya. Celui-ci resta au pouvoir de 1987 à 1993 quand il remit, après avoir perdu les premières élections du Burundi, le pouvoir à Melchior Ndadaye, le premier président démocratiquement élu du pays. Cette logique sociale et cette pratique politique est à la base de l’esprit de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation de 2000 (suite à une guerre civile sanglante), qui prévoyait déjà la limitation des mandats à 2 quinquennats (10 ans maximum).

Les origines de la crise de la démocratie burundaise : un 3ème mandat illégal

En 2014, la volonté affichée du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en 2015 a donc suscité beaucoup de critiques, parce qu’il menaçait ainsi l’un des principes démocratiques les plus importants de l’accord de paix d’Arusha et la constitution burundaise.

Le 26 janvier 2015, la société civile créa un mouvement citoyen en réaction, et lança une campagne appelée « Halte au 3ème mandat » pour en dissuader le président. Des voix des différentes personnalités tant nationales qu’internationales s’élevèrent pour dénoncer le caractère antidémocratique, dangereux et irresponsable de cette ambition. Mais malgré ces appels nationaux et de la communauté internationale, il fut investi en avril 2015 en tant que candidat de son parti, le cndd-fdd, pour briguer un 3ème mandat illégal et donc très contesté. Ceci provoqua des manifestations, appelées par la société civile et les citoyens pour s’opposer à la violation de la constitution et aux accords de paix d’Arusha. Les actions de la société civile voulaient, comme toujours d’ailleurs, éviter que le Burundi ne retombe dans une autre guerre civile très sanglante.

Le système démocratique burundais a été taillé sur mesure à la réalité sociale burundaise. C’est un système fragile qui porte une mission très difficile et complexe de résoudre les tensions ethniques, d’en éradiquer les causes et de promouvoir la paix sociale et le développement. L’adoption d’une démocratie consociationaliste au Burundi (c’est-à-dire de partage du pouvoir en dépit d’une logique majoritaire pour apaiser de profondes divisions religieuses, ethniques ou linguistiques dans une société) n’a été possible qu’après de longues et difficiles négociations qui ont mis fin à une longue guerre civile (1993-2006). Cette constitution et ce système démocratique sont perçus par le peuple et les différents acteurs sociopolitiques burundais et la communauté internationale comme une solution adaptée aux crises cycliques que le Burundi a vécues ces dernières décennies. Après la signature de l’accord de paix d’Arusha, les doutes ont subsisté sur la mise en application de ce système, et surtout sur sa durabilité vue l’expérience politique burundaise. La communauté internationale s’est portée garante de cet accord qui a réussi à restaurer la paix bien qu’il soit largement discriminatoire pour les minorités sans défense au Burundi (Swahili, Twa et Ganwa notamment).

La démocratie est venue mettre fin aux divisions sociales qui ont miné le Burundi, et la nouvelle constitution s’est avérée être la garante et la protectrice de la société burundaise contre la guerre civile, la haine ethnique, les massacres et le génocide. C’est ce qui explique la résistance qu’a démontrée la société civile pour défendre cette démocratie burundaise contre un troisième mandat illégal. Mais la société civile a, malheureusement, subi une répression sans précèdent dans l’histoire du Burundi mettant à mal son message et son rôle.       

La réaction de la société civile et des médias indépendants à la crise de 2015 : sentinelles de la constitution burundaise

Les associations et autres organisations de la société civile (OCS) ont joué un rôle très important dans la consolidation de la démocratisation au Burundi. Depuis les accords d’Arusha, elles ont mené des campagnes de sensibilisation dans tout le pays sur la démocratie et le changement qu’un tel régime démocratique peut apporter dans la société surtout en matière de droits humains, de libertés fondamentales et de la cohésion sociale.

En avril 2015, ce sont 304 organisations de la société civile burundaise (FORSC, APRODH, Ligue Iteka, OLUCOME, FORSC, FOCODE, ACAT, RCP, AMINA, ISOKO Fontaine, SPPDF, l’AJCB, Syndicat STEB, BIRATURABA, etc.) qui se sont réunies pour mobiliser la population et l’appeler à protester contre la candidature pour un 3ème mandat du président Nkurunziza. Mais les OSC seules, bien que promotrices et très influentes, ne suffisaient pas pour mobiliser le peuple. Elles ont alors eu l’appui des médias privés indépendants (RPA, RSF BONESHA FM, Radio et Télévision Renaissance, Isanganiro, etc.), qui ont été un moyen par excellence pour sensibiliser et mobiliser la population car ils ont permis à la population d’avoir accès à l’information et surtout de pouvoir s’exprimer sur les sujets importants de la vie socio-politique burundaise. Ces médias privés indépendants les plus écoutés ont relayé les messages de cette campagne ainsi que les manifestations en direct, et en ont fait un sujet à la une pendant plusieurs mois.

Le 26 avril 2015, la population répond en grand nombre à cet appel et cherche à prendre les rues. Pendant trois semaines, malgré la répression meurtrière et la brutalité policière, les manifestations continuent, et réussissent à complètement paralyser la vie dans la capitale Bujumbura. La population a répondu massivement à cet appel à manifester. L’action conjointe des médias et des OSC a ainsi réussi à toucher de nombreux citoyens de toutes catégories sociales, et même des responsables religieux se sont fait entendre. On compte alors des défections dans le camp présidentiel où certains proches du président, des hautes autorités de son gouvernement et de son parti s’alignent du côté du peuple et s’opposent publiquement à la décision du président de la République. Ces défections s’observent également dans les forces de défense nationale (FDN). En effet, le 13 mai 2015, un groupe de généraux tentent d’organiser un coup d’état. Toutes les manifestations et toute l’opposition sont ensuite brutalement réprimées. Leurs actions ne permettent pas de stopper le pouvoir en place.

Mais cette mobilisation citoyenne et ces manifestations contre le pouvoir ont été une situation inédite dans l’histoire du Burundi. Il n’y avait pas eu de manifestation ou de mouvement citoyen de masse auparavant. Cela prouve que la société civile a réussi à poser de bonnes bases de citoyenneté démocratique et responsable au sein de la société burundaise. Et cela s’est plusieurs fois manifesté à travers différentes actions de désobéissance civile que les OSC ont organisé, avant même les manifestations d’avril 2015. L’exemple le plus typique est la consigne que les organisations de la société civile avaient donnée pour que le jeudi 2 janvier 2015 à 12h20 la population fasse du bruit, soit de klaxon, de cloches ou toute autre bruit comme par exemple avec des casseroles comme signe d’opposition au 3ème mandat. D’autres actions peuvent illustrer ce travail de fond de sensibilisation et de mobilisation. Par exemple, la « mobilisation verte » ou le « vendredi vert » appelait les citoyens burundais à porter, chaque vendredi, des habits de couleur verte pour réclamer la libération d’un activiste très reconnu pour ses actions de défense des droits des citoyens et des détenus, à savoir Pierre Claver Mponimpa. Une autre mobilisation a visé la libération du journaliste et directeur de la radio RPA (Radio Publique Africaine), Bob Rugurika, libéré le 19 février 2015.

En outre, bien qu’au niveau interne, la société civile ait été sévèrement réprimée et réduite au silence, elle a réussi à mobiliser la communauté internationale. Les sanctions et la forte pression de la communauté internationale sur le régime burundais ont été initiées grâce à cette mobilisation. La décision surprise du président Pierre Nkurunzizya, le 7 juin 2018, de ne pas se présenter aux élections de 2020 peut être considérée comme une victoire de la démocratie mais aussi de la société civile en exil et une conséquence de cette pression de la communauté internationale.  

Conséquences de la crise politique de 2015 pour la société civile et perspectives d’avenir pour le Burundi

Avec la crise de 2015, la situation de la société civile s’est empirée au-delà de sa capacité de résilience, le régime burundais inscrivant les organisations de la société civile sur sa liste noire des putschistes et des rebelles, tout en les qualifiant d’organisations antidémocratiques. Plusieurs OSCs, qui ont fait campagne contre le 3ème mandat ont été fermées par le régime, les activistes de la société civile ont été victimes de harcèlement judiciaire et certains sont encore sous le coup de mandat d’arrêt et vivent en exil depuis lors. L’espace civique est complètement fermé et les activistes de la société civile sont constamment menacés, arrêtés arbitrairement et victimes de procès politiques, comme c’est le cas pour les 4 activistes, Emmanuel Nshimirimana, Aimé Constant Gatore et Marius Nizigiyimana, condamnés à dix ans de prison et Germain Rukuki à 32 ans de prison. Les disparitions forcées sont aussi une méthode que le régime burundais utilise, depuis 2015, contre les membres de la société civile et de l’opposition. La trésorière de la Ligue Iteka, Marie Claudette Kwizera et le journaliste Jean Bigirimina ont ainsi été portés disparus depuis 2015 et 2016 respectivement. Plus de 800 personnes sont portées disparues depuis 2015. En outres, les activistes et organisations de la société civile font face à des harcèlements judiciaires, des emprisonnements illégaux, des menaces et intimidations et même des assassinats, comme la tentative d’assassinat de l’activiste Pierre Claver Mbonimpa. Les radios indépendantes les plus écoutées ont, elles, été fermées et détruites en 2015 par le régime. Depuis, la presse est très souvent muselée par les autorités. Le droit à l’information ainsi que la liberté d’expression sont très restreints.  

Au-delà des conséquences actuelles de la crise politique de 2015, l’histoire coloniale et postcoloniale du Burundi reste un défi de la société car le peuple burundais a beaucoup de mal à tourner la page d’une histoire très sombre dont il porte encore les cauchemars. Les divisions sociales, l’exclusion, les barrières ethniques, la guerre civile, les massacres, les crises politiques, les violences cycliques très meurtrières et enfin la peur de la vengeance sont, malheureusement, une réalité historique dont on observe les conséquences jusqu’à présent dans la société burundaise. La société civile, à travers ses actions, avait réussi à rassembler le peuple burundais d’une façon extraordinaire mais la crise politique de 2015 a détruit ces efforts et a fait resurgir une certaine haine ethnique et l’esprit de vengeance.

Malgré l’hostilité du régime envers la société civile, il est sans dire qu’elle reste un acteur incontournable dans la transformation sociale si elle disposait des moyens suffisants pour le faire. La notion de société civile reste vague et peu encadrée juridiquement parlant au Burundi. Pour protéger efficacement la démocratie burundaise, il faudrait donc protéger légalement la société civile avec une législation nationale spécifique, des moyens durables et en renforçant ses capacités et sa résilience.

Conclusion

La démocratie a toujours été présentée comme le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple sans toutefois qu’il ne soit considéré, en pratique, les différentes orientations de la portée du « pouvoir du peuple ». Le caractère démocratique du Burundi, comme certains pays africains, se limite, en pratique, à l’organisation d’élections sous couvert démocratiques et à une difficile séparation du pouvoir, pourtant clairement souscrite dans les constitutions. Le Burundi, comme la plupart des pays africains, est démocratique par constitution, en théorie en somme. Dans la pratique, on observe bien une usurpation du pouvoir du peuple et son détournement contre celui-ci. Le référendum constitutionnel du 17 mai 2018 en est le parfait exemple. Un référendum organisé en pleine crise politique, excluant l’opposition et la société civile, avec un contexte caractérisé par une intolérance des opinions divergentes au régime, la violation des droits humains sans oublier les intimidations contre le peuple lui-même ; et la votation a lieu malgré tout, et le changement constitutionnel souhaité par le président pour se maintenir au pouvoir est ainsi ‘approuvé’. Mais quand l’environnement sociopolitique est hostile au peuple, il réduit considérablement le champ des citoyens d’exercer librement leurs droits et jouir pleinement de leurs libertés, de s’exprimer sur la dite constitution et de choisir librement. Les menaces de mort lancées publiquement par les autorités et cadres du CNDD-FDD pendant cette période, et surtout l’assassinat de Simon Bizimana, un citoyen qui a avoué publiquement son intention de boycotter le référendum, en est la preuve indiscutable.

Comme il l’avait été craint et souligné maintes fois, le troisième mandat du président Nkurunziza a eu et continue d’avoir des conséquences très négatives pour la démocratie burundaise et, par conséquent, sur la stabilité sociopolitique du pays. Le respect des droits des citoyens, les libertés individuelles et d’association ont considérablement régressé. Les Burundais, qui avaient retrouvé difficilement la voie de la liberté et de la stabilité sociale, se retrouvent brusquement confronter à un environnement où ils peuvent soit se retrouver en prison soit payer de leur vie pour la simple jouissance de leurs droits et libertés. La démocratie burundaise a régressé au point qu’il faille se demander à présent si l’on peut véritablement parler de « démocratie » au Burundi et non plutôt de « démocrature ».

La décision surprise et douteuse de Pierre Nkurunziza de ne pas se présenter aux élections de 2020 peut, s’il ne change pas d’avis et s’il n’y a pas une manœuvre politicienne cachée dans cette décision, aider le Burundi à retrouver une dynamique démocratique. Mais cette décision seule ne suffira pas à relancer la démocratie burundaise, si elle n’est pas accompagnée d’autres actions concrètes et indispensables, notamment la réouverture de l’espace civique et politique, une amélioration de la considération de la société civile et des médias dans la démocratie burundaise en autorisant la réouverture des médias indépendants fermés et des OSC suspendues,  en garantissant la sécurité et liberté d’action et d’expression aux activistes de la société civile, aux opposants ou à toute autre voix dissidente notamment.    

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